Deux jours sur un stand au Village Nature organisé par notre ville avec les Petites Cantines. Inventer des jeux sur l’alimentation durable, ressortir le bon vieux panier garni (en alimentation durable avec du bio, du vrac et du local !), cuisiner un millier de cookies dans une ambiance détendue et solidaire, croiser des sourires, répondre à des questions étranges, découvrir des gens fabuleux, partager des idées, refaire le monde, embellir la vie, multiplier les rencontres autour de l’alimentation durable.
Deux jours de richesse humaine en répétant en boucle son pitch sur les Petites Cantines. Accueillir de nouvelles bénévoles. Retrouver de vieilles connaissances. Découvrir de belles personnalités.
Dix jours de préparation. Deux jours non stop sur le stand. Le bruit de la scène où s’enchaînent les spectacles de danse de tous les centres de loisir.
Ambiance joyeuse et pleine de vie comme je les aime.
Mes yeux se ferment. Mes rêves s’envolent. La fatigue me terrasse.
L’associatif est un milieu enthousiasmant. Faire bouger les lignes, doucement, pas après pas, geste après geste, petite victoire après petite défaite. Sortir de sa zone de confiront. Découvrir de nouvelles compétences. Se confronter aux autres. Mettre en regard différentes façon de penser. Battre en brèche les idées reçues. Apprendre à faire confiance. Accepter ses limites.
Le problème de l’associatif, c’est que c’est un milieu enthousiasmant. L’enthousiasme est un moteur puissant. Mais il ne peut pas étirer le temps. Seulement créer plus d’envies. Envie de construire, envie de partager, envie de développer, envie d’assurer, envie de faire plus. Encore. Toujours.
Et les journées s’allongent. Les heures s’additionnent au fil des opportunités de faire vivre un projet qui tient à cœur.
Mettre le doigt dans l’associatif, c’est y plonger sa main, son bras et, enfin, tout le corps.
Parfois, on a besoin de rejoindre une plage au sec.
En ce moment, je nage en apnée pour Les Petites Cantines Antony. Je ne suis pas la seule. Heureusement, nous avons déjà trouvé quelques planches pour construire un radeau qui pourra porter notre projet en gardant la tête hors de l’eau. Et qui sait, rejoindre la plage de rêve d’où contempler l’étendue de ce que nous avons accompli.
Connaissez-vous le pitch ? Bien sûr, les fans de goûter penseront tout de suite aux petites brioches fourrées de pépites de chocolat. Les pro de l’entrepreneuriat et des projets, eux, auront reconnu cette présentation, courte et percutante, qu’ils doivent être capables d’exposer à la moindre occasion.
Un pitch, c’est quelques minutes pour convaincre.
Des heures de préparation.
Parce qu’on a beau connaître son projet sur le bout des doigts – pour moi, il s’agit des Petites Cantines Antony, dont je suis une des porteuses de projet – le résumer en quelques phrases est plus difficile qu’il n’y paraît. Tendance à répéter et à paraphraser pour être certaine que l’interlocuteur.rice a bien compris. Usage outrancier de superlatifs parce que, forcément, c’est un SUPER projet, tellement formidable que vous aurez envie de le soutenir, c’est sûr. Envie d’entrer dans les détails au risque de perdre le destinataire.
Ce matin, Hélène et moi étions convoquées au Conseil Départemental à Nanterre. En face d’un petit cimetière à l’ombre des tours de La Défense. Le dossier envoyé dans le cadre de l’appel à projet Progr’ESS 92 – notez le jeu de mots qui utilise le verbe progresser et le sigle de l’Economie Sociale et Solidaire – compétait de nombreux éléments détaillés sur nos objectifs et les moyens pour y arriver. Mais sur les vingt-neuf dossiers envoyés, quinze ont réussi une première sélection au terme de laquelle ils étaient auditionnés.
Nous étions les troisièmes à être entendue ce matin. Cinq minutes pour pitcher, cinq minutes de questions-réponses.
Nous avons terminé de répéter notre pitch dans la voiture devant l’Hôtel du Département.
Nous avons revêtu nos tabliers aux couleurs des Petites Cantines dans le hall du bâtiment, en attendant d’être appelées.
Dans la salle de réunion du troisième étage, une dizaine de femmes et d’hommes assis autour d’une table ovale. Et au bout, deux chaises vides.
Nous sommes assez fières de nous car nous avons réussi à être fluides. Assez pour noter les réactions du jury face aux informations que nous leur donnions. Ils aimaient les chiffres. C’est à ce moment qu’ils ont pris le plus de notes. Nous qui prônons une société basée sur la confiance plus que sur la performance… Pour les partenaires qui nous soutiennent, la performance reste le principal critère.
De l’intérêt, alors, d’appartenir à un réseau et de s’appuyer sur l’expérience des dix Petites Cantines déjà ouvertes en France.
Ainsi, en dix minutes, tout était joué. Tel le canard nageant sur l’eau d’un lac dont on ne voit pas les pattes qui moulines sous la surface, nous devions montrer un visage avenant, un discours efficace et un modèle économique solide sans laisser paraître le travail et les doutes que cela représente par ailleurs.
