La nouvelle du mois – Au bruit rose de nos rencontres

Yacine pose son casque sur la table de mixage. Ses yeux piquent. Il éteint ses écrans et ouvre le store électrique de la baie vitrée. La lumière douce de la fin d’après-midi inonde le studio. Il ouvre la porte et inspire une grande bouffée d’air parfumé aux pins maritimes et aux genêts. Les journées de printemps s’étirent en soirées rougeoyantes. S’il part maintenant, il pourra regarder le soleil descendre lentement sur l’océan.

Il quitte sa petite maison basse du fond du bassin d’Arcachon au volant de l’antique Twingo bleue de sa grand-mère. Il rejoint rapidement la route forestière qui mène au Grand Crohot. L’autoradio crachote Feeling good de Nina Simone. A cette saison, il ne croise que les voitures des surfeurs venus tâter la vague après le boulot.

Ils les retrouve sur le parking, les combinaisons retroussées sur les reins, les pieds nus dans le sable et les aiguilles de pin, et les cheveux encore salés. La fraîcheur du vent du soir ne trouble pas leurs larges pectoraux alors qu’ils rangent leur matériel. Yacine se gare un peu à l’écart pour déployer son physique d’asperge anorexique loin de ces lions de mer. Il enfile sa vareuse jaune achetée à la coopérative maritime et monte le chemin de caillebotis de bois.

Arrivé en haut de la dune, il est saisi par le vent qui lui ébouriffe les cheveux. Il ouvre les bras et prend une grande inspiration, un large sourire sur le visage. Il retire ses converses bleu marine, les attache ensemble par les lacets, y glisse ses chaussettes, retrousse les bas de son jean et dévale la dune en courant. Il évite les bidons en plastique charriés par les dernières tempêtes, saute par-dessus les premières laisses d’algues, ne prête pas attention au mordant des coquillages et se précipite dans l’écume des vagues essoufflées qui viennent mourir sur le sable. Il reprend sa respiration alors qu’un rouleau plus fougueux éclabousse son pantalon.

Face à lui, le soleil rose orangé enflamme le ciel. L’océan prend cette couleur de zinc violet que Yacine aime particulièrement. Il remonte sur la plage et s’allonge dans le sable sec. Les bras et les jambes écartés, il fait l’ange en regardant les filets de nuages roses, jaunes et mauves au-dessus de lui.

Soudain, il sursaute. Une truffe froide est venue caresser son pied gauche. Il se redresse sur ses coudes et découvre, assis face à lui, un chien au pelage noir profond et aux yeux doux qui le fixe silencieusement.

« Bonjour toi » lui lance Yacine.

Alors le chien commence à émettre un gémissement à peine audible par-dessus le bruit des vagues qui déferlent continuellement, se cognant les unes aux autres. Yacine observe le chien avec curiosité. Il cherche quelqu’un sur la plage qui pourrait être son maître. Seule la silhouette lointaine d’un pêcheur solitaire se détache plus au nord. Le gémissement se transforme en une longue plainte puis en un hurlement désespéré.

Yacine s’approche du chien pour le rassurer. Celui-ci se met à tourner sur lui-même en remuant la queue et jappe frénétiquement en faisant des cercles de plus en plus grands autour de Yacine. Il semble lui demander de le suivre. Yacine quitte la lumière chaude du coucher de soleil et part à la recherche du propriétaire du chien.

L’animal traverse les dunes sans se préoccuper des panneaux qui demandent de ne pas marcher à cet endroit, pour préserver les herbes qui retiennent le sable. Yacine tente de ne pas écraser les fragiles touffes d’oyats. Le jeune homme et le chien pénètrent dans la forêt de pins. L’animal s’impatiente quand Yacine s’arrête remettre ses chaussures. Il n’a pas eu le temps de retirer tout le sable de ses pieds. Ça le démange mais il comprend une urgence dans l’attitude du chien.

Ils pénètrent dans l’enceinte d’un camping par la brèche d’un grillage et traversent un village de chalets et mobile homes désert. Le chien se dirige ensuite vers un camping-car capucine. Sous l’auvent orange délavé, une table et deux fauteuils pliants. La porte est entrouverte. Le chien n’arrête d’aboyer que lorsque Yacine pose la main sur la poignée. Il recommence à geindre au moment où Yacine découvre le corps d’une vieille dame sur le plancher.

