Une histoire de confiance

Porter un projet associatif est une véritable aventure, chargée d’imprévus, d’expériences et de rebondissements. Depuis deux ans, je suis engagée dans le montage des Petites Cantines Antony. La nourriture, à travers la cuisine participative et les repas partagés, est un prétexte à la rencontre. Le faire ensemble amène la confiance et c’est tout un modèle de société qui se dessine.

Ouvrir une Petite Cantine, c’est mobiliser une communauté, construire un budget, obtenir des financements et, surtout, trouver un local. Il faut tout mener de front avec des bénévoles dont l’investissement va et vient au gré de leurs envies et de leur temps libre.

Nous sommes trois à porter le projet, à des degrés plus ou moins important. Je parle de temps disponible. Moi je suis au milieu. Deux fois moins de temps qu’Hélène, mais deux fois plus que Nathalie.

Quand j’ai signé pour être porteuse de projet, Eglantine venait de sortir de l’hôpital. Je pensais que le plus dur était derrière nous. C’était certainement le cas. Mais le plus long et le plus fastidieux, c’est maintenant. L’accompagner dans la construction de sa vie au rythme de sa fatigue. C’est aussi un beau projet.

Et puis il y a ce besoin d’écriture, cette envie de peinture qui me taraude et que je laisse de côté pour le moment, la photographie que j’oublie aussi.

Comme d’habitude, tout se bouscule. Ça joue des coudes dans l’agenda.

Parfois, j’ai envie de baisser les bras, passer mon tour, abandonner la partie. Le morceau est trop gros pour moi. Pourtant, après une discussion d’équipe, on se remonte le moral, on se pousse, on se tire, on se fait la courte échelle et on atteint des paliers. Une aventure, je vous dis !

Ce soir je rentre juste d’un conseil d’administration frustrant. Un de ceux où se posent plus de questions que ne sont apportées de réponses. Pourtant, je ne suis pas abattue. L’équipe a encore besoins ‘être étoffée mais elle semble assez solide pour trouver les réponses.

On navigue encore à vue, dans le brouillard, sur un rafiot pas bien grand. Mais l’océan des possibles qui s’ouvre à nous, même s’il fait peur, a de bien jolies couleurs. Juste, ce serait bien de laisser tomber les rames pour un bon moteur. Ça viendra. Il faut avoir confiance.

Les Petites Cantines, c’est justement une histoire de confiance.

Alternance des rythmes

Quand Hortense fait une grasse matinée, elle est capable de dormir bien après l’heure du déjeuner. Ainsi, le goûter peut faire office de petit-déjeuner.

Le soir, au contraire, elle est en pleine forme. Quand la nuit est bien installée, elle a envie de papoter, raconte des anecdotes, pose des questions.

Depuis qu’elle a retrouvé son bureau, elle apprécie y faire ses devoirs. Elle les termine souvent le soir, après que nous soyons tous couchés. A l’heure où, à coup sûr, Eglantine dort déjà.

Hier, j’ai terminé d’écrire un texte au milieu de la nuit. Quand je suis montée me coucher, il était deux heures du matin. De la lumière filtrait sous la porte de la chambre d’Hortense. Elle avait oublié de l’éteindre. Enfin, c’est ce que je pensais.

J’ai poussé la porte doucement et découvert Hortense affairée au-dessus d’un cahier sur son bureau.

Elle n’arrivait pas à dormir et avait entrepris d’avancer un devoir de physique pour faire venir le sommeil.

Ce soir, il est 23h quand elle me demande de lui expliquer le mot ambivalence.

Moi, j’ai le yeux qui piquent et les paupières lourdes.

Nous n’avons définitivement pas le même rythme. Mais que j’aime ces moments nocturnes où ma grande ado abandonne ses barrières pour se lover dans une intimité complaisante.

Chasser le tsundoku

Connaissez-vous la PAL, la pile de livres à lire ? Les Japonais l’appellent Tsundoku. Ce n’est pas juste un amoncellement de livres à lire. C’est devenu un syndrome. De quoi exactement ? Aucune idée.

Je suis atteinte de ce syndrome. Les livres sont comme des doudous que je sème aux quatre coins de la maison. Ils me rassurent, barrière contre le vide, rempart contre l’obscurité, escalier vers un autre savoir.

Mais je n’ai pas le temps de tous les lire. L’envie me taraude quand je rentre dans une librairie. Je découvre de nouveaux titres. J’ai envie de pousser de nouvelles portes et tournant de nouvelles pages. C’est extrêmement difficile de résister.

Heureusement, je progresse. Cette semaine, je suis ressortie d’une librairie sans avoir acheté un seul livre.

