Jouer, c’est rendre la vie plus belle

Paris. Place de la République. Le roulement trainant des skates. Les groupes d’hommes, jeunes, affalés sur les bancs. Les passants pressés. Les vélos qui filent sans laisser les piétons traverser . Devant nous, les rayons du soleil accrochent des tables en fer forgé rouge vif, mobilier de jardin en plein centre urbain, avec chaises et bancs assortis.

Ici, un garçon d’une dizaine d’année s’applique sur son puzzle sous le regard bienveillant de sa maman. Là, deux hommes s’affrontent autour d’un jeu de dames. Plus loin, des enfants qui savent tout juste lire tentent de résoudre des casse-têtes. Les portes d’un container transformé en cabane à jeux sont grand ouvertes. Des dizaines de boîtes colorées attendent contre les parois.

Je suis avec Hortense et son amie Camille. Nous avons rendez-vous pour récupérer une guitare achetée sur le Bon Coin. « Vous avez combien de temps ? » demande l’animateur qui nous accueille avec le sourire. Nous sommes un peu en avance. On s’installe à une table et il nous explique le jeu auquel il a pensé pour nous. Plouf Party. Rapide, coloré, sans réelle stratégie, il faut renverser les pions dans la piscine. Se reposer, rire, papoter.

Les pions ronds et lisses d’un jeu de go oublié sur notre table attirent notre attention. L’ambiance détendue incite à découvrir des jeux qu’on ne connaît pas. Mais déjà les animateurs en gilet rouge s’activent pour ranger. Il est 19h, l’R de jeux ferme ses portes. Du côté des tout-petits, on ramasse les jeux de constructions éparpillés sur de nombreux tapis. Concentrés sur les parties en cours, les joueurs d’échec prennent racine. Le public commente, admire, critique. On sent les habitués.

Notre vendeur de guitare arrive enfin. Bois blond et ambré, doux, chaud au creux de la housse noire. Hortense est ravie. Encore quelques cordes à changer et elle pourra s’entraîner tant qu’elle voudra. La guitare posée sur sa cuisse, la tête penchée sur l’instrument, à l’abri de ses longs cheveux, elle tâtonnera sur les cordes.

Elle a hâte de jouer autre chose que Santiano et de faire courir ses doigts sur les frettes. Pour le moment, elle porte fièrement sa guitare sur le dos dans les couloirs du métro. La vie est belle.

  • L’R de jeux, place de la République, les mercredis, samedis, dimanches et vacances scolaires.

Fantasmagorie urbaine

Aller déjeuner aux Petites Cantines Paris. Les rues balayées par les rafales de vent. Les tourbillons dorés des feuilles automnales. Traverser le 13e arrondissement en voiture (pas question de prendre les vélos en pleine tempête), longer une forêt de tours hautaines à l’architecture austère. Se garer sous des platanes dégarnis au bord du métro aérien et avoir le regard aimanté par la douceur des personnages peints sur des murs aveugles. Vision fantastique. La ville prend soudain une autre dimension.

Envie, une prochaine fois, de déambuler en deux roues dans les rues de cet arrondissement réputé pour ses fresques.

Éternelle Notre-Dame

Devant Notre-Dame, les groupes se succèdent. Le guides hissent leurs parapluies colorés pour se distinguer et expliquent l’histoire, l’architecture et l’envergure culturelle du bâtiment dans toutes les langues. Face à la cathédrale, on a installé des gradins. Chacun peut s’assoir – en plein soleil caniculaire – et admirer la grande brûlée.

Eglantine et moi arrivons à l’heure où la matinée n’est pas encore trop chaude. Aucun arceau pour accrocher des vélos. Nous trouvons finalement un arbre autour duquel garer Janice et Pimprenelle. Nous rejoignons la grande salle sous le parvis. L’entrée est juste en face de la préfecture de Police. La température y est relativement fraîche. Nous déposons sacs, batteries et casques de vélo dans le vestiaire. Puis nous nous équipons d’un casque virtuel et d’un gros ordinateur porté sur le dos.

Enfin, la visite virtuelle Éternelle Notre-Dame peut commencer.

45 minutes à travers le temps et l’espace.

Nous commençons de nuit. La pluie tombe dans les ruelles étroites du Paris du Moyen-Âge. Notre-Dame est encore en construction. Elle ne se découvre qu’à la fin d’une petite rue, entre des maisons un peu de guingois, imposant sa sévère majesté sur le chaos de la cité.