Quand les pompiers repartent du camping, sirène hurlante, Yacine reste seul avec le chien. Ils ont trouvé les papiers de la vieille dame dans la boîte à gants du camping-car. Elle s’appelle Josette. Le gérant du camping, alerté par l’arrivée des secours, a confirmé le nom de la propriétaire du chien. Elle était arrivée la semaine dernière avec sa chienne, Bruit-Rose.

« Pourquoi ce nom ? » avait interrogé Yacine, intrigué par ce terme d’acoustique qu’il utilisait, lui, régulièrement. Le gérant avait haussé les épaules. Qu’est-ce qu’il y connaissait, lui, de pourquoi les gens appellent leurs animaux comme ça. « Vous savez, on voit passer de ces énergumènes parfois… » avait-il soufflé.

« Vous gardez le chien ? » avait-il ensuite demandé. Mais Yacine avait tout de suite compris que l’interrogation n’était qu’une politesse mal dégrossie. Il gardait le chien. Le gérant avait fermé le camping-car à clé avant de repartir. « Appelez-moi quand elle ira mieux, je lui garde son camion en attendant. De toute façon, y a personne à cette saison. » et il était reparti dans sa maison à l’entrée du camping, laissant Yacine avec Bruit-Rose.

Heureusement, la chienne ne fait aucune difficulté pour le suivre. Après tout, n’est-ce pas lui qu’elle a choisi sur cette plage immense pour venir en aide à sa maîtresse ? Elle s’assoie sur le siège passager, la truffe dépassant à peine du tableau de bord, le regard fixé sur la route. Sur le chemin du retour, Yacine s’arrête au Leclerc acheter des croquettes. Mais ce soir, Bruit-Rose n’a pas faim. Elle dresse sa tête à chaque nouveau bruit, inquiète, incapable de s’endormir.

Alors Yacine l’installe dans son studio et allume les enceintes. Il choisit minutieusement sa musique, règle l’intensité de chaque fréquence, abaissant la puissance sonore de trois décibels à chaque octave, et diffuse un morceau calibré sur le bruit rose. Il utilise souvent cette technique pour les fonds musicaux des documentaires, associant une atmosphère sonore paisible aux moments calmes. Comme lorsque la lionne s’occupe de ses petits après une journée de chasse. Bruit-Rose finit effectivement par s’endormir. Apaisé par le doux ronflement canin, Yacine continue de travailler sur sa dernière commande.

Le lendemain matin, il est réveillé par les jappements de la chienne et les vibrations de son téléphone portable. Josette s’est réveillée. Peut-il venir la voir ? Yacine regarde sa montre. Il est à peine huit heures. Il n’a pas l’habitude de se réveiller si tôt. Il se fait couler un café, prend une douche, enfile un jean et un tee-shirt propres et installe Bruit-Rose dans la Twingo.

Le bâtiment bas de l’hôpital dépasse à peine des pins environnants. L’odeur d’iode et de vase, caractéristique du bassin à marée basse, enveloppe la brume matinale. Quelques mouettes crient au-delà des pins. Bruit-Rose semble comprendre quand Yacine lui explique qu’elle ne peut pas venir avec lui. Elle se roule en boule sur le siège passager.

Dans la chambre 201, Josette est calée sur trois oreillers. Elle a redressé son lit et garde une certaine dignité malgré la perfusion. Le moniteur cardiaque égrène ses bips à un rythme très lent. Elle sourit tendrement. « C’est vous qui avez ma chienne ? »

Yacine lui raconte effectivement comment Bruit-Rose est venu le chercher. Les pompiers, le gérant du camping qui s’accommode du véhicule sur son terrain en attendant, et la chienne dans sa voiture. Puis il pose la question qui le taraude depuis la veille. « Pourquoi Bruit-Rose ? »

Alors Josette raconte. Sa vie de cantinière de prison. Les femmes derrière des barreaux, les hommes entassés, les peintures décrépies, les sols abîmés, les cris, les pleurs, le désespoir. L’humanité qui disparaît. Jusqu’à la cuisine, externalisée, mise en barquette, réchauffée sous cellophane, distribuée au plus vite. Josette explique les nuits sans sommeil, l’odeur de la prison qui la suit jusque chez elle, les cauchemars qui l’enferment dans la dépression.

