Poésie de l’instant capturé

Le soleil a rempli les longues allées du parc de Sceaux. Les graviers crissent sous les roues des vélos. Les tout-petits se dandinent sur les pelouses, genoux boueux, sourires fiers des grands explorateurs. On a installé un filet de volley en haut d’une prairie. Un couple de canard brise les vaguelettes du Grand Canal. Les couvertures de pique-nique fleurissent dans l’herbe baignée de lumière, écrasant les premières pâquerettes.

Les pulls sont noués autour de la taille. Les manteaux sous le bras. Les conversations sucrées des jeunes amoureux s’évaporent dans le moelleux de leurs pas tranquilles. Les tee-shirts fluos des coureurs tranchent la nonchalance bienheureuse des promeneurs insouciants. Assis sur son tabouret, un pêcheur lance sa ligne. Les bancs de pierre se réchauffent dans le bouillonnement des bavardages. Le pas mal assuré sur le bois noueux de sa canne, la casquette protégeant ses rares cheveux, le ventre rond sous un pull bordeaux, pantalon de velours impeccable et parka bleu marine, un vieux monsieur termine sa promenade solitaire.

Corneilles noires, perruches vertes, mésanges furtives et autres passereaux égayent les frondaisons dénudées. Un âne au poil épais se prélasse dans les derniers rayons de soleil. Une poignée de moutons chargés de grosse laine broute paisiblement sous l’œil contemplatif des promeneurs.

Une pie s’envole devant moi, traverse en rase-motte l’alignement des platanes avant de se poser sous les larges branches d’un cèdre immense. Pas le temps de régler l’appareil, je vise l’oiseau et déclenche une rafale. Le flou de ma capture a des airs de peinture, donnant de la douceur au mouvement et de la poésie à l’instant.

J’ai ressorti mon gros reflex et retrouvé le plaisir léger de la photo.

Brume matinale

8h du matin. Un dimanche au parc de Sceaux. Fin d’été. Les feuilles mortes craquent sous les roues de mon vélo. Seul.es quelques coureur.euses animent les allées dans la fraîcheur des platanes. En arrivant aux loges des artistes de la compagnie XY, mon regard est happé par la brume vaporeuse qui habille la grande plaine où aura lieu le spectacle. Le soleil matinal diffuse un atmosphère moelleuse dans laquelle se noient les installations du théâtre.

Dans mon dos, soudain, un bruissement, un froissement. Deux écureuils se poursuivent bruyamment dans un grand Séquoia. Leurs fourrures rousses tournent autour du tronc puis disparaissent dans les hautes branches.

Saisir l’émerveillement.

Quelques minutes plus tard, la brume sera dissipée. Les techniciens termineront les installations. Les premiers spectateurs arriveront pour profiter du spectacle offert par les vingt-quatre acrobates, peaux bronzées, corps musclés, costumes noirs. Une Nuée acrobatique qui traversera la grande plaine en figures silencieuses avant d’attiser la scène sur les rythmes baroques de Rameau et Lully puis de s’approprier le gué traversant le canal dans d’amples éclaboussures. Cavalcades scandées de voltiges virtuoses, tableaux poétiques au son de l’eau qui gicle.

J’ai trouvé cette vidéo pour vous donner une idée. A imaginer au coeur d’un parc à la française et dans l’eau de son canal.

Satanés moustiques

Personne n’aime les moustiques., n’est-ce pas ?

Ce lundi, ma photo est un tableau de chasse.

Pour la deuxième année consécutive, notre jardin, notre rue, notre quartier sont envahis de ces petites bêtes au désagrément inversement proportionnel à leur taille.

Ce tableau de chasse est celui d’Olivier un jour de juillet. Sept moustiques. En moins d’une heure si mes souvenirs sont bons.

Depuis, nous avons investi dans une raquette électrique. La meilleure à ce jeu-là, c’est Eglantine. Elle manie la raquette toute en délicatesse, dans de grands mouvements amples quand, soudain, un crépitement annonce la mort violente d’un moustique.

Nous avons découvert hier, une vidéo publiée sur YouTube par Le Parisien sur l’invasion de moustiques dans notre ville. Une pétition appelle la municipalité à l’action. J’ai du mal à voir ce que le maire peut faire contre les moustiques. J’ai envie de croire qu’une action providentielle puisse chasser ces bestioles détestables. Je rêve d’un miracle qui les ferait disparaître.

Mais je pense que je vais compter encore quelques temps sur nos chasseurs à mains nus ou à raquette et me contenter d’apprécier les baisses de températures pour voir diminuer la population des moustiques.

Satanés moustiques

Lumière fragile, moment suspendu

Suis-je vraiment rentrée de vacances alors que je choisis encore une fois, pour commencer cette semaine, une photo de la montagne ?

