Soleil, fraises et petits pois

Des années que ça tire. Prendre soin. Chercher des solutions. Trouver des expédients. Accompagner. Soutenir. S’écrouler. Se relever. Porter.

Les derniers mois ont été moroses. Voir ma maman se faner, son esprit s’étioler. La colère face au déni. L’impuissance face à la maladie. Ne pas abandonner. Sentiment d’être un de ces pêcheurs dévorés par la mer déchaînée dans La Vague d’Hokusai, où il faut prêter attention aux détails pour apercevoir les barques malmenées par les flots. Sont-ils encore à bord ou déjà noyés ?

Les flots, justement, parlons-en. Des semaines qu’il pleut. Les journées de grisaille et le froid humide qui infiltre les corps. Ressortir les gros pulls à la saison où l’on aspire à la légèreté du coton et du lin. Déplier un parapluie plutôt que des lunettes de soleil.

Ce dimanche était une journée de répit. Aucun rendez-vous. Pas de boulot. Pas de visite. Pas de rendez-vous médical. Pas de conduite. Pas de pique-nique à préparer. Pas de sac à vérifier, qu’il soit de plongée, de dessin ou de scoutisme. Rien. J’aurais pu faire la grasse matinée, mais je me réveille toujours très tôt. Lire au lit sans regarder l’heure. Se délecter des nouvelles délicates comme de la dentelle, taillées au ciseau, de Franck Courtès dans Autorisation de pratiquer la course à pied.

Descendre prendre mon petit-déjeuner avec Eglantine. Deuxième jour de traitement. Elle avale sa gélule aux couleurs pastels dès le début de la journée. L’effet dure douze heures. Pas question que ça l’empêche de dormir le soir. Nous terminons de boire notre thé au salon. Désir de retrouver la douce chaleur de ma couette alors qu’Eglantine ne demande qu’à m’accompagner au marché. Elle est pleine d’envie et d’énergie.

Au point de faire le marché à ma place ? L’idée lui plaît. Je n’en reviens pas. Le marché, c’est des centaines de personnes entassées dans un tout petit espace. Le brouhaha des conversations. Les lumières des étals. Les mouvements en tous sens. Pour elle, c’est épuisant. Mais ce matin, je remonte dans mon lit alors qu’elle saisit le panier en paille.

Quand je me réveille, Eglantine vient de mettre le déjeuner dans le four et entreprend de laver la salade. L’après-midi est déjà entamée. Elle a révisé ses cours pour son épreuve de demain. Maintenant, elle a faim. J’ai dormi trois heures. Si profondément qu’il paraît que j’ai même ronflé.

Hortense se lève aussi. Elle n’a aucun problème, elle, à profiter des grasses matinées dominicales. Olivier rentre du golf au moment où nous passons à table. Déjeuner en famille. Discussions tranquilles. Éclats de rire. Nous sommes bien. C’est tout simple, certes. Mais pas si commun. Surtout, Eglantine ne file pas se coucher dès la fin du repas. Les discussions continuent sans que son teint ne pâlisse et que ses yeux ne se creusent.

Un peu plus tard, nous écossons toutes les deux les petits pois qu’elle a acheté au marché et elle chipe les fraises que je viens à peine de laver. Pas de sieste. Elle a continué à réviser et joué avec sa sœur. Le soleil badine dans les feuilles des noisetiers du jardin. La grisaille semble partie pour de bon.

Eglantine est finalement terrassée par la fatigue au moment du dîner. Soit douze heures après avoir pris son traitement. Mais, indéniablement, ça fonctionne. Elle retrouve un peu d’énergie, d’envie, et de ce dynamisme qui l’a toujours caractérisée avant qu’elle ne s’éteigne à l’âge de 13 ans. Elle doit augmenter les doses petits à petits. Il peut y avoir des effets indésirables. Des ajustements seront certainement nécessaires. Mais, indéniablement, il se passe quelque chose.