Elle prend des médicaments. Elle termine sa carrière dans une cantine scolaire. Malgré les rires des enfants, les bruits de la prison la poursuivent. Un voisin lui fait alors découvrir les pouvoirs du son de l’océan. « C’est scientifique » lui explique-t-il. Une histoire d’ouïe logarithmique. Josette n’a pas tout retenu si ce n’est que le bruit rose, c’est celui des cascades, du bruissement des feuilles, des battements du cœur ou du bruit des vagues. Et qu’il a le pouvoir d’apaiser les âmes.

Josette chantonne « j’y pense puis j’oublie, c’est la vie, c’est la vie » et éclate d’un petit rire doux de carillon.Là, dans la chambre d’hôpital blafarde, son regard pétille quand elle reprend la suite de son histoire.

Car finalement, un jour, Josette trouve, posée au coin d’une rue, de grands yeux sombres sur une maigrelette boule de poils noirs, une petite chienne affamée. Josette diffuse des annonces. Peut-être a-t-elle déjà un maître ? Le soir, la chienne s’endort rapidement, le ventre plein, au creux des couvertures de Josette. Elle ronfle doucement, un son calme et monotone qui berce Josette.

Cette nuit-là, la cantinière dort comme un bébé. Alors elle baptise la chienne Bruit-Rose. Les semaines passent et personne ne la réclame. Quand sonne l’heure de la retraite, Josette investit ses maigres économies dans un camping-car. Elle veut vivre dehors, le long des côtes océanes qui lui font entendre la vie en rose.

La conversation est interrompue par l’infirmière qui entre dans la chambre. Elle s’inquiète de l’état de fatigue de Josette et demande à Yacine de partir. Il promet de revenir le lendemain. Il aime cette vieille dame sensible aux sons, lui qui passe sa vie à les mixer.

Yacine revient tous les jours. Il lui a installé une petite enceinte pour qu’elle puisse écouter la musique qu’il lui prépare. Il filme aussi Bruit-Rose qui court sur la plage, qui dort dans le studio, qui dépèce ses converses. Le petit rire de Josette éclate en regardant les vidéos.

Ce matin, Bruit-Rose est morose. Elle a la queue basse quand elle monte dans la Twingo. À l’accueil de l’hôpital, l’infirmière interpelle Yacine.

« Josette est partie » annonce-t-elle tristement.

L’éternelle ellipse du départ pour ne pas nommer la mort. Les mêmes mots que lorsque sa grand-mère les avait quittés. Comme si le non-dit pouvait effacer la douleur.

Josette n’avait pas de famille. L’hôpital peut se charger de contacter les pompes funèbres, mais, peut-être, Yacine voudrait-il s’en occuper ? L’infirmière s’appelle Juliette. Elle propose de l’aider.

Fin de l’été. Assis sur le sable chaud, Juliette et Yacine regardent le soleil incandescent disparaître derrière l’horizon. Des silhouettes sautent encore dans les vagues. Des groupes pique-niquent sur la plage. Des enfants crient en jouant avec un ballon. Bruit-Rose arrive vers eux en courant et secoue son poil détrempé à hauteur de leurs visages. Juliette et Yacine râlent en riant et courent se baigner avec leur chienne dans les ombres roses de l’océan.

Février 2023

La musique des ombres

Plus que quelques minutes avant que le lundi ne soit fané. Je travaille d’arrache-pied sur une vidéo pour les Petites Cantines Antony. Et le temps fond comme neige au soleil alors que j’entends la chorégraphie des dameuses en bas des pistes.

Pour la photo du lundi, je partage ce cliché en noir et blanc – oui, j’aime beaucoup la douceur du noir et blanc. L’ombre portée sur les volets est la partition d’une musique que n’entendent que les rêveurs.

Les muses de la grisaille

Sur la route du ski, l’herbe est nue. Aucune trace d’un quelconque animal ayant traversé le manteau blanc de l’hiver. Les nuages ont éteint les reflets ambrés de la forêt, les verts bronze des troncs qui nous accompagnaient sous le soleil. Le ciel est bas. Dans l’air froid, enfin, quelques flocons. D’abord légers, presque indicibles, il s’épaississent peu à peu, sont plus nombreux.

Depuis la fenêtre arrière de la voiture, taraudée par le mal des transports, je suis des yeux les têtes dénudées des arbres qui peu à peu blanchissent. La montagne se fait Parnasse où les muses s’amusent à créer de la poésie dans les fondus de grisaille.