Les sculptures de la porte, l’alignement des colonnes, le jeu de la lumière qui inonde les grandes allées, le labeur des artisans. Tailleurs de pierre, menuisiers, charpentiers, vitraillistes… Notre guide hologramme nous présente leur travail. Il nous fait passer à travers les murs puis nous entraînent au niveau des voûtes et de la fameuse forêt, cette charpente de chêne partie en fumée dans l’incendie d’avril 2019.

Les décors sont grandioses et tellement réaliste que j’ai un vertige monstrueux quand nous montons sur une plateforme sans rambarde qui s’élève à plusieurs mètres de haut. Ma raison a beau savoir que je ne quitte pas une pièce aveugle et souterraine, mon cerveau perçoit le vide. J’ai les jambes qui flageolent et m’agrippe à la main d’Eglantine. Seule ma dignité me retient de me plaquer au sol. J’entends des petits cris de peur, je ne suis pas la seule à mal appréhender le vide sous mes pieds alors que nous marchons sur les poutres de bois au-dessus de la nef.

La présentation des trois rosaces est magnifique. Dans une pénombre mystérieuse, la lumière anime les vitraux et baigne le sol de tâches roses et bleues. Éblouissant.

Nous côtoyons les cloches, admirons les gargouilles, découvrons l’ampleur des dégâts du feu depuis le haut des tours. Paris s’étend à nos pieds.

Enfin des hommes et des femmes portant des gilets et des casques de sécurité s’affairent à tout reconstruire. Encensement du travail des compagnons et de cette foule de professionnels qui s’affaire autour de la blessée. Un peu de mal à croire, tout de même, que le chantier sera terminé en 2024. Mais une vibrante envie d’y croire.

Quand nous retirons nos casques de réalité virtuelle, nous jetons un œil à la salle où naviguent encore les autres visiteurs. La magie n’opère plus. Au contraire, chacun semble esseulé et ridiculement incapable d’entrer en relation les autres. Je préfère que la réalité virtuelle continue de rester une expérience anecdotique et que les humains continuent de se voir et de découvrir le monde avec leurs yeux.

Avant de partir, il ne faut pas rater l’exposition traditionnelle qui présente tous les métiers des artisans qui redonnent vie à Notre-Dame, le travail titanesque engagé sur le chantier, des chiffres tout en superlatifs et une magnifique maquette de l’édifice.

Le seul vrai bémol de cette expérience n’est pas anodin, c’est le prix. Plus de 30 euros pour les plein tarifs. Lors de la visite virtuelle, les personnages s’adressent à nous en tant que donateurs. Cette expérience de réalité virtuelle soutient vraisemblablement l’effort financier de reconstruction. Dommage tout de même que ce soit aussi cher.

Quand nous ressortons, la chaleur nous saisit. Les grappes de touristes sont toujours là, réfugiées sous les rangées d’arbres. Seuls quelques courageux qui ne craignent pas la chaleur profitent des gradins.

Nous jetons un dernier regard à Notre-Dame, elle nous semble désormais plus intime.

Eglantine, Janis et la Grande Épicerie

Je ne pouvais pas terminer sur des mots tristes. Même si, les écrire, c’est se vider un peu la tête. Alors pirouette, cacahuète, un tour de passe-passe et je reviens sur une bonne raison de faire virevolter le quotidien.

Pour aller voir son médecin en plein cœur de Paris, Eglantine a choisi le vélo. Le temps est bon, le ciel est bleu, nous n’avons rien à faire que d’être heureux dit la chanson. Eglantine enfourche Janis, son fidèle destrier, pour affronter les affres de la circulation urbaine et le plaisir de l’air estival qui caresse la peau, de Paris qui défile au rythme du vélo, de sa liberté de mouvement, à peine entravée par quelques feux rouges qu’elle respecte scrupuleusement.

Depuis quatre ans qu’il la suit, le professeur a souvent changé d’adresse. Le voilà revenu à quelques pas du Bon Marché. Eglantine apprécie particulièrement les énormes cookies à la pistache de sa Grande Épicerie. Je l’imagine parfaitement déguster son choux à la crème à la pistache (plus de cookies pistache cet après-midi), assise à l’ombre des arbres du square voisin.

