Assumer le silence

Borda de Lia Rodrigues transforme le silence en un partenaire de danse, rendant chaque bruit de la salle partie intégrante du spectacle. Entre lenteur hypnotique et explosion carnavalesque, le voyage est sensoriel. Personne ne reste indifférent.

Un spectacle de danse sans son, ça crée un certain malaise. Pourtant, assumé et travaillé, ce silence devient hypnotique, chaque mouvement est scruté, de références picturales en rappels du cinéma muet, la danse devient théâtrale.

D’abord, la salle est plongée dans le noir.  Une forme blanche se distingue à peine dans la pénombre du plateau. Le public bruisse de murmures. Incompréhension. Mécontentement. Abattement de se retrouver coincé dans ce silence inattendu. Chut ! Répondent ceux que cette scène sans bruit, et presque sans mouvement, ne dérange pas.

La forme bouge à peine. Elle prend vie. Elle gonfle et s’étire dans une lenteur aussi lourde que l’absence de musique. Chaque quinte de toux emplit l’espace. Chaque croisé ou décroisé de jambe. On entend jusqu’aux gargouillis d’estomac.

Je repense alors à cette émission de radio où une journaliste s’extasiait du silence régnant dans un réserve ornithologique. « Je ne trouve pas cela silencieux », avait répondu le spécialiste des oiseaux en face d’elle. Nous, auditeurs qui n’avions pas l’image, entendions en effet les cris des volatiles, le sifflement du vent et les vagues qui se fracassaient au loin.

Le silence, avec huit cents personnes dans une salle, n’existe pas. Il me semble alors que ces bruits sont autant de perturbations qui font partie du spectacle. Pas de musique mais la présence sonore d’un humanité plurielle.

Sur la scène, une grande bâche en plastique blanc attrape la lumière. Roulée, froissée ou tendue, elle évoque une chrysalide étrange et fantastique. Hypnotique. Les bruits du public sont les signes uniques de l’humanité présente dans la salle. On sait que des danseurs respirent sous la masse de plastique et de tissu, que leurs cœurs battent, que leurs muscles sont crispés dans d’interminables pauses ou des mouvements d’une lenteur extrême. Mais aucune forme humaine ne se dégage, laissant toute la place à une imagination contemplative.

Petit à petit, des visages apparaissent. Tâches sombres dans la blancheur originelle. Dans le public, les quintes de toux se sont espacées. Comme si chacun avait enfin trouvé sa place dans ce spectacle aux portes de l’irréel.

Borda, de la brésilienne Lia Rodriguez, est un spectacle qui joue avec les limites. Entre le surnaturel et le banal (la bâche en plastique), entre le magique et l’ordinaire (les visages des danseurs exacerbent des émotions humaines bien connues), entre la vie et la mort, entre la douceur et la violence, entre l’ailleurs et l’ici, entre l’autre (les danseurs) et nous, entre l’amour et la haine, entre les corps voilés et la peau nue.

Le silence est remplacé par les froissements du plastique. Puis des murmures et des plaintes humaines, à peine audibles. Les pleurs d’un bébé. Enfin, les corps des danseurs rebondissent à travers toute la scène, les pieds claquent, les cuisses frappent, les mains clapent. Le tapage de la vie envahit la salle. Les tousseurs sont enfin inaudibles.

Quand les tambours résonnent pour la première fois, le silence est déjà loin. La fin du spectacle est un feu d’artifice. Les costumes prennent des couleurs, brillent de mille paillettes. On est au carnaval de Rio. On est dans le foisonnement magique de la forêt tropicale. On est dans une tribu ancestrale. Dans un chamanisme joyeux et exaltant.

Photo de Sammi Landweer, prise sur le site de l’Azimut.