Il faudra finalement s’arrêter pour chausser les chaînes et retrouver un monde plus prosaïque fait de valises à décharger, de forfaits à acheter et de skis à louer.

La cuisine, c’est comme le dessin

Déjeuner entre filles. Dans le bol du robot pâtissier, la pâte des pains au lait préparée par Eglantine un peu plus tôt est bien gonflée. Sitôt la table libérée, les deux sœurs se mettent à pétrir. Elles forment de petits pâtons en discutant.

Sororité gourmande et guillerette.

Eglantine maîtrise désormais parfaitement sa recette et sa cuisson.

Conclusion d’Hortense :

« La cuisine, c’est comme le dessin. Plus tu pratiques, mieux tu réussis. »

C’est simple comme du bon pain. Quel régal de les voir grandir ensemble, expérimenter et partager !

Sophie, Palissy et moi

Mon amie Sophie et moi avons ceci en commun que nous ne venons pas de familles où la culture se partageait en héritage. Ainsi, à presque cinquante ans, nous sommes encore en train de former nos goûts et d’enrichir nos connaissances. Sophie a découvert le travail de la terre alors qu’elle vivait en Roumanie. Nous étions voisines. Le travail de la terre reste aujourd’hui sa soupape de décompression.

C’est elle qui m’a fait découvrir l’expo actuellement visible au Musée de la Manufacture de Sèvres, haut lieu de la céramique française, Formes Vivantes. Au dernier étage du bâtiment, nous voilà immédiatement embarquées dans un foisonnement de couleurs, de formes et de matières auquel je ne m’attendais pas.

Après une rapide introduction, l’exposition commence réellement avec les œuvres de Bernard Palissy. J’ai d’abord vu les moules de ses rustiques figulines. Les formes animales ainsi piégées dans la terre dure comme de la roche sédimentaire rappellent les fossiles préhistoriques. Ici, point d’amanites mais des couleuvres curvilignes, des grenouilles, une mouche et même un oiseau.

Je suis plus émue par l’aspect brut et archéologique des moules que par le plat que je découvre ensuite. Un serpent ondule au centre. Des poissons à l’aspect visqueux semblent manquer d’eau dans un bassin où baignent également une tortue et une écrevisse. Des lézards criant de réalisme se faufilent sur les berges au milieu de coquillages et de feuillages.

Dans un réflexe primaire, j’associe la forme de l’objet à sa finalité. Un plat, pour y mettre de la nourriture. Un certain dégoût me traverse. Et puis je commence à comprendre que ce plat n’est qu’un support pour un art dont je reconnaît peu à peu la prouesse technique. Les animaux grouillent dans cette flaque d’eau avec une authenticité vivace.

Contrairement à ces YouTubers, je n’en suis pas à comparer Palissy à de l’art nanar. Mais, au premier regard, j’étais très loin d’être sensible à son travail.

L’exposition est encore riche de nombreuses œuvres. Elle met en regard différentes époques. Si bien que ce n’est qu’aujourd’hui que j’ai pu en savoir un peu plus sur Bernard Palissy. Il est l’inventeur des rustiques figulines, ces petits animaux en terre cuite vernissée moulés sur le vif. Comme le remarquait la fille de mon amie Sophie, ils ne devaient pas trop se soucier de la souffrance animale à l’époque.

Palissy avait déjà bien à faire avec sa propre souffrance lui qui, en tant que protestant, échappa de peu à la Saint-Barthélémy et finit sa vie dans une geôle de la Bastille, mourant de faim, de froid et de mauvais traitements.

Scientifique autant qu’artiste, il est un grand technicien de cette terre qu’il modèle avec finesse pour obtenir le réalisme qui feront sa gloire. J’ajoute une dernière vidéo afin de bien voir le mystère qui persiste encore aujourd’hui autour de sa technique.

Après en avoir appris un peu plus sur lui, je pose sur son œuvre un regard différent, averti, admiratif. Bien plus riche que mon premier sentiment, kitch, face à son œuvre.

L’exposition montre comment son travail a inspiré des artistes contemporains, tels que Johan Creten dont les formes viscérales des Vagues pour Palissy sont directement inspirées par la technique du céramiste de la Renaissance.

Ou, dans une lignée plus évidente, les œuvres de la norvégienne Christine Viennet. Même si, en ce qui la concerne, il me semble que les techniques de cuisson et de colorisation diffèrent de celles de Palissy.

