Cèdre, sureaux, pruniers, noisetiers et arbre de Judée étendent le bruissement de leur ombre sur la chaleur indolente du jardin. Jaafar et Hortense s’installent au cœur de la brise printanière. Les mélodies de leurs guitares se joignent aux babils, pépiements et autres chants d’oiseaux. La musique emplit l’air, s’envole en volutes pincées et accords caressés. Je jette un œil par la fenêtre ouverte et sourit du bonheur simple qui vibre dans les cordes, résonne dans la douceur du bois vernis.
Ils ont voyagé toute la nuit. Sept trains affrétés spécialement pour le FRAT. 13 500 jeunes d’Île-de-France réunis pendant quatre jours à Lourdes pour célébrer Jésus et Marie. Ce dernier aspect est certainement celui qui touche le moins Hortense.
Mais quelle joie que cet incroyable rassemblement pour elle qui n’aime rien tant que la vie de troupe avec les scouts. Partie samedi soir. Revenue aujourd’hui au petit matin. Vivre avec ses amis, dans une ferveur fébrile. Chanter ensemble. Danser ensemble. Rire ensemble. Vibrer ensemble. Accumuler les souvenirs.
Et revenir les yeux creusés, la voix cassée, la chemise froissée. Nous avons glané quelques instantanés, des photos, des vidéos, des anecdotes vite racontées. Mais dire, c’est mettre de la distance avec ce qu’elle vit. Elle a envie de rester dans cette humeur flottante qui prolonge les instants merveilleux.
Plonger dans un bain. Se couler sous la couette. La tête baignée de ces moments qui n’appartiennent qu’à elle.
Elle grandit tellement vite. Que j’aime la voir s’épanouir.
Le bonnet, signe de reconnaissance de leur groupe, en plus de la chemise et du foulard.
Certaines journées sont plus lourdes que d’autres.
Et Hortense se met au piano.
La mélodie allège l’atmosphère. Les notes volent dans le salon, emplissent la maison. Le thème épique de Pirates des Caraïbes transforme les émotions pernicieuses en pensées légères. Je pourrais l’écouter jouer toute la nuit.
A défaut de vous montrer le superbe jeu d’Hortense, je vous partage cette modeste version symphonique 😉
Ma rêverie s’amplifie sur l’air d’Expérience, de Ludovico Einaudi. Bercée par les vagues qui roulent et s’enroulent sous les touches du piano. Envolée dans les nuages qui paressent lentement dans le ciel rosé d’une soirée d’été. Allongée dans les hautes herbes qui ondoient dans la chaleur fraîche du printemps.
Hortense, magicienne du bonheur. Sous ses allures désinvoltes, elle distille un éclat effervescent. Parfois ça pique. Souvent, ça égaye. Parfois, ça bouscule; Toujours, ça vivifie.
Duel d’échecs père-fille, entre stratégie et tendresse, dans la nuit qui s’installe.
Ils se sont installés face-à-face. Hortense assise en tailleur sur le tapis. Olivier, grand sage sur son fauteuil. Entre eux, le plateau en bois, douces couleurs ambrés du damier, toutes les pièces alignées en ordre de bataille. Les changements de rythmes se sont succédé, battements rapides des coups qui s’enchaînent, longues pauses épaississant le silence. Les regards aimantés par le jeu. Quelques coups d’œil éclairs vers le visage de l’adversaire. Sonder les profondeurs de l’esprit. Affûter sa stratégie.
Entre fatigue du voyage, rires d’ado et valises à vider, souvenirs enneigés et clap de fin pour la vacances.
Une derrière matinée sur les pistes. Déjeuner en station. Laisser partir le plus gros des voitures. Puis rejoindre la grande transhumance de la fin des vacances quand la circulation est plus fluide. Ils sont arrivés dans la nuit.
Ce matin, le soleil illumine depuis longtemps les branches encore glabres de l’arbre de Judée et le vert mat du grand cèdre. La toux épaisse d’Eglantine scande l’engourdissement d’une matinée aux allures de lendemain de fête.
En descendant de voiture hier soir, chacun, chacune, portait sa fatigue à sa façon. Oliver avait les traits tirés de celui qui s’est concentré sur la route de trop longues heures. Mais il suffisait de lui parler de sa journée de ski de vendredi pour voir son visage s’illuminer.