Dernier matin, je sors les poubelles. Par delà les toits, la montagne s’éveille dans la douceur des premiers rayons du soleil. Le matin discret, ensommeillé, celui des traces d’oreiller sur les joues et des dernières fraîcheurs de la nuit. La lumière douce qui caresse les crêtes juste avant que le soleil ne paraisse complètement, écrasant les ombres.

Quand je reviens d’avoir déposé les poubelles dans le grand collecteur, les ombres ont disparu. Le ciel d’un bleu éclatant ne laisse plus planer aucun mystère. Moi, je garde au cœur de mon téléphone le souvenir de cet au-revoir à la montagne, un de ces moments fragiles et suspendus que j’aime tant surprendre.

Le même jour

Depuis des années, je stocke mes photos dans Google Photo. Chaque jour, en haut de l’écran de mon iPad, l’appli me propose des photos prises le même jour. Ça peut être il y a un an comme il y en a douze. Comme un album photo qu’on ouvrirait au hasard des années plus tard.

Ce matin, c’est une photo d’Hortense, une bonne trentaine de centimètres en moins, de longs cheveux en cascade sur ses épaules bronzées, une robe de coton blanc et son léger sourire mutin qui fait remonter des petites joues bien rondes. Derrière, la ruelle descend jusqu’au port d’Hydra, en Grèce. L’émotion me gagne immédiatement. Le temps qui passe, les corps qui changent si vite – la photo a seulement trois ans…

Dans les ruelles d’Hydra, en 2020

Quelques jours plus tôt, c’était une photo d’Églantine. En chemise bleue, entourée de ses copines au petit matin à la gare du Nord. Les gros sacs-à-dos sont posés au sol le temps de la photo. Les sourires sont francs, chargés de joie et de rêves, de promesses de feux de camp et d’aventures. Alors, bien sûr, à l’émotion se mêle le regret de cette époque où l’on surveillait simplement que les activités ne soient pas trop nombreuses. Entre la tournée de la Maîtrise, les colos et le camp scout, il nous arrivait de ne voir Églantine que quelques jours en un mois d’été.

A présent, on compte le temps de repos nécessaire après chaque trajet, chaque sortie, chaque rencontre. On se laisse toujours la possibilité d’annuler, de changer de programme pour qu’Églantine puisse gérer sa fatigue au mieux. Surtout, qu’elle ait le choix, qu’elle garde ses envies et ses rêves. Comme le parapente chaque été. Comme le catamaran en juillet. Ou une sortie à Paris avec son vélo.

Aujourd’hui, pour Hortense, notre temps est trop lent. Comme quand elle file dans la montagne alors que j’ahane à l’arrière. Elle a besoin des autres ados, de fous rires partagés, de journées bien remplies, de découvertes loin de nous. Alors elle a hâte de retrouver ses copines aux premières heures de la matinée, demain, sur le quai de la gare. Elle aura sa chemise bleue, son gros sac-à-dos sera posé sur le sol. Il faudra prendre la photo rapidement car ils seront tous pressés de monter dans le train.

Et dans deux ou trois ans, je regarderai la photo avec la même émotion qu’aujourd’hui. D’ici là, la vie aura laissé son empreinte, avec ses bons moments et ses mauvais. Mais ce qu’il y a de bien avec les photos, c’est qu’on préfère les prendre avec le sourire. Un stock de bons souvenirs à enrichir au quotidien.

D’ailleurs j’espère bien réussir, cette année, à imprimer un album souvenir, sur papier, de nos vacances. Pour qu’on en tourne les pages, dans quelques années, le cœur battant, le sourire aux lèvres. Le même jour ou un autre jour, qu’importe.

Plumetis de lumière

Les vacances sont presque terminées et je reprends le rythme du blog avec la photo du lundi. Celle-ci a été prise dans la lumière dorée du matin, au bord d’un chemin entre le col du Granon et celui de l’Oule. A l’heure où le soleil paraît au-dessus des crêtes et où ses rayons semblent transpercer la montagne.

Alors que le Covid a suspendu la vie de la maison pour quelques jours, je profite du départ matinal d’Eglantine à son stage de parapente pour une balade solitaire sur les hauteurs de la vallée. Seules quelques véhicules sont déjà garés au pied de la buvette. Ses volets sont encore fermées. Deux jeunes couples se préparent à l’arrière d’une voiture voisine. Je les laisse partir devant moi.

Quelques nuages soulignent les étendues de rocaille verdoyante, contrastant avec la dentelle des sommets bleuissant dans le lointain. Au bord du chemin, les herbes des montagnes pointent leurs fruits vers le ciel. La nature a abandonné les couleurs vives des kyrielles de fleurs printanières pour la finesse, la délicatesse et la discrétion estivale.