« Obtenues par moulage ou modelage, ses figures animalières ou végétales sont ensuite scellées au plat à l’aide de barbotine, une argile liquide permettant de « coller » les pièces entre elles. Une première cuisson fixe la composition générale, puis, après application des couleurs au pinceau, la pièce est plongée dans un bain de glaçure transparente plombifère, et enfin cuite à 1060°. »

Elle a revisité la vision très réaliste de Palissy, noyant son plat dans un camaïeux de verts évoquant plutôt une nature rêvée, enchanteresse ou cauchemardesque. A chacun de choisir. A l’instar de l’interprétation que chacun peut avoir de ses vase envahis de serpents dont les courbes se resserrent sur l’anse ou la corps gibbeux. Repoussoir diabolique, image tentatrice ou renaissance et nouvelle Vénus animal qui sait changer de peau pour continuer de vivre ?

Cette expo est un vrai plaisir des sens. Elle éveille la curiosité, contraste les sentiments, de l’émerveillement au dégoût. Je vais continuer à partager cette découverte avec vous durant les prochains jours.

Prendre le temps

Le long de la piste cyclable, de belles péniches aux couleurs douces, plantes grimpantes, terrasses aménagées, vélos endormis sur les passerelles. Soleil d’hiver sur les premières fleurs du printemps. Gaité intérieure sur le chemin de la Manufacture de Sèvres.

Attendre mon amie. Prendre le temps de discuter avec les agent.es d’accueil. Sourires bienveillants, échanges légers qui réchauffent l’air matinal.

Murmures partagés pour une visite en terre cuite des formes du vivant. Les époques qui se regardent. Temps anciens. Contemporains. Faire durer la conversation après la visite. Mais le temps file.

Trop tôt
2004
Farida Le Suavé
Céramique et matelas
Exposition Formes du Vivant
Manufacture de Sèvres

Pédaler sans s’arrêter pour rejoindre le treizième arrondissement. Laisser passer les piétons, les feux au vert, les voitures et les scooters pressés. Prendre le temps de jeter un œil sur les immenses fresques colorées de cet arrondissement. Sans ralentir la cadence. C’est l’avantage du vélo, ça ne va pas très vite. Ça laisse du recul pour profiter du décor.

Arriver quand même en retard pour déjeuner. Impression de courir après le temps. Et pourtant. Retrouver des ami.es. Le temps d’un café. Et les gens qui s’arrêtent pour parler avec nous. Drôles de temps alors que tout le monde crie au chacun pour soi.

Six fourgons passent en hurlant. Ils n’ont pas le temps, on les attend. Des manifestants qui, eux, aimeraient bien avoir le temps de ne pas être trop vieux pour profiter du temps qui leur reste.

Tête-à-tête avec mon amie Nathalie. La patronne, profil asiatique, sourcils tirant sur un rouge sombre hypnotisant, nous apporte une carafe d’eau alors que nous avons terminé nos cafés depuis longtemps. Prenez votre temps nous encourage-t-elle sur un ton délicieusement maternel.

Quelques tours de roue vers une dernière expo. Le gardien qui encourage à accélérer la visite. Gardien du temps. Le musée va fermer. Merci de vous diriger vers la sortie. Grosse voix, pas le temps d’un sourire. Et les visiteurs qui traînent des pieds, subjugués par ces sculptures hyper réalistes.

Le temps d’une photo, pour une One Minute Sculpture d’Erwin Wurm. La seule œuvre qui se touche. Une minute pour être une œuvre d’art. C’est toujours ça.

Idiot II
2007
Erwin Wurm
One minute Sculpture
avec la participation de la Tasse de Thé
exposition Hyperréalisme
musée Maillol

Entre les photos et le GPS, batterie de téléphone à plat. Sortir mon livre sur un banc de pierre à la sortie du musée. Le temps de recharger. Quelques notes sur un cahier. Quelques pages d’un livre de poche sorti du fond de mon sac.

Il est temps de rentrer. Libérer le vélo de ses antivols et traverser la ville baignée de lumières artificielles.

Une journée de temps pour moi.

Une chambre (presque) à soi

Depuis trois ans, Olivier travaille dans la chambre d’Hortense. Les premiers jours du confinement, en mars 2020, il s’était d’abord installé sur le bureau familial, au rez-de-chaussée. Intenable, tant pour lui que pour nous. Alors, la journée, il mettait son ordinateur portable sur le bureau d’Hortense qui, elle, profitait de tout le reste de la maison.

