Le papier dans l’art contemporain. L’affiche de l’exposition est placardée aux quatre coins de la ville depuis des mois. Le beau bleu d’une œuvre de Ferri Garcès, intitulée Cobalt, où des corolles de papier évoquent un fond marin onirique. L’exposition fermait ses portes aujourd’hui. J’y suis allée hier avec Hortense alors qu’Eglantine y est allée cet après-midi.
Le thème me séduisait, l’affiche était alléchante, Henri (notre Père-Noël, voisin et ami) m’en avait dit le plus grand bien et mon amie Françoise avait également attiré mon attention sur l’évènement. La Maison des Arts d’Antony se trouve à quelques minutes à pied de la maison, dans un joli parc arboré. Il aurait vraiment été dommage de passer à côté.
Les quatre artistes présentées sont des femmes. Chacune utilise des techniques très différentes, des papiers très variés et des univers artistiques bien distincts. Cependant, il se dégage de l’ensemble une douceur onirique qui s’appuie sur une maîtrise parfaite du matériau et une originalité du traitement qui subjugue.
Les papiers sculptés d’Anne-Charlotte Saliba
Dans sa présentation, l’artiste parle d’errance maîtrisée au sujet de son travail. Le papier lisse d’un blanc immaculé est suffisamment lourd pour être sculpté dans l’épaisseur. Poinçonnage, perforation, incision, embossage apportent volume, reliefs et lignes douces entre ombre et lumière.
Le papier de Ferri Garcès est enroulé, plié et multiplié de telle sorte que ses œuvres dégagent un sentiment d’infini vibrant, sensible et organique. Forêt amazonienne ? Fond marin ? Coquillages ? champs de fleurs ? L’œuvre se regarde de face ou de côté. Le chant était aussi beau que la face principale. Le regard se perd en une médiation aérienne, se pose sur un détail, ouvre les pensées sur des mondes imaginaires qui semble soudain bien proches et réels.
Les œuvres de Nathalie Boutté ont trois dimensions : le sujet représenté, le papier utilisé et le texte imprimé sur le papier. Un premier regard embrasse le sujet représenté en des milliers de lamelles de papier collées sur une à côté des autres, se chevauchant à chaque rangée. La technique rappelle le plumage d’un oiseau un peu ébouriffé. Les lamelles sont d’épaisseur et de dispositions inégales, apportant un effet de volume supplémentaire.
Chaque œuvre offre différents niveaux de lecture. La première impression visuelle est renforcée par le texte imprimé sur les lamelles. Comme cette carte d’Europe qui reprend dans la langue de chaque pays la première phrase de la déclaration des Droits de l’Homme.
Mathilde Nivet façonne le papier en trois dimension. Elle le plit, le tord, le tisse, le découpe, le superpose pour obtenir des œuvres en trois dimensions telles des sculptures colorées. Depuis l’escalier qui mène au premier étage qu’elle partage avec Nathalie Boutté, on aperçoit ses fleurs colorés, jardin anglais suspendu, ou ses oiseaux bleus qui promènent leurs ombres sur le plafond blanc.
Certaines œuvres rappellent la vannerie.
La plus éblouissante est à mon avis cette chute de feuilles jaunes rehaussées par des branches bleues agrémentées de boutons flamboyants – dont j’ai malheureusement oublié de noter le titre.
Même Hortense, venue à l’origine parce que je ne lui avais pas laissé le choix, a été éblouie par les créations présentées lors de cette magnifique exposition. Merci à la Maison des Arts d’Antony de nous avoir offert cette douce parenthèse de papier.
Les prochains mois vont m’amener à voyager régulièrement vers les vignobles du Cognac. Pour plus de tranquillité, je souhaitais voyager en train.
Le temps de transport est globalement le même qu’en voiture puisque je dois compter le trajet de chez moi à la gare TGV, le temps de récupérer une voiture de location à la gare d’arrivée, puis le trajet jusqu’à ma destination. Mais je peux me reposer dans le train et il est considéré comme l’un des moyens de transport les moins polluants au monde. De quoi dormir sur mes deux oreilles.
Or il est impossible de dormir sur ses deux oreilles. Je ne sais pas qui est l’inventeur ou l’inventrice de cette expression mais il/elle devait avoir une drôle de tête pour être capable de dormir sur ses deux esgourdes en même temps. Notre anatomie ne nous le permet tout simplement pas. Et le train non plus.
