Des révisions aux épreuves

Chacun a sa façon de réviser. Ou plutôt devrais-je dire, chacune. Ici, c’était un week-end de révision en prévision de deux épreuves de bac et d’un oral d’anglais.

Il y les cours bien noté au stylo plume. Les cours tapés à l’ordinateur. Les fiches Bristol. Les cahiers de notes. Les annales du bac. Le dictaphone du téléphone pour s’entraîner, se réécouter et s’entraîner encore.

On peut s’enfermer dans sa chambre. S’assoir à son bureau ou s’allonger sur son lit. Mais on peut aussi s’installer dans le cèdre à la mode du Baron perché d’Italo Calvino, faire les cents pas pieds nus sur la pelouse ou se bercer dans un hamac.

Réviser au creux d’un arbre

Il y a les révisions au long cours et le cabotage de dernière minute, en ramant fort dans l’ultime ligne droite.

Et puis vient l’épreuve.

Pour Hortense, un oral d’anglais.

Pour Eglantine, la SVT mardi – épreuve qu’elle aurait du passer en Première mais, déjà, il y avait eu une erreur du centre d’examens. Et l’écrit d’anglais aujourd’hui.

Le premier oral, quand même, c’est impressionnant. Hortense en a fait les frais. Même en ayant révisé sérieusement. Loin de la bienveillance du jardin printanier, des branches accueillantes du cèdre et du doux balancement du hamac, on peut perdre ses moyens. Surtout pour une grande timide qui cache son embarras sous des airs bravaches d’ado à l’aise dans ses baskets. Alors disons que c’est bien qu’il n’y ait pas eu d’autre enjeu pour cet oral que d’appréhender pour la première fois l’exercice. Heureusement, pour se remonter le moral, il reste le ciné entre copines. Après l’oral d’anglais, c’était relâche.

Eglantine, elle, a enchaîné ses épreuves. Quelques nuits tendues, le corps crispé. Les traits tirés au matin. Et puis ce soir, la détente. Elle entame sa récupération jusqu’à la prochaine épreuve mardi prochain. Pour son anniversaire, ce sera son oral d’anglais.

Des révisions aux épreuves, l’année touche à sa fin. L’année prochaine, à la même époque, Hortense préparera son brevet et Eglantine terminera de passer les épreuves de son bac. La période des révisions va vite revenir !

La nouvelle de mois – Zut de flûte en si bémol

Airelle regarda le formulaire CERFA 12100 02 pour renouveler son passeport. Nom. Prénom. La première ligne de tous les documents administratifs. Poisson Airelle. Un nom qui sonnait comme une recette de cuisine. Tarte aux airelles, sauce aux airelles, confiture d’airelles, noix de Saint-Jacques aux airelles, raie en sauce aux airelles, Poisson Airelle. Bon appétit.

On pouvait penser à des parents étourdis qui, obnubilés par le choix du prénom, en avaient oublié l’enjeu de l’accoler au nom de famille. Mais les sœurs d’Airelle s’appelaient Cerise et Mirabelle. La récidive n’autorisait aucun doute. D’ailleurs, la mère d’Airelle, Amandine, ne s’en cachait pas. Quand elle avait épousé Olivier, ce fût une évidence, leur famille serait un verger ensoleillé. Le couple était chanceux. Ils n’eurent que des filles. C’eût été plus délicat d’appeler son enfant Abricot ou Kiwi.

Airelle, Cerise et Mirabelle n’ont pas souffert de leurs patronymes de menu gastronomique. Grâce à la bonne humeur et à l’imagination de leurs parents, les railleries de cours de récré ont été collectionnées telles des trophées rares. Les plus belles trouvailles étaient récompensées. Olivier se rendait alors en personne à la sortie de l’école pour remettre des médailles en papiers colorés aux moqueurs les plus inventifs. Son uniforme de pilote au plis nets, les ailes dorées sur sa casquette officielle, les rangées de galons sur les manches et la veste croisée impressionnaient les plus railleurs, faisaient perdre leurs mots aux persifleurs et anéantissaient les velléités malveillantes. Certains plaignaient même la pauvre Airelle qui, en plus de porter un nom à la saveur si surprenante, vivait avec cet homme impressionnant dont l’uniforme augurait une certaine rigidité.

