Hortense a reçu pour Noël un nouveau jeu de société, Esquissé. Il s’agit d’une sorte de téléphone arabe croisé avec un Pictionary.
Chaque joueur note le mot qui lui a été attribué sur un carnet avec un stylo effaçable. Il passe le carnet au joueur suivant qui, lui, dessine le mot ou l’expression en question. Les carnets passent donc de joueur en joueur tous en même temps.
Au tour suivant, chacun doit écrire le mot ou l’expression qu’il devine à partir du dessin réalisé au tour précédent. Enfin, comme nous jouons à quatre, le dernier joueur écrit le mot ou l’expression qu’il pense être correcte.
Un mot, un dessin, un mot, un dessin, un mot.
Il s’agit à la fin de vérifier si le premier et le dernier mots sont identiques. Parfois, les expressions voyagent. Ainsi médaille d’or devient champion olympique pour redevenir médaille d’or par une heureux hasard des associations d’idées du dernier joueur.
D’autres fois, l’expression finale n’a ab-so-lu-ment rien à voir avec celle d’origine. Ainsi péter dans le bain est devenu un lama qui crache sur un lotus poussant dans un pédiluve. Voilà, voilà… Le quiproquo est né d’un robinet vite esquissé qui ressemblerait à une brebis.
Nous avons tellement ri que l’expression est désormais inscrite dans notre légende familiale.
Un petit livre sur les étagères d’une librairie. Un auteur connu que, pourtant, je ne découvre réellement que maintenant. Georges Perec. Sans accent sur le e, parce que son nom n’est pas breton mais polonais. Le e, cette lettre si présente dans son patronyme qu’il a pourtant décidé d’éluder pour écrire tout une histoire, La disparition. C’est par ce texte, surtout, que je le connaissais mais dont, avouons-le, je n’ai toujours lu que des extraits. Il est comme ça des auteurs qu’il nous semble avoir toujours côtoyés mais que nous n’avons pourtant pas lus.
Certains parce l’œuvre semble trop inaccessible ou tellement volumineuse qu’elle pèse avant même de l’avoir commencée, tel Marcel Proust. D’autres, comme Perec, parce qu’ils sont là, tellement présents, incontournables, fondus dans le quotidien, tellement accessibles, qu’il nous semble déjà les connaître parfaitement.
Il a fallu un livre sur l’écriture de nouvelles pour que je m’installe Place Saint Sulpice sous la plume de Perec. Tentative d’épuisement d’un lieu parisien est un tout petit livre dans lequel il ne se passe rien. Perec y décrit les gens, les bus et autres véhicules qui passent sous ses yeux. Il les compte, les décrit, les attrape tels des papillons dans ses filets d’écrivain. Par petites touches, savant impressionniste, il fait fourmiller la vie sur le papier. La place s’anime à travers les pages. Le quotidien devient l’histoire.
J’étais époustouflée par la prouesse. Et confortée dans la certitude que ce sont les détails d’un lieu ou d’un personnage qui lui apportent de la profondeur. Que la trace laissée par le thé sous la tasse lui donne plus de réalité.
Au détour d’une librairie, je tombe sur une autre livre de Perec, Les choses. Je me laisse emporter dans les rêveries d’un grand appartement parisien, cossu et décoré avec goût. Les descriptions sont méticuleuses. J’utilise parfois le dictionnaire. Le vocabulaire est précis, juste, savamment distillé. Comme j’ai d’abord lu Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, je fais tout de suite le rapprochement cette accumulation de détails qui génère toute la puissance Des choses. Ce livre a pourtant était publié en 1965 alors que Tentative l’a été vingt ans plus tard.
Ces premières pages ne sont que l’image des désirs de Jérôme et Sylvie. Tout au long du livre, les deux personnages – qui n’ont rien d’héroïque – sont avant tout racontés à travers les objets qui les entourent, ceux dont ils rêvent, ceux dont ils ont encombré leur petit appartement parisien, ceux qu’ils emportent en Tunisie ou plus tard à Bordeaux. Comme une tentative d’épuisement des choses elles-mêmes.
J’espère réussir à écrire un jour quelque chose d’aussi fort avec si peu d’artifices.
Je vais continuer à découvrir Georges Perec. Il me reste ses deux livres les plus connus, La vie mode d’emploi et La disparition.
Sur internet, on trouve beaucoup de photos de Perec avec son chat.
