Entre souvenirs de son enfance et joie de la voir grandir, Hortense a 16 ans. Tourbillon d’amour.
Un jour, on accouche d’un bébé affamé. Un autre, on prend le petit-déjeuner avec une grande liane à la souplesse élastique, peau de velours, cheveux cuivrés et sourire malicieux. Hortense a 16 ans.
L’école n’est plus obligatoire. Elle peut aller seule chez le médecin. Travailler. S’assoir à une terrasse de café. Avoir sa propre carte vitale.
Je pétille en la regardant grandir. Les copines. Les copains. Les histoires de lycée. Les histoires de cœur. Le bac qui arrive. Les soirées. Et le monde qui s’élargit à coup de pass Navigo. Les tenues qui s’ajustent, laissant choir petit à petit les sweats extra-larges comme autant de pétales fanés.
Il émane d’elle une force nouvelle, une maturité solide. Même si le filigrane de l’enfance dessine encore les contours de ses émotions.
Entre deux gorgées de thé noir, vivre au rythme de l’été indien dans le charme des couleurs de la Turquie.
Soleil doux d’octobre sur la côte dentelée de l’ouest turc. Mer d’un bleu d’huile dès que le vent tombe. Maisons basses aux murs de grosses pierres ou peints en blanc et portes colorées. Les bougainvilliers fleurissent les ruelles à l’ombre des minarets. L’automne à Çeşme a des airs d’été indien.
Les drapeaux turcs constellent la vie d’un rouge vif et joyeux. C’est la fête nationale. De grands portraits d’Atatürk s’affichent jusque dans les supermarchés. Nous sommes chez Yeşim. Elle aussi a suspendu l’étendard rouge passion de ce pays que nous aimons tant.
Petite maison de bord de mer. Demeure d’été pour vivre dehors, se dessaler après la baignade, se détendre à l’ombre des pins et des grenadiers. L’humidité salée de l’air corrode les métaux sans répit. Mais pour nous la vie est douce avec Yeşim, sa maman et la jeune femme qui vient chaque jour depuis le village voisin pour les aider.
A cette saison, la plupart des maisons sont fermées. Et les quelques voisins qui restent après l’été s’entraident quotidiennement. L’un a prêté un matelas pour notre venue. L’autre une table et des chaises pour manger à l’intérieur. Les soirées sont fraîches, nous ne prenons que nos petits-déjeuners sur la terrasse.
Et quels petits-déjeuners ! Copieux, variés, aussi généreux que l’accueil que nous recevons à chaque visite. Moelleux des simit et des açma, rondeur du kaymak, douceur régressive du pekmez et des confitures artisanales, fraîcheur des concombres et des tomates, acidulé des différentes sortes de roquettes, arômes explosifs des olives noires toutes fripées, saveur réconfortante des œufs durs nappés d’épices et d’huile d’olive, tendresse parfumée des fromages, âpreté du thé noir que l’on boit à petites gorgées bien chaudes dans les tasses en verre traditionnelles.
Une bonne heure pour le préparer. Deux heures pour le déguster. Toutes nos matinées y sont consacrées. Velouté d’un moment où le temps n’existe plus. Oublier l’heure. Discuter. Se rappeler, partager, se projeter, rêver. Rire. Se méprendre. Se comprendre. Se rassurer. Intimité d’une belle amitié qui dure depuis un temps si long qu’on ne le compte plus.
Si on aime autant ce pays, c’est beaucoup parce qu’on aime Yeşim. La Turquie a l’éclat de son sourire, la bienveillance de sa culture, la tranquillité de son caractère, la gourmandise de son humour, la force sereine de sa liberté.
Avec elle, on ouvre les cours d’école, les hôtels fermés, les casernes de gendarmerie. On crapahute dans les théâtres antiques. On découvre des musiciens inoubliables. On se baigne presque seuls. Le temps s’arrête pour les couchers de soleil. La vie devient une gourmandise perpétuelle.
Nous sommes repartis avec plein de nouveaux merveilleux souvenirs à ajouter à notre histoire commune. Merci.
Faire naître sous mes pinceaux une porte ouverte vers l’été alors que la pluie crépite sur la fenêtre.
Le trait de crayon se pose sur la toile immaculée. Puis la première couche de peinture, Diluée, transparente, pour placer les principales masses. Une couche après l’autre, une zone après l’autre. Pinceau épais, puis de plus en plus fin. La palette s’empâte de reliefs de couleurs.
J’ai dû abandonner la toile en cours pendant une semaine. Je l’ai reprise aujourd’hui.