Enfin, la troupe se resserre, se ramasse littéralement puisque tous les éléments qui ont volé à travers la scène sont regroupés, réinsérés dans la grande bâche en plastique blanc. Les danseurs disparaissent à nouveau sous une forme mystérieuse, surnaturelle. Ça et là, des tissus colorés lacèrent pourtant la blancheur initiale. Comme une trace de cette expérience extraordinaire vécue avec les danseurs.

Leurs visage réapparaissent par-dessus la bâche. Dieux antiques scrutant les pauvres êtres humains depuis l’Olympe. Le noir revient. Seules scintillent encore les paillettes des coiffes extravagantes de nos dieux de pacotille. Flammes d’esprits malicieux que l’on envie de suivre dans la nuit.

Le silence revient. Et l’on hésite un peu avant d’applaudir. On n’a pas vu le temps passer. Est-ce vraiment fini ?

Alors, la salle explose de viva. Quand le rideau tombe, les commentaires fusent. Les enthousiastes et les dubitatifs. Ceux qui se sont laissé emporter. Ceux qui n’ont pas compris l’histoire. Faut-il une histoire pour être embarqué dans des émotions ? Une chose est sûre, personne n’est resté indifférent.

Borda, de Lia Rodrigues, c’était à l’Azimut le mercredi 24 septembre 2025 dans le cadre du festival Paris d’Automne.

Pour voir plus d’images du spectacle (j’en ai piqué deux de Sammi Landweer sur le site de l’Azimut), je vous conseille de consulter la galerie de photos du même artiste sur le site du Théâtre de Chaillot.

Le corset sous les paillettes

Ça s’est fait un peu vite au début du mois de février. Un poste à temps partiel, une durée déterminée. Quelques jours par semaine à l’administration du théâtre. Contrats, payes… ballet incessant des intermittents qui caracolent entre les spectacles des trois lieux de L’Azimut. La découverte d’une nouvelle facette de cette organisation pour laquelle je travaille depuis bientôt quatre ans. Je connaissais les coulisses du théâtre d’Antony. J’apprends les contraintes légales et administratives, armatures souterraines du spectacle vivant. Le corset sous les paillettes.

J’ai retrouvé le chemin du bureau, les horaires de bureau, l’ordinateur et ses deux écrans, les déjeuners avec les collègues, les tickets restau, les pannes informatiques, les contraintes incompressibles. Je me suis adaptée à de nouveaux logiciels. A des tâches dont j’ignorais tout. J’ai gaffé, désespéré, recommencé, tâtonné. J’ai avancé.

Un gros changement de rythme après six années suspendues à l’état d’Églantine. Une bouffée d’air dans un cadre réjouissant. Un bureau lumineux dont les plantes vertes et la terrasse ont des airs de villégiature. Un bâtiment baigné de lumières douces et chatoyantes, aux lignes graphiques, sur lequel a travaillé un cousin alors qu’il débutait sa carrière d’architecte.

Même si je connaissais les équipes du théâtre, je les découvre autrement. Une énergie foisonnante se dégage de ces lieux. Une volonté créative malgré la charge permanente pour faire vivre tout ça, les immanquables désenchantements, l’équilibre économique suspendu aux subventions, les incompréhensions et les contestations, la pression du taux de remplissage, les enjeux vitaux de la programmation.

J’ai la chance de reprendre une activité professionnelle plus soutenue dans ce cadre exceptionnel, à proximité de la maison, dans une activité qui a du sens. Peu importe alors qu’il soit déstabilisant de repartir de zéro dans un domaine parfaitement inconnu et que mon contrat s’assèchera dans la chaleur de l’été. Je me réjouis d’être un renfort de ce corset sous les paillettes.

Frère(s), une gourmandise à partager

Des jours que les mots dansent dans ma tête mais que je repousse le moment de les fixer dans un texte. Enfin, aujourd’hui je prends le temps de vous parler de Frère(s).