Olivier était pourtant un homme d’une extrême douceur, un doux rêveur, un poète dessinateur et musicien qui n’avait embrassé une carrière dans l’aéronautique que pour vagabonder dans le ciel et rassurer ses parents, inquiets des années durant, de le voir la tête dans les nuages plutôt que dans ses livres. Enfant, il marchait souvent le nez en l’air, rêvassait pendant les cours, dessinait dans ses cahiers et jouait du piano, de la guitare et du violon. Comme ses parents exigeaient de leur six enfants une éducation couvrant toutes les compétences, Olivier avait aussi été contraint de pratiquer un sport. Il avait choisi le saut en hauteur, époustouflé par les performances de Dick Fosbury avec son incroyable rouleau dorsal. Olivier remporta quelques coupes locales et le saut en hauteur fût son tremplin pour intégrer l’École Nationale de l’Aviation Civile. La notoriété de la famille Poisson, qui comptait d’anciens titres de noblesse, des légions d’honneur et autres distinctions républicaines, en plus d’un certain succès dans les affaires, fit le reste.

Avec ses filles, Olivier avait abandonné quelques traditions familiales. Elles ne le vouvoyaient pas, il ne leur imposait rien et toutes les extravagances étaient permises. La rêverie et la poésie étaient un art de vivre dans la belle meulière qui accueillait sa famille fruitée. Sa sensibilité bienveillante et généreuse fût parfois mise à l’épreuve par les frasques de ses trois filles. Notamment quand, âgée de quatre ans, Airelle se passionna pour la trompette. Personne ne comprit l’origine de ce que l’on prit au début pour une lubie d’enfant. Chacun échafauda sa propre théorie. On soupçonna une trompette en plastique oubliée dans une chambre, un concert de Maurice André où son oncle l’aurait amenée, un disque de Miles Davis lors d’une fête de famille…

Quand elle eut sept ans, il fallut se rendre à l’évidence. Airelle n’avait qu’une passion dans la vie, cet instrument dont Louis Amstrong obtenait des mélodies vibrantes, à la sonorité à la fois métallique et moelleuse. Airelle avait déniché une vieille trompette de cavalerie dans le grenier de la maison de son grand-père et s’évertuait à en sortir des sons malheureusement plus métalliques que moelleux. Il était temps qu’elle suive des cours.

L’engouement d’Airelle pour la trompette ne cessa jamais. Elle adopta aussi le bugle, dont le timbre plus grave et velouté s’accordait parfaitement avec son imagination moutonneuse. L’esprit d’Airelle rappelait à Olivier ces vagues d’altocumulus qui, par un beau matin d’été chaud et humide, annoncent des orages en fin d’après-midi. Airelle rêvassait le matin, soufflait le chaud et le froid au déjeuner et éclatait en colères soudaines et fulgurantes en fin de journée. La trompette canalisa son énergie, modelant son souffle dans des mélodies personnelles, mélangeant des airs classiques, de jazz et de bossa nova.

Airelle enchaîna les stages, remporta des concours, apprit auprès des plus grands maîtres et intégra le conservatoire de Paris. Elle gardait constamment dans sa poche l’embouchure de sa trompette en si bémol. Ainsi conservée à bonne température, elle était toujours prête à accueillir les lèvres d’Airelle. Souvent, la jeune femme se contentait de souffler dans son embouchure. Elle reconnectait alors avec les sensations des muscles autour de sa bouche, calmant ses angoisses dans une gamme en do majeur, apaisant ses frustrations dans un glissando de sirène, rassérénant son esprit dans des gammes en tierce ou en septième.

Elle obtint rapidement une reconnaissance de ses pairs, puis de l’ensemble du monde du jazz et, enfin, de l’ensemble du monde tout court. Elle voyageait de concert en représentation, d’enregistrement en résidence d’artiste, de dédicaces en master classes. Au Brésil, elle rencontra Joao Bernardes, moustache et taille fines, cheveux longs et lunettes rondes, lèvres charnues et regard de miel. Elle ondoya au rythme de sa musique suave et tropicale, modulant sa trompette pour accompagner son chant, chaloupant de plaisir quand leurs corps s’effleurèrent enfin, un soir de décembre à Salvador de Baia.