Le repos et une meilleure empreinte carbone pour quelques euros en plus
Tout d’abord pour une question de prix. Essence et péages inclus, le trajet en voiture me revient à peu près à 90€. Soit 180€ aller-retour. La semaine dernière, alors que j’ai fait ce même trajet, j’ai réussi à acheter des billets aller-retour pour un peu moins de 120 euros. J’y ai ajouté la même somme pour disposer d’une voiture sur place. Les charmes de la campagne et des villages isolés… Résultat, quelques dizaines d’euros de plus que le trajet en voiture. Le prix de mon repos et d’une meilleure empreinte carbone. Ça se justifiait.
Pour une meilleure empreinte carbone, remplacer la location d’une voiture par un vélo
Emporter Pimprenelle
Alors que je dois y retourner dans quelques jours – j’ajuste les dates en fonction des contraintes du moment – je pense à troquer la voiture contre un vélo. Mon premier réflexe est de regarder les solutions pour emporter Pimprenelle – ma bicyclette électrique. Avec elle, je ne crains pas d’affronter quelques dizaines de kilomètres dans la campagne charentaise.
La SNCF propose le transport d’un vélo pour 10 euros supplémentaires, dans la limite des places disponibles, sur ses TGV Inoui. Il ne me reste qu’un choix d’aller et de retour direct. Mais aucune possibilité d’ajouter un vélo à ma réservation. Je pense que les quelques places pour les bicyclettes sont déjà prises. Logique, les vacances estivales sont déjà bien entamées.
Les autres billets disponibles sont des trajets avec une, deux ou trois correspondances. Compliqué avec Pimprenelle. Et mon temps de transport est multiplié par deux ou trois.
Louer un vélo sur place
Je ne me décourage pas et entreprends de louer un vélo dans la ville d’arrivée. La gare de TGV étant à 30km de ma destination finale, je cherche un loueur dans la petite ville desservie par le TER la plus proche. C’est une ville ravissante où le tourisme vert prend tout son charme. Les vélos y sont loués pour des balades à travers les vignobles ou le long du fleuve et non comme un réel mode de transport tel qu’on peut trouver dans les grandes villes. Les prix s’en ressentent. A la journée, c’est à peine moins cher que la location d’une voiture.
Je me tourne alors vers un loueur de vélo autour de la gare TGV. Il me faudra prendre un bus pour rejoindre l’agence de location associée aux transports publics de la ville. Sur le site, je n’ai aucune info sur le nombre de kilomètres qu’il est possible de faire avec leurs vélos. Normal, ils sont prévus pour rester en ville, dans un rayon de 5 à 10km. Tenté 60km est trop risqué. Un vélo électrique sans batterie c’est une plaie à pousser. Inenvisageable sur plusieurs kilomètres.
Pas question non plus de faire 30km sans assistance électrique. Trop fatiguant.
Je laisse tomber l’option vélo.
Le coût du train
Contrairement à mon dernier voyage, cette fois-ci mes billets coûtent plus de 200€. Et je dois y ajouter la location d’une voiture. Trop cher.
Je partirai donc à l’heure qui me convient. Je roulerai à mon rythme en écoutant un livre audio, un podcast ou de la musique. J’arriverai directement à destination et je profiterai d’une voiture sur place. Ce sera la mienne.
Le coût du train est trop élevé à moins de s’y prendre des mois à l’avance. Ou d’avoir un gros coup de chance que les tarifs, comme la semaine dernière. Or mes contraintes actuelles m’obligent à des adaptations de dernière minute.
Le voyage à faible empreinte carbone (train + vélo) est actuellement un luxe qui demande soit d’avoir du temps, soit d’avoir de l’argent. L’idéal étant d’avoir les deux. A quand une vraie politique publique pour favoriser ces modes de transport ?
Olivier et les filles ont ajusté leurs baudriers, enfilé leurs gants et écouté les consignes de sécurité. Accrochés à leur ceintures, deux mousquetons hyper sécurisés et une poulie. Ils se hissent sur le premier parcours grâce à un mur d’escalade en bois. Hortense a insisté pour que leur père partage avec elles une après-midi d’accrobranche.
