La montagne est devenue un rituel de nos étés. Nature et partage. Douceur de vivre et récompense après l’effort donnent une autre saveur aux vacances.
Septembre commence dans le clapotis des ondées alors que la chaleur a étouffé l’été tel un boa acharné sur sa proie. Nous, nous nous sommes évadés auprès des edelweiss, picorant myrtilles et framboises au bord des chemins, les cailloux roulant sous nos pieds – ou inversement –. Nos regards enjambaient les vallées, gambadaient de sommet en sommet, s’accrochaient aux ailes colorées des papillons, aux voiles gonflées des parapentes, au vol silencieux d’un planeur.
Le cœur qui bat fort, les muscles qui tirent, les poumons qui s’essoufflent. Et là-haut cet air frais, s’enrouler dans la polaire, casser la coquille d’un œuf dur, laisser couler le jus d’une pêche entre ses doigts. Murmure d’un ruisseau, scintillement d’un lac, tumulte d’une cascade sous l’azur où courent quelques filaments nuageux.
Le sifflement d’une marmotte et nos yeux fouillent la montagne. On s’arrête un instant. La tête dressée guette le moindre mouvement, disparaissant dans le sol si le danger se rapproche.
En haut de la montagne, une navigatrice a troqué son bateau pour saisir l’écume des montagnes. Peindre à l’encre de chine avec les plantes des alpages. Imprimer le brisant d’une crête dans la brume matinale. Elle accueille nos gestes hésitants dans un sourire bienveillant et partage cet art de la sérigraphie qu’elle maîtrise avec douceur.
On croque des croquants, on savoure des glaces au pied des glaciers fondus, on découvre le goût de la livèche et on retrouve celui de la reine des prés. On dîne dans des gastros. On partage des apéros. Les assiettes se multiplient autour de la table. On chante des histoires de champignons. On joue à mimer un nénuphar.
Les soirées s’étirent alors que le soleil se couche. Puis la lune se lève et les ombres escarpées accueillent nos rêveries silencieuses. Enfin, les brumes matinales estompent nos indécisions. Dans la lumière ardente, les cimes dentelées sont les mâchoires redoutables d’animaux fantastiques. Que ressent le krill face à la baleine ?
Petit bonheur de les avoir à la maison. Profiter des éclats de rire qui montent du sous-sol avant que vienne le temps où l’oiseau quittera le nid.
Ils ont quinze, seize ans. La timidité les rend un peu gauches. Ils sont plutôt atypiques, décalés, loin de ces jeunes forts de l’assurance de leurs bons-droits. Eux, ils s’interrogent sur la société, les questions de genre ou la psychologie. Ils sont cinq. Leurs rires montent du sous-sol. Je l’ai nettoyé à fond pour qu’ils puissent s’y réfugier toute la nuit.
Seules quelques parts de pizza dans le four témoignent de leur moment à cuisiner ensemble. Ils ont laissé la cuisine bien rangée. Les papiers cadeaux sont dans la poubelle de tri. Une partie de leurs présents attendent le petit-déjeuner sur la table de la salle à manger. Hortense et ses amis se font leur petit Noël à eux.
A l’étage, le sommeil s’est déjà installé dans les chambres. Les chats lissent leur pelage avant de s’endormir sur les fauteuils du salon, éclairés par le clignotement intermittent des guirlandes de Noël.
Assise sur le canapé, mon ordinateur sur les genoux, j’ai envie de partager ce moment fugace de plénitude. Malgré le temps qui s’emballe à l’approche des fêtes, Hortense a su se préserver un moment pour elle. Négocié de haute lutte. Je ne souhaitais pas tellement avoir la maison envahie par une bande d’ado dans la succession tourbillonnante des repas de fête et des derniers préparatifs de Noël.
La partie de Loup Garou bat son plein. Les matelas d’appoint sont gonflés. Couettes et oreillers sont entassés sur le dossier du petit canapé.
J’aime savoir qu’ils se sentent bien. Je profite à fond de ces dernières années où la maison vibre de leurs éclats de rire.