Les houppes blanches et soyeuses des linaigrettes ondulent légèrement dans le vent tandis que des drôles de fleurs capturent le soleil dans leurs grands filaments plumeteux. Je sais désormais qu’il s’agit du fruit de la Benoîte des montagnes, un akène poilu qui remplace à cette saison sa petite fleur jaune vif.

Dans le contre-jour du soleil, elles évoquent une féérie matinière, l’envol merveilleux d’êtres surnaturels, un moment suspendu au creux de la montagne.

Ces plumetis de lumière ne sont qu’un détail face à la majesté des sommets qui nous entourent mais ce sont eux, justement, qui m’émeuvent le plus.

Chatouiller le félin qui dort en nous

La photo est un peu floue. Le problème du téléphone avec peu de lumière. J’ai dû bouger en appuyant pour prendre la photo. Cependant, je garde ce cliché pour la photo du lundi.

Pour la chorégraphie de l’ombre qui s’anime tel un danseur mystérieux derrière le félin en pleine chasse, statufié au moment où il attrape sa proie.

De l’immobilité naît un certain mouvement qui me plaît. Une allégorie de mon moral actuel ?

Photo prise au Muséum National d’Histoire Naturelle à Paris. Exposition Félins.

L’eau qui dort

La Charente serpente entre les pierres blanches de ses vieilles cités, petits villages et abbayes romanes. Les saules pleurent leurs branches dans l’eau claire qui file doucement. Des poissons rasent la surface à la recherche de nourriture. Les libellules virevoltent le long des berges dans des éclats bleus ou verts. Un kayak aux couleurs vives est posé sur un banc de gravier au milieu du fleuve. On entend des éclats de rire derrière les arbres de la berge. Quatre adolescents s’amusent et se chicanent à grands renforts de jets d’eau fraîche.

Je m’accorde une dernière pause avant de rejoindre maman. Toujours se méfier de l’eau qui dort.

Ce sera ma photo du lundi cette semaine. Une bouffée d’oxygène, un oasis de quiétude avant d’affronter le grand tourbillon.

De l’ombre aux rêves, sortir du quotidien

Au bord de la Méditerranée, j’aime le bleu de l’eau, le crincrin des cigales, les palmiers esseulés sur les quais, les bateaux colorés, le rose éclatant des bougainvilliers, les ruelles étroites, le rosé frais, l’accent chantant, les boulistes à l’ombre des pins. J’aime même le mistral qui vient caresser la peau et rafraîchir les rues – la mer aussi, qui plafonne laborieusement à 16°.

Cependant, ce qui m’émeut le plus lorsque je me ballade depuis plusieurs mois, ce sont les ombres des plantes qui jouent sur les murs. Entre flou artistique et contours parfaitement dessinés, avec les feuilles qui viennent rehausser les ombres sur les façades défraîchies, le mobilier, les pierres…

Une beauté fugace, évanescente, légère, discrète qui m’attire depuis longtemps et que, désormais, j’ai décidé de photographier.

En ce premier lundi de juillet, je vous partage une photo prise dans une ruelle de La Ciotat. Une grosse pointe ancrée dans un mur d’ocre fatigué, point fixe et solide dans une mer ondoyante d’ombres et des feuillages.

Et j’en partage une autre, prise lors du festival Solstice, sur une table de jardin.

Une douceur presque fantasmatique tant elle invite à se détacher du quotidien.

Chat du soir

Dans le faisceau de ma petite liseuse, un livre de Camille Laurens au format poche. La tête bien calée sur mon oreiller, j’entame la lecture qui accompagnera mon effondrement dans le sommeil.

Mon gros matou saute lourdement sur le lit et avance vers moi d’un pas chaloupé. Installé hiératiquement sur ma poitrine, il me toise puis donne une grand coup de tête dans la main qui tient le petit livre.

C’est son heure, sa place. Il vient chercher son câlin. Pas de lecture qui tienne.

J’attrape mon téléphone sur la table de nuit. J’aime la lumière sur le pelage de mon éternel mécontent, ses longues moustaches strient la pénombre de la chambre. Une caresse de la main et mon tendre pépère plisse les yeux de plaisir. Je prends la photo.

C’est celle que je choisi pour ce lundi.

Un bruit par la fenêtre ouverte et voilà Django qui sursaute et s’enfuit. Il revient quelques minutes plus tard s’avachir en travers de mon ventre, son museau humide calé contre mon bras. Alors que je continue ma lecture, j’entends le doux râle qui lui sert de ronronnement.

Le câlin du soir est un rituel incontournable. Ce n’est pas un livre qui ca l’en priver.