Sous les hêtres, les chênes et les marronniers, les encouragements croisent quelques cris de frayeur, le chuintement des tyroliennes et le claquement des mousquetons qui s’enclenchent sur les câbles. Les soleil s’immisce entre les branches mais le feuillage dense préserve une fraîcheur relative. Le vent souffle délicatement, tenant la chaleur estival à l’écart des grimpeurs.
Chacun, chacune pousse les frontières de ses peurs. En équilibre sur des rondins de bois, enjambant le vide à chaque pas, suspendu plusieurs mètres au-dessus du sol, accroché à une corde ou les pieds instables sur des planches de bois oscillantes.
Jusqu’au parcours final que les filles attaquent seules avec un saut de la Tarzan. Suspendues à une grosse corde, elles doivent se jeter dans le vide avant de pouvoir s’accrocher à un immense filet. Ça tire sur les bras, force dans les jambes, accélère le rythme cardiaque, rougit les joues, mouille les tee-shirts mais les filles réussissent brillamment l’épreuve. Notamment Hortense qui s’accroche au filet du premier coup. Qu’il est loin le temps où elles restaient bloquées sur des plateformes, paralysées par la peur de s’engager sur les cordes tendues.
Je préfère m’installer sous un vénérable marronnier et regarder la lumière jouer entre ses larges feuilles.
La Charente serpente entre les pierres blanches de ses vieilles cités, petits villages et abbayes romanes. Les saules pleurent leurs branches dans l’eau claire qui file doucement. Des poissons rasent la surface à la recherche de nourriture. Les libellules virevoltent le long des berges dans des éclats bleus ou verts. Un kayak aux couleurs vives est posé sur un banc de gravier au milieu du fleuve. On entend des éclats de rire derrière les arbres de la berge. Quatre adolescents s’amusent et se chicanent à grands renforts de jets d’eau fraîche.
Je m’accorde une dernière pause avant de rejoindre maman. Toujours se méfier de l’eau qui dort.
Ce sera ma photo du lundi cette semaine. Une bouffée d’oxygène, un oasis de quiétude avant d’affronter le grand tourbillon.
Déjà six heures que nous sommes sur la route. A l’arrière de la voiture, Hortense écoute de la musique dans mon gros casque réducteur de bruit. Sitôt quittés nos amies à Carry le Rouet, elle a sombré dans un sommeil profond, la tête renversée contre la portière. Une semaine de plongée quotidienne, de levés à 7h30, de veillées animés, d’éclats de rire avec les nouvelles copines et copains, de kayak dans les calanques et autres défis sportifs à l’UCPA de Niolon… elle est crevée.
Nous venons de passer Vezelay quand Eglantine entreprend de nous situer sur la carte de France. Je l’ai acheté sur une aire d’autoroute à l’aller. Mais nous étions toutes trop fatiguées pour s’y intéresser. C’est la première fois qu’Eglantine suit notre trajet sur une carte en papier.
Nous ne roulons plus qu’avec le GPS. Très pratique pour ne pas se perdre. Complètement inutile pour se repérer dans l’espace. Avec Waze la route ressemble à une éternelle ligne droite. Si l’on sait où l’on va, on ne sait plus où l’on est.
Le doigt posé sur la carte, Eglantine a repéré le nom des villes, le numéro des routes, celui des sorties de l’A6, la destination des autoroutes que nous rencontrions. L’A19 partait vers Orléans. L’A77 provenait de Nevers. Les départements sont devenus concrets. Les distances se sont ajustées. La géographie a retrouvé une réalité dans laquelle projeter le trajet. La route a cessé d’être un espace distendu où seul le temps qui passe servirait de repère.
En plus, la lecture de la carte amène des discussions, des découvertes, des mises au point et des interrogations. Plus le temps de s’ennuyer. Arrivées en région parisienne, il nous aurait fallu un plan plus détaillé pour continuer à suivre.
Désormais cette carte restera toujours à portée de main dans le vide poche central de la voiture.
La Ciotat est une ville originale. D’un côté, un humble port de pêche, sas embarcations traditionnelles colorées et la flotte des bateaux de plaisance. Sur le quai d’en face, un immense portique de plus de quatre-vingt-six mètres de haut, des hangars gigantesques et des mega yachts de plusieurs étages.