Image provenant du site lagrandeepicerie.com

Elle est revenue ravie de la ballade et de cette autonomie retrouvée que la douleur et la fatigue lui ont retiré ces dernières années.

Paris – Tokyo dans un bol de soupe

Il existe un endroit à Paris qui permet de se rendre directement au marché aux poissons de Tokyo. Les voyageurs patientent sur l’étroit trottoir à quelques pas de la Comédie Française. Quand une table se libère enfin, il vous suffit de passer la porte pour vous retrouver au milieu des cagettes de polystyrène débordant de poissons et autres crustacés dans de la glace pilée.

Le sol brille d’humidité. Les vendeurs portent des bottes en caoutchouc blanches assortis à leurs grand tabliers. Des sacs en plastique pendent au plafond, des balances ponctuent les étals au milieu des affiches en japonais et des prix en yen.

Vous entendez les cris des vendeurs, les moteurs des camions qui viennent livrer ou s’approvisionner, le brouhaha de l’animation quotidienne du marché.

Gyoza, edamame, shoyu ramen de sardine ou chintu de dorade royale. La carte est alléchante. Les odeurs de poisson en provenance de la cuisine ouverte aident à parfaire le dépaysement de ce restaurant japonais parisien.

Les points négatifs

L’attente… Comme j’avais crevé Porte d’Orléans, nous sommes arrivées à 12h30, certainement le pire moment pour obtenir une table. Nous ne nous sommes assises qu’à 13h30. Certes, le système de file d’attente virtuelle est pratique. Il suffit de scanner le QR code à l’entrée et vous recevez un sms quand c’est à votre tour. Vous avez alors dis minutes pour rejoindre votre table. Ca vous permet normalement de faire un tour dans le quartier. Pourquoi pas se poser sur un banc au Palais Royal ?

Eglantine et moi sommes allées faire un tour à l’exposition du moment au Drawing Lab, de l’autre côté de la rue. Et nous avons choisi de boire un verre au bar de l’hôtel, calme, préservé du tumulte de la rue, ouvert sur un jardin intérieur.

La crevaison puis cette longue attente avaient déjà bien entamé nos forces. Si bien que nous avons eu un peu de mal avec l’ambiance sonore du restaurant, hyper saturée en sons divers entre les conversations des clients, la bande-son du marché et les cris que lançaient les cuistots quand un plat était prêt.

Nous sommes parties au plus vite une fois nos ramens terminés.

Les plus

L’ambiance extraordinairement bien recréée par des professionnels des décors de théâtre et de cinéma. Le sol aurait été moulé sur l’original au marché aux poissons de Tokyo. Une expérience unique et époustouflante.

L’adresse

Kodawari Ramen – Tsukiji
12 rue Richelieu
75001 Paris

Ça ouvre à 11h45. Et si vous n’avez pas de problème de pneu Porte d’Orléans, c’est mieux d’arriver tôt.

Marie-Ève, comme un soleil bombé sur un mur

Marie-Ève a des yeux bleus pétillants, les sourcils fins en accent circonflexe, un large sourire avec de belles dents blanches parfaitement alignées, des lèvres pulpeuses et le front haut des peintures du moyen-âge. Elle est rayonnante et les années semblent ne pas avoir de prise sur elle. Elle est partie vivre à Marseille il y a quelques années. Au rez-de-chaussée d’une vieille demeure, avec un jardin où des arbres poussent tout en hauteur, où les arts graphiques, la chine et de belles astuces architecturales créent une douce atmosphère aux couleurs bienveillantes.

Elle est une des rares camarades de lycée avec qui je suis restée en contact. Nos liens sont ténus, intermittents, lointains mais solides et sincères. Suffisamment pour passer plusieurs heures ensemble à discuter. Et l’impression, quand même, au moment de nous quitter, que nous aurions encore beaucoup de choses à nous dire.

Avec le charme incontestable, aussi, des rendez-vous de dernière minute. Découvrir sur les réseaux sociaux qu’elle est de passage à Paris, caler des retrouvailles au cœur de la capitale. Restau italien derrière l’église Saint-Eustache. Le temps est beau, la terrasse accueille nos discussions ensoleillées.