Un cadeau pour une jeune femme aimant beaucoup les plantes. J’ai hâte de lui offrir. En attendant, cette porte ouverte sur les sourires de l’été illumine mon salon.
J’ai lu cette citation un jour, en introduction d’un article d’un sociologue sur les pathologies du travail.
« De partout monte le sentiment qu’inexorablement, le monde s’obscurcit. Et à ce sentiment répond, en écho, une aspiration diffuse à la beauté. » Monchoachi
Quelques jours après, je suis allée voir Bate Fado, de Jonas & Lander. Du fado dansé.
Trois ans et demi au Portugal et je n’en avais jamais entendu parler. Pour des raisons géographiques, nous connaissions surtout le fado de Coimbra, chanté par des hommes. Nous avions également découvert la voix envoutante de Mariza lors d’un concert à Aveiro. Nous étions jeunes, elle aussi. Sa carrière n’a cessé depuis de se renforcer et sa notoriété de traverser les frontières. Mais voilà que je m’égare dans le vertige des souvenirs. Conséquence de cet art du fado qui chante les vibrations de la saudade, cette mélancolie rêveuse des Portugais ?
Le fado, à l’origine, était dansé. Ou plutôt « battu » comme l’indique le nom du spectacle. Rythmé par le martèlement puissant des talons épais des bottines cavalières. Neuf artistes, deux femmes, sept hommes. Guitares classiques et guitares portugaises, basse et ukulélé emplissent l’espace d’une soirée la salle de La Piscine (un des trois lieux de l’Azimut). Mélodies entêtantes, harmonies douces ou charivari, langoureuses comme un long voyage un bateau, tristes comme la perte d’un ami, brutales comme une tempête ou allègres comme une journée de carnaval.
Deux danseuses, deux danseurs, quatre musiciens et le fadista, le chanteur de fado, Jonas. Une voix puissante qui donne la chair de poule. Et qui, lors de la reprise finale, sait entraîner son public francophone à partager la saudade grâce à une chanson d’Edith Piaf. Et c’est toute la salle qui rejoint le fadista en reprenant en chœur Padam, padam, padam, ce petit refrain gravé dans toutes les mémoires. Ou comment faire vivre à des Français l’ambiance d’une soirée de fado portugaise, quand toutes les générations chantent ensemble les paroles du fadista.
S’il reprend les codes traditionnels du fado, allant fouiller les archives pour en retrouver les pas de danses originels, Bate Fado n’a rien d’un spectacle folklorique. Les musiciens ont des airs des rocks stars ou de marins au long cours, les danseuses ont des caractères forts, une présence presque animale qui vient compléter le velouté de certains hommes, dans des chorégraphies aux teintes presque érotiques.
Et il y a Lander, le danseur vedette, à l’origine du projet avec Jonas. Petit et vif, il irradie la scène de mouvements à la rapidité quasiment mécanique qui rappellent Les temps modernes de Charlie Chaplin.
Enfin, il faudrait parler de ce kiosque de lumière, point de départ à toutes les rêveries dans lesquelles nous emmène cette troupe joyeuse, de l’humour festif qui sous-tend le spectacle ou des références au métissage du Brésil et du Portugal dans la naissance du fado.
Quand on sait que le fado était un des rares moyens d’expression sous la dictature de Salazar, les paroles de Monchoachi résonnent d’autant plus avec ce très beau spectacle de Jonas & Lander. Il apporte de la beauté et de la lumière. Une joie qui fait battre les cœurs.
Une seule route traverse cette vallée. Le trafic peut être plus ou moins dense mais il ne cesse jamais vraiment. Quand on grimpe dans la forêt, la clameur des moteurs enveloppe les arbres et leurs racines tortueuses, la terre tendre, les roches saillantes, les herbes hautes, les fleurs fragiles, les feuilles de gentiane, les bourdons poilus, les papillons colorés, les insectes insolites et, même, le chant des oiseaux.
Petit à petit, le tampon sylvestre atténue les ronflements des voitures à essence et les vrombissements des motos. Ou est-ce la fatigue qui fait oublier les bruits de la vallée ? Les derniers mètres du sentier grimpent raide. Les muscles tirent. La bouche s’assèche. Le cœur accélère. Les pieds butent. La sueur emporte avec elle petits et grands soucis. L’esprit se concentre sur le haut du parcours.
Quand enfin le chemin longe la montagne, le corps s’allège, le pas se hâte, la respiration se libère. Le sous-bois préserve la fraîcheur humide d’une nuit d’orages. Mon cœur s’apaise. Mon regard se pose sur ces petites plantes mises en lumière par le soleil qui transperce les hautes frondaisons. Les ailes fragiles d’