Les cousines, cuvée 2009, riaient comme deux ivrognes. Saoules de fatigue, la tête encore dans les fous rires de leurs fantaisies adolescentes. Leurs souvenirs ont les couleurs du Club ado, berceau d’une émancipation encadrée, écho de journées de ski avec des copines et des copains du même âge.
Le visage d’Eglantine était défait par la fatigue de la route et la maladie qui la martèle depuis dix jours, alternant coups de semonce et répits salutaires. Ni grippe, ni covid, elle s’était testée avant de partir. Elle a quand même profité de la neige, heureuse ensuite de retrouver son nid perché dans la mezzanine de leur chambre. Elle s’est glissée dans la chaleur familière de son lit sitôt arrivée à la maison.
Pour moi, fini la vie de célibataire à partager des apéros, des expos et des restaus avec les copines. Me coucher tard, me lever tôt pour mon nouveau boulot. Je n’étais pas tellement plus fraîche qu’eux.
Le papa de Mélissa est venu séparer le doublon complice des cousines. Terminer de vider les valises. Première lessive. Dernières confidences. Nos fatigues se sont enlacées. Derniers baisers. Derniers câlins. Et la nuit qui accueille les rêves encore blanchis de neige.
Escapade hivernale sur la côte atlantique. Entre dunes dorées, rouleaux puissants et moments de détente face à l’océan.
Bordeaux. V nous prête sa voiture. L’océan est au bout de cette route qui serpente entre les forêts de pins. La lumière dorée de l’hiver atlantique baigne les troncs rouges, rebondit sur les flaques de sable, allume les grappes de mimosas.
Plage du Grand Crohot. Celle de mon enfance. Quand, lassés de la marée basse côté Bassin, nous allions à l’Océan. Ici, on ne va pas à la mer.
L’océan, ce sont les hautes dunes que l’on se dépêche de monter, jusqu’à perdre son souffle, puis de descendre en courant à pas de géant, tels des astronautes lunaires aux pieds nus. Ce sont ces plages qui s’étirent à perte de vue, où que porte le regard. Ce sont les rouleaux qui déferlent en longs rubans blancs échevelés par le vent sur une eau qui oscille entre un vert bouteille, un gris de plomb et un parme presque métallique.
En hiver, c’est un pêcheur qui surveille ses longues cannes pointées vers l’horizon. Des manteaux épais et des bonnets en laine, vite retirés – le soleil inespéré appelle une légèreté oubliée. Des chiens courant dans les petites vagues qui viennent mourir sur un replat. Des cerfs-volants dans le contre-jour. Un papa qui joue au ballon avec ses garçons. Des maillots de bain courageux. Un surfeur en combi. Des cheveux gris sur des chaises pliables. Des enfants chaussés de bottes en caoutchouc.
Et le jean d’Hortense qui sèche sur le grillage protégeant la dune.
Allongée sur ma doudoune qui fait office de paillasse, jambes nues, elle lit.
L’océan ronronne.
Ma gourde plantée dans le sable à côté du sac du pique-nique.
Un bateau traverse lentement l’horizon.
Des avions de chasse trouent le ciel.
Une voiture file sur la plage. Logo de la commune. Bientôt, il faudra nettoyer. Préparer les lieux pour la saison.
Déjà, l’après-midi tire à sa fin. Le soleil commence à raser les dunes.
Fin de la parenthèse océane.
Le soir, après les embouteillages, retirer les derniers grains de sable entre ses orteils.
Ou comment Magritte peut déverrouiller une facette d’Hortense.
Ne pas partir en vacances, c’est prendre le temps de laisser faner les maladies d’hiver en un froissement de mouchoirs
en papier. C’est aussi profiter d’habiter à proximité d’une ville qui fait rêver le monde entier, surtout depuis qu’elle a été si joliment mise en scène pour les jeux olympiques.
La pluie, le froid et les journées mornes n’incitent pas à se balader nez au vent dans les rues parisiennes. Alors il reste les musées. L’offre est monumentale. Sauf le lundi, où la plupart d’entre eux sont fermés. Seul Beaubourg ouvre ses portes et ses escalators extérieurs qui révèlent petit à petit une vue magnifique sur les toits parisiens. Même quand la tour Eiffel s’estompe dans les nuages.
L’expo phare du moment est celle sur le surréalisme. Une foule compacte piétine dans les allées, écoute doctement la voix d’André Breton reconstituée par une IA tout en découvrant son écriture serrée sur les pages de ses carnets. « Surréalisme » foisonne d’œuvres plus ou moins connues, bifurque entre les amitiés et les rivalités, les nationalités, les genres, les supports, les formats, les inspirations. L’ensemble est gigantesque, limite indigeste.