Marie-Eve est une artiste. Il me reste quelques part roulé dans un carton un portrait au crayon qu’elle avait fait de moi au lycée. Il a suivi tous mes déménagements. Du petit studio dans le Marais au quinzième étage d’une grande tour au sud de Montparnasse, du Portugal à la Roumanie, en passant par la Turquie.

On retrouve toute sa délicatesse, sa sensibilité et sa sagacité dans son travail. Je vous encourage à aller le découvrir sur son site Un p’tit coquelicot.

Nous avons continué nos retrouvailles parisiennes par l’expo CAPITALE(S), 60 ans d’art urbain à Paris. Entrée gratuite mais attention, réservation obligatoire ! Pour les as de la dernière minute comme nous, il faut compter sur la chance. La nôtre a été de rencontrer une maman avec sa fille, juste devant nous dans la queue, qui avait deux places en plus. Quelque chose à voir avec le karma quand on en pense à cette fois où c’est moi qui ai donné une entrée à une dame qui n’avait pas réservé pour la nocturne gratuite du Louvre.

Des souvenirs du passé face à l’histoire des premiers grafs. Nous avions quinze ans au début des années 90. Nous habitions alors dans une banlieue où brûlent quelques voitures à chaque nouvelle année. Des bombes de peinture dans les jeans baggy et les blousons Bomber. Des tags vite faits sur les murs décrépis.

Sentiment étrange de voir la vie urbaine s’exposer sous les voutes de l’Hôtel de Ville. Pourtant ça fonctionne vraiment très bien. On découvre les dessins préparatoires, la réflexion artistique, les recherches individuelles et l’émulation collective d’une histoire visuelle en construction permanente, vivant au rythme de l’urbanisation, mettant en lumière et en couleur les zones grises d’une ville pieuvre.

La grafbox, pour capturer en temps réel le processus de création et la gestuelle de l’artiste.

Néophyte dans le domaine, je suis impressionnée par la façon dont Marie-Ève accueille l’exposition en connaisseuse chevronnée des différents artistes. Loin d’être blasée, elle s’enthousiasme elle aussi pour les œuvres présentées et le processus créatif mis en avant.

Allez voir cette expo et vous ne regarderez plus jamais les graffitis de la même façon.

Sur la place de l’Hôtel de ville, les velib croisent les groupes de touriste, un homme crée d’énormes bulles de savon sous le regard subjugué des enfants, des couples s’enlacent. J’enfourche Pimprenelle pour regagner le sud de la capitale, le cœur vivifié par cette belle journée. Marie-ève est comme un immense soleil graffé sur le mur du temps.

Pneu crevé et tête froide

Porte d’Orléans. Des voitures dans tous les sens, un bus en travers du carrefour. Impossible de tourner mon guidon pour me faufiler entre les voitures. Je m’arrête sur le trottoir dès que nous avons traversé le carrefour. Rien ne semble entraver la direction de mon guidon. Freins ? Ok. Garde-boue ? Nickel. Je ne comprends pas. Jusqu’à ce que je vois mon pneu… complètement à plat.

Une crêpe de caoutchouc. La jante n’est plus qu’à quelques millimètres du bitume. Impossible d’aller plus loin. Je stresse à l’idée de la galère qui s’annonce pour rentrer à la maison. Google Maps m’indique le premier magasin de réparation de vélo à 4,5 km. Il me faudra pousser Pimprenelle (je vous rappelle que c’est le nom de ma bicyclette) pendant une heure pour y arriver.

Heureusement, Eglantine garde son calme. Sur son téléphone Google Maps indique un réparateur à moins de 300m. Beaucoup plus raisonnable. Je suis quand même embêtée de faire rouler mon vélo directement sur la jante. Même si je ne monte pas dessus. Il me faudrait une pompe pour lui remettre un peu d’air.

Nous sommes devant une petite boutique qui étale divers marchandises devant sa vitrine. Chez Déco Bazars, on peut acheter aussi bien une valise que des casseroles, des corbeilles à pain que des lunettes de soleil. Inspiration. Fulgurance. Je demande au vendeur s’il n’aurait pas une pompe à vélo.

Oui, oui, me répond-il en hochant la tête. Il disparaît dans sa caverne d’Ali baba et ressort quelques minutes plus tard avec une pompe en plastique doré. Je regonfle mon moral en même temps que mon pneu.