Plutôt pas mal cette petite journée de vacances en rab avant la reprise. Pour Hortense, ça a été l’occasion de terminer ses devoirs. Et de se rendre compte que, si je la houspille aussi souvent pour qu’elle se mette au travail régulièrement, c’est que nous souffrons, elle et moi, du même travers : une forte propension à la procrastination. Cet art subtil de repousser à plus tard.
Dans notre imaginaire, le temps s’étire à l’infini, accueillant sans réserve tous nos projets, toutes nos envies et toutes nos obligations. Il sera donc toujours temps de faire ça plus tard, se dit-on in petto face aux contraintes. Mais les dates limites dressent invariablement leurs herses acérées dans le moelleux de nos rêves d’infini, provoquant boules d’angoisse et sueurs froides.
Hortense a eu par le passé quelques rentrées difficiles, réalisant la veille au soir qu’un devoir n’était pas fait ou une leçon non apprise. Une fois, ce fût le matin même qu’elle réalisa qu’elle avait une évaluation qu’elle n’avait pas préparée. Alors, je m’assoie avec elle autour de la grande table de la salle à manger. Je la laisse travailler à son rythme. Je suis disponible si elle a besoin de moi mais je lis ou écris de mon côté sans la déranger. Je lui demande juste si elle est certaine de ne rien avoir oublié.
Aujourd’hui, elle m’a avoué, après avoir terminé ses devoirs, qu’un poids venait de la quitter. Je voyais très bien ce dont elle parlait. Elle s’est serrée contre moi, rassurée de ne pas être seule à connaître cette culpabilité de la procrastination.
J’ai profité de ce moment de proximité pour relancer le sujet de la lecture. Hortense a toujours son caractère de chat à qui il ne sert à rien d’imposer quelque chose. J’aimerais qu’elle lise autre chose que ses mangas et ses webtoons. Qu’elle s’intéresse un peu au monde qui l’entoure. Alors, j’ai allumé mon ipad et affiché le dernier numéro de Topo. J’ai l’habitude d’acheter ce magazine chez le libraire et plusieurs anciens numéros traînent à la maison. Il traite de sujets d’actualité et de société très divers sous forme de bandes dessinées et se destine aux moins de 20 ans (mais on ne meurt pas instantanément si on le consulte après cet âge).
Je sais qu’Eglantine le lit avec plaisir mais Hortense m’a confirmé qu’elle ne le feuilletait jamais.
J’ai entamé un article sur le Qatar. Hortense n’était pas intéressée. Puis j’ai senti son regard se poser sur les dessins et les textes. Petit à petit, elle s’est plongée avec moi dans le reportage. Il faut reconnaître que le format BD de ce magazine est vraiment propice à la lecture.
Finalement, après le dîner, elle a terminé seule la lecture de l’article sur le Qatar et lu le sujet suivant dans la foulée.
Que ces instants sont précieux, ceux où l’on sent que la patience porte ses fruits, que bienveillance et compréhension apportent plus qu’obligations et contraintes. Et où l’armure de l’adolescente en pleine affirmation de soi laisse passer tendresse et complicité. De l’art d’apprivoiser un chat.
Il faut choisir sa façon d’envoyer ses vœux. Les plus courageux restent des inconditionnels de la carte papier. Les mieux organisés ont fait imprimer les leurs depuis des semaines. Personnalisées avec des photos de famille. Les enfants à la plage cet été. Les sourires radieux. L’amour qui suinte. Le bonheur, le bien-être, l’aisance.
On choisir les timbres qui vont bien, on note l’adresse de sa plus belle écriture et on colle la belle étiquette avec son adresse au dos. Ça, c’est moi tous les ans. Ou disons plutôt que c’était moi tous les ans, avant. Sauf que je n’envoyais pas les cartes. Je m’arrêtais à la recherche des adresses postales. Voire je ne mettais pas les cartes dans les enveloppes. J’étais la seule à profiter de mes vœux.
Alors, comme beaucoup de nos amis, j’ai choisi la version numérique. Une photo de famille ou un petit montage avec des photos de chacun de nous. Des heures sur mon téléphone ou mon ordinateur à envoyer la fameuse image à toutes mes connaissances, en prenant soin d’y joindre un mot personnalisé. Parce que les messages groupés, ça manque un peu de chaleur, non ?