De cette relation intense et fugace naquit un petit garçon qu’elle baptisa Benjamin et que tout le monde appela Petit Ben. Il grandit dans la douceur cuivrée de la musique de sa mère, traversant l’atlantique une fois par an pour danser au rythme délicieux de la saudade de son père. Petit Ben restait chez ses grands-parents quand Airelle devait voyager loin mais elle ne s’éloignait jamais très longtemps de son fils. Il parla très tôt français y mélangeant rapidement du portugais. Espiègle et brillant, il n’aimait rien moins qu’expérimenter le monde qui l’entourait. Airelle rangea ses cuivres sur les étagères les plus hautes, mais il n’était pas rare qu’elle retrouve l’enfant en train de souffler dans une embouchure. Lassé de n’en sortir aucun son réellement audible, il jetait l’objet au sol dans un fracassant « zut de flûte » qui attendrissait sa mère. Il avait cinq ans et n’était pas loin de réussir à jouer lui aussi de la trompette.

« Zut de flûte » ponctuait la vie de Petit Ben. Quand il échouait à faire ses lacets. Quand il cassait un verre. Quand il tombait de la balançoire. Quand le pigeon qu’il voulait attraper s’envolait au dernier moment. Quand il dépassait de son coloriage. Quand il devait aller se coucher. Quand sa maman lui annonçait un nouveau voyage. Elle lui montrait les pays sur le globe terrestre qu’elle avait acheté pour lui. Il feuilletait les pages de son passeport où s’entassaient les visas d’entrée et de sortie de pays plus ou moins connus. Il jouait à en créer de nouveaux dans un carnet à dessin où le mot « passeport » s’étalait en lettres bâtons inégales sur la première page.

Récemment, Airelle avait retrouvé un de ces carnets abandonné sous le canapé. Elle passa la main sur sa couverture colorée avant de terminer de remplir le formulaire de renouvellement de son passeport. Elle détestait les formulaires. Elle se remémora cette époque où un ministre qui n’avait pas déclaré ses revenus s’était caché derrière une prétendue phobie administrative. Elle avait compati, même si elle se doutait qu’un ministre avait suffisamment d’assistants et de conseillers pour lui rappeler ce genre de détail. Elle sourit.

Airelle n’aimait pas les règles, les cases, les frontières. Elle appréciait le jazz pour sa liberté de ton et de jeu. Adolescente, ses parents l’avaient laissé vivre sa passion sans la restreindre alors que son grand-père aurait préféré qu’elle suive des études la menant à un vrai métier. Amandine et Olivier avaient toujours soutenu ses prises de position. Quand elle avait dix ans, ils avaient ainsi accepté qu’elle refuse d’embrasser tantes, cousins, grands-parents et camarades de classe. Elle avait choisi la poignée de main et s’avançait bras tendu, souriante mais opiniâtre, empêchant tout bisouillage non désiré. Plus tard, alors que ses amies gloussaient en flânant devant les vitrines des grands magasins, elle avait toujours préféré s’isoler au cimetière du Père Lachaise où sa famille avait une concession. Elle s’asseyait sur la pierre mousseuse, sortait son embouchure de la poche de sa veste et laissait la mélodie suivre l’inspiration du moment. Quand l’automne s’annonçait, les tombes se couvraient des feuilles dorées d’un ginkgo plus que centenaire, rappelant le lustre de son instrument.

Mais à cette saison, les petits éventails de l’arbre se déployaient à peine en touches vert tendre sous un soleil frileux. Airelle cliqua sur le bouton pour envoyer son formulaire et referma son ordinateur. Elle enfila son grand manteau en laine jaune, s’enroula dans une écharpe en cachemire, jeta son téléphone portable, ses clés et son portefeuille dans le sac en cuir camel de son instrument et glissa une embouchure dans sa poche. Elle ferma la porte de son appartement et décida de marcher jusqu’au cimetière.

Elle remonta l’allée des Thuyas et s’assit sur la pierre humide. Elle caressa la plaque récemment vissée à côté de toutes celles de ses ancêtres plus ou moins illustres.

« Benjamin Poisson, dit Petit Ben. 2009-2016. Zut de flûte »

Airelle ferma les yeux et laissa la trompette guider ses sentiments en si bémol.

Le gardien du cimetière écouta la mélodie mélancolique et tendre de la trompette. Il avait une affection particulière pour cette tombe à l’épitaphe si singulière.