Nous nous dirigeons vers la boutique Cyclable boulevard Brune. Mon pneu se dégonfle à une vitesse folle. Je dois le regonfler au bout d’à peine 150m. J’ai dû rouler sur une gros truc qui est venu transpercer allègrement mon pneu.

Le réparateur de la boutique est déjà bien occupé mais il fait de la place pour réparer Pimprenelle. Eglantine laisse Janis à la boutique et nous nous installons à la terrasse d’un café voisin.

Une bière pour me remonter le moral. Eglantine choisit la douceur gourmande d’un chocolat liégeois. Nous avons de la chance, le soleil inonde désormais les rues parisiennes.

En attendant Pimprenelle

Quand nous récupérons nos vélos, je découvre l’auteur de ma mésaventure, un morceau de verre de la taille d’une graine de courge, avec un bout bien acéré. Mon pneu a la peau épaisse, mais ce gros morceau a réussi à en transpercer toute la gomme.

Le morceau de verre fatal

Finalement nous repartons à travers Paris. Nous avons perdu une heure et gagné beaucoup de stress, même si l’histoire se termine plutôt bien.

Mais d’ailleurs, pourquoi Google Maps n’indiquait pas les mêmes adresses sur nos deux téléphones ? J’ai réalisé après coup, une fois plus calme, que tous les magasins de vélo que me montrait l’application étaient à proximité de l’adresse du restaurant où nous allions. Eglantine n’avait pas effectué cette recherche si bien que l’appli a directement cherché autour d’elle.

Sans elle, j’aurais marché plus d’une heure pour réparer mon pneu, le regonflant tous les 200m. Heureusement qu’elle a su garder la tête froide.

Je laisse désormais la pompe dorée dans une sacoche de Pimprenelle.

Manet / Degas, le grand déséquilibre

« Rapprocher Manet et Degas, c’est chercher à comprendre l’un à partir de l’autre ». Tels sont les premiers mots de la brochure guidant la visiteuse dans l’exposition Manet / Degas au musée d’Orsay.

Pourtant, je n’ai pas trouvé que le rapprochement fasse des étincelles. Eglantine a aussi estimé que le plus intéressant dans cette exposition étaient les textes qui racontaient, documentaient et expliquaient la relation entre ces deux monstres sacrés de la peinture française du XIXe siècle.

Nés à deux ans d’intervalle, tous les deux issus de la haute bourgeoisie, d’abord destinés à des carrières de juristes, Manet et Degas ont énormément de points communs. Mais là où Manet rayonne dans la société de l’époque, charismatique, séducteur, professoral, exposant au Salon, Degas apparaît discret, concentré, besogneux, célibataire endurci, presque solitaire. Il peint un portrait de Manet avec son épouse ? Celui-ci, insatisfait de la représentation de sa femme, coupe la toile pour la faire disparaître. Si Degas prend régulièrement Manet pour modèle, la réciproque ne viendra jamais. Un peu comme ces amis que vous invitez à dîner et qui ne rendent jamais l’invitation. Le déséquilibre est flagrant.

En ressortant de cette exposition, j’ai eu besoin de revoir les danseuses de Degas, pour retrouver les couleurs et l’audace de ce peintre que je n’ai pas trouvé valorisé dans l’exposition. Peut-être, justement, à l’image de leur relation dissymétrique. Degas admirait sincèrement Manet. Au point de collectionner ses toiles et ses dessins. Et que dire de l’énergie mise à réunir les différents fragments d’une toile de Manet, L’exécution de Maximilien. Cette toile monumentale était trop subversive à l’époque pour être exposée et avait été découpée en morceaux après la mort de Manet.

L’exécution de Maximilien, 1867-1868, Edouard Manet

Alors que Manet a tranché la toile offerte par Degas, ce dernier a, lui, mis tout en œuvre pour reconstituer celle de son ami. L’œuvre actuelle, une grande toile vierge sur laquelle sont collées les différentes parties retrouvées par Degas, dégage une émotion particulière. Ce grand format recomposé reflète l’amitié chaotique, fragmentée, déchirée, de ces deux talents.

Pas de méprise toutefois sur l’extraordinaire chance de voir toutes ces œuvres de Manet et Degas réunies dans cette belle exposition. Mais le déséquilibre de leur relation transparaît trop fortement pour que je m’émerveille pleinement de la rencontre de leurs œuvres.