Fourneaux, foot et amitié

Les deux acteurs incarnent deux adolescents qui se rencontrent dans un CAP de cuisine. Tout les oppose. Le petit nerveux, le grand délicat. Le prolo, l’aristo. Le sans nom, le fils d’un grand chef. Le fan de foot, l’inconditionnel du yuzu. Le bagarreur, le rêveur. Le besogneux, le créatif. Le spartiate, l’esthète.

Leur amitié naît dans cette zone trouble de l’adolescence, à ce moment charnière où chacun cherche son identité et rêve de réussir sa vie. Entre violence et bienveillance. Dans les silences de mots qu’on ne sait pas dire, dans cette bulle d’affection masculine, entre respect, curiosité et vexations. Dans la fournaise des cuisines, les brimades des profs, les humiliations des brigades ou dans l’ambiance carnassière des tribunes, les deux amis construisent leur avenir.

Les grands thèmes classiques

Comme dans les grandes tragédies classiques, il est question d’amour (l’amitié n’en est-elle pas une de ses nombreuses formes ?), d’héroïsme (les cuisiniers, héros anonymes des restaurants, routiers ou gastro), d’honneur (honneur d’un métier, honneur d’un nom, honneur d’un ami dont on prendra la défense, ou pas) et de destin. La jalousie sème ses mauvaises graines.

La comédie lie l’ensemble du récit. Ridicule du quotidien, des batailles d’égo, des petites hypocrisies, du mépris ordinaire qui rabat la voile des grands rêves, de la prétention qui berce les illusions et écrase la camaraderie. Absurdité des ces hommes transformés en machines dans les cuisines des étoilés.

Le récit de Clément Marchand, magnifiquement porté par Jean-Baptiste Guinchard et Guillaume Tignati, touche en plein cœur par son humanité et sa tendresse.

Photos issue du site de L’Azimut ©François Fonty

Un moment de partage

Comme un bon repas qui se partage en famille, Frère(s) est une invitation à vivre ensemble. Nous étions huit ce soir-là dans la salle du théâtre Firmin Gémier (L’Azimut), de 10, 20, 50 ou 70 ans (oui, Henri, j’ai décidé d’arrondir les chiffres). Visages souriants. Envie de faire durer le moment. Nous n’avions pas envie de quitter ce morceau de bonheur simple.

J’ai encore le smile plusieurs jours après. Et comme une envie de goûter un osso bucco au yuzu.

Le cours des choses

Qui a imaginé un spectacle avec deux hommes en costume trois-pièces sombres, chaussures vernies noires et un seau en métal sur la tête ? Qui a eu l’idée des assiettes chinoises en vaisselle cassable, à l’aveugle (à cause du seau sur la tête) ? Quel hurluberlu a pensé que ce serait amusant de regarder deux hommes portant d’énormes gants de boxe rouges, poser des verres à vin et de lourdes briques sur un plateau suspendu dans un jeu d’équilibre un peu fourbe ? Et ce lapin en peluche rose, qui tient un énorme bouton rouge, sorte de détonateur relié à un épais câble noir ? Quand il le presse, les éléments du spectacle se mettent en place.

Absurde et poétique, dérangeant et enthousiasmant, le spectacle Der Lauf est un vrai régal jubilatoire, un défouloir joyeux, même si le passage avec la carabine visant un long moment des ballons, errant sur le lapin et le public, m’a trop rappelé les tueries qui ponctuent régulièrement l’actualité. Ce devait être un peu le but puisque dans la version familiale du dimanche après-midi, toute cette partie a été escamotée afin de ne pas perturber le jeune public.

Quel dommage que le trailer sur YouTube ne mette pas plus en avant l’aspect réjouissant de ce spectacle ! La musique angoissante, les personnages aux gestes mécaniques, j’avais très peur de ne pas accrocher avec la proposition de ce trio sérieusement déjanté.

Ravie d’avoir tenté l’expérience vendredi soir, j’y suis retournée avec Hortense aujourd’hui.