Et puis, avec ma librairie du bout de la rue qui a fermé le rideau, la tentation sera moins grande.

Enfin, j’ai découvert, un peu tard il est vrai, les plaisirs de la médiathèque. Je peux emprunter dis livres d’un coup, n’en lire que deux, en feuilleter un. Les ramener. En prendre d’autres. Puis retourner aux premiers un peu plus tard. Merveilleux !

Alors, est-ce parce que c’est le printemps, j’ai une envie de rangement. Faire descendre les piles de livres et de vieux papiers. Ranger, trier, donner, vendre.

Le salon est sens dessus dessous. C’est le grand chambardement. Mais d’ici quelques jours, ce devrait être bien plus agréable. Même si les PAL ne vont pas disparaître tant que ça, je le sens.

Bullet train : action déjantée en vitesse rapide

Samedi soir tous les quatre. Victoire de la France face à l’Angleterre au rugby. Olivier est sur un nuage d’enthousiasme. Puis, pour notre notre soirée plateau télé, j’ai choisi le film de David Leitch sorti en 2022, Bullet train.

De l’action, de l’humour, de l’hémoglobine, de l’humour – oui, je l’ai déjà dit, mais les répliques sont vraiment excellentes – dans un esprit manga, décalé, qui file à la vitesse d’un train hyper rapide qui relie Tokyo à Kyoto.

Bob blanc et lunettes noires, look pépère pour un Brad Pitt en recherche de quiétude.

Brad Pitt, génial – et toujours aussi canon – assassin malchanceux qui refuse les armes à feu, se lamente de la poisse qui lui colle aux basket et cherche du sens à sa vie grâce à des séances avec un psy. Dans ce train rempli d’assassins internationaux, les destins se croisent, les desseins se confrontent et les réparties sont savoureuses.

De bagarres improbables au milieu des wagons en rebondissements inespérés, ce film nous a arraché de francs éclats de rire. Un pur bonheur !

A regarder en VO pour plus de plaisir !

Le paradis n’est pas éternel

Depuis Bucarest, le hasard des routes et des rues, de Google maps et de Se loger.com, m’amène à pousser la porte d’une librairie. Posée sur le bord d’une grande rue qui bénéficiait encore de l’ombre de grands arbres, une vitrine remplie de livres et l’amorce d’une belle histoire, Inkipit. Les premières lignes de notre nouvelle vie en France.

Nous sommes en janvier 2014, je nous cherche une maison. Antony est sur la liste des communes qui pourraient nous accueillir après dix ans à l’étranger. Une petite meulière me tape dans l’œil à quelques centaines de mètres de cette jolie boutique.

Je cherche à connaître la ville, m’y projeter, imaginer notre vie ici. La libraire s’appelle Aude. Elle me parle de la ville, des écoles, du quartier, de la vie ici. On discute aussi de lecture. Je repars avec un livre.  A l’époque c’est la librairie française de Bucarest, Kyralina, notre pourvoyeuse de bouquins. Il nous faut plusieurs semaines avant de recevoir nos commandes. Chez Aude, ce ne sont que quelques jours. Je souris quand elle m’explique que certains clients trouvent ça trop long puisqu’Amazon livre parfois en quelques heures seulement.

La librairie d’Aude est la première boutique où je suis entrée à Antony. Nous nous installons dans une rue voisine. Inkipit deviendra un phare dans notre vie ici.

Eglantine y achètera régulièrement ces ouvrages de fantasy qu’elle dévorait à une vitesse incroyable. C’était avant les douleurs, la fatigue, les années sans fin qui l’ont vue s’éteindre peu à peu.

Quand Hortense commence à rentrer seule de l’école, elle a pour consigne de se rendre à la librairie en cas de problème.

Un cadeau, besoin de se changer les idées, envie de lecture ? Un petit tour à la librairie.

Pendant neuf ans, Inkipit a illuminé nos hivers et aéré nos étés, réchauffé nos printemps et ragaillardi nos automnes.

Toujours un mot gentil, un sourire, un bon conseil, une oreille attentive, une patience sans faille.

Mais voilà, le paradis n’est pas éternel. Inkipit a fermé ses portes hier soir. Les derniers cartons sont repartis chez les éditeurs. Les bibliothèques ont été vendues, tout comme les présentoirs pour cartes postales. La papeterie a été bradée. Les murs vides portent les traces de ces belles années de lecture et pleurent désormais des larmes de poussière. La vitrine a perdu ses couleurs. La lumière est éteinte.

Elle se rallumera une dernière fois ce soir, pour un pot d’adieu.

J’ai le cœur lourd. Aude et sa librairie me manqueront.