Des styles de portraits très différents

Dans les portraits, Manet peint son ami Zola, avec en arrière-plan une gravure de son Olympia, mise en abîme de son propre succès et de ses relations. De Degas, j’ai été particulièrement émue par le portrait de L’amateur d’estampes. Un anonyme, un peu vouté, dans un environnement dédié à sa passion. A l’image d’un Degas se tenant loin des mondanités, concentré sur son art.

L’amateur d’estampes, Edgar Degas, 1866
Portrait de M. Emile Zola, Edouard Manet, 1868

Manet éblouissant, Degas émouvant

Au long de l’exposition, mon regard fût systématiquement d’avantage attiré par les peintures de Manet.  Plus flamboyantes, plus contrastées, elles avaient sur moi un effet magnétique, époustouflant. Pourtant, avec un peu de recul, quand je regarde les œuvres que j’ai photographiées, je me sens plus touchées par celles de Degas.

Si je prends l’exemple des modistes, la femme du tableau Chez la modiste de Manet est éblouissante, belle, vive. Elle attire le regard, attise le désir, réveille les sens. Alors que celle de Chez la modiste de Degas, est douce, tendre, presque perdue au milieu des chapeaux. Elle dégage une émotion presque vulnérable. Moins tape-à-l’œil que Manet, mais tellement plus sensible.

Chez la modiste, Edouard Manet, 1888
Chez la modiste, Edgar Degas, 1870-1886

Degas, l’art de saisir l’instant

Pour finir, si je devais comparer leurs peintures avec de la photographie contemporaine, je verrais Manet avec un gros appareil photo professionnel, visible, assumé alors que Degas utiliserait plutôt un téléphone portable pour saisir des images sur le vif. Derrière le cadrage de L’absinthe, on peut imaginer – en total anachronisme évidemment ! – un homme sortant son portable pour saisir la femme tristement alcoolisée à la table voisine. Alors que, avec le même modèle, Manet se positionne frontalement, utilise des couleurs vives et montre une femme non pas triste, mais alanguie, ouverte à la séduction.

Dans un café, dit aussi. L’absinthe, Edgar Degas, 1875-1876
La Prune, Edouard Manet, vers 1877

On retrouve cette façon de saisir ses contemporain.es avec la Blanchisseuse et Femmes devant un café, le soir. Comme si Degas ne cherchait pas le beau mais le vrai de l’instant et de l’émotion.

La blanchisseuse, Edgar Degas, 1873
Femmes devant un café, le soir, Edgar Degas, 1877

Moins impressionnant au premier regard, plus persistant dans la durée du sentiment. Malheureusement, la force de Manet écrase trop la délicatesse de Degas dans cette exposition. Peut-être aurais-je préféré une exposition Degas / Manet. Car les deux stars de l’exposition restent l’Olympia et Le Balcon d’Édouard Manet, concentrant les regards et l’intérêt des visiteurs.euses.

Comme à Lisbonne

Conversation décousue un matin gris autour des pastels. De la pâte pigmentée aux pâtisseries portugaises en passant par un webtoon mal traduit, Eglantine se demande si l’on peut déguster à Paris des pasteis de nata aussi bons que ceux de Belém.

Elle avait dix ans la dernière fois que nous sommes allés au Portugal, son pays de naissance. Elle garde un souvenir savoureux de la mythique pastelaria à côté du monastère des Jerónimos, Pasteis de Belém. Les grandes salles couvertes d’azulejos traditionnels bleu et blanc. La foule. L’odeur de pâte chaude, de cannelle et de café au lait. Le fameux galão servi dans un grand verre.

En regardant rapidement sur internet, nous choisissons une petite pâtisserie du Marais dont le nom évoque une envie d’ailleurs. Comme à Lisbonne. Un vieil article du blog Le serial pâtiss’teur décrit sa production comme les meilleurs pasteis de Paris (et l’auteur en a essayé une palanquée). Les autres avis glanés en ligne semblent aussi excellents.

Nous enfourchons Janis et Pimprenelle et nous dirigeons droit vers le centre de Paris.

Rue du roi de Sicile, nous repérons la boutique à devanture sobre. La grande salle est encore fermée, les chaises sont sur les tables. Mais la partie de vente à emporter est grande ouverte sur la rue. Sur le trottoir, deux petites tables bistrots peuvent accueillir les gourmands.