Quand le confinement a été levé, Églantine est entrée à l’hôpital. Olivier a changé de chambre. Pendant un an, il a occupé le bureau d’Églantine. Tout cela était provisoire. Quand même, Olivier a installé un écran plus grand, un clavier, un haut-parleur pour conférence, en répétiteur wifi… Il a tout déménagé dans la chambre d’Hortense quand Églantine est sortie de l’hôpital. Elle passe tellement de temps dans son lit qu’il est impossible de partager son espace.

Trois ans après, le télétravail n’est pas un choix. Deux jours par semaine, Olivier reste donc à la maison pour travailler. Aucun espace n’était prévu pour cela quand nous avons choisi cette petite meulière ouvrière des années 30. Olivier continue donc d’utiliser la cambre d’Hortense. Le télétravail n’est plus une question sanitaire. C’est le moyen pour son employeur de faire des économies.

A nous donc l’électricité, la connexion internet, le chauffage et l’aménagement d’un espace de travail. Et pour le moment, pas d’autre solution que la chambre d’Hortense pour que toute la famille ne profite pas des réunions non-stop d’Olivier. Alors, Hortense n’avait plus de bureau, envahi par l’ordinateur de son père.

Or Hortense est une adolescente qui a désormais envie de se mettre dans sa chambre pour faire ses devoirs, lire, dessiner et regarder des vidéos. Elle me tannait depuis plusieurs mois pour que nous réorganisions sa chambre. En plus, elle a découvert Pinterest et regardait avec envie les jolies chambres aux couleurs douces.

Alors, enfin, pendant cette première semaine de vacances, nous avons tout réorganisé. Un bureau pour Olivier, de nouvelles bibliothèques pour les livres d’Hortense. Elle a viré ses jouets d’enfants qui dormaient dans des meubles blancs, roses et verts, couleurs d’une petite fille heureuse, qui se mariaient mal avec le gros écran noir de son père.

Ensemble, nous avons trié, jeté, donné, dépoussiéré et réaménagé. Plusieurs voyages chez Ikea, des heures de montage – que c’est lourd, un bureau ! Et un résultat parfaitement réjouissant. Hortense était aux anges ce soir. Surtout quand son père, rentré tard d’un dîner avec des collègues coréens, a aussi pris possession de son nouveau bureau. Fauteuils dos-à-dos, chacun a pris possession de son nouveau bureau – pour Hortense, c’était une redécouverte du sien. Echanges complices d’Hortense avec son papa, satisfaction partagée, sentiment d’avoir enfin un véritable endroit à soi, à son image d’adolescente.

Elle a encore plein d’idées de ce qu’elle voudrait faire dans sa chambre. Mais ce soir, elle se dit qu’elle peut attendre. Parce que c’est déjà extra comme ça !

Écrire

Écrire tous les jours.

Écrire les petites choses, les impressions, les sentiments, les états d’âmes et quelques opinions.

Écrire sur soi, sans autre intérêt que ce que l’on voit.

Écrire sans envergure mais avec liberté.

Écrire alors que les muscles tirent.

Écrire même si les paupières sont lourdes.

Écrire comme un entrainement.

Écrire pour s’aérer l’esprit.

Écrire pour relâcher la pression.

Écrire quand le ciel est bleu et quand il pleut.

Écrire pour oublier.

Écrire pour y penser.

Écrire pour s’amuser.

52 Tasses de Thé depuis le début de l’année.

Une par jour.

Écrire pour continuer.

Partager les rues

Le code de la route est très clair.

L’art. R.110-2 du Code de la Route stipule que dans les zone 30 :

toutes les chaussées sont à double sens pour les cyclistes, sauf dispositions différentes prises par l’autorité investie du pouvoir de police.

Donc, quand je sors de chez moi à vélo et emprunte ma rue, limitée à 30 km/h, à contresens des voitures, je respecte parfaitement le code de la route. Voyons, me rétorquera-t-on, tout le monde ne connaît pas cet article du code la route !

Il date quand même de 2008. Quinze ans, donc, qu’il est en vigueur. Mais, d’accord, on peut passer à côté de l’information.