Et puis il faut aimer. Ce n’est pas mon courant favori même si la démarche est passionnante. Un artiste en particulier m’a pourtant fait énormément vibrer, Max Ernst. Je connaissais un peu, de loin, de nom. Une vraie rencontre. C’est une de ses œuvres, L’ange du foyer, qui a été choisie pour l’affiche de l’exposition. Personnellement, je suis restée subjuguée par ses forêts.
Max Ernst, La Forêt, 1927Max Ernst, La Grande Forêt, 1927Max Ernst, Vision provoquée par l’aspect nocturne de la porte Saint-Denis, 1927
J’avais traîné Hortense avec moi. Qu’elle découvre par elle-même des œuvres qu’elle peut aimer, critiquer, détester. Peu importe, du moment qu’elle s’autorise ses propres choix. Elle a traversé l’exposition sans s’attarder. Trop de monde. Contempler une œuvre tenait de la bataille opiniâtre bien que silencieuse. Elle, ce sont les œuvres de Magritte qui ont systématiquement retenu son regard.
René Magritte, Les valeurs personnelles, 1952
Ses toiles font écho aux sentiments d’Hortense. Ce décalage permanent, légèrement absurde, derrière une première impression de normalité, c’est un univers qui lui parle, dans lequel elle se reconnaît. Car sous son air désinvolte, Hortense cache surtout une grande sensibilité. Comme elle ne sait pas vraiment quoi en faire, comme elle se sent très en marge des normes attendues, elle se verrouille. Magritte a été comme une clé.
Dans l’immensité de cette exposition, Magritte n’est qu’une anecdote. Mais il m’a permis de comprendre une facette d’Hortense. Rien que pour ça, ça valait la peine d’affronter la foule.
Les yeux levés vers son mètre soixante-dix-sept, j’oubliais souvent qu’elle n’avait que quatorze ans. Seules ses joues encore pouponnes et quelques mimiques enfantines rappellent le bébé potelé, la petite fille mutine, la pré-ado taquine.
Enfin, son âge correspond un peu plus à sa morphologie. Quinze ans à la voir grandir et s’épanouir. Exubérante et secrète. Touchante et agaçante. Tendre et tranchante. Calme et bouillonnante. Brillante et fatigante. On ne s’ennuie jamais avec Hortense.
Elle ne se lasse pas de plonger avec bouteille et détendeur, gratte sa guitare avec ardeur, se déploie sur le terrain de volley, détente élastique face au filet. Elle mélange les genres avec ses ami.es., craque pour ce garçon qu’elle retrouve à la sortie du lycée et avec qui elle partage des clémentines sur la table de la cuisine.
Cette année, son anniversaire est tombé un lundi. Journée étrange qui commence tôt et s’étire tard dans la nuit pluvieuse, comme un long poignard pénétrant les brumes balbutiantes de cette nouvelle semaine. J’ai semé des bougies tout au long de la journée pour éclairer les yeux gonflés de fatigue. Une sur le croissant frais du petit déjeuner. Quinze sur le gâteau au chocolat du dîner.
Bientôt les premières heures de conduite. Et le bac qui se profile à l’horizon ! Dessins préparatoires de l’indépendance qui gardent encore l’empreinte des couleurs de l’enfance.
Si le tableau se peint encore un peu avec elle, Hortense maîtrise de mieux en mieux ses pinceaux. Et moi, j’aime regarder la façon dont elle colore sa vie. Avec une dominante de vert, couleur de vie et d’espoir. Sa couleur préférée.
A l’anticipation des JO, Olivier mérite la médaille d’or. Pas question de ne pas vivre au plus près ces olympiades qui se jouent à domicile alors qu’il vibre tous les quatre ans au rythme des épreuves devant l’écran de sa télé. Il avait pris ses places bien en avance.
Match de volley dès le lendemain de la cérémonie d’ouverture. Accompagné de Gilles, avec qui il jouait dans leur école d’ingénieur. Transpiration de joueurs à vingt ans, passion de supporters à cinquante.
Retrouver ensuite les cousins au pied de la Tour Eiffel pour du beach-volley. Euphorie contagieuse dans un écrin magique. Brochettes de sourires aux reflets bleu-blanc-rouge. Dans le groupe WhatsApp familial, chacun affiche son selfie aux couleurs des JO.