Rouler sous le soleil de juillet. Zaho de Sagazan chante les nuages. Direction Bordeaux. Ville d’enfance aux souvenirs effacés. Mémoire en éclats, tessons de vie, de la maternelle à l’adolescence. Avant que ne disparaissent le o prononcé comme un a – la vie en « rase » – le g à la fin des mots – aller acheter le « paing » – articuler toutes les lettres, bases de cet accent qui chante le sud. Dans mon sud-ouest natal, les enfants sont des drôles, on se traite de couillon avec affection et on mange des chocolatines.
Je retourne rarement dans la capitale de la Gironde. On a restitué les clés de l’appartement de ma grand-mère derrière le jardin public à sa mort juste après notre retour en France. Mon père avait vendu la maison de notre enfance bien avant de s’éteindre dans un EHPAD au bord du Bassin d’Arcachon. Il a rejoint le caveau de ses propres grands-parents dans un cimetière de la rive droite alors que le monde entier suivait en direct les funérailles de la reine d’Angleterre.
Pour atténuer le découragement qui me saisit chaque fois que je dois me rendre dans la maison de ma maman, j’ai transformé ce voyage en une sorte de road-trip amical et mémoriel.
Talence est désormais une mer inconnue où je flotte sans aucun repère. Des bâtiments ont poussé entre les îles de mes souvenirs. Je retrouve la grande tour de mes premiers pas. Dans la boîte à livres, une série de Tout l’univers. Sur la première page du volume 1, la date annonce 1979. Entrée à la maternelle.
Quelques rues plus loin, l’école est toujours là. Son toit d’ardoise sur la pierre tendre, le préau de mes premiers jeux, la grande grille en fer forgé. L’école primaire se situe à l’angle. La petite porte au fond de la cour était celle de ma classe de CP. Juste à côté du grand fronton où je n’ai pourtant jamais vu personne jouer à la pelote basque. Nous rejouions les dessins animés du Club Dorothée sous les grands platanes. Les anciennes classes de CE1 et de CE2 ont disparu derrière un agrandissement.
Je reprends pied sur l’île principale de mon enfance. Je n’ai qu’à suivre le trottoir pour retrouver notre maison. Ici le bureau de tabac où nous achetions toujours quelques bonbons avec la monnaie des cigarettes de nos parents. La petite maison à laquelle nous aimions sonner puis partir en courant avant que la porte ne s’ouvre. Sales gosses.
Les balcons ont été repeints en bleu. Les volets en bois ont été remplacés par des stores roulants. Des arbres ont poussé haut dans le petit jardin. Le carré de pelouse a disparu sous une terrasse en dalles de bois disjointes. La haie et le voile posé sur la grille m’empêchent d’apercevoir les traces que nos échasses avaient creusées dans la pierre blanche. Elles doivent pourtant encore être visibles, inconnues à quiconque ne lève pas suffisamment les yeux.
La maison voisine est celle des parents de ma copine Véro. Refuge aux crises de l’adolescence, base de repli après les batailles avec mon père lors des visites obligatoires. Vero est revenue vivre à Bordeaux après une vie à Londres. Elle m’héberge dans la maison qu’elle vient d’acheter à quelques minutes de nos fous rires d’adolescentes.
Les années sans nous voir n’ont jamais entamé notre amitié. Nous la retrouvons intacte alors que nous pique-niquons sur une plage océane devant le coucher du soleil. Son rire n’a pas changé, perles sonores et colorées qui sèment de la joie. Cette plage est celle où je venais, enfant, alors que nous vivions pour un week-end ou des vacances au bord du Bassin, dans la maison de mes grands-parents.
Je continue de visiter les îles de mes souvenirs. Le jardin de la maison semble abandonné. Le toit refait à neuf indique pourtant qu’elle est en cours de remise en état. La boîte-aux-lettres porte encore le nom de ma grand-mère. Je marche jusqu’à la jetée délaissée par la marée basse, retrouve le chemin des cabanes d’ostréiculteurs dans le petit port aux portes des prés salés. La route goudronnée a remplacé le chemin blanc sur lequel on jetait les coquilles d’huîtres pour le renforcer. Graviers de nacre blanche qui crissaient sous les roues des voitures.