Sur le plus grand portique, le chiffre 105 rappelle les derniers ouvriers qui ont défendu leurs chantiers navals à la fin des années 80.
Sur les plages, les familles se retrouvent, les amis viennent partager un verre ou un pique-nique en fin de journée.
Eglantine, elle, a rejoint chaque après-midi la société Nautique de La Ciotat pour deux heures et demie sur son catamaran à faire des aller-retours dans la baie d’Amour sous l’œil du Bec de l’Aigle. Nous sommes venues à La Ciotat car c’était le seul club que j’avais trouvé qui proposais des stages de catamaran alors que les vacances scolaires n’avaient pas encore commencé.
Le Bec de l’Aigle… et la petite voile à droite, c’est le catamaran d’Eglantine
Parfois je m’asseyais au bout d’une jetée pour la regarder. Enfin, tenter d’apercevoir le numéro 4 sur sa voile. Sinon, de loin, impossible de reconnaître ma navigatrice préférée.
Cette dernière journée l’a tout de même bien secouée. Beaucoup de vent. Beaucoup de vagues. Des manœuvres difficiles. Mais un sourire magnifique à la fin de cette semaine de voile.
Au bord de la Méditerranée, j’aime le bleu de l’eau, le crincrin des cigales, les palmiers esseulés sur les quais, les bateaux colorés, le rose éclatant des bougainvilliers, les ruelles étroites, le rosé frais, l’accent chantant, les boulistes à l’ombre des pins. J’aime même le mistral qui vient caresser la peau et rafraîchir les rues – la mer aussi, qui plafonne laborieusement à 16°.
Cependant, ce qui m’émeut le plus lorsque je me ballade depuis plusieurs mois, ce sont les ombres des plantes qui jouent sur les murs. Entre flou artistique et contours parfaitement dessinés, avec les feuilles qui viennent rehausser les ombres sur les façades défraîchies, le mobilier, les pierres…
Une beauté fugace, évanescente, légère, discrète qui m’attire depuis longtemps et que, désormais, j’ai décidé de photographier.
En ce premier lundi de juillet, je vous partage une photo prise dans une ruelle de La Ciotat. Une grosse pointe ancrée dans un mur d’ocre fatigué, point fixe et solide dans une mer ondoyante d’ombres et des feuillages.
Et j’en partage une autre, prise lors du festival Solstice, sur une table de jardin.
Une douceur presque fantasmatique tant elle invite à se détacher du quotidien.
La route est longue pour rejoindre les côtes varoises. Après deux week-ends de Solstice et un gros rangement au théâtre lundi matin, j’ai mis les filles dans la voiture, trois valises, des palmes des masques et des tubas. Direction le Cap Dramont. Huit heures de route. Neuf heures avec les pauses. Nécessaires les pauses. Mes yeux se fermaient. Je me suis fait une petite frayeur. De micro-siestes en café bien noir, nous avons roulé tout l’après-midi et une bonne partie de la soirée.
Quand nous sommes arrivées, Eglantine et Hortense sont allées se promener sur la plage pendant que je nous installais.
Enfin, aujourd’hui, profiter du soleil et de l’eau claire. Regarder le temps qui passe et les gens qui parlent sur la plage. Beaucoup d’Allemands, de Hollandais et d’Anglais. Les Français en sont pas en vacances.
Face à nous, l’Île d’Or qui a inspiré l’Île Noire des aventures de Tintin.
Nous avons partagé des pizzas en regardant le soleil se coucher sur la baie.
Traîner sur les rochers. Les pieds sur les galets.
Hortense dessinait dans son carnet, moi dans le mien. Eglantine, elle, déroulait sa pelote de coton pour un nouvel ouvrage au crochet. Douceur, calme, création…
La mer, pour rêver de jours meilleurs, noyer la fatigue et nager dans le bonheur.
Des jambes interminables et un carré plongeant autour d’un regard de velours.
La porte venait juste de se refermer sur les policiers envoyés par les voisins pour tapage nocturne quand Baptiste avait aperçu Chloé pour la première fois. Elle buvait un verre de vin en écoutant distraitement un jeune homme à la chemise blanche impeccable remontée sur des bras déjà bronzés alors qu’avril découvrait à peine ses premiers rayons de soleil. Baptiste, lui, avait encore son teint cachet d’aspirine. Ils ne sortait jamais sans sa parka ou sa veste de pluie.