Aujourd’hui, Olivier m’a posé la question fatidique. On a une photo cette année ?
Non. Cette année je n’ai rien prévu. En tout cas pour le moment. J’ai commencé à envoyer mes petits messages chargés de joie, d’énergie et de sourires – tout ce que je souhaite à ceux que j’aime – mais je n’ai pas encore envisagé de mettre nos bouilles en scène avec des confettis dorés.
On est crevés ! Comme la moitié du pays, on enchaîne les virus d’hiver, des trucs qui n’ont pas forcément de nom mais qui vous laissent avec des cernes sombres et une peau blafarde. Même Mercredi Adams a meilleure mine que nous.
Alors, finalement, pour 2023 je vais avant tout nous souhaiter une bonne santé. Ça ne pourra pas faire de mal. Et avec ça, de la joie, des sourires et de belles rencontres, parce que voilà des choses simples qui font vraiment du bien. A vous aussi, je vous souhaite santé, bonheur et réussite, paix, amour et sérénité. Parce que la vie n’est pas un livre de développement personnel aux couleurs des bisounours, on sait qu’on aura bien besoin les uns des autres pour surmonter les déceptions, les frustrations et les découragements qui nous étreindrons à un moment ou un autre. Alors, il sera bon de recevoir le message d’un ami, un smiley bisou ou un gif cucu qui nous amusera. Peu importe les sourires rayonnants – et culpabilisants – des vœux de janvier mis en scène sur nos réseaux sociaux
Découvrez le gratin de pêches d’Hortense. des pêches, du miel, de l’eau de fleur d’oranger, des pignons de pin, des amandes en poudre, de la gourmandise et beaucoup d’amour.
Il est encore possible d’acheter des pêches sur le marché. Ce sont les dernières de la saison. J’avais choisi des pêches jaunes à la peau douce et veloutée pour la recette d’Hortense. Elle l’avait repérée dans un de ces magazines de cuisine qu’elle aime feuilleter le soir dans son lit.
Pendant que je préparais le dîner, Hortense a entrepris de couper les pêches en quartiers. Les fruits étaient bien mûrs et elle n’a rencontré aucune difficulté à séparer la chair du noyau. Elle a réparti tous ses morceaux de pêche dans un grand plat à gratin ovale.
Puis elle a fait fondre à feu doux du miel et de la fleur de d’oranger dans une petite casserole. Elle n’a pas cessé de remuer jusqu’à ce que le mélange soit bien liquide. Elle l’a alors versé dans le plat en contrôlant que toutes les pêches étaient bien arrosées.
Enfin, elle a réparti des pignons de pin et des amandes en poudre sur ses fruits avant d’enfourner le plat. Le four était préchauffé à 180°. Elle a laissé cuire son gratin pendant 20 minutes.
Le résultat était délicieux, un mélange délicat des différents goûts, une ensemble très doux relevé par l’eau de fleur d’oranger.
Hortense n’a que 11 ans, mais elle s’affirme en cuisine. Pour notre plus grand plaisir !
Aucune amélioration pour Eglantine en ce mois de mars. Mon Petit Oiseau ne vole pas. Pourtant, partout, la vie renaît dans des pépiements joyeux.
Et puis il y a la rentrée des vacances d’hiver. Ce moment où le temps s’accélère, où vient l’heure des comptes et du ménage de printemps. Ca y est, nous sommes en mars.
Dès janvier, c’était la rechute. La première absence au lycée ? Il y a un mois et demi. Seulement trois semaines après sa rentrée dans ce nouvel établissement. Auparavant, sept mois d’hôpital et deux semaines de vacances à Noël. Les douleurs d’Eglantine ont commencé depuis plus de deux ans. Nous sommes dans la troisième année.
Les comptes ont quelque chose d’effrayant. Ils ensevelissent toute trace d’espoir, ils sont lourds comme du plomb.
Où est passé février ? Caché sous les piles de certificats médicaux justifiant les absences. Allez, je vous en remets une semaine ? On ne va pas faire dans le détail. Après tout, c’est les soldes. L’énergie d’Eglantine s’est figée dans la neige qui a si bien tenue cette année.
Les vacances représentaient un dernier espoir, ténu comme les crocus qui pointent au cœur de l’hiver. Ajouter une semaine au grand air au bout du bout de la Bretagne n’allège pourtant pas les comptes. On ne compte plus les heures passées au fond de son lit. Dans les bons moments, elle s’allonge sur le canapé pour être un peu avec nous.