Chat du soir

Dans le faisceau de ma petite liseuse, un livre de Camille Laurens au format poche. La tête bien calée sur mon oreiller, j’entame la lecture qui accompagnera mon effondrement dans le sommeil.

Mon gros matou saute lourdement sur le lit et avance vers moi d’un pas chaloupé. Installé hiératiquement sur ma poitrine, il me toise puis donne une grand coup de tête dans la main qui tient le petit livre.

C’est son heure, sa place. Il vient chercher son câlin. Pas de lecture qui tienne.

J’attrape mon téléphone sur la table de nuit. J’aime la lumière sur le pelage de mon éternel mécontent, ses longues moustaches strient la pénombre de la chambre. Une caresse de la main et mon tendre pépère plisse les yeux de plaisir. Je prends la photo.

C’est celle que je choisi pour ce lundi.

Un bruit par la fenêtre ouverte et voilà Django qui sursaute et s’enfuit. Il revient quelques minutes plus tard s’avachir en travers de mon ventre, son museau humide calé contre mon bras. Alors que je continue ma lecture, j’entends le doux râle qui lui sert de ronronnement.

Le câlin du soir est un rituel incontournable. Ce n’est pas un livre qui ca l’en priver.

Un mot pour reprendre

Parfois les rencontres ne suffisent pas. Même cette joyeuse grand-mère qui a apporté des roses de son jardin à la dernière Cantine Éphémère de notre association. Cheveux frisés, courts, à peine gris, chandail lilas avec une fraise dans le dos, un bracelet fait de longs coquillages, des yeux bleus, des mains déformées par l’arthrose, le travail au jardin, les brûlures de la cuisine. Elle avait le contact joyeux et la présence heureuse de ceux qui aiment sincèrement partager.

Parfois, la beauté du monde ne suffit pas non plus. Les églantines qui tombent en grappes le long de la terrasse, les roses charnues aux doux reflets jaunes bordés d’un rose poudré, les autres au rouge profond, le soleil dans les branches des noisetiers.

Même les premières fraises au parfum sucré, les petits-pois qui s’égrènent sous les doigts, la rhubarbe qui effile ses verts et ses rouges délicieusement acides.

Rien n’y fait. Impossible de commencer à écrire une seule phrase. Pas même un mot.

Ce soir enfin, un moment simple et radieux. Un jeu de carte et un mot, le Uno, pour reprendre le fil de l’écriture tarie de mes derniers jours.

Des éclats de rires sincères, enivrants, revigorants.

Dans la lumière déclinante d’une soirée de printemps, quatre joueurs autour d’une table ronde et les cartes qui jaillissent des mains, suscitant enthousiasme ou déconcertement. Nous jouons partie sur partie, avides de remporter la suivante, prompts à nous emporter, enchantés de partager nos rires.

Dans le fond du jardin, les pelages des chats se distinguent derrière quelques ronces qu’il va falloir couper. De rares moustiques cherchent leur pitance autour de nos tee-shirts. Les derniers oiseaux fusent dans le ciel.

Déjà la fraîcheur gagne.

Chacun, chacune retrouve son intérieur. Uno ! Je trouve enfin la voie pour écrire quelques mots.

Un mot pour reprendre le rythme.

Le grand bleu d’Hortense

Un mercredi matin sur deux, Hortense a un DST (devoir sur table) pour s’entraîner aux épreuves du brevet. La semaine dernière, elle a planché sur l’histoire-géo. Dès son retour du collège, nous avons bouclé son gros sac de plongée, direction la Gare de Lyon, Perpignan, puis l’Espagne.

Combi 7 millimètres avec cagoule, tee-shirt Néoprène fin en dessous pour plus de chaleur (eau prévu à 14°…), gants et chaussons en Néoprène. Nouvelles palmes qu’elles pouvait chausser avec ses chaussons. Gilet stabilisateur. Détendeur. Son sac de plongée était bien plein.

Quatre jours sans nouvelles de sa part. Elle était heureuse. Plongée matin et après-midi comme elle a déjà son niveau 1. Des copines, des copains et les bénévoles super compétents de son club de plongée pour encadrer la joyeuse troupe.

Le président du club nous a donné quelques nouvelles pendant le séjour. Hortense se débrouille très bien en plongée. Elle suit bien les consignes. Un petit mal d’oreille à un moment qui l’a obligée à remonter en surface.