En route vers la pointe du Médoc. Fenêtres grand ouvertes. L’air chaud ébouriffe mes cheveux. Odeur de pin. Routes aux infinies lignes droites. Vieux séchoirs à tabac. Maisons basses. Puis la forêt s’estompe et j’arrive aux eaux boueuses de l’estuaire. Trajectoires croisées des optimistes, vedettes, voiliers et scooters de mers. L’air de vacances sur le pont du bateau referme la carte des routes de mon enfance.
Un peu plus tard, la lumière chaude étire les vignes du Cognac quand je quitte la maison de maman la voiture pleine de cartons. Les éoliennes jettent de grandes ombres dans le soleil couchant. Je suis le GPS sur les petites routes de Touraine. La silhouette sombre d’un sanglier s’immobilise à mon passage.
Une lampe s’agite sur un chemin de terre. Phare dans la pénombre pour accoster au milieu des champs. Je retrouve Gaëlle dans sa retraite paisible. Quelques amis, des pizzas cuites dans le vieux four en pierre, bières et conversations sous les étoiles. Lueur d’un tracteur qui s’active au loin. Un cheval hennit derrière les hautes herbes.
Au petit matin, le soleil paraît délicatement derrière les arbres, dorant les champs fraîchement moissonnés. Douceur médiévale de Loches. Nos conversations s’enchaînent paisiblement, se nourrissant de vieux souvenirs communs, en construisant de nouveaux, dont une mémorable chasse à la mouche et de piteux essais de dorure sur bois sous l’œil indulgent d’une grande artiste.
Je rejoins finalement la Sologne, villages de brique rouge et forêts épaisses. Mon pare-brise se brouille d’insectes accumulés en même temps que les kilomètres. Aurore et Régis m’accueillent dans leur grande maison au bord d’un étang. On s’installe sur la terrasse. Barbecue et rosé me rappellent les nuits campées ensemble sur les plages de la mer Noire au son de la guitare de Régis. Ce soir, il se met au piano alors que la voix calme d’Aurore me donne les dernières nouvelles du temps qui passe.
Je rejoins le tumulte de l’autoroute sous la pluie et retrouve enfin Olivier et Eglantine alors que vient de se terminer la cérémonie d’ouverture des JO. J’ai l’impression d’avoir voyagé très longtemps, le cœur chargé des rencontres avec mes souvenirs et mes amies. Ce road-trip express fût une ode à l’amitié, celle qui nourrit le présent et abreuve l’avenir.
Décembre était complètement fou. Impossible de trouver un moment à partager avec mon amie Véro. Elle habite pourtant dans la commune voisine et je passe sous ses fenêtres chaque fois que je rentre du lycée d’Eglantine en voiture (tous les jours, plusieurs fois par jour). Alors, nous nous étions réservé ce 26 décembre pour marcher ensemble le long de la Bièvre.
Six kilomètres à vélo pour me rendre chez elle. Six kilomètres de marche le long de la rivière. Un déjeuner au chaud. Puis six kilomètres pour rentrer chez elle. Echanger des nouvelles, discuter à bâtons rompus tout en profitant de la douceur humide et grise d’un lendemain de fête.
Au détour du chemin, un immense héron cendré quitte l’eau et s’élève amplement au-dessus des arbres. A notre retour, nous le retrouverons posé sur un terrain de golf fermé le temps des fêtes. Les canards aussi n’ont que faire des nuages bas et de la bruine hivernale. Les perruches, elles, inondent la cime des arbres de leurs jacassements vert vif.
Belles demeures au charme suranné d’un roman de Flaubert alors que ronronne l’autoroute sous laquelle nous suivons le cours d’eau. Calme des larges troncs des arbres dénudés. Langueur de la rivière où se dépose le reflet des branches envahies de gui. Quelques touches verdoyantes hivernent le long des berges. Couleur sombre des sapins contre tonalités vives des bambous. Profondeur contre légèreté. Concert d’une nature qui n’a rien d’éteint pour qui prend la peine de regarder.
La Bièvre emporte nos paroles tranquilles, accueille nos confidences, écoute nos espoirs.