Pour moi, ce renouveau a la couleur du soleil, le goût des petits pois, l’odeur des fraises fraîchement coupées et la saveur d’un repos authentique. Une recette délicieuse.

Escalade du stress

Les dernières semaines du printemps et les premières de l’été s’annoncent intenses pour Eglantine. Le stress reste élevé pour les ultimes épreuves du bac, alors même que ses résultats de l’année dernière lui assurent à eux seuls l’obtention du précieux sésame pour accéder aux études supérieures. Elle n’avait encore jamais eu deux épreuves dans la même journée. Elle a terminé celle d’hier sur les rotules. Même les examinatrices se sont inquiétées. Sa mine décomposée, blafarde, leur a fait craindre le malaise. Sa fatigue l’a énormément ralentie l’après-midi. Elle a dû utiliser pleinement son tiers-temps.

Dans la voiture, sur le chemin du retour, elle n’était plus qu’un étrange mélange d’émotions. Satisfaction d’avoir rendu une copie complète. Excitation à l’évocation des sujets, rehaussée de passion, de questionnements et de curiosité. Épuisement intense.

Impossible de se reposer, cependant, avant d’avoir atteint l’acmé de la journée. A 19h, Parcoursup distillait ses premiers résultats. Vœux refusés, acceptés, ou un numéro sur une liste d’attente. Bien sûr, le site moulinait dans le vide alors que des millions de personnes tentaient de se connecter au même moment. Le téléphone d’Eglantine est resté sur la table pendant le dîner. Elle tentait de rafraîchir la page régulièrement. Elle était tendue comme un arc à poulie.

Finalement, elle a pu accéder à la page des réponses à ses vœux. Qui n’en finissait pas de charger, retardant la lecture des précieux résultats. Seul un bouton Imprimer était visible. Elle a lancé l’impression dans l’espoir d’accéder aux résultats.

Vous sentez la tension, l’impatience, la crispation qui imprégnaient l’espace ? Le temps était figé dans l’attente. Impossible d’avoir un autre sujet de conversation. Parcoursup avait tout pétrifié. Nous respirions au rythme du crachotement de l’imprimante.

Eglantine a d’abord lu le refus de la double licence Chimie-SVT qui lui plaisait beaucoup. Des positions à deux, trois ou quatre chiffres sur des listes d’attente. Comme si son cerveau se jouait de sa fébrilité, elle ne trouvait pas la ligne qui l’intéressait.

Enfin, le OUI. Celui qu’elle espérait avec ferveur. Elle a hurlé de joie en traversant le salon, sa feuille à la main. Petits sauts de cabri. Le rouge aux joues. Les yeux brillants. Le sourire banane. Pas de liste d’attente. Prise tout de suite dans cette licence Sciences et Technologie où seulement une trentaine d’élèves vont commencer leur vie estudiantine au mois de septembre. Un petit cocon où Eglantine pourra continuer de se passionner aussi bien pour la physique-chimie que la SVT ou les maths.

Quelques années sereines en perspective, durant lesquelles elle pourra affiner ses choix de spécialisation.

Et qui sait, si son nouveau traitement fonctionne, peut-être n’aura-t-elle plus besoin, bientôt, de prendre deux ans pour suivre une année de scolarité.

Allez, plus que deux épreuves orales, les résultats du bac le 8 juillet, un tas de démarches administratives et elle pourra se détendre vraiment.

Sinon, une fois la pression redescendue, elle a lu l’ensemble de ses réponses. Cinq de ses dix vœux acceptés et quatre sur liste d’attente. Un seul refus. Ça fait du bien à l’égo. Ce matin, elle a validé son choix, un petit sourire au coin des lèvres. Elle n’aura désormais plus affaire aux algorithmes de Parcoursup.

Attendre encore un peu

Nous attendions ce rendez-vous depuis deux mois. Enfin une piste pour diminuer la fatigue d’Eglantine. Espoir, perspective d’une nouvelle vie. Retrouver la liberté de faire ce qu’elle veut, quand elle veut. Sans avoir besoin de prévoir un temps de récupération. Le dénouement de six années de Belle au Bois Dormant ?