Un jeu d’équilibriste.
Réponse dans deux ou trois mois, le temps que la décision soit prise, validée, contre-signée et tamponnée trois fois.
Porter un projet associatif est une véritable aventure, chargée d’imprévus, d’expériences et de rebondissements. Depuis deux ans, je suis engagée dans le montage des Petites Cantines Antony. La nourriture, à travers la cuisine participative et les repas partagés, est un prétexte à la rencontre. Le faire ensemble amène la confiance et c’est tout un modèle de société qui se dessine.
Ouvrir une Petite Cantine, c’est mobiliser une communauté, construire un budget, obtenir des financements et, surtout, trouver un local. Il faut tout mener de front avec des bénévoles dont l’investissement va et vient au gré de leurs envies et de leur temps libre.
Nous sommes trois à porter le projet, à des degrés plus ou moins important. Je parle de temps disponible. Moi je suis au milieu. Deux fois moins de temps qu’Hélène, mais deux fois plus que Nathalie.
Quand j’ai signé pour être porteuse de projet, Eglantine venait de sortir de l’hôpital. Je pensais que le plus dur était derrière nous. C’était certainement le cas. Mais le plus long et le plus fastidieux, c’est maintenant. L’accompagner dans la construction de sa vie au rythme de sa fatigue. C’est aussi un beau projet.
Et puis il y a ce besoin d’écriture, cette envie de peinture qui me taraude et que je laisse de côté pour le moment, la photographie que j’oublie aussi.
Comme d’habitude, tout se bouscule. Ça joue des coudes dans l’agenda.
Parfois, j’ai envie de baisser les bras, passer mon tour, abandonner la partie. Le morceau est trop gros pour moi. Pourtant, après une discussion d’équipe, on se remonte le moral, on se pousse, on se tire, on se fait la courte échelle et on atteint des paliers. Une aventure, je vous dis !
Ce soir je rentre juste d’un conseil d’administration frustrant. Un de ceux où se posent plus de questions que ne sont apportées de réponses. Pourtant, je ne suis pas abattue. L’équipe a encore besoins ‘être étoffée mais elle semble assez solide pour trouver les réponses.
On navigue encore à vue, dans le brouillard, sur un rafiot pas bien grand. Mais l’océan des possibles qui s’ouvre à nous, même s’il fait peur, a de bien jolies couleurs. Juste, ce serait bien de laisser tomber les rames pour un bon moteur. Ça viendra. Il faut avoir confiance.
Les Petites Cantines, c’est justement une histoire de confiance.
C’est l’histoire d’un film fait avec des enfants. Ceux des locataires et ceux des bénévoles de Habitat et Humanisme. C’est l’histoire de leurs réflexions autour de la Fraternité. C’est l’histoire de leurs dessins. C’est un plein d’espoir à regarder en boucle et à partager.
Déjà dix jours que le temps s’est contracté jusqu’à aboutir à cette journée que nous préparions depuis presqu’un an. Les 30 ans d’Habitat et Humanisme et de la Table de Cana dans l’antenne Hauts de Bièvre fêtés autour du Banquet de la Fraternité. Dimanche 8 novembre à midi, les invités étaient déjà nombreux devant les portes du centre André Malraux que la Mairie nous avait prêté pour l’occasion. Dès le samedi matin, nous avions donné de la chaleur à ces grandes salles sans âme. Gonfler des dizaines et des dizaines ballons, scotcher, nouer des liens, déplacer des tables, des chaises, nettoyer, souffler, sourire. Serions-nous prêts ? Nous le devions. Samedi soir je mettais une dernière fois à jour le planning des animations pour les enfants. J’entassais dans l’entrée l’ultime matériel qui pouvait encore manquer. J’imprimais de beaux tableaux pour mettre tout le monde dans les cases. Dimanche la vie a repris ses droits, les cases sont souvent restées vides. La pétulance des enfants s’est répandue dans un joyeux désordre mais sans heurts au milieu des coussins et ballons, éclatant sous les maquillages festifs, se calmant à la lecture des contes, jouant avec les Scouts, s’endormant même sous le tipi que j’avais amené pour l’occasion, sous l’œil attentif de quatre bénévoles aux couleurs oranges d’Habitat et Humanisme. Les parents dans les salles voisines ont pu profiter du banquet. Défi réussi. Le soir la voiture était pleine de souvenirs colorés entassés du Coin des Enfants. Les bénévoles rangeaient, décrochaient, balayaient, bercés par l’évidente fraternité de cette journée. Car si ce banquet était destiné à récolter des fonds pour l’association, il devait surtout être une fête entre les locataires d’Habitat et Humanisme, les salariés en insertion de la Table de Cana, les sympathisants, et les bénévoles des deux associations, les mécènes et les édiles locaux. Tout le monde s’est mélangé autour des grandes tables dans des conversations ininterrompues. Ce sentiment de solidarité qui fait la fraternité nous unissait tous sans qu’il y ait besoin de le dire. Cependant, après ce 13 novembre, il semble nécessaire de le dire, de le montrer et de continuer à le vivre.