Qui ne connaît pas cette envie d’aller voir de l’autre côté ? En cette dernière semaine d’octobre, alors que le soleil réchauffe doucement la baie de Fethiye, Yeşim, Eglantine et moi prenons le bateau pour nous rendre au marché. Conduite par un vieux capitaine à la peau burinée, la navette quitte l’hôtel toutes les heures. En arrivant vers le port, nous croisons quelques-uns de ces bateaux pirates qui hantent les baies et les criques de la région, musique à fond, pour des excursions festives à la journée. Mais aussi de beaux voiliers appelant au voyage et les fameuses gület (goélette), synonymes de croisières luxueuses, loin des foules.
Sans musique, juste un avant-goût d’Halloween
Visiter le marché, c’est se plonger au cœur de la Turquie. Retrouver les sons, les odeurs et les saveurs que nous avons tant aimées lors de nos années dans ce pays. Mais se rendre au marché de Fethiye, c’est surtout partir à la découverte des montagnes environnantes, imaginer les chemins pierreux, deviner les arbustes aux baies parfumées dans la chaleur sèche de l’été. Dans les allées du marché de Fethiye se succèdent les petits étals des paysans des environs. Ils viennent vendre leur production.
Paysanne en costume traditionnel
Chez eux, pas de pyramides de courgettes au vert éclatant, d’aubergines luisantes, de chou-fleurs d’un blanc parfait. Les femmes portent leurs vêtements traditionnels. Des foulards vaporeux et colorés noués sur la tête, des pantalons larges, confortables, resserrés aux chevilles, aux motifs fleuris. Leurs mains sont larges, abîmées par le travail. Leurs visages sont marqués par le soleil et l’air de la montagne. Les hommes portent des pantalons en flanelle dans lesquels leur chemise est soigneusement rentrée. Surtout les vieux. Les plus jeunes préfèrent généralement la facilité d’un polo ou d’un tee-shirt.
Marchande de plantes séchées
Au milieu des fruits et légumes communs à tous les marchés de Turquie, nous en remarquons d’autres, plus petits, aussi discrets sur les étals que dans les montagnes d’où ils viennent. Grâce à Yeşim, nous nous obtenons des noms, des détails sur leur provenance, la façon dont ils se mangent. Nous goûtons tout. Les saveurs sont surprenantes, inhabituelles. Elles ont le goût des plantes sauvages, l’âpreté des arbustes de montagne, quand la douceur vient à la fin, subtile récompense.
Je note les noms turcs. Il sera toujours temps ensuite de trouver l’équivalent français.
La tâche s’avère finalement compliquée. Je commence par Google traduction, je tape les noms turcs et les possibilités en français dans mon moteur de recherche, j’explore les correspondances avec les photos que j’ai prises, je furète dans les vidéos YouTube en français et en turc…
Enfin, je peux vous raconter ce que nous avons goûté.
D’abord, le fruit inconnu. Sa couleur évoque une olive mais sa forme le rapproche d’un tout petit coing. En turc, il s’appelle mersin. Mais je n’ai pas réussi à trouver son nom français.
Mersin
Nous n’avons eu aucun mal à reconnaître le cynorhodon. Quand on a une fille qui s’appelle Eglantine, il y a longtemps que l’on connaît le nom du fruit de cet arbuste. Par contre, j’ai goûté pour la première fois le fruit de l’aubépine, la cenelle, alıç en turc (se prononce aleutch).
Alıç
Le goût du jujube, lui, évoque celui d’une petite pomme. En turc, il s’appelle hünnap.
Un peu partout, nous trouvions des étals de plantes séchées pour des infusions. Si nous en reconnaissions la plupart, une espèce en particulier nous intriguait. Des tiges très longues, rigides, sur lesquelles on semblait avoir enfilé comme des perles des petites corolles serrées de fleurs jaunes. Les petites pancartes en carton annonçaient ada çayı, la sauge. Mais je ne retrouvais pas dans cette plante les longues feuilles veloutées vert amande de la sauge classique. Une vendeuse expliqua à Yeşim qu’il s’agissait d’une espèce sauvage typique des montagnes voisines. Après quelques recherches, j’en ai conclu qu’il s’agit de la crapaudine de Crête ou Sideritis syriaca.