Le traitement nécessite une ordonnance manuscrite, citant le nom de la pharmacie dans laquelle on s’approvisionnera, valable uniquement le jour-même, à renouveler tous les 28 jours. Tout cela afin d’éviter des détournements. Le médicament est un stimulant du système nerveux parfois utilisé pour se doper, notamment en période d’examens.

On ressort du cabinet du médecin avec la précieuse ordonnance manuscrite. On passe de suite à la pharmacie. Douche froide. Le médicament est en rupture. Les pharmaciennes appellent grossistes, collègues et labos. Nous ne sommes pas pressées. Eglantine ne commencera son traitement qu’après les deux épreuves de bac qu’elle doit passer cette semaine. Pas question de prendre le risque qu’elle soit perturbée par de potentiels effets indésirables.

24h plus tard, appel désolée de la pharmacienne. Le labo d’origine a rétrocédé la production du médicament à un autre labo qui est en rupture de stock. Et ce labo vient lui-même de revendre le médicament à un autre labo qui doit commencer la production en juin. La pharmacienne n’a aucune idée d’une date à laquelle elle pourra obtenir le traitement qui nous donne tant d’espoir.

En 2023, l’Agence de sécurité du médicament a enregistré 4 925 signalements de ruptures et risque des rupture de stocks. La cuvée 2024 ne semble pas meilleure. Les pharmacien·nes perdent des heures à tenter de trouver des solutions. Comme les nôtres qui ont téléphoné partout pour tenter de trouver le traitement d’Eglantine. Elles seront justement en grève demain. Au bout du rouleau.

Il va falloir retourner chez le médecin. Essayer un autre médicament. Même si le premier arrivait dans notre pharmacie d’ici la fin de semaine, l’ordonnance n’est désormais plus valable.

Immense déception. Mais nous gardons intact cet immense espoir qu’Eglantine retrouve bientôt un peu de cette énergie qui l’a caractérisée toute son enfance.

Jouer, c’est rendre la vie plus belle

Paris. Place de la République. Le roulement trainant des skates. Les groupes d’hommes, jeunes, affalés sur les bancs. Les passants pressés. Les vélos qui filent sans laisser les piétons traverser . Devant nous, les rayons du soleil accrochent des tables en fer forgé rouge vif, mobilier de jardin en plein centre urbain, avec chaises et bancs assortis.

Ici, un garçon d’une dizaine d’année s’applique sur son puzzle sous le regard bienveillant de sa maman. Là, deux hommes s’affrontent autour d’un jeu de dames. Plus loin, des enfants qui savent tout juste lire tentent de résoudre des casse-têtes. Les portes d’un container transformé en cabane à jeux sont grand ouvertes. Des dizaines de boîtes colorées attendent contre les parois.

Je suis avec Hortense et son amie Camille. Nous avons rendez-vous pour récupérer une guitare achetée sur le Bon Coin. « Vous avez combien de temps ? » demande l’animateur qui nous accueille avec le sourire. Nous sommes un peu en avance. On s’installe à une table et il nous explique le jeu auquel il a pensé pour nous. Plouf Party. Rapide, coloré, sans réelle stratégie, il faut renverser les pions dans la piscine. Se reposer, rire, papoter.

Les pions ronds et lisses d’un jeu de go oublié sur notre table attirent notre attention. L’ambiance détendue incite à découvrir des jeux qu’on ne connaît pas. Mais déjà les animateurs en gilet rouge s’activent pour ranger. Il est 19h, l’R de jeux ferme ses portes. Du côté des tout-petits, on ramasse les jeux de constructions éparpillés sur de nombreux tapis. Concentrés sur les parties en cours, les joueurs d’échec prennent racine. Le public commente, admire, critique. On sent les habitués.