Sur les murs en carreaux blancs derrière le comptoir, une nuée d’hirondelles en céramique noir. On trouve deux animaux emblématiques au Portugal, l’hirondelle et la sardine. Cette dernière occupe avec humour le mur en vielles pierres face au comptoir. La déco est légère et raffinée.

Les pasteis tout juste sortis du four attendent dans la vitrine. Eglantine en déguste un premier avec délectation. Le craquant de la pâte feuilletée. Le fondant du flan encore tiède. Elle ne résiste pas et en prend un deuxième. Je croque une bouchée.

« Tu crois qu’ils sont aussi bons que ceux de Belém ? » me demande-t-elle ?

Difficile de comparer. Mes souvenirs aussi sont loin. Et puis, à Lisbonne, il y a le décor autour, l’ambiance un peu folle de cette foule qui se presse pour déguster les petits gâteaux emblématiques à l’endroit même de leur invention, l’histoire du lieu.

Une chose est sûre. Ils sont bien meilleurs que ceux de notre boulangerie de quartier.

Et ils sont encore bon le soir, après une après-midi de balade à vélo dans Paris.

Comme à Lisbonne, un air d’ailleurs et de madeleine de Proust.

Comme à Lisbonne
37 rue du Roi de Sicile
75004 PARIS
commealisbonne.com

Les petits triangles des vélos

Depuis le 1er février 2018, de petits panneaux triangulaires sont apparus sous les feux rouges. En leur centre, un vélo jaune et des flèches directionnelles indiquent aux cyclistes qu’ils peuvent avancer même si le feu est rouge. Pour eux, ce n’est qu’un céder le passage.

Dans la réalité, malheureusement, beaucoup de cyclistes partent du principe que tous les feux rouges sont, pour eux, des céder le passage. Ils les grillent donc allègrement. Obligeant, parfois, les piétons à retarder leur traversée pour ne pas se faire renverser. Certains ralentissent à peine au passage d’un feu rouge. Les piétons doivent redoubler de vigilance avant de s’engager alors que c’est vert pour eux.

C’est le cas sur la route principale, ancienne Nationale 20, qui traverse notre ville. Une grande ligne droite parsemée de feux, à peu près tous équipés des panneaux pour permettre aux vélos de ne pas trop s’arrêter. Nombreux sont les amis et voisins qui ont manqué se faire renverser.

Mais je suis aussi cycliste. Quarante kilomètres aujourd’hui à travers Paris. Une bonne ballade. Alors je suis heureuse de pouvoir au maximum passer les feux sans poser pied à terre quand les carrefours sont déserts. Quitte à me faire enguirlander par un couple très âgé qui s’apprêtait à traverser au rouge, alors que j’avais, moi, un simple céder le passage.

La plupart des gens ne savent certainement même pas que ces panneaux existent, notamment les automobilistes.

Comment leur en vouloir, cependant, quand je vois tous ces cyclistes qui zigzaguent dangereusement entre les piétons et les voitures alors qu’ils n’ont même pas le petit triangle magique ? Et plus on arrive au coeur de Paris, puis la densité des cyclistes augmente, chacun entendant être le premier de la file, trépignant pour passer plus vite, sans prévenir de ses mouvements et sans lumière.

Pourtant, tout pourrait être si fluide, si nous adaptions tous notre vitesse au nombre des personnes sur la piste. C’est mécanique, plus nous sommes nombreux, moins nous pouvons rouler vite. Même à vélo. Et si nous, cyclistes, respectons le code de la route, la circulation des deux roues, aussi, sera plus fluide.

D’un autre côté, dans un monde merveilleux, il y aurait moins de voitures. Elles n’auraient ainsi plus besoin de se garer en double-file sur les pistes cyclables et feraient peut-être attention avant de tourner en coupant la route d’un vélo, de nous doubler à toute vitesse dans une rue limitée à 30, d’ouvrir la portière sans regarder ou de s’engager dans un carrefour alors qu’elles ne peuvent pas vraiment avancer, bloquant ainsi toute la circulation.

Un jour peut-être…

En attendant, quel plaisir de lever le nez pour profiter de la beauté de la ville, même sous la grisaille hivernale. Traverser le quartier latin, Oberkampf et ses cafés tranquilles en milieu de journée, l’animation des Grands Boulevards et la Seine écoulant monumentalement sa nuée de bateaux Mouche.