Et puis enfin, ce soir, les premières photos des plongeurs équipés d’appareils adaptés. Ce sont celles de Franck. Des vidéos aussi. On reconnaît Hortense au trait jaune sur sa cagoule, à l’élastique turquoise de son masque et à ses palmes bleues. Sinon c’est compliqué de reconnaître des visages déformés par les détendeurs et les masques.

Visionnage en famille avec les commentaires enthousiastes d’Hortense, ravie de retrouver en photo les merveilles qu’elle a croisé dans les eaux espagnoles.

Du coup, j’ai montré à Hortense ce superbe documentaire d’Arte, Méditerrannée, la face immergée des volcans. Elle a été impressionnée par la baudroie énorme que les plongeurs croisent au pied d’un volcan. Mais elle avait les yeux qui brillaient en regardant le reportage.

« Maman, t’es sûre que tu ne veux pas faire un baptême de plongée ? »

Brins de nature

Ce lundi, mes photos se baladent sur les trottoirs, débordent des grillages, projettent leurs ombres sur les murs. J’aime cette poésie éphémère du coin de la rue.

Village nature

Deux jours sur un stand au Village Nature organisé par notre ville avec les Petites Cantines. Inventer des jeux sur l’alimentation durable, ressortir le bon vieux panier garni (en alimentation durable avec du bio, du vrac et du local !), cuisiner un millier de cookies dans une ambiance détendue et solidaire, croiser des sourires, répondre à des questions étranges, découvrir des gens fabuleux, partager des idées, refaire le monde, embellir la vie, multiplier les rencontres autour de l’alimentation durable.

Deux jours de richesse humaine en répétant en boucle son pitch sur les Petites Cantines. Accueillir de nouvelles bénévoles. Retrouver de vieilles connaissances. Découvrir de belles personnalités.

Dix jours de préparation. Deux jours non stop sur le stand. Le bruit de la scène où s’enchaînent les spectacles de danse de tous les centres de loisir.

Ambiance joyeuse et pleine de vie comme je les aime.

Mes yeux se ferment. Mes rêves s’envolent. La fatigue me terrasse.

Toujours à la recherche d’un équilibre.

A fleur de papier

J’aime le papier. Caresser les pages d’un livre. Effleurer un grain épais. Glisser sur un papier glacé. Plier un journal. Froisser un brouillon. L’odeur gourmande d’un livre neuf. Les pages jaunies d’un vieux livre de poche. Le papier bible des livres denses. La tranche cassée d’un livre plusieurs fois lu. Le brillant du papier photo. Jusqu’à l’amoncellement coloré des publicité dans la boîte aux lettres.

Je garde beaucoup de papier. Les livres s’amoncellent. Les magazines et les journaux. Des catalogues publicitaires. Des plans. Des brochures. Des cartes postales. Des tickets de parking. Des tickets de métro. Des papiers cadeaux. De vieux emballages.

Oui, le sous-sol au plafond bas et aux fenêtres étroites pprqui me sert d’espace créatif est un joyeux capharnaüm où s’entassent des trucs et des bidules, des tubes de peinture et beaucoup de papiers.

Pour calmer mon esprit ces derniers jours, je me suis enfin assise derrière la table encombrée. J’ai pris des ciseaux, de la colle et un pinceau. Et j’ai commencé à coller un peu au hasard des morceaux de papier sur le dépliant promotionnel d’une multinationale française d’ingénierie, conseil en technologies et services du numérique.

L’arbre est une femme
Collage, encre et acrylique.

Faire disparaître les chiffres et les infographies sous des morceaux de roman et les papiers colorés de catalogues publicitaires pour des vêtements et des décoration pour la maison. Construire un nouvel univers, vibrant, onirique, ouvert. S’offrir une respiration. Déployer un ailleurs inconnu avec des bouts de papier et quelques touches d’encre et de peinture.

Un besoin qui revient régulièrement ces derniers temps. Comme lorsque j’ai créé des fleurs à partir d’un livre de poche défraîchi que j’étais certaine de ne jamais relire. Deux semaines que mon bouquet de papier égaye ma maison sans flétrir.

Mon collage, lui, gondole un peu – la brochure au bleu glacé n’a pas bien supporté l’humidité de la colle. Il a pour moi le relief de ces vies qui se réinventent sans cesse.