Notre vendeur de guitare arrive enfin. Bois blond et ambré, doux, chaud au creux de la housse noire. Hortense est ravie. Encore quelques cordes à changer et elle pourra s’entraîner tant qu’elle voudra. La guitare posée sur sa cuisse, la tête penchée sur l’instrument, à l’abri de ses longs cheveux, elle tâtonnera sur les cordes.

Elle a hâte de jouer autre chose que Santiano et de faire courir ses doigts sur les frettes. Pour le moment, elle porte fièrement sa guitare sur le dos dans les couloirs du métro. La vie est belle.

  • L’R de jeux, place de la République, les mercredis, samedis, dimanches et vacances scolaires.

Quand la navette se fait frivole

La navette, pour tout le monde aujourd’hui, c’est un train, un bateau ou un avion qui fait des trajets réguliers, aller-retour. Ou c’est moi qui conduit Eglantine chaque jour, maman navette. Qui sait encore que la navette est cet instrument de tissage en forme de petite barque ? D’où les biscuits oblongs du même nom que l’on trouve en Provence, pays de textiles colorés aux motifs fleuris. La navette est cette pièce en bois qui sert à faire passer le fil de trame entre les fils de chaîne, tendus sur la machine. De gauche à droite. De droite à gauche. Et ainsi de suite dans un va et vient hypnotique qui a donné son nom à l’idée actuelle de navette.

Non, je n’ai pas décidé d’installer un métier à tisser dans mon sous-sol pour y faire danser une navette frivole au rythme techno d’une boule-à-facette. Peut-être un concept à inventer dans une autre vie ? Mais une navette est bien entrée dans ma maison, format qui tient dans la main, en plastique rose, où l’on glisse une bobine de fil très fin pour faire de la dentelle nouée. La fameuse frivolité à la navette.

Vous ne connaissiez pas ? Normal, c’est un art plutôt oublié, nécessitant minutie et patience. Tout ce qu’affectionne Eglantine. Déambulez dans un marché de Noël artisanal avec une passionnée de zentangle et de crochet, tombez sur un stand de frivolité à la navette et vous verrez jaillir des étincelles alors qu’elle découvre les bracelets délicats et les boucles d’oreille éthérées. La conversation s’engage immédiatement autour de la technique. Le courant passe. Echange de coordonnées.

Quatre mois plus tard, à la faveur du premier jour des vacances, Eglantine se rend chez la dentelière pour apprendre cette technique oubliée qui n’a rien de frivole tant elle demande de la concentration. Mais voyons, me diront les plus cultivés d’entre vous, les frivolités ce sont ces fanfreluches, colifichets et autres petits articles de mode sans autre utilité que décorative.

La marchande de frivolités a disparu au cours du XXe siècle. Ma fille, être rare et précieux, a l’art de décorer sa vie de petites choses oubliées, invisibles ou rares. Elle aime manger les feuilles d’alliaire, chanter le requiem de Mozart, nommer les nuages et, désormais, frivoler à la navette (elle et moi savons que ce verbe n’existe pas mais nous l’aimons beaucoup).

En plus, elle est douée !

Tu as fait quoi hier ?

Porte d’Orléans. Nous nous asseyons à l’arrière du bus en attendant l’arrivée du chauffeur. Les sièges se remplissent lentement. Elle monte dans le bus à petits pas. Peau parcheminée, cheveux parfaitement blancs, couvrant généreusement ses épaules, la frange un peu hirsute. Emmitouflée dans un épais manteau d’hiver, elle se ratatine sur un siège près de la porte.

Quelques minutes plus tard, une autre mamie avance péniblement dans l’année. Manteau aubergine et béret assorti. Elles s’interpellent avec l’énergie de celles qui n’entendent plus très bien.

« Tu as fait quoi hier soir ? – Oh moi, tu sais, je suis restée à la maison. »

Elles parlent des petits-enfants, de la sœur morte depuis plusieurs années déjà, des courses à faire au Casino avant de rentrer. Quand son téléphone sonne, manteau-aubergine met le haut-parleur. A l’autre bout du fil, une autre voix chevrotante : « Tu as fait quoi hier soir ? »

Amusant, la vie nocturne animée de ces mamies parisiennes.

