Le réalisme magique de la montagne

La montagne est devenue un rituel de nos étés. Nature et partage. Douceur de vivre et récompense après l’effort donnent une autre saveur aux vacances.

Septembre commence dans le clapotis des ondées alors que la chaleur a étouffé l’été tel un boa acharné sur sa proie. Nous, nous nous sommes évadés auprès des edelweiss, picorant myrtilles et framboises au bord des chemins, les cailloux roulant sous nos pieds – ou inversement –. Nos regards enjambaient les vallées, gambadaient de sommet en sommet, s’accrochaient aux ailes colorées des papillons, aux voiles gonflées des parapentes, au vol silencieux d’un planeur.

Le cœur qui bat fort, les muscles qui tirent, les poumons qui s’essoufflent. Et là-haut cet air frais, s’enrouler dans la polaire, casser la coquille d’un œuf dur, laisser couler le jus d’une pêche entre ses doigts. Murmure d’un ruisseau, scintillement d’un lac, tumulte d’une cascade sous l’azur où courent quelques filaments nuageux.

Le sifflement d’une marmotte et nos yeux fouillent la montagne. On s’arrête un instant. La tête dressée guette le moindre mouvement, disparaissant dans le sol si le danger se rapproche.

En haut de la montagne, une navigatrice a troqué son bateau pour saisir l’écume des montagnes. Peindre à l’encre de chine avec les plantes des alpages. Imprimer le brisant d’une crête dans la brume matinale. Elle accueille nos gestes hésitants dans un sourire bienveillant et partage cet art de la sérigraphie qu’elle maîtrise avec douceur.

On croque des croquants, on savoure des glaces au pied des glaciers fondus, on découvre le goût de la livèche et on retrouve celui de la reine des prés. On dîne dans des gastros. On partage des apéros. Les assiettes se multiplient autour de la table. On chante des histoires de champignons. On joue à mimer un nénuphar.

Les soirées s’étirent alors que le soleil se couche. Puis la lune se lève et les ombres escarpées accueillent nos rêveries silencieuses. Enfin, les brumes matinales estompent nos indécisions. Dans la lumière ardente, les cimes dentelées sont les mâchoires redoutables d’animaux fantastiques. Que ressent le krill face à la baleine ?

Lumière fragile, moment suspendu

Suis-je vraiment rentrée de vacances alors que je choisis encore une fois, pour commencer cette semaine, une photo de la montagne ?

Dernier matin, je sors les poubelles. Par delà les toits, la montagne s’éveille dans la douceur des premiers rayons du soleil. Le matin discret, ensommeillé, celui des traces d’oreiller sur les joues et des dernières fraîcheurs de la nuit. La lumière douce qui caresse les crêtes juste avant que le soleil ne paraisse complètement, écrasant les ombres.

Quand je reviens d’avoir déposé les poubelles dans le grand collecteur, les ombres ont disparu. Le ciel d’un bleu éclatant ne laisse plus planer aucun mystère. Moi, je garde au cœur de mon téléphone le souvenir de cet au-revoir à la montagne, un de ces moments fragiles et suspendus que j’aime tant surprendre.

Pour changer de la randonnée

A la montagne, en été, la randonnée est reine. Grosses chaussures, bâtons, casquette et indispensables réserves d’eau, les marcheurs s’engagent à l’assaut des pentes rocailleuses par petites grappes confiantes. Cartes papier à l’ancienne ou GPS ultrasophistiqués, applis pour choisir son itinéraire en fonction de la durée et de la difficulté (pour nous, c’est Visorando)… Chacun.e part à la découverte d’un univers singulier et finalement méconnu. Chaque lacet est l’occasion de s’enthousiasmer, que ce soit pour une plante, une vue, le dessin de la roche, une marmotte ou la capacité de son propre corps à aller jusque là.

La montagne estivale offre toute une palette d’activités en dehors de la randonnée.

Le parapente

Grâce à Eglantine, le parapente occupe amplement nos pensées et notre temps. Même si c’est elle qui passe le plus de temps avec sa voile, il faut l’emmener aux rendez-vous particulièrement matinaux de son école. Quand nous sommes au sol, Eglantine ne peut s’empêcher d’étudier le comportement des parapentes naviguant au-dessus de sa tête. Elle analyse le mouvement de la voile, décortique la trajectoire, émet des hypothèses de vol.

Quant à Olivier et Hortense, ils se contentent d’un vol en biplace vers le col de Galibier. Les émotions du vol sans l’apprentissage technique. Cette année, ils ont décollé tirés par un treuil. Je m’étais installée un peu plus bas pour voir la voile surgir derrière le relief dans la lumière douce de la fin de journée. Magique.

Quand la fatigue se fait sentir ou que l’envie de marcher plusieurs heures dans la montagne n’est pas au rendez-vous, la montagne offre encore de nombreuses alternatives, notamment pour Hortense.

La tyrolienne géante

Un peu plus d’un kilomètre de longueur, trois cents mètres de dénivelés dévalés en une petite minute. Rapide mais intense. Sensations garanties. Un incontournable chaque année à Serre Chevalier Vallée.

Le Mountain Kart

Pour dévaler la montagne sur un petit bolide à trois roues, gros pneus pour ne pas trop déraper, casque sur la tête, le nez dans la poussière, les fesses dans l’eau à la traversée des torrents. Pas besoin de moteur, la pente se charge de tout. Hortense et Olivier se sont bien amusés avec Hermione et Gilles.

L’Aqua Park

Le covid en montagne, c’est vraiment pas drôle. Car il faut un peu de temps avant de retrouver son souffle et reprendre la randonnée. Gilles, le copain d’Olivier avec qui nous passions nos vacances, a donc opté pour une journée au lac de Serre-Ponçon. Serviettes de plages et jeux gonflables pour s’amuser sans trop s’essouffler à l’Aqua Park. Nous n’avons pas testé – ce jour-là nous marchions au milieu des marmottes vers le col d’Arsine – mais ils sont revenus souriants, détendus, avec de belles couleurs/

L’accrobranche, avec catapulte et airbag

Hortense y est retournée avec son amie Hermione avant que celle-ci ne reparte avec son papa vers la Bretagne. Toujours le plaisir des sensations fortes avec la catapulte avec un très beau saut sans vriller en arrière. Beaucoup de transpiration sur les parcours dans les arbres – mais qui a eu l’idée de mettre un vélo là-haut ?! Et de grands éclats de rire partagés.

Le luge tubing

Toujours à la montagne mais un peu plus bas puisque nous voilà cette fois-ci sur les hauteurs d’Aix-les-Bains, au Revard. Au loin le Mont-Blanc, la tête dans les nuages. Une vue imprenable sur le l’immensité du lac du Bourget. Le ciel est couvert, la chaleur un peu lourde, mais un p’tit vent frais souffle en haut du Revard quand les filles s’installent pour la première fois dans leur grosse bouée renforcée d’un coque rigide. Deux pistes, l’une enchaîne plusieurs virages sur toute la longueur. Ça tourne et ça descend vite. L’autre piste , plus courte, se termine par un saut en hauteur et un atterrissage sur l’immense airbag gonflé en-dessous.

Les passerelles dans les arbres

De l’autre côté du lac se dresse la Dent du Chat. La légende parle d’un pêcheur qui n’aurait pas respecté sa promesse, d’un chaton noir devenu énorme et terrifiant, qui sera finalement abattu et laissera un de ses crocs planté dans la montagne en tombant dans le lac. Jolie ballade sur la crête, sous les arbres, pour aller jusqu’à la table d’orientation – l’ascension de la Dent du Chat s’adresse à des montagnards bien plus expérimentés que nous.

La Dent du Chat

Pendant ce temps, Eglantine et Hortense ont découvert la légende de la Dent du Chat à travers une sorte de chasse au trésor sur un parcours dans les arbres. Pas de harnais comme à l’accrobranche, mais des passerelles souples et des filets tout en sécurité pour un parcours accessible à tous.

Photo du site du Lac du Bourget

Autant d’activités pour vivre la montagne autrement. Je suis épatée par l’imagination de ceux qui inventent, importent, installent ces structures.

Personnellement, j’apprécie plutôt une randonnée tranquille dans la lumière dorée du matin ou du soir, un pique-nique sur une crête et une sieste au-dessus de la vallée.

S’élever au-dessus du bruit

Une seule route traverse cette vallée. Le trafic peut être plus ou moins dense mais il ne cesse jamais vraiment. Quand on grimpe dans la forêt, la clameur des moteurs enveloppe les arbres et leurs racines tortueuses, la terre tendre, les roches saillantes, les herbes hautes, les fleurs fragiles, les feuilles de gentiane, les bourdons poilus, les papillons colorés, les insectes insolites et, même, le chant des oiseaux.

Petit à petit, le tampon sylvestre atténue les ronflements des voitures à essence et les vrombissements des motos. Ou est-ce la fatigue qui fait oublier les bruits de la vallée ? Les derniers mètres du sentier grimpent raide. Les muscles tirent. La bouche s’assèche. Le cœur accélère. Les pieds butent. La sueur emporte avec elle petits et grands soucis. L’esprit se concentre sur le haut du parcours.

Quand enfin le chemin longe la montagne, le corps s’allège, le pas se hâte, la respiration se libère. Le sous-bois préserve la fraîcheur humide d’une nuit d’orages. Mon cœur s’apaise. Mon regard se pose sur ces petites plantes mises en lumière par le soleil qui transperce les hautes frondaisons. Les ailes fragiles d’un papillon sur une fleur sauvage m’émeuvent plus qu’une vue dégagée.

En contrebas, les immeubles en constructions cernent les vieux clochers. Les grues jettent des éclats jaunes. Pourtant, qu’il est doux de retrouver les hautes herbes de la vallée, les chemins blancs et les champs moissonnés. Puis la fraîcheur des vieilles voûtes de la maison.

Retirer les grosses chaussures de randonnée. S’affaler sur le canapé. Et ne plus entendre le ronronnement de la circulation.

Nous profiterons du silence de la montagne et de ses grands espaces quand nous rejoindrons des versants plus éloignés des axes routiers.

Plaidoyer pour la raquette

J’ai délaissé les skis et la vitesse pour les raquettes et la lenteur, mais aussi l’équilibre et la tranquillité. Peu de monde sur les chemins de traverse que l’on emprunte chaussé de ces planches de plastique à crampons. Pas d’attente interminable pour les remontées mécaniques.

Techniquement, la raquette se maîtrise rapidement. Trois positions : talon bloqué, talon libre ou talon surélevé. Deux bâtons. Une fois les raquettes ajustées par un système de clips et de sangles, n’importe qui peut partir en randonnée.

Mais pas dans n’importe quelle condition physique. La raquette, par sa simplicité d’appréhension, semble une activité presque reposante comparée au ski qui tire sur les muscles des jambes. Pourtant, une ballade en raquettes amène à travailler tous les muscles du corps. Les jambes bien sûr, pour la motorisation, les bras et tout le reste du corps pour l’équilibre. Notamment dans les dévers et les descentes – de l’intérêt des bâtons pour multiplier les points d’appui. Le relief, souvent accidenté, met à l’épreuve l’ensemble du corps.

Sans parler de l’endurance nécessaire et du souffle dont il faut adapter le rythme pour ne pas en manquer dès les premières montées – c’est mon plus gros problème.

Aujourd’hui, une jeune femme a rejoint le groupe pour une première expérience. Elle s’était blessée à l’épaule lors d’une chute à ski. Nous avons rallié un petit col après une longue montée au milieu des pistes bleues. La vue sur la vallée voisine était très belle.

Objectif en vue : le col de Forcle
Arrivée par le parcours de ski de randonnée
Vue sur la vallée de Champagny

La partie vraiment agréable de cette randonnée devait être la descente à travers un petit vallon loin des skieurs. Malheureusement, la jeune femme en question avait trop peur de tomber. Elle ne pouvait pas non plus s’appuyer sur un de ses bâtons à cause de son épaule blessée. La descente s’annonçait longue. Le guide a modifié ses plans. Et nous sommes redescendues au milieu des pistes, à nouveau, terminant de rejoindre la station de départ en télécabines. Grosse déception.

Déjà que le manque de neige émousse le plaisir des raquettes et réduit le choix des itinéraires, j’avoue que j’ai eu très envie, l’espace d’un instant, de partir de mon côté à l’assaut des pentes douces du vallon. Voir mes raquettes s’enfoncer dans la neige tendre et vierge de toute trace. Je pourrais avancer l’esprit de solidarité et d’entraide du groupe pour expliquer avoir rapidement écarté cette idée. Mais soyons honnêtes, c’est avant tout parce que je ne connais pas assez la région.

Non, la raquette n’est pas une planquette pour les blessés du ski. Elle reste un vrai sport, moins technique mais tout aussi exigeant physiquement.

Heureusement, il reste le plaisir du grand air, de la lumière qui joue sur la neige, du Mont Blanc au loin, du soleil qui batifole à travers les arbres, de l’esprit qui se détend et du corps fourbu qui accueille la nuit sereinement.

Décalage hivernal

Les muses de la grisaille

Sur la route du ski, l’herbe est nue. Aucune trace d’un quelconque animal ayant traversé le manteau blanc de l’hiver. Les nuages ont éteint les reflets ambrés de la forêt, les verts bronze des troncs qui nous accompagnaient sous le soleil. Le ciel est bas. Dans l’air froid, enfin, quelques flocons. D’abord légers, presque indicibles, il s’épaississent peu à peu, sont plus nombreux.

Depuis la fenêtre arrière de la voiture, taraudée par le mal des transports, je suis des yeux les têtes dénudées des arbres qui peu à peu blanchissent. La montagne se fait Parnasse où les muses s’amusent à créer de la poésie dans les fondus de grisaille.

Il faudra finalement s’arrêter pour chausser les chaînes et retrouver un monde plus prosaïque fait de valises à décharger, de forfaits à acheter et de skis à louer.