Car que seraient les Jeux Olympiques sans le partage des émotions ? Il n’y a qu’à voir le succès des fans zones, les cris de joie dans un RER anonyme à l’annonce d’une médaille, la connivence des visages souriants des autres voyageurs ou, simplement, les conversations au marché. Oubliée, la peur de l’autre qui a empoisonné les dernières élections. Sous le tapis, les tensions communautaires. Au placard, le repli sur soi. Muselée, l’amertume. Un esprit de fête a saisi le pays.
Même au tir à l’arc, qui réclame une concentration silencieuse, l’ambiance est explosive. Le dôme des invalides éclate sous le soleil, tout comme la joie d’Eglantine avec son père. Elle qui n’a commencé la pratique de ce sport que cette année, s’extasie des performances des meilleurs mondiaux. Elle a les yeux qui brillent et le débit mitraillette quand elle raconte sa journée.
Puis vient le tour d’Hortense de revêtir sa tenue bleu-blanc-rouge, mascotte sur la tête, maquillage sur les joues. Pour elle, Olivier a choisi du volley —ou peut-être est-ce encore un peu pour lui. Hortense participe à toutes les animations avant le match. Ca fait quelques années que ce sport la titille. Elle s’amuse encore plus que son père. Dans les tribunes, elle bondit à chaque point de l’équipe de France, brandissant son drapeau tricolore, hurlant son soutien aux joueurs. Gros plan du cameraman sur cette ado passionnée. Voix cassée de retour à la maison. Elle aura du mal à s’endormir après une soirée si intense.
Notre rencontre avec les épreuves cyclistes n’étaient pas prévue. De l’inconvénient de faire une rando-vélo dans la vallée de Chevreuse le week-end même des épreuves sur route. A l’anticipation des JO, je suis disqualifiée. Cernées par les routes bloquées, nous réussissons tout de même à traverser le parcours. Quand il nous faut finalement attendre plus de deux heures pour continuer notre chemin, nous gardons le sourire. Sieste à l’ombre des arbres le long d’une départementale et de l’énergie à revendre pour encourager les athlètes dont les roues filent à quelques centimètres de nous.
La médaille d’or et celle d’argent sont sur ma photo !
Je n’aime pas avoir la télé allumée en permanence mais je dois bien avouer que, grâce à Olivier, toute la famille continue de palpiter pour ces athlètes aux disciplines plus ou moins connues. Il a réussi à nous insuffler cette passion pour le sport qui l’anime depuis toujours. Ou l’art d’alimenter notre mémoire familiale. Tu te souviens, les JO de Paris ? Oui, j’y étais, pourront-dire nos filles. Elles étaient aussi à Londres en 2012 mais c’est plus flou.
Qu’il est difficile de donner confiance à son enfant. Sous ses airs bravaches, Hortense est une grande sensible qui peine à croire en ses qualités.
Être la petite sœur d’Eglantine ne facilite pas les choses. Malgré sa santé, les résultats de sa grande sœur sont brillants. Eglantine avait obtenu son brevet mention très bien à la fin de sa troisième, quand bien même elle n’était pas retournée en cours après le mois d’octobre. C’était l’année du COVID. Les épreuves écrites avaient été annulées et seul avait compté le contrôle continu. Même avec simplement deux mois de notes.
Quatre ans après, il ne reste que la mention très bien.
Même si elle ne l’évoque jamais, Hortense souhaite faire aussi bien que sa sœur. Cependant, je sens que ma cadette se persuade parfois qu’elle n’a pas le même niveau que son aînée. Il est indéniable qu’elles sont très différentes. Leurs forces et leurs faiblesses sont très éloignées.
Hortense me surprend souvent. Elle a un caractère de chat – gardant ses distances mais pas trop loin des caresses. Des émotions tantôt impénétrables, tantôt exubérantes. Un vif désir d’émancipation malgré un besoin indéniable de reconnaissance.
J’aime la regarder grandir, mûrir, s’épanouir. Malgré les orages que je laisse éclater quand elle me désarçonne trop intensément, elle sait que je la soutiens toujours.
Mais quoi de mieux que d’obtenir sa propre mention très bien à son Diplôme National du Brevet pour enfin croire en elle ? Les résultats sont tombés ce matin. Je suis tellement heureuse pour elle.
Je lui souhaite d’oser rêver et croire en ses rêves pour choisir la vie qui lui plaira. Sky is the limit !