Pourtant, elles sont toutes restées à la maison. Elles ont regardé ça à la télé. Elles n’avaient pas envie d’attendre des heures dans la pluie et le froid.

Je comprends alors qu’elles parlent de la panthéonisation de Mélinée et Missak Manouchian.

Il y a du regret dans leurs voix de n’avoir pas pu y assister. Mais c’était vraiment très beau, très émouvant, disent-elles. On croirait que la République les avait invitées personnellement. Après tout… elles étaient certainement des gamines hautes comme trois pommes à l’époque où on fusillait les partisans, mais pour elles, c’était hier.

Qui connaît leurs histoires, leurs vies qui croisent les nôtres dans ce bus anonyme ? La guerre a pour moi le goût poussiéreux des livres d’Histoire ou la couleur saturée des images venues de pays suffisamment lointains pour ne pas trop nous inquiéter.

L’émotion dans leurs voix, ce besoin de souder leurs souvenirs dans le partage d’un présent fugace a donné plus de force à l’évènement que toutes les unes des journaux ce matin. Il y a comme ça des rencontres anonymes qui n’ont finalement rien d’anodin.

Poésie de l’instant capturé

Le soleil a rempli les longues allées du parc de Sceaux. Les graviers crissent sous les roues des vélos. Les tout-petits se dandinent sur les pelouses, genoux boueux, sourires fiers des grands explorateurs. On a installé un filet de volley en haut d’une prairie. Un couple de canard brise les vaguelettes du Grand Canal. Les couvertures de pique-nique fleurissent dans l’herbe baignée de lumière, écrasant les premières pâquerettes.

Les pulls sont noués autour de la taille. Les manteaux sous le bras. Les conversations sucrées des jeunes amoureux s’évaporent dans le moelleux de leurs pas tranquilles. Les tee-shirts fluos des coureurs tranchent la nonchalance bienheureuse des promeneurs insouciants. Assis sur son tabouret, un pêcheur lance sa ligne. Les bancs de pierre se réchauffent dans le bouillonnement des bavardages. Le pas mal assuré sur le bois noueux de sa canne, la casquette protégeant ses rares cheveux, le ventre rond sous un pull bordeaux, pantalon de velours impeccable et parka bleu marine, un vieux monsieur termine sa promenade solitaire.

Corneilles noires, perruches vertes, mésanges furtives et autres passereaux égayent les frondaisons dénudées. Un âne au poil épais se prélasse dans les derniers rayons de soleil. Une poignée de moutons chargés de grosse laine broute paisiblement sous l’œil contemplatif des promeneurs.

Une pie s’envole devant moi, traverse en rase-motte l’alignement des platanes avant de se poser sous les larges branches d’un cèdre immense. Pas le temps de régler l’appareil, je vise l’oiseau et déclenche une rafale. Le flou de ma capture a des airs de peinture, donnant de la douceur au mouvement et de la poésie à l’instant.

J’ai ressorti mon gros reflex et retrouvé le plaisir léger de la photo.

Un coiffeur sachant couper

Mon coiffeur est parti à la retraite. Il me manque. Il trouvait toujours la bonne coupe en fonction de mes envies. Quand je décidais de laisser pousser mes cheveux, il s’arrangeait pour qu’ils gardent du ressort. Quand je voulais retrouver de l’énergie dans ma coupe, il n’hésitait pas à couper court sur la nuque. La seule contrainte étant de ne pas raccourcir les mèches qui entourent mon visage jusqu’à la mâchoire inférieure. Elles ne doivent jamais remonter au-dessus de la ligne basse de la mandibule.

Mon coiffeur avait accompagné mon passage aux cheveux gris par des coupes dynamiques qui estompaient la ligne de démarcation et évitaient l’effet glace vanille-chocolat. Rapidement, il ne resta plus qu’un point de couleur au bout des mèches autour du visage. Aujourd’hui, je profite d’un gris éclatant qui m’autorise à repousser longtemps une visite chez le coiffeur. Aucun problème de racine.