Le professeur A. constate. Il a beau être plus optimiste que nous, les comptes plombent. Mais Eglantine croit en cette rentrée de mars. Elle veut aller au lycée. La semaine prochaine, sûr, elle pourra y aller.
Qu’est-ce qui pourrait évoluer en une semaine se demande-t-on. L’espoir est comme un grain de sable sur une plage. Il se glisse dans le moindre interstice, gratte la peau, se colle à la moiteur de l’angoisse.
Alternance covid, les élèves se succèdent en cours par demi-classes un jour sur deux. Eglantine commence mardi à 10h avec l’histoire-géo. Les leçons ont pris la poussière pendant les vacances. A peine a-t-elle réussit à terminer un devoir maison en mathématique et à esquisser le plan d’un commentaire de texte. Une dynamique renaîtra-t-elle si elle réussit à assister à nouveau aux cours ?
Mardi matin, elle a trop mal. Mais cet après-midi, vraiment, elle assistera au cours de maths. Vouloir, croire, et ne pas pouvoir. Encore.
Je ne la force pas. Je la récupèrerais peu après au bureau de la vie scolaire pliée en deux sur une chaise raide, la tête posée sur ses mains, blafarde, à moitié allongée sur la petite table des visiteurs.
Dans la rue, j’ai les larmes aux yeux quand je croise des ados bras dessus-dessous. Rires entendus, regards complices, cheveux chauffés par le soleil, premiers pas vers une indépendance toujours plus proche.
Mes chers parents je pars, Je vous aime mais je pars, Vous n’aurez plus d’enfant Ce soir Je ne m’enfuis pas je vole, Comprenez bien, je vole Sans fumée, sans alcool Je vole, je vole …
Il faut écouter Eglantine chanter cette chanson pour comprendre comme elle lui va bien. Petite voix douce qui caresse les mots en s’accompagnant au piano.
J’aimerais tellement que mon Petit Oiseau volette à nouveau. Comme ces mésanges qui peuplent gaiement les arbres du jardin alors que le mirabellier se pare de petites fleurs blanches.
Mars, le printemps, la vie qui renaît. Envole-toi !
Hortense et son amie s’emparent des balançoires alors que le collège est fermé ce lundi.
La photo du lundi
Une journée de vacances en plus. Le collège est fermé ce lundi pour cause de journée pédagogique. Le parc est clairsemé. Quelques lycéens musardent, des lecteurs s’égrainent sur les bancs ensoleillés, Hortense et son amie Camille s’emparent des balançoires.
Leurs ombres vont et viennent sur le sol alors que leurs rires résonnent sur le ciel limpide.
Le printemps s’annonce dans les allées du Parc de Sceaux. Les bourgeons affleurent, les premiers pistils pointent, la verdure s’immisce entre les branches nues, les feuilles mortes et la terre humide.
Le printemps s’annonce dans les allées du Parc de Sceaux. Les bourgeons affleurent, les premiers pistils pointent, la verdure s’immisce entre les branches nues, les feuilles mortes et la terre humide.
Dès l’ouverture des hautes grilles à 8h, les joggeurs colonisent les allées en brassées joyeuses. On s’attroupe sous les frondaisons chauves, on s’étire en chœur sur les bancs de pierre, on se salue allègrement démasqués.
Vers 10h, le parc fourmille. Dès l’heure du déjeuner dominical, il foisonnera de ces milles vies heureuses d’humer l’air printanier des sous-bois et de pique-niquer sur les vastes prairies. Familles et amis partageront un verre, un jeu, une discussion. Tout ce qui peut alléger la lourde chape des contraintes sanitaires.
La photo du lundi trouve son inspiration dans une plume tombée dans l’herbe.
La photo du lundi
Choisir le noir et blanc au lieu du vert lumineux de l’herbe baignée de rosée, les nuances de gris, c’est focaliser l’œil sur la texture de l’herbe et la douceur de la plume. Lignes végétales courbées sous le poids de gouttelettes aériennes. Nid aquatique d’une plume dormant dans le calme d’un matin d’hiver où tout, pourtant, ébruite le printemps. Poésie duveteuse des panaches épars, accrochés aux branches conifères et jonchant les herbages perlés.
La plume naïade distille sa poésie. Harmonie des sous-bois où pépient les premiers oisillons.