Jouer, c’est rendre la vie plus belle

Paris. Place de la République. Le roulement trainant des skates. Les groupes d’hommes, jeunes, affalés sur les bancs. Les passants pressés. Les vélos qui filent sans laisser les piétons traverser . Devant nous, les rayons du soleil accrochent des tables en fer forgé rouge vif, mobilier de jardin en plein centre urbain, avec chaises et bancs assortis.

Ici, un garçon d’une dizaine d’année s’applique sur son puzzle sous le regard bienveillant de sa maman. Là, deux hommes s’affrontent autour d’un jeu de dames. Plus loin, des enfants qui savent tout juste lire tentent de résoudre des casse-têtes. Les portes d’un container transformé en cabane à jeux sont grand ouvertes. Des dizaines de boîtes colorées attendent contre les parois.

Je suis avec Hortense et son amie Camille. Nous avons rendez-vous pour récupérer une guitare achetée sur le Bon Coin. « Vous avez combien de temps ? » demande l’animateur qui nous accueille avec le sourire. Nous sommes un peu en avance. On s’installe à une table et il nous explique le jeu auquel il a pensé pour nous. Plouf Party. Rapide, coloré, sans réelle stratégie, il faut renverser les pions dans la piscine. Se reposer, rire, papoter.

Les pions ronds et lisses d’un jeu de go oublié sur notre table attirent notre attention. L’ambiance détendue incite à découvrir des jeux qu’on ne connaît pas. Mais déjà les animateurs en gilet rouge s’activent pour ranger. Il est 19h, l’R de jeux ferme ses portes. Du côté des tout-petits, on ramasse les jeux de constructions éparpillés sur de nombreux tapis. Concentrés sur les parties en cours, les joueurs d’échec prennent racine. Le public commente, admire, critique. On sent les habitués.

Notre vendeur de guitare arrive enfin. Bois blond et ambré, doux, chaud au creux de la housse noire. Hortense est ravie. Encore quelques cordes à changer et elle pourra s’entraîner tant qu’elle voudra. La guitare posée sur sa cuisse, la tête penchée sur l’instrument, à l’abri de ses longs cheveux, elle tâtonnera sur les cordes.

Elle a hâte de jouer autre chose que Santiano et de faire courir ses doigts sur les frettes. Pour le moment, elle porte fièrement sa guitare sur le dos dans les couloirs du métro. La vie est belle.

  • L’R de jeux, place de la République, les mercredis, samedis, dimanches et vacances scolaires.

Le lama qui crache sur un lotus poussant dans un pédiluve

Hortense a reçu pour Noël un nouveau jeu de société, Esquissé. Il s’agit d’une sorte de téléphone arabe croisé avec un Pictionary.

Chaque joueur note le mot qui lui a été attribué sur un carnet avec un stylo effaçable. Il passe le carnet au joueur suivant qui, lui, dessine le mot ou l’expression en question. Les carnets passent donc de joueur en joueur tous en même temps.

Au tour suivant, chacun doit écrire le mot ou l’expression qu’il devine à partir du dessin réalisé au tour précédent. Enfin, comme nous jouons à quatre, le dernier joueur écrit le mot ou l’expression qu’il pense être correcte.

Un mot, un dessin, un mot, un dessin, un mot.

Il s’agit à la fin de vérifier si le premier et le dernier mots sont identiques. Parfois, les expressions voyagent. Ainsi médaille d’or devient champion olympique pour redevenir médaille d’or par une heureux hasard des associations d’idées du dernier joueur.

D’autres fois, l’expression finale n’a ab-so-lu-ment rien à voir avec celle d’origine. Ainsi péter dans le bain est devenu un lama qui crache sur un lotus poussant dans un pédiluve. Voilà, voilà… Le quiproquo est né d’un robinet vite esquissé qui ressemblerait à une brebis.

Nous avons tellement ri que l’expression est désormais inscrite dans notre légende familiale.