Passer ma main sur les creux et les bosses. Sentir les bords du papier découpé sous la pulpe de mes doigts. Le papier a définitivement quelque chose de charnel qui me fait palpiter.

Souquer vers le bonheur

Lors d’une conversation avec Eglantine, elle défendait son point de vue sur le bonheur comme étant un état stable. Or, le bonheur semble être ce que tout le monde cherche, un but ultime, mais impossible à atteindre.

Je suis plutôt partisane d’un bonheur éphémère, qu’il soit fulgurant ou un peu plus tenace. Il n’est pas destiné à durer. Je suis ainsi capable de passer au cours d’une même journée d’un état de bonheur intense à un abattement profond.

Je me dis alors que je trouverais le bonheur si j’étais un peu plus dorlotée, si quelqu’un d’autre préparait le dîner, si je trouvais le frigo plein et un bouquet de fleurs sur la table, si… Mais l’expression populaire le dit bien, avec des si, on mettrait Paris ne bouteille.

Or, vivre dans une bouteille, c’est se cogner rapidement contre des parois invisibles et infranchissables. Pas toujours facile d’abandonner les si pour se contenter de ce que l’on a. Ca demande un effort, une exploration intérieure et une remise en question de ses certitudes.

Alors, pour prendre un grand bol d’air, et retrouver ces moments de bonheur qui me font vibrer, j’ai eu besoin de faire le vide ces derniers jours. De ne pas m’occuper des petits besoins de chacun, de lâcher prise sur les envies personnelles des autres pour me concentrer un peu plus sur les miennes.

Peut-être va-t-il falloir faire de nouveaux choix, redéfinir des priorités, pour ne plus être submergée par les grandes marées des to-do list ?

Je cherche encore cet équilibre, souvent précaire, généralement instable, que l’on appelle bonheur. Cette île salvatrice où faire une pause nécessaire. En attendant, il faut souquer.

Savoureuse sculpture

Un article dans M, le magazine du Monde. Un titre, Soleil VERT. De la lumière, de la chaleur, de la couleur. Mon envie de lire est immédiate. Fabien Vallos y partage une recette de cuisine. Les artichauts à la barigoule.

Les cuistots amateurs iront chercher ingrédients et préparation dans le magazine. Moi, j’ai particulièrement aimé découvrir le parcours et les idées de ce monsieur.

Déjà, pour vous donner une idée du personnage, quand j’ai googlelisé son nom, les réponses étaient aussi multiples que des variétés de pommes. Philosophe / auteur / théoricien et professeur de philosophie en écoles d’art / gastronome érudit / artiste / éditeur / traducteur / commissaire d’exposition / docteur à l’université. Un véritable slasheur de l’esprit et du palais.

Surtout, j’ai beaucoup aimé son discours sur « l’accueil à travers la nourriture ». C’est un tel écho à notre projet de Petites Cantines ! Je le cite : « on se rencontre autour d’une table remplie, puis on apprend à se connaître et on discute. »

Il parle aussi de « sculpture sociale » pour les banquets qu’il a organisé avec ses étudiants. « Que l’on vive un moment ensemble, aussi bien dans sa création que dans son partage ». Quand je vous disais hier que la rencontre apporte de la richesse. J’aime beaucoup cette idée de sculpture sociale autour de la cuisine. Chaque repas devient une œuvre éphémère au souvenir tenace.

Certes ma rencontre avec Fabien Vallos est à sens unique. C’est le problème du papier. Il n’est pas très interactif. Mais cette idée de sculpture sociale m’accompagnera désormais. Elle est venue enrichir mes propres réflexions, nourrir mes envies et conforter mes observations. Ajouter un rayon de soleil dans mon univers. La lumière, encore, toujours.

Pour en savoir plus sur la gastronomie de Fabien Vallos :
– L’article du Monde, Fabien Vallos : « Ce que j’aime surtout en mangeant, c’est sentir une intensité gustative, alliée à une technique et un récit » (en ligne, le titre Soleil VERT a disparu…)
– Son site devenir-dimanche.org, avec les 2500 recettes méditérannéennes recueillies à travers voyages et travaux de recherche
– Sa page Instagram Devenir-Dimanche (@fabienvallos)