Le petit plus ? Les lunettes à diffraction qui transforment le halo des lumières en une multitude cœurs. Parce que la vie est belle.

Der lauf ça veut dire Le cours, ou La marche, pour Le cours des choses (Der lauf der dingen). Comme le cours de la vie et toutes ces petites choses qui l’émaillent, cet aveuglement qui nous enferme dans les propres seaux de nos habitudes. Der lauf, finalement, c’est une invitation à ouvrir les yeux, à regarder le monde et à s’y joindre.

Quant au Lapin rose, il me rappelle terriblement la pub Kiss Cool et son deuxième effet. Ça vous dit quelque chose ?

Efflorescence du confort

Il y a deux ans, le théâtre d’Antony ouvrait ses portes toutes neuves. Dans ses sous-sols, quatre loges et deux foyers à peine meublés. Quelques tables, des chaises, des piles d’assiettes et de verres à pied posées sur les longs plans de travail. Aucun meuble pour les ranger. Deux micro-ondes dans le foyer Avignon, celui des équipes techniques, un dans le foyer Bussang, celui des artistes.

L’habilleuse avait immédiatement habillé les lieux. Les tables avaient été recouvertes de toiles cirées aux couleurs végétales, motifs géométriques et modernes, loin des fleurettes de grand-mère. Un jour, deux vieux fauteuils rouge et noir, on dit vintage, sont arrivés. L’assise mériterait d’être refaite mais, tout de suite, ça donnait un aspect plus cosy au lieu. Une table basse a complété l’ensemble. Puis les techniciens ont construit des meubles avec du bois de palette. Un petit canapé. Un meuble pour poser les enceintes. La musique c’est important pour l’ambiance.

Et l’habilleuse continua d’habiller. Des coussins, des petits rideaux pour cacher le vide sous les éviers. De gros frigos orange au look diner seventies ont apporté une touche de chaleur et de lumière dans chacun des foyers. Chacun y range ses petites provisions. Un jeu de fléchettes est apparu sur un mur. Des autocollants fleurissent discrètement au-dessus des portes, dans les coins puis sur la série de casiers métalliques installés plus tardivement.

Un canapé, vintage aussi, joli mot pour cacher les tâches sur le tissu. Le théâtre a fait le choix de la seconde main dans une volonté d’économie circulaire. Les meubles changent parfois de configuration. Jusqu’à trouver la bonne. L’ensemble donne un lieu chaleureux et vivant alors que les locaux neufs manquaient un peu d’âme à l’origine. Surtout dans ce sous-sol sans fenêtre.

Dans les loges, des chaises de velours moutarde ont été installées devant les grands miroirs entourés de grosses ampoules. Des fauteuils et des canapés de velours bleu canard, convertibles, pour les artistes qui veulent se reposer. Petit à petit, de récup en achats, de première ou de seconde main, en passant par un peu de bricolage, le sous-sol du théâtre fleurit comme un cerisier au printemps. Le confort s’améliore, se répand, s’épanouit.

Alors que je reviens après deux mois d’absence, le dernier meuble en bois de palette a disparu du foyer des techniciens. Désormais, les enceintes sont posées sur un meuble télé en métal et verre. Un truc froid et sans âme. Dommmage. Heureusement, il reste les livres posés sur les étagères du bas. Un guide de la Bretagne. Quelques livrets de Phèdre !, deux programmes de la saison passée, des sous-bocks en carton, des flyers, des marques-pages, des câbles de toute sorte et des serres livres en bois sombre, deux visages sculptés d’inspiration africaine. Et un petit ambour récupéré un jour par un technicien, abandonné sur un trottoir.

Chacun amène sa touche de couleur. Son objet qui lui donne l’impression d’être un peu chez lui. Quand les heures de travail s’enchaînent, qu’il faut monter, démonter, ajuster sans cesse, le foyer est l’endroit où se détendre, reprendre des forces, se reposer.