Aux premières notes de Bande organisée, Chloé s’était dirigée vers la piste de danse, retrouvant ses copines dans des effusions joyeuses et bruyantes. Les jeunes femmes dansaient ensemble, jouant des hanches et des épaules, chantant les paroles qu’elles accompagnaient de gestes de la main à la manière des rappeurs marseillais. Baptiste avait saisi son carnet et croqué ce groupe de filles qui concentrait tous les regards.
Quand elles furent trop fatiguées pour danser, elles vinrent regarder les dessins de ce drôle de type dont personne n’avait remarqué l’arrivée. Maintenant qu’elles s’étaient regroupées autour de lui, elles découvraient le charme de ses cheveux roux en bataille, de sa mâchoire carrée hollywoodienne et de ses yeux bleus à la clarté troublante.
Chloé, elle, était subjuguée par les longs doigts fins qui maniaient le crayon avec virtuosité. La peau extrêmement blanche, presque diaphane, contrastait avec la précision des gestes et la nervosité des traits où s’exprimait toute l’énergie de leur danse. Elle eût immédiatement envie de ces mains. Elle garda un œil sur Baptiste tout le reste de la soirée, s’assurant d’être régulièrement dans son champ de vision, de sorte qu’il multiplia les esquisses fébriles de la jeune femme.
Baptiste quitta la soirée vers trois heures du matin. Il n’avait pas trouvé le courage de demander son numéro de téléphone à Chloé. L’occasion s’était pourtant présentée quand ils s’étaient retrouvés tous les deux, seuls, dans la cuisine. Mais un groupe de garçons les avaient rejoints au moment où il allait se jeter à l’eau.
***
Il avait revu Chloé quelques jours plus tard. Il buvait un verre en terrasse avec Manon, sa meilleure amie. Chloé avait traversé le carrefour d’un pas pressé. Manon l’avait reconnue la première et l’avait interpelée. Chloé avait commandé un Martini blanc, avec une olive. Baptiste n’avait jamais vu que ses parents boire du Martini. Décidément, cette fille le déconcertait avec bonheur. Au moins avait-il enfin vraiment pu faire sa connaissance.
Elle l’avait imaginé aux Beaux-Arts, elle le découvrait botaniste, spécialiste de la dépollution des sols par les plantes. Elle s’était enthousiasmée pour le sujet, elle dont le ficus dans son studio n’avait pas fière allure. Revigoré par l’intérêt de la jeune femme, Baptiste s’était embarqué dans des explications détaillées sur la phytoremédiation, de l’intérêt d’utiliser des plantes et des champignons pour retirer les radioéléments tels que le césium et le strontium, retrouvés en masse dans la terre après l’incident de Tchernobyl ou les métaux lourds comme le cadmium, qui ont tendance à s’accumuler ensuite dans le corps humain.
« Tu vois, si on arrive à identifier les bonnes plantes, ou à les créer, on peut aussi imaginer dépolluer des sites tels que les anciens chemins de fer. On y trouve plein de plantes sauvages qui sont normalement comestibles. Mais avec la pollution par les métaux des rails et des trains, je te déconseille d’essayer de t’en faire une salade ! »
Le jeune homme, souvent un peu voûté, comme peuvent l’être ceux qui ont été grands plus tôt que les autres, se redressait quand il parlait de son sujet de recherche. Ses mains mimaient ses paroles. Ses gestes étaient de plus en plus amples. Manon lui tapota délicatement le bras en lui murmurant : « Baptiste, attention, tu t’emballes. » Il eut un petit rire nerveux, inspira profondément, balayant l’air de la main comme pour chasser le flot de ses paroles. Il s’excusa puis plongea le nez dans sa pinte pour se donner une contenance. Son dos s’était de nouveau légèrement arrondi.
Chloé était fascinée par cet homme qui n’avait visiblement aucune conscience de sa beauté. Quand Baptiste parla des balades qu’il organisait sur la Petite Ceinture pour sensibiliser les citadins à la présence bienfaisante des plantes sauvages, Chloé s’engouffra dans l’ouverture. Elle l’accompagnerait. Il n’en revenait pas que cette fille à la beauté éclatante embarque ainsi dans une de ses passions.