Ada çayı
Enfin, intriguées par de petites graines aux reflets bleutés, nous avons goûté le çitemik. Visuellement, il ressemble à du poivre mais son goût se rapproche plus de sésame. La graine n’est pas très agréable à croquer car elle est dure et laisse plein de petits éclats dans les dents. Il faut en prendre plusieurs à la fois pour que ça ait un réel intérêt gustatif. Je suis une des rares à avoir aimé. Mes recherches me font penser qu’il s’agit des baies de térébinthe séchées, le fruit du pistachier térébinthe.
çitemik
Quand nous arrivons à l’hôtel après le marché, nous avons l’impression de rentrer d’un voyage dans un pays inconnu, la tête pleine de sensations nouvelles, du plaisir de la découverte et de la rencontre. Et l’envie de partir visiter la montagne après l’avoir goûtée avec autant d’ardeur.
Une côte découpée comme de la dentelle, roches aux nuances de gris, d’ocre et de rouille, eaux turquoises virant sur le marine ou le vert en fonction de la lumière, la baie de Fethiye est encore douce alors que l’automne pleut sur Paris. Notre hôtel occupe une vaste presque-île qui s’enfonce dans la mer Méditerranée. Le soir, au loin, les lumières de la ville scintillent derrière celles des mats des bateaux qui mouillent pour la nuit.
Cabotage le long des côtes
Bonheur paisible de la baignade et du farniente. L’hôtel propose une quantité improbable d’activités. De grands toboggans accueillent les rires tourbillonnants des enfants avant d’être submergés dans l’eau encore très chaude. Un peu plus loin, les paddles, kayaks et optimists sont en libre accès. De l’autre côté de l’hôtel, on croisera un père et son fils en train de pêcher. En grimpant sur les hauteurs, on s’aventure au tir à l’arc. Le sommet d’une autre petite colline héberge un mini-golf et un terrain de badminton. On peut s’essayer à l’ebru (papier marbré) ou à la poterie. On retrouve aussi l’incontournable aquagym, les leçons de danse et de Zumba et les cours de Yoga. Mais la liste est encore longue. Impossible de tout expérimenter…
Vue sur la plage aux toboggans
Dans la douceur des fleurs de bougainvilliers, nous profitons de vacances en famille sans autre contrainte logistique que celle de choisir sur quelle plage se retrouver. Les cousines partagent des moments précieux, elles qui ne se voient que rarement. Même Eglantine, une fois passée la fatigue du voyage, s’épanouit au soleil.
Elle partage avec son père et sa sœur un vol incroyable depuis le sommet de Babağda, cette montagne qui domine la baie de ses 1975 mètres. Moment intense lorsque les voiles des parapentes se gonflent et filent dans l’azur. Ils partiront chacun à quelques minutes d’intervalle, bien arrimés aux parapentistes professionnels qui enchaînent les vols en duo. Alors que je redescends en voiture, je regarde le ciel constellé de voiles colorées qui pirouettent avec habilité. J’arrive bien après eux sur la plage d’Ölüdenız où ils ont atterri.
Pour Hortense, nous avons tous embarqué sur un bateau de plongée. Portants chargés de combinaisons Néoprène, palmes rangées dans des casiers sous le toit, bouteilles et détendeurs calés le long des parois. Olivier et Eglantine feront leur baptême. Plongée à 5 mètres le matin. 7 l’après-midi. Chantal, Elise, Estée, Yeşim et moi profiterons des petites baies où s’ancrera le bateau pour nager avec les poissons, simplement équipées de palmes, de masque et de tuba. Hortense, elle aura le droit de plonger à 18 mètres grâce à sa carte de plongeuse niveau 1. Malgré son mètre soixante-quinze, elle n’a encore que 13 ans et la Turquie interdit aux moins de 14 ans d’aller jusqu’à 20 mètres.
Première plongée d’Hortense en Turquie 🇹🇷
Grâce à leur cousine Estée, les filles découvriront aussi le ski nautique. Plaisir de glisser sur l’eau. Premiers slaloms. Et même, sortir du sillon, passer la vague, puis revenir dans l’axe du bateau. Sourires radieux.