Les chiens de Pasvik

Alors que je me réveillais tous les matins en regardant la montagne enneigée, j’avais choisi de lire la semaine dernière, le quatrième tome de la série d’Olivier Truc, Les chiens de Pasvik. Commencée avec Le dernier Lapon, suivi du Détroit du loup puis de La montagne rouge. Des polars nordiques autour de l’élevage des rennes et du peuple Sami.

Des paysages pris dans un hiver glacial, des descriptions vivantes qui donnent le sentiment d’avoir réellement visité ce bout de terre à la croisée de la Norvège, la Finlande et la Russie.

Pasvik est à la fois la rivière qui sépare la Norvège de la Russie et le nom de la réserve naturelle à cheval sur ces deux pays. Au nord, c’est la mer de Barents.

Klemet est un Sami de la région de Kautokeino qui appartient à la police des rennes. Il a été muté à la frontière russe, à Kirkenes, depuis le dernier tome de la série. Il y retrouve son ancienne coéquipière, Nina, désormais à la police des frontières.

Les frontières, justement, sont le vrai personnage principal de ce roman. Elles ont été tracées sans aucun respect pour la culture Sami qui s’articule autour de l’élevage des rennes. Ces animaux n’ont que faire des frontières humaines. Les rennes norvégiens passent ainsi en Russie à la recherche de meilleurs pâturages. C’est l’incident diplomatique.

Comprendre et trouver ses racines, connaître et faire vivre son histoire familiale, trouver sa place… plus qu’une enquête policière, ce livre est une plongée dans un univers lointain, qui vit à un rythme très différent du nôtre. Un monde de chamans, où les ombres sont reliées à la terre, où les paysages sont autant de panneaux indicateurs, ou même le bruit du vent ou le craquement de la neige peuvent donner une direction.

Au volant de leurs motoneiges, éleveurs, policiers et mafieux se croisent au son des hurlement d’une meute de chiens sauvages. Le livre est fabuleusement documenté grâce au métier de journaliste et documentariste d’Olivier Truc dans cette région. Il réussit parfaitement à partager son attachement à ces lieux.

J’espère qu’il y aura une suite. J’aimerais faire un nouveau voyage au pays des Samis avec Klemet et Nina.

L’étendard rouge de notre 8 mars

8 mars. Journée internationale des droits des femmes.

Dans les journaux, les articles dénoncent, rappellent, chiffrent, s’insurgent. Féminicides, inégalités salariales, violences conjugales, inégalités fiscales, charge mentale…

Et à la maison ?

Ici règnent les femmes. Nous sommes trois sur quatre. Avec Olivier, le seul autre mâle de la maison est Django, notre chat. On le laisse se débrouiller avec Maya, qui s’affirme sans complexe.

Le plus notable, à mon avis, est la place que nous faisons aux règles. Pas les normes de vie, pas les outils de mesure, pas la discipline d’un ordre religieux, pas la règle de trois et autres procédés mathématiques. Non, il s’agit bien des règles menstruelles, menstrues, menstruations, indispositions et autres ragnagnas.

Chez nous, pas d’expression imagée pour parler des règles. A peine si l’on dira « j’ai mal au ventre ». Les règles ne sont pas taboues. Les cycles se succèdent, se suivent et se chevauchent. La poubelle de la salle de bain se remplit à leur rythme. Le sang mensuel n’est pas un secret. Il est rouge, brun, brunâtre. Il coule. Il déborde. Il tâche. Il sent.

L’étendard rouge de notre 8 mars

La fatigue, la douleur, l’irritabilité ou encore l’acné ne sont pas tues.

Les protections périodiques s’achètent par paquets de trois. Pas encore convaincues par celles qui sont réutilisables. La discussion est ouverte.

Régulièrement, Hortense ne peut pas plonger. Parce qu’un tampon, c’est petit, c’est mignon mais c’est surtout hyper intrusif. Je ne me souviens pas de la première fois où j’ai réussi à en introduire un dans mon corps mais je n’en utilise plus depuis de nombreuses années. C’est aussi plein de produits chimiques qu’on n’a pas forcément très envie d’avoir au plus près de ses muqueuses. Reste la cup. Moins chimique mais toujours intrusif. Pas évident à treize ans.

Dans le club d’Hortense, les moniteurs de plongée ne sont que des hommes. Mais je ne cherche pas d’expression imagée, je ne décris pas les symptômes pour expliquer son impossibilité de plonger. Hortense a ses règles. Après-tout, les hommes savent comment fonctionne le corps des femmes. Peut-être un jour Hortense aura-t-elle la chance de discuter avec une plongeuse et qu’elle passera le cap des protections intrusives, seule solution pour plonger sans laisser de trace rougeâtre dans son sillage ou pour être à l’aise avant et après la plongée, lors du voyage en bateau par exemple.