Pendant un temps, on y trouvait même un paquet de croquettes pour chat. Chaque lieu a ses mystères…

Carmen.

On a bouclé la trilogie de François Gremaud !

Après Phèdre ! et Gisèle…, nous avons découvert Carmen. au très beau théâtre Jean Vilar de Suresnes dans le cadre du Festival d’Automne.

La scène, toujours si dépouillée. Un grand rectangle blanc, une interprète, Rosemary Standley (la chanteuse de Moriarty), deux chaises vides pour tout décor et cinq musiciennes comme orchestre. Flûte traversière et piccolo, violon, accordéon et castagnettes, harpe (capable de changer une corde en plein spectacle sans rater une mesure !) et saxophone.

Calixte avait invité Eglantine. Les places étaient réservées depuis des mois.

Mais la fatigue s’est déjà accumulée. Inenvisageable de prendre les transports en commun pour aller jusqu’à Suresnes. Alors, quitte à prendre la voiture et à attendre deux heures sur place, autant voir le spectacle également. J’ai acheté à la dernière minute un des trois derniers billets disponibles et me suis moi aussi glissée dans un fauteuil rouge pour petites jambes (les rangées sont vraiment étroites).

Humour, décalage moderne-contemporain, remise en perspective des points de vue en fonction de l’évolution de la société (Carmen, c’est quand même l’histoire d’un féminicide), ode à la liberté, découverte des textes et de l’histoire derrière des airs mondialement connus. Tout le spectacle est un régal. Rosemary Standley nous transporte dans l’univers de Bizet, fait vivre l’esprit libre de Carmen, interroge la place des femmes. François Gremaud a écrit pour cette chanteuse. Une collaboration extrêmement bien réussie.

J’espère que ça jouera un jour dans notre théâtre. Je serais tellement heureuse de le revoir !

En attendant, nous avons les livrets des trois spectacles. Ils sont distribués au public vers la fin de la représentation. Les spectateurs participent ainsi à la mise en scène. Cette fois-ci, nous avons tous chanté…

L’amour est enfant de Bohème,

Il n’a jamais connu de loi ;

Si tu ne m’aimes pas, je t’aime,

Si je t’aime, prends garde à toi.

Brume matinale

8h du matin. Un dimanche au parc de Sceaux. Fin d’été. Les feuilles mortes craquent sous les roues de mon vélo. Seul.es quelques coureur.euses animent les allées dans la fraîcheur des platanes. En arrivant aux loges des artistes de la compagnie XY, mon regard est happé par la brume vaporeuse qui habille la grande plaine où aura lieu le spectacle. Le soleil matinal diffuse un atmosphère moelleuse dans laquelle se noient les installations du théâtre.

Dans mon dos, soudain, un bruissement, un froissement. Deux écureuils se poursuivent bruyamment dans un grand Séquoia. Leurs fourrures rousses tournent autour du tronc puis disparaissent dans les hautes branches.

Saisir l’émerveillement.

Quelques minutes plus tard, la brume sera dissipée. Les techniciens termineront les installations. Les premiers spectateurs arriveront pour profiter du spectacle offert par les vingt-quatre acrobates, peaux bronzées, corps musclés, costumes noirs. Une Nuée acrobatique qui traversera la grande plaine en figures silencieuses avant d’attiser la scène sur les rythmes baroques de Rameau et Lully puis de s’approprier le gué traversant le canal dans d’amples éclaboussures. Cavalcades scandées de voltiges virtuoses, tableaux poétiques au son de l’eau qui gicle.

J’ai trouvé cette vidéo pour vous donner une idée. A imaginer au coeur d’un parc à la française et dans l’eau de son canal.

Que la vie soit un bal permanent

Demander son avis sur un spectacle à un directeur technique de théâtre, c’est demander à un ouvrier agricole sur les bords de Loire au XIXe siècle s’il le saumon est bon. Le saumon, il en mangeait à tous les repas. Difficile de se laisser encore surprendre.