J’ai d’abord essayé la coiffeuse qui travaille dans le même salon. Moins sympathique. Moins à l’écoute. Et une coupe moins réussie. J’ai laissé pousser pendant des mois. Je me suis tournée vers un nouveau petit salon à la déco alléchante. La coiffeuse qui s’est occupée de moi n’a pas su voir court. Je suis ressortie à chaque fois avec un carré peu plongeant et beaucoup trop long. La première fois, j’ai pensé que je n’avais pas été assez claire. La deuxième fois, j’ai été vigilante. J’ai demandé très clairement une coupe courte sur la nuque et mes mèches devant.

Je n’y suis plus retournée et mes cheveux ont suffisamment poussé pour que je puisse les remonter en torsade avec une pince crocodile. Mes mèches grisent descendaient largement jusqu’aux épaules.

Alors quand je suis entrée chez cet autre coiffeur, j’ai été très claire. Non, on ne coupe pas un peu. Je ne suis pas venue pour les pointes. J’étais tout heureuse quand il m’a demandé l’autorisation d’utiliser la tondeuse.

Et il en a passé du temps avec sa tondeuse. A couper presque mèche par mèche, millimètre par millimètre, un pauvre carré plongeant trop long, sans volume et sans énergie…

Bien sûr, j’aurais pu ne pas accepter la coupe. Demander qu’il recommence. Mais je suis à la recherche d’un coiffeur qui m’écoute et me comprenne. Qui n’entend pas mi-long quand je dis court. Qui n’hésite pas à me faire des propositions. Bref, je cherche un coiffeur avec une personnalité, pas juste un agitateur de ciseaux, un égaliseur de pointes.

Je regrette tellement que mon coiffeur soit pari à la retraite.

Vacances cocooning

Ils sont partis. Samedi matin, peu avant 7h, la voiture a pris la route des Alpes. Sans moi. Pour la première fois en dix-huit ans, Olivier voyage seul avec nos filles.

J’ai aidé à préparer les valises. S’assurer que chacune et chacun a les vêtements qu’il désire. Mettre de quoi grignoter et boire dans un panier pour la route. Retrouver le sac-à-dos disparu. Sortir les bottes de neige du capharnaüm du sous-sol. Je me suis levée à 5h du matin pour accompagner les derniers préparatifs.

Au chargement de la voiture, j’ai commencé à réaliser que, vraiment, ces vacances seraient différentes. Déjà, la veille, les filles étaient surprises de me voir aussi détendue alors que les valises ouvertes avaient envahi le salon. D’habitude, à l’approche d’un départ, je suis en mode « valises ». Mon esprit est concentré sur des listes de choses à prendre et à faire avant de partir. Le fil de mes pensées se casse à la moindre interruption. Je cours partout dans la maison. Une fois que leurs affaires sont prêtes, les filles disparaissent dans leurs chambres, laissant le champ libre pour la guerrière du départ, moi.

C’est que je sais que je retrouverai la maison dans l’état exact dans lequel je la laisse. Pour moi, il ne s’agit donc pas simplement de préparer notre départ mais, aussi, d’anticiper le retour. Ne pas seulement remplir les valises mais ranger les chambres. Emmener un pique-nique mais trier le frigo, vider le lave-vaisselle. Mettre quatre litières pour les chats mais poser des draps sur les fauteuils et le canapé pour recueillir les poils qui vont s’accumuler en notre absence.

Samedi matin, je suis restée en pyjama, au chaud, alors qu’ils déposaient leurs bagages dans la voiture. Mes vacances ont commencé à ce moment-là. Je n’ai tellement pas l’habitude que j’ai suivi leur trajet toute la journée avec la géolocalisation de leurs téléphones. Incapable, dans un premier temps, de faire face à ce vide nouveau, cette vacance inconnue. Besoin, également, de tout relâcher après les dernières semaines compliquées. J’ai éteint toutes les alarmes et les notifications. Je me suis couchée tôt, bercée par les mots de Wilfried N’Sondé et son Afrique mystique.