Délice des papotages retrouvés avec mon amie Yeşim, tout en profitant du reste de la famille. Surtout Élise et Estée que la distance et les rythmes de vie ne permettent pas de voir très souvent.
Dernier matin avant le départ, attendre le lever du soleil.
Enfin, alors que la toute jeune république turque fête ses 100 ans, que les drapeaux rouges inondent les rues, les boutiques, les façades et les moindres recoins du pays, chacun.e repart dans sa direction. Eglantine et moi rentrons à Paris alors qu’Elise et Estée retrouvent Vienne. Olivier, Chantal et Hortense, eux, profitent encore un peu de la Turquie à Istanbul avec Yeşim.
Qu’il est bon de voir arriver le week-end. Surtout quand rien n’est prévu. Le temps se détend, s’allonge, les minutes se prélassent. Alors on se dit que ce serait sympa de voir une amie, de discuter avec un copain, de partager un café, un goûter, un verre de vin. Et le temps s’entortille en rencontres heureuses, en discussions légères. Une discussion s’amorce sur un trottoir ou dans une boutique. On échange des nouvelles. Les enfants qui grandissent. La rentrée qui semble déjà loin.
Le week-end se termine trop vite. Plein de tout ce vide que l’on a garni des autres. De ceux qui nous font du bien. De ces sourires tranquilles. De ces mots bienveillants. Comme autant de confettis joyeux. Des bulles de savons dans un ciel d’été.
C’est beau, paisible et réconfortant. Assez en tout cas, pour avoir envie d’en garder une trace.
Marie-Ève a des yeux bleus pétillants, les sourcils fins en accent circonflexe, un large sourire avec de belles dents blanches parfaitement alignées, des lèvres pulpeuses et le front haut des peintures du moyen-âge. Elle est rayonnante et les années semblent ne pas avoir de prise sur elle. Elle est partie vivre à Marseille il y a quelques années. Au rez-de-chaussée d’une vieille demeure, avec un jardin où des arbres poussent tout en hauteur, où les arts graphiques, la chine et de belles astuces architecturales créent une douce atmosphère aux couleurs bienveillantes.
Elle est une des rares camarades de lycée avec qui je suis restée en contact. Nos liens sont ténus, intermittents, lointains mais solides et sincères. Suffisamment pour passer plusieurs heures ensemble à discuter. Et l’impression, quand même, au moment de nous quitter, que nous aurions encore beaucoup de choses à nous dire.
Avec le charme incontestable, aussi, des rendez-vous de dernière minute. Découvrir sur les réseaux sociaux qu’elle est de passage à Paris, caler des retrouvailles au cœur de la capitale. Restau italien derrière l’église Saint-Eustache. Le temps est beau, la terrasse accueille nos discussions ensoleillées.
Marie-Eve est une artiste. Il me reste quelques part roulé dans un carton un portrait au crayon qu’elle avait fait de moi au lycée. Il a suivi tous mes déménagements. Du petit studio dans le Marais au quinzième étage d’une grande tour au sud de Montparnasse, du Portugal à la Roumanie, en passant par la Turquie.
On retrouve toute sa délicatesse, sa sensibilité et sa sagacité dans son travail. Je vous encourage à aller le découvrir sur son site Un p’tit coquelicot.
Nous avons continué nos retrouvailles parisiennes par l’expo CAPITALE(S), 60 ans d’art urbain à Paris. Entrée gratuite mais attention, réservation obligatoire ! Pour les as de la dernière minute comme nous, il faut compter sur la chance. La nôtre a été de rencontrer une maman avec sa fille, juste devant nous dans la queue, qui avait deux places en plus. Quelque chose à voir avec le karma quand on en pense à cette fois où c’est moi qui ai donné une entrée à une dame qui n’avait pas réservé pour la nocturne gratuite du Louvre.
Des souvenirs du passé face à l’histoire des premiers grafs. Nous avions quinze ans au début des années 90. Nous habitions alors dans une banlieue où brûlent quelques voitures à chaque nouvelle année. Des bombes de peinture dans les jeans baggy et les blousons Bomber. Des tags vite faits sur les murs décrépis.