Le festival Solstice s’est encore poursuivi toute ce week-end. Les techniciens ont monté les structures chaque jour sous une chaleur caniculaire. Peaux rougies, desséchées, soif intense, épuisement. L’esprit d’équipe tient l’énergie de la troupe mais les démarches se font lourdes, les jambes raides, les pieds trainants, les épaules tombantes.

Et puis ce soir.

Dans la lumière rasante de la fin d’une journée d’été, la Bande à Tyrex sort les cuivres la batterie et l’accordéon. Chanteurs, musiciens, acrobates, comédiens, ils sont onze à prendre d’assaut la scène montée pour eux. De la joie, de l’absurde, de l’équilibre, de la chute, de la connivence, jamais d’indifférence. Le public adhère, suit le mouvement, applaudit, chante, fait la Ola.

La bande à Tyrex au festival solstice 2023

Les artiste font tournoyer leurs vélos, les tirent tels des  boulets, pédalent le nez au vent telle Paulette sur les chemins environnants, se rentrent dedans, se cherchent, s’évitent puis se retrouvent.

La musique accompagne, entraîne, orchestre cette joyeuse bande de clowns en roue libre. Poésie déjantée, amoureuse, bienveillante, littéralement éblouissante (un casque boule à facette réverbère les rayons chatoyants du soleil couchant).

Enfin, la piste est envahie, les musiciens appellent les spectateurs et le bal commence, heureux, simple, réjouissant.

On écluse les bières, esquisse des pas de danse. On se tape dans le dos. On se félicite de la saison, du festival, de la journée. Les sourires sont sincères sous les regards assommés de chaleur.

Il faudrait que la vie soit un bal permanent.

Extérieur / intérieur, ce n’est pas la même fête

Dans notre ville, comme ailleurs, la saison des spectacles de rue bat son plein. Musique, cirque, théâtre, le spectacle vivant se déploie dans les parcs, sur les places et dans les allées. Les sonos résonnent contre les falaises minérales des immeubles. Les voisins pestent contre le bruit. Les enfants se faufilent. Les badauds s’arrêtent. L’art s’installe devant les yeux de tous.

On s’assoit sur des gradins en bois ou des sièges pliables, certains restent debout, pour mieux voir ou pour mieux partir, qui sait. D’autres s’assoient par terre. Un verre à la main. Une gourde d’eau dans le sac. Un goûter pour les enfants. Le chien tenu en laisse à ses pieds. L’ambiance est détendue. La bousculade joyeuse. Le spectacle terminé, le public prend son temps pour se disperser alors que les techniciens s’affairent pour démonter les structures ou préparer le matériel pour les suivants. Demain, plus aucune trace des câbles et des architectures provisoires.

Le spectacle de rue, c’est l’assurance d’interpeller le public, l’occasion de toucher celui qui n’a pas l’habitude de venir au théâtre. Pour beaucoup, le théâtre reste un lieu sérieux, intimidant, fermé. Un lieu pour les gros portefeuilles, les cheveux blancs et les têtes pensantes. Avec Solstice, tous les ans au mois de juin, le théâtre se révèle dynamique, engagé, drôle, décalé mais surtout, accessible.

Spectacle dans une cour d’école, Solstice 2023

Quand, en raison des orages, les régisseurs décident de rapatrier des spectacles en intérieur, la décision est difficile. La fréquentation baisse fatalement. L’ambiance n’est plus la même. La fête est mise en conserve. A l’apéro concert qui termine chaque journée de Solstice, ce ne sont plus qu’une cinquantaine de personnes qui dansent sur la scène dimanche soir. Ils étaient plusieurs centaines à profiter de l’atmosphère gaie et détendue d’un concert en plein air samedi.

Le repli avait été décidé le matin même. Face aux orages, l’incertitude demeure toujours, le choix est épineux. Risquer de devoir tout annuler en restant dehors. Ou s’exposer à perdre son public en jouant en intérieur alors que le soleil brille.