Lire, écrire, peindre (si si, je vais m’y remettre), me balader mais aussi profiter de leur absence pour ranger, sans me presser. Mes vacances ont commencé en douceur, sans tambour, ni trompette. Elles ne sont pas instagramables, n’ont rien d’original, sont délicieusement banales. Simplement, pendant une semaine, je n’ai qu’à m’occuper de moi. Pas d’horaire à part quelques rendez-vous. Personne à qui parler. Une solitude choisie que je n’ai jamais connue depuis la naissance d’Églantine.

Alors oui, je kiffe mes vacances cocooning.

Après tout, c’est d’un cocon que l’on tire la soie, fibre précieuse, délicate et résistante.

Accueillir le handicap, « je sais »

C’est la pleine saison pour parcoursup. Pour des millions d’ado, le temps est venu de lister ses vœux, choisir sa voie, son avenir, fermer des portes pour ouvrir les autres en grand. Eglantine a eu un peu de rab en passant ses épreuves de bac sur deux années. Maintenant, il faut passer à la vitesse supérieure, quitter le cocon bienveillant de son lycée pour continues ses études.

Eglantine a l’avantage de savoir ce qu’elle aime. Les sciences. Mais elle doit faire une croix sur les prepa et les grandes écoles au rythme et à l’esprit de compétition incompatibles avec sa fatigue chronique. Même les écoles moins prestigieuses avec prepa intégrée ne sont pas envisageables. D’un autre côté, à sa sortie de l’hôpital, les médecins lui déconseillaient l’université, ses grands amphis bondés, ses cours anonymes, ce grand bain dans lequel se jettent chaque année des milliers de jeunes adultes sans vraiment savoir nager. Alors, pour quelle formule opter quand on bourlingue sur les chemins de traverse depuis cinq ans ?

Il faut pourtant trancher. Les portes ouvertes de l’université Paris-Saclay ont fini de nous convaincre qu’Eglantine pourraient continuer ses études dans de bonnes conditions au sein de leurs formations. Une licence en particulier serait idéale. Tout petits effectifs, chambre d’étudiante sur le campus à cinquante mètres des salles de cours,  un apprentissage en mode projet pluridisciplinaire, pédagogie innovante, et des passerelles possibles vers les grandes écoles à la fin de la licence. Un nouveau cocon pour accueillir notre fleur hors normes.

Elle n’est pas la seule à sortir des sentier battus. Cette journée nous a aussi permis de rencontrer les référents handicap. Ils accueillent sans s’alarmer toute une série de handicaps invisibles, les plus nombreux en réalité. Aucun problème pour envisager de prendre deux ans pour faire une année. Les aménagements dont bénéficie Eglantine pourront être remis en place à l’université.

Au stand Etudes et Handicap, je précisais « Elle vous entend » à l’homme qui fixait le casque d’Eglantine.

« Je sais. »

Lui, il s’occupait justement de présenter le programme Aspie Friendly de l’université. Eglantine était ravie. Il est rare de rencontrer quelqu’un que son énorme casque n’interroge pas. Ici, pas de questions mais de nombreuses réponses sur tout ce qui existe pour les aspergers. Notamment le lien avec les professeurs. Car tous ne connaissent ou ne reconnaissent pas le handicap. Au stand de présentation de la licence BCST (Biologie Chimie Sciences de la Terre), la dame qui présentait les différents parcours était d’ailleurs beaucoup plus sceptique sur les possibilités d’Eglantine de suivre l’enseignement ardu d’une double licence. Heureusement que j’avais appelé le service Handicap en amont et que je savais que c’était possible. Il y aurait eu, sinon, de quoi se décourager.

Y a plus qu’à remplir parcoursup avec de belles lettres de motivation et faire confiance à l’algorithme.

Astrid avec son casque antibruit dans la série Astrid et Raphaëlle sur France TV. Celui d’Eglantine est encore plus gros.