Cependant, la suite de l’article stipule que :

Les entrées et sorties de cette zone sont annoncées par une signalisation et l’ensemble de la zone est aménagé de façon cohérente avec la limitation de vitesse applicable.

Sur ce point, la voirie de ma commune respecte scrupuleusement la législation. Un panneau placé au début de la rue indique que la rue est à double sens pour les cyclistes.

Alors, quand je manque me faire renverser par un énorme SUV qui arrive à plus de 30 km et qui refuse de partager la route avec moi, je suis très énervée. Je suis largement visible, la rue est en ligne droite et il avait la place de se déporter sur le côté.

Non seulement, il ne s’est pas poussé d’un quart de millimètre, mais il n’a même pas ralenti pour être moins dangereux. J’ai du faire un écart et me coller au trottoir pour ne pas être renversée.

J’étais partie en sifflotant dans les derniers rayons de soleil de la journée. J’ai eu très peur.

Alors je sais bien que les vélos qui grillent le feu, qui slaloment dangereusement entre les voitures et qui se croient tout permis sont horripilants. En tout cas, moi, ils m’horripilent, que je sois au volant de ma voiture ou sur la selle de mon vélo. Mais je rappelle que dans une collision entre un vélo et une voiture, c’est le cycliste qui met sa vie en jeu. Peut-être que certains automobilistes devraient être sensibilisés à la question. Je propose de les faire circuler une semaine en deux roues dans la banlieue parisienne.

D’autant que, quand je me gare une fois arrivée à destination, je découvre un des deux arceaux à vélo à moitié plié. Un truc bien solide, ancré dans le béton. Ce n’est pas le poids d’un vélo qui l’a ainsi tiré vers le sol. Alors que le mien est plutôt lourd, il n’a jamais fait ployer un arceau.

De l’impact d’une voiture sur l’environnement urbain.

C’est bien une voiture qui a mis l’arceau dans cet état. Allez, éventuellement, prenons un modèle plus gros, une petite camionnette – il n’y a pas la place pour qu’un camion se gare là. Ou un de ces gros SUV qui trouvent que les vélos prennent trop de place. Tout ça pour rappeler qu’un vélo, c’est plus fragile qu’un arceau, alors imaginez son état quand un SUV décide de le percuter.

Or, rappelons-le, un vélo pollue beaucoup moins qu’une voiture, même quand c’est un vélo électrique. Et si plus de monde roulait à vélo, il y aurait moins d’embouteillages. Un vélo, ça prend nettement moins de place qu’une voiture.

Ca vaut donc la peine de faire un peu attention aux deux roues quand on est au volant de sa voiture. Ce n’est pas si compliqué de partager les rues. Je le fais tous les jours en voiture aussi bien qu’à vélo.

Des histoires et des fleurs

Entrer chez un fleuriste, c’est être ébloui par une végétation luxuriante. Des odeurs, des couleurs et des textures qui assaillent tous nos sens. Dans le béton des villes, les fleuristes sont des oasis de verdure qui me fascinent. Il m’arrive assez souvent de les photographier, sans trop savoir pourquoi.

L’attirance de la couleur, peut-être. Mais quand je reprends mes clichés ce soir, les couleurs sont trop vives, trop artificielles. Le noir et blanc y apporte de la douceur et recentre le propos sur la texture des pétales, l’accumulation par petites touches des superpositions de fleurs, les jeux de matière entre la végétation, les grands pots en vannerie et les larges pavés d’un trottoir parisien.

Cette semaine, j’ai acheté un jasmin pour une amie. La fleuriste était bavarde. Elle m’a raconté ses sauvetages de plantes. Elle en parlait comme de ses amies. Les amputées pour les bouquets, les jetées dans le fossé, les maltraitées. Elle les récupérait, trouvait le bon endroit pour les soigner et s’en occupait avec délicatesse.

Elle m’a parlé de ce jasmin qui s’accrochait à tout ce qui était à proximité et que son père appréciait tant. Elle avait la voix qui tremblait quand elle m’a confié que cette plante lui permettait de maintenir vivant le souvenir de son père. Il l’avait gardée un été et s’était attaché à ce jasmin délicieusement liant. Le revoyait-elle, vivant et riant, dans la douce odeur délicate des petites fleurs blanches ?

J’aime les petites histoires que les gens racontent ainsi en passant. Elles nourrissent mon imaginaire et colorent le quotidien encore mieux que les fleurs flamboyantes des fleuristes.