Sentiment étrange de voir la vie urbaine s’exposer sous les voutes de l’Hôtel de Ville. Pourtant ça fonctionne vraiment très bien. On découvre les dessins préparatoires, la réflexion artistique, les recherches individuelles et l’émulation collective d’une histoire visuelle en construction permanente, vivant au rythme de l’urbanisation, mettant en lumière et en couleur les zones grises d’une ville pieuvre.
La grafbox, pour capturer en temps réel le processus de création et la gestuelle de l’artiste.
Néophyte dans le domaine, je suis impressionnée par la façon dont Marie-Ève accueille l’exposition en connaisseuse chevronnée des différents artistes. Loin d’être blasée, elle s’enthousiasme elle aussi pour les œuvres présentées et le processus créatif mis en avant.
Allez voir cette expo et vous ne regarderez plus jamais les graffitis de la même façon.
Levalet (à gauche)RéroDran
Sur la place de l’Hôtel de ville, les velib croisent les groupes de touriste, un homme crée d’énormes bulles de savon sous le regard subjugué des enfants, des couples s’enlacent. J’enfourche Pimprenelle pour regagner le sud de la capitale, le cœur vivifié par cette belle journée. Marie-ève est comme un immense soleil graffé sur le mur du temps.
Première soirée sans Olivier et Hortense. Ils se sont envolés pour la Turquie en début d’après-midi. Notre chère Yesim les a récupérés à Istanbul. Désormais, des éclats de rires complices d’adolescentes peuplent sa jolie maison. Hortense a emmené sa grande copine Juliette dans son pays de naissance.
Elle tisse à travers ses voyages en Turquie une relation intime avec le pays qui l’a vue élever ses premiers cris, esquisser ses premiers sourires et former ses premiers mots. Un gloubi-boulga de turc et de français. Yesim est la précieuse magicienne de cette relation.
Pendant ce temps, Eglantine et moi restons à la maison. Ce genre de voyage est bien trop fatiguant pour elle. Surtout avec les épreuves de bac qui se profilent encore en mai puis en juin. Quelque part, nous sommes assez heureuses de profiter de la maison en toute quiétude pendant deux semaines. Pour moi, c’est une vraie pause avec beaucoup moins de logistique.
Tout de même, ce soir, il manquait la moitié d’entre nous autour de la table. Les sollicitations de sa sœur risquent de manquer à Eglantine. Ainsi que les conversations scientifiques à bâtons rompus avec son père.
De son côté, Olivier n’a pas l’habitude d’être à Istanbul sans nous. Petit sentiment de vide aussi.
Ah la famille… Elle nous étouffe parfois mais elle nous rassure souvent.
Alors, verre à moitié plein ou verre à moitié vide ?
Ce soir, le lit me semble tout de même un peu grand…
Le Père Noël existe. Il habite près de chez nous. Il a des cheveux blancs et une petite moustache assortie – pas de barbe, on le reconnaîtrait trop facilement. Il se déplace en bus et en RER. Parfois, il utilise son beau vélo bleu, un prototype unique dont il peut vous raconter l’histoire.
La première fois qu’il a sonné à notre porte, il avait rempli son caddie magique de Traou Mad et de pâtés Hénaff – le père Noël est breton, mais chut, c’est un secret, tout le monde le cherche au pôle Nord. Notre camion de déménagement venait de repartir en Roumanie. Nous étions ensevelis sous les cartons. Depuis, il passe régulièrement boire un petit noir – le père Noël aime beaucoup le café turc – dans sa tasse en porcelaine d’Iznik décorée de tulipes traditionnelles. Orta şeker, avec un demi-sucre.
Pour fêter le retour de la Tasse de Thé, il est venu nous apporter des financiers au blé noir – de Bretagne – dans une boîte en fer en forme de Traou Mad. Des grands et des petits, qui ont été engloutis à la sortie du collège et du lycée. J’ai pu en sauver un petit. Je confirme l’avis de mes gourmandes préférées : ils étaient très bons.
Plus une miette
C’est vraiment chouette d’avoir le père Noël comme voisin. Surtout qu’il cuisine drôlement bien.