La météo fait partie des aléas du spectacle de rue. La fête de la musique en est le meilleur exemple.

Une belle journée chaude et ensoleillée verra tous les musiciens dehors, un public curieux, décontracté, avide de découvertes. Sitôt la pluie tombée, chacun rentrera chez soi. Certains se réfugieront dans des cafés où quelques concerts se tiendront contre vents et marées. Mais, le mauvais temps gâchera la fête, immanquablement.

La ville d’Antony a décidé depuis plusieurs jours de rapatrier la fête de la musique en intérieur. On imagine que ça laissait plus de temps pour informer le public. Le site internet est à jour. Les visuels ont été modifiés. Le lieux sont annoncés, bien identifiés.

Finalement, le temps est splendide pour cette première journée d’été. Les musiciens vont tout de même aller s’enfermer dans les différentes salles de spectacle de la ville. Ils mettront de la joie et de la fête dans entre des murs. On ne viendra plus les voir par hasard, guidé par une mélodie ou des applaudissements.

Le spectacle aura lieu, oui, mais au détriment d’une ambiance festive et ouverte, d’un esprit de rencontre et de découverte. Sur le site le site du ministère de la Culture, on lit que le concept de base de cet évènement était « la musique sera partout, le concert nulle part ».

A Antony, le concert sera dans les salles. Où est l’esprit de la fête ?

Reste encore les petits groupes d’amateurs qui joueront sur les trottoirs, aux coins de rues, devant les maisons et les cafés.

Les week-end de juin

Les week-end de juin, les journées sont tellement longues qu’elles semblent ne jamais se terminer. On tient la chaleur à distance derrière les volets fermés. On déjeune en terrasse avec de la mozzarella bien fraîche. Et on fête les dernières fois.

Dernière épreuve du bac pour Eglantine cette année avec la philo. Sujet 1 : Le bonheur est-il affaire de raison. Quatre heures. Et une tel soulagement ensuite que, pour la première fois depuis des mois, Eglantine rayonne.

Dernière fosse pour Hortense. Un aller-retour en Belgique avec son club de plongée un samedi. Tout un après-midi dans un aquarium géant avec des poissons d’eau douce exotiques. Difficile de la reconnaître derrière le masque et le détendeur, bien cachée dans son épaisse combinaison noire.

Les pique-niques, les barbecues, les restaus, les cafés, les apéros pour se voir, une dernière fois, avant la grande pause estivale. Revivre l’année. Partager les bons souvenirs.

Les anniversaires, soirées pyjamas, à rire et à papoter jusqu’au milieu de la nuit pour notre jeune adolescente, Hortense, tellement heureuse de grandir et de s’épanouir avec ses ami.es.

Les derniers spectacles de l’année avec Solstice, le festival de cirque et de musique de rue de l’Azimut. Un chien blanc qui traque un diabolo, des acrobates qui jonglent avec des poutres sur des trampolines, de l’humour, de la musique, de la poésie. Et Eglantine, pantalon fluide bleu et blanc, blouse légère et large chapeau, qui enfourche son vélo électrique pour profiter des spectacles.

Jour d’orage. Les spectacles sont rapatriés à l’intérieur du théâtre. Dans le foyer, musiciens et techniciens regardent le dernier spectacle grâce au retour vidéo. Au fond, à gauche, je reconnais Eglantine, trop heureuse de jouer avec une poutre dans la lumière des spots.

Et puis la fête du collège. C’était hier. La fin des cours approche. Le récital de piano. Cet après-midi. Bientôt les vacances.

Les week-ends de juin défilent à toute vitesse. Riches, intense, heureux, épuisants, stimulants.

Ca tire dans les muscles, ça racle sous les paupières, ça fond au niveau des neurones, ça explose les émotions.

Alors, il est temps d’aller dormir.