Elle pourra lire aussi le blog de plongée d’Hélène Adam qui aide beaucoup à comprendre les enjeux des règles sur les conditions de plongée des femmes (Lire son article Puis-je plonger quand je suis réglée ?). On oublie le mythe des requins attirés par l’odeur du sang et on se concentre sur des modifications physiologiques qui peuvent poser plus de difficultés aux plongeuses.

Cette liberté de parole autour des règles nous est naturelle. C’est quand on discute avec d’autres personnes que je m’aperçois de la différence. Dans un groupe moins intime que notre cocon familial, on n’annonce pas qu’on est fatiguée par ce qu’on a ses règles. On choisit le pudique « je suis indisposée », « je ne me sens pas très bien ».

J’ai ouvert les yeux grâce à Hortense. Elle, elle n’hésite pas à annoncer la couleur. J’ai vu quelques dents grincer. Pas forcément celles des hommes. Dans notre société, les règles restent sales, inexprimables, invisibles.

En ce 8 mars, disons que c’est notre petite victoire à nous, vivre nos règles sans honte.

Alors que je termine d’écrire ce billet, Arte m’annonce le retour de sa mini-série Libres ! avec de nouveaux épisodes. A regarder absolument, filles ou garçons.

Comme un clin d’œil à mon partage du jour, voici l’épisode Cachez ce sang.

Les grumeaux

De cette façon ou d’une autre,
Comme ça vient ou ne vient pas,
Ayant parfois le pouvoir de dire ce que je pense,
Et d’autres fois le disant mal et avec des grumeaux

Fernando Pessoa

Les grumeaux, c’est ma tête certains soirs. Quand je ne sais pas vraiment quoi écrire, quand mes pensées se collent les unes aux autres et que plus rien n’en sort.

Un soir, j’ai ouvert au hasard le gros volume des Oeuvres de Pessoa dans La Pléiade et je suis tombée sur ces mots. Écho à la bouillie qui m’envahit parfois. Mais avec des mots qui sonnent juste.

Alors mon esprit oscille entre admiration et désespoir.

Ce soir je broie du noir. N’est pas Pessoa qui veut. Je patauge dans la boue, incapable de me hisser dans le ciel pour faire virevolter le quotidien de ma Tasse de Thé.

Je relève tout de même mon défi et publie ces quelques mots. Souvenir d’un moment d’ombre en attendant le soleil.

Fallacieuse corolle

Fallacieuse corolle. Un oignon joue la comédie.

Desséché, la peau qui craque, rabougri, ayant perdu les rondeurs de sa chair à l’odeur piquante, il s’étiole silencieusement dans un coin de la cuisine quand je le découvre.

Cercles anguleux. Jeu des traits sur la planche à découper où se croisent les entailles des lames, les veines du bambou et les lignes de fuite des couches extérieures de l’oignon qui se jettent en son centre.

Le soleil inonde la pièce, enveloppant délicatement l’oignon, illuminant son coeur blanc, soie sauvage potagère. Beauté éphémère d’un bulbe mutilé, racorni, abandonné.

Je m’émerveille de cet oignon fleur qui encourage à saisir le charme du rebut. Je profite de la photo du lundi pour vous partager cet enchantement fugace.

Lever la tête

C’est le soir dans la chambre de l’appartement à la montagne. Hortense se glisse au milieu de notre grand lit. La petite lampe de lecture est posée sur les couvertures, projetant des ombres au plafond.

Un chien apparaît en premier. Peut-être un loup. Il hurle, sa gueule grande ouverte. Alors, un autre le rejoint. Ils se racontent des histoires; Je vois leurs gueules qui s’ouvrent et qui se ferment. Peut-être sont-ils fâchés ? Ou sont-ils en train de mettre au point un plan pour chasser les mauvais rêves.

Hortense joue avec les ombres. Comme je m’enthousiasme, elle m’offre finalement un coeur, gros comme ça ! Il prend toute la surface du plafond.

C’est l’après-midi. Allongée dans la neige, je regarde les nuages qui se meuvent lentement dans le ciel. Ils tournoient mollement, se transformant sans cesse, insaisissables. Mes pensées vagabondent dans leurs volutes blanches. Une baleine se transforme en fantôme puis s’étire jusqu’à ce qu’un aigle déploie ses ailes dans un grand cri mécontent.

Les gouttelettes en suspension se dispersent dans le bleu du ciel. Personne d’autre n’a vu le carnaval des nuages.

Lever la tête, c’est aussi ouvrir son regard à d’autres mondes, laisser de la place à la rêverie et à l’imagination.