***
Ils firent l’amour le samedi suivant, en revenant de la Petite Ceinture, dans l’appartement de Baptiste, un petit deux-pièces encombré de boutures dans des bocaux en verre disparates, de plantes séchant au plafond, de feuilles de dessin volant aux quatre coins de l’appartement et d’épais dossiers de recherche. Elle aima sentir ses mains sur sa peau, sa fougue, sa tendresse. Elle se sentit sereine dans toute l’attention qu’il lui portait.
***
Au mois de mai, Baptiste lui cuisina des beignets de fleurs de sureau. Elle posta sur instagram ses salades assaisonnées de feuilles de lierre terrestre ou de tiges de berce coupées en morceaux. En juin, elle s’amusa de le voir grimper dans les tilleuls pour en cueillir les fleurs qu’il mit à sécher en prévision des infusions d’hiver. En juillet, il profita des quelques semaines de vacances de Chloé pour l’emmener dans le chalet de ses grand-parents sur les hauteurs de Saint-Gervais.
Ils partaient randonner au petit matin. Ils emportaient des sacs en papier pour cueillir quelques plantes. Les ruisseaux qui dévalaient les pentes arborées était propices à la Reine des prés. Chloé collectionna les selfies au milieu des touffes de fleurs cotonneuses à la douce odeur d’amande.
Elle affichait un sourire radieux qui donnait des ailes à Baptiste. La vie du jeune homme semblait d’ailleurs prendre un nouveau tournant. Ses recherches avançaient à grands pas. Il préparait un voyage en Albanie à l’automne. Une plante particulièrement intéressante venait d’y être identifiée par l’équipe du professeur Dallais et il avait été invité à les rejoindre.
« Rends-toi compte, dit-il à Chloé, l’Alysson des murs est une hyperaccumulatrice. Elle extrait le nickel du sol par ses racines. Les paysans du coin la cultive désormais intensément. Nous allons pouvoir collecter des données précieuses sur une base de travail conséquente. C’est révolutionnaire ! »
Ils venaient de s’assoir sur les hauteurs de la Tête Noire. Le Mont Blanc se devinait derrière les hauts mélèzes. Le sol était couvert de myrtilles qu’ils avaient prévu de ramasser après leur pique-nique. Chloé ouvrit la boîte contenant les morceaux de carotte crue que Baptiste avait découpés pour eux. Il emportait toujours des crudités pour accompagner les sandwichs qu’il préparait le matin même avec d’épaisses tranches de pain de campagne, du jambon de pays et un excellent reblochon fermier. Chloé avait obtenu de haute lutte le droit d’y ajouter un paquet de chips. Elle glissait aussi du rosé dans sa gourde isotherme. Elle voulait profiter de ses vacances même si elle avait troqué Ibiza pour les Alpes.
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Soudain, Baptiste se mit à hurler. Il venait de trouver une fourmi dans les carottes. Baptiste était mirmicophobe. Pas facile pour un botaniste de terrain de ne pas supporter la présence des fourmis. Mais en suivant quelques règles simples, il arrivait à ne pas trop en souffrir. Toute nourriture était notamment soigneusement emballée dans des boîte étanches. Et ils observaient attentivement le sol avant de s’installer pour déjeuner. Il avait déjà eu plusieurs discussions à ce sujet avec Chloé. Suivre des règles n’était pas la plus grande qualité de la jeune femme. Elle aimait surtout lâcher prise et se laisser porter par la vie.
Or Chloé avait posé la boîte de carottes ouverte au milieu des myrtilles. Décidément, elle était incapable de respecter les règles de bases que Baptiste lui avait pourtant répétées mille fois. D’autant qu’une fourmi reste rarement seule. Déjà, de nouvelles petites têtes noires apparaissaient entre les pierres, certainement attirées par les miettes des sandwichs et, là, par ces morceaux de chips échappés de leur sachet.
Baptiste suait à grosses gouttes. Il était rouge de fureur mais incapable de bouger, statufié par sa peur viscérale de ces insectes. Chloé fit usage de tout son charme pour le calmer tout en écartant une à une les petites bêtes indésirables. Elle était vraiment désolée mais sentait bien que l’incident avait pris des proportions extraordinaires pour Baptiste. Il ne mangea rien et ils redescendirent à toute allure sans cueillir une seule fleur de Reine des prés.
Le soir, Baptiste ne déposa même pas un baiser sur les lèvres de Chloé. Il lui tourna le dos.
Le lendemain, leurs discussions restèrent tendues. Désormais, chaque action de Chloé irritait Baptiste. Son dédain des gestes élémentaires de recyclage. Sa manie de boire du coca. Son habitude de mettre ses pieds sales sur le canapé. Sa façon de laisser la vaisselle tremper au lieu de la laver rapidement pour éviter d’attirer les bestioles. Sa joie à partager sa vie sur les réseaux sociaux au lieu d’en profiter simplement.
***
Dans le train du retour, Baptiste craqua complètement quand une fourmi sortit tranquillement du sac où Chloé avait rangé un paquet de biscuits entamé. Il quitta le wagon sans un mot et alla s’installer à l’autre bout du train, dans la même voiture qu’une troupe de scouts. Il préférait le brouhaha des ados à la simple idée d’une fourmi.
Il retrouva Chloé au bout du quai, Gare de Lyon. Il avait préparé ses mots pendant le voyage. Il tenta d’être doux, expliqua que, vraiment, ça ne pouvait pas marcher entre eux même si, bien sûr, il avait passé des mois merveilleux avec elle. Et puis, il ne savait pas combien de temps il resterait en Albanie. Non vraiment, ça n’avait pas de sens de continuer leur relation.
Il fut sincèrement triste de voir des larmes couler silencieusement sur la peau douce des joues de Chloé. Mal à l’aise, il partit sans se retourner, le dos voûté, pressé de prendre le métro qui le ramènerait dans son appartement où, enfin, il était certain de ne trouver aucune fourmi.
***
Une fois qu’il eut disparu dans les entrailles de la gare, Chloé sortit son téléphone pour demander à Marco de venir la chercher en scooter. Elle avait rencontré ce jeune italien à un vernissage à la fin du mois de juin. Il était déjà fou d’elle mais Chloé avait prolongé au maximum cette phase de séduction qui était sa préférée. Quand les hommes faisaient preuve d’une imagination débridée pour la charmer.
Marco arriva quinze minutes plus tard. Il sentait bon. Il avait dû prendre une douche rapide avant de venir. Elle renifla délicatement son cou en lui faisant la bise et plongea un regard intense dans ses yeux sombres et gourmands.
***
Avant de monter sur le scooter, elle sortit une boîte de son sac et libéra une vingtaine de fourmis affolées sur le bitume parisien.
Demander son avis sur un spectacle à un directeur technique de théâtre, c’est demander à un ouvrier agricole sur les bords de Loire au XIXe siècle s’il le saumon est bon. Le saumon, il en mangeait à tous les repas. Difficile de se laisser encore surprendre.
Le festival Solstice s’est encore poursuivi toute ce week-end. Les techniciens ont monté les structures chaque jour sous une chaleur caniculaire. Peaux rougies, desséchées, soif intense, épuisement. L’esprit d’équipe tient l’énergie de la troupe mais les démarches se font lourdes, les jambes raides, les pieds trainants, les épaules tombantes.
Et puis ce soir.
Dans la lumière rasante de la fin d’une journée d’été, la Bande à Tyrex sort les cuivres la batterie et l’accordéon. Chanteurs, musiciens, acrobates, comédiens, ils sont onze à prendre d’assaut la scène montée pour eux. De la joie, de l’absurde, de l’équilibre, de la chute, de la connivence, jamais d’indifférence. Le public adhère, suit le mouvement, applaudit, chante, fait la Ola.
La bande à Tyrex au festival solstice 2023
Les artiste font tournoyer leurs vélos, les tirent tels des boulets, pédalent le nez au vent telle Paulette sur les chemins environnants, se rentrent dedans, se cherchent, s’évitent puis se retrouvent.
La musique accompagne, entraîne, orchestre cette joyeuse bande de clowns en roue libre. Poésie déjantée, amoureuse, bienveillante, littéralement éblouissante (un casque boule à facette réverbère les rayons chatoyants du soleil couchant).
Enfin, la piste est envahie, les musiciens appellent les spectateurs et le bal commence, heureux, simple, réjouissant.
On écluse les bières, esquisse des pas de danse. On se tape dans le dos. On se félicite de la saison, du festival, de la journée. Les sourires sont sincères sous les regards assommés de chaleur.