Chemise verte pour une nuit blanche.

Elle revient de la cuisine son téléphone à la main. Son visage hésite entre incompréhension et décomposition. Elle lit le message de sa fille qui lui parle de fusillades, de prise d’otage. Regarde les infos. Dis-moi si je peux sortir. Pour le moment tout va bien, elle est au fond d’un cinéma. Les téléphones et les tablettes allument leurs écrans autour de la grande tablée. L’image apparait sur la télé. Les visages de journalistes hagards s’encadrent dans la lumière dorée du Paris nocturne. Mais les gyrophares. Mais les bandeaux d’informations en bas de l’écran. Mais les infos qui tombent en fil continu d’éditions spéciales sur tous nos appareils désormais connectés. Et le nombre de morts qui s’allonge. Les messages qui s’affichent sur nos écrans dans l’affolement. Rassurer tout le monde. Non nous ne sommes pas à Paris. Pas ce soir. Hier encore je me délectais des grandes baies ambrées des cafés parisiens, des gens en vitrine qui sirotaient une bière alors que je brillais de bonheur sur les trottoirs désertés. Finalement sa fille est à Montparnasse. Il semble que les attaques mortelles ne sont pas de ce côté. Sortir ? Prendre le RER pour revenir ? Et où sont les autres enfants des autres invités. Les téléphones appellent. Vite savoir si tout le monde va bien. Rentrer à la maison où nos filles dorment sereinement. Frissonner. Ne pas pouvoir quitter le fil de l’actualité. Attendre que le cauchemar se termine. Tourner dans son lit. Se blottir sur le canapé. Voir les heures défiler.

Se réveiller avec la gueule de bois. Annoncer la terrible réalité d’une nuit noire à Églantine avant qu’elle n’en entende parler sans comprendre. Jeter un ultime coup d’œil aux dernières estimations, aux premières déclarations. Éteindre. Déjeuner en famille, les yeux cernés, la tête hachée de trop de sentiments. Et puis partir rejoindre les scouts.

Les mineurs n’ont pas eu le droit de venir. Seuls les plus grands, les majeurs, les jeunes citoyens, ceux qui recevaient des balles hier soir sortent leurs gros sacs à dos des voitures, portant à plusieurs les lourdes toiles de tentes. Sur mon téléphone les messages réconfortants continuent d’affluer du monde entier. Puis dans le parc de ce château verdoyant de la région parisienne, nous chantons une chanson sur la fraternité. Le programme n’a pas été changé. Paroles tellement justes qu’elles répondent à mes angoisses et donne du sens à mes espoirs. Finalement ce weekend au milieu des scouts tombe à point nommé. Construire avec les autres pour endiguer le noir de la terreur. Chemise verte pour une nuit blanche.

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Tourbillon de nuit

Fini les smartphones sous les doigts, les écouteurs sur les oreilles et les regards dansle vague. Les peaux jeunes et lisses s’étirent en sourires radieux. Un vrai verre de vin finit d’être dégusté entre des groupes d’étudiants grisés. Le brouhaha des conversations couvre le bruit de la rame. Cheveux bleus, dreadlocks et piercings ont remplacé les costumes sombres. La vie leur appartient. Le RER aussi cette nuit, qui emporte dans un tourbillon leurs vies pleines d’avenir et de rêves. Bientôt minuit en revenant de Paris. 

  

Brise théâtrale

« Y a quoi derrière ? » est le nom un peu piteux du beau projet commun entre mon club photo et le théâtre Firmin-Gémier La Piscine. Loin des merveilleux clichés côté scène, les photographes amateurs du CCPSA peuvent tester leurs compétences techniques et artistiques en se frottant aux coulisses, loges, répétitions, stages et autres éléments prosaïques qui rythment la vie du théâtre. Ombres dévorantes, contrastes appuyés, lumières hallucinées. Et les gens. Mes préférés. Leurs visages qui soufflent, souffrent, sourient, se cherchent, se dévoilent, se referment, traversés d’émotions, bouillonnants ou inquiets, concentrés, éclatants, peaux lissées ou ridées. Leurs mains qui se croisent, se tendent, s’envolent puis retombent, gambillent et ondulent au rythme des phrasés et des inspirations. Je mitraille, avide de capturer l’instant, la vibration, la vie même de la création.

Sur cette photo, Mathieu aide Sylvie à placer sa respiration. Accorder le corps et l’esprit pour mieux apprivoiser le sentiment. Effluves de sensibilités tout en retenues.

 

Respiration

Course d’orientation 

  Borne 74, je l’ai trouvée ! Les enfants hurlent leur joie avant de repartir en courant. Assise sur un banc de pierre qui me gèle les cuisses, je profite des quelques rayons de soleil qui passent à travers le feuillage roussi. Au bout de l’allée en face de moi, baignée dans la tendre lumière d’une clairière au milieu des cerisiers, une femme continue les mouvements harmonieux de je ne sais quel art asiatique, ne prêtant aucune attention aux nuages d’enfants colorés qui traversent bruyamment la dentelle verte du parc. Borne 79 ! Je jette un œil. Les enfants ne doivent pas sortir du périmètre. Au loin une sirène, quelques cris joyeux, un croassement au dessus de ma tête et la musique sèche des feuilles qui tombent au gré du vent. Madame, je me suis piquée avec les orties ! Fin de la rêverie. Un écureuil qui descend rapidement d’un arbre semble me faire un clin d’œil complice. 

Torpeur ensoleillée 

La boîte à bijoux rose princesse joue une valse mécanique. Hortense croque son collier de bonbons qu’elle vient d’enfiler en repartant ses cheveux en place comme une star de cinéma. A l’ombre du noisetier, elle est allongée entre ses doudous et la pile de livres qu’elle a descendu de sa chambre. La tête perdue dans des coussins colorés, elle rêve au rythme de la brise qui chatouille les feuilles des arbres. Encore quelques rayons de torpeur ensoleillée et nous partirons pour son spectacle de danse. 

Fleurs de papier

Longue route. Circulation dense. Accidents. Embouteillages. J’arrive enfin à la maison et retrouve mon homme dans le jardin avec des amis et les enfants qui jouent sur l’herbe tendre. Joie des retrouvailles. Se poser. Se détendre. 
Quand tout le monde est parti, les filles déposent délicatement six morceaux de papier sur une assiette d’eau. Ce sont des fleurs dont les pétales s’ouvrent lentement, laissant découvrir les messages d’amour qu’elles m’ont préparés. Eglantine a eu l’idée. Elle a dessiné les fleurs au feutre rose et écrit les mots qu’Hortense lui soufflait. Hortense a découpé les fleurs dont Eglantine a ensuite replié les pétales. 
Je t’aime. Tu dessines trop bien. Sans toi on ne serait rien. Toute la famille t’aime. Tu es la reine des mamans. Maman, miaou, miaou. 
Mon coeur fond dans les fleurs de papier. Mes filles m’ont fait un superbe cadeau. 

  

L’accordéon du métro 

Les notes d’accordéon qui montent soudain du fond de la rame me sortent de ma lecture. Accompagné d’un tambourin lancinant, l’instrument expire mollement Sous le ciel de Paris. Cela aurait pu être L’amant de la Saint Jean ou d’autres vielles ritournelles. La plupart de mes amis parisiens exècrent ces musiciens médiocres. Ils sont pour moi la musique du métro parisien, le son de la maison quand je rentrais de l’étranger. Attention à la marche en descendant du train. J’ai retrouvé le concert des bruits invisibles du quotidien parisien. Je l’aime d’autant plus de ne l’avoir pas eu pendant dix ans. 

Poissons dans le dos

Il arrive souvent que les filles dorment déjà quand leur papa rentre du travail. Elles avaient donc anticipé le 1er avril en alignant une belle collection de poissons dans le dos de leur père dès samedi. Olivier a accepté leurs massages en faisant mine de ne pas comprendre. C’est tellement drôle de croire que papa se laisse attraper par le scotch des petits poissons de papier.

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Un amour de papa

Quand Olivier sonne à la porte les filles viennent juste de finir de brosser leurs dents. Alors elles prennent le temps de lui raconter leur merveilleuse journée. Le carnaval et les confettis colorés à l’école pour Hortense. Le record de poissons dans le dos de la maîtresse pour Eglantine. Petits évènements et défis du quotidien qui font du bien. Et puis regarde papa, nos beaux poissons pour la pêche aux gages. Choisis-en un. Allez, fais le gage. Olivier cherche le début de la chanson « Libérée, délivrée » de la Reine des Neiges. Quelques heures plus tôt, les quatre petites filles n’avaient eu quant à elles aucune hésitation pour retrouver les premières paroles de cet incontournable des cours de maternelle et primaire. Je lui mets la musique pour l’aider. Il entame un play-back qui tord les filles de rire.

Hortense entraîne alors son père dans un rock endiablé. Tandis qu’il la fait tourner, ses yeux brillent et sautillent au même rythme que ses pieds. Complicité, admiration, joie. Dis papa, c’est comme ça que tu t’es marié avec maman ?

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Poissons d’avril et de papiers

Nous avons commencé en Turquie. Dessiner des poissons colorés sur des morceaux de papier. Y glisser des gages amusants. Ferrer des éclats de rire au crochet d’une canne à pêche vite bricolée pour l’occasion (ces cannes sont farceuses et se cachent d’une année sur l’autre, a fortiori après un déménagement).

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On invite les copines. Tout le monde essaye de se frotter le ventre en se tapant sur la tête. On crie, on saute, on chante et on danse. Eglantine et son amie Eloïse ont dessiné des poissons souples comme des algues qui semblent flotter au pied du bouquet de tulipes.

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Puis vient le temps du goûter, friture en sablés faite toutes ensembles à l’emporte-pièce juste avant le début de la pêche. Petits biscuits en forme de poissons vite avalés en croquant les oreilles des lapins en chocolat offerts par la Mamoune de Chloé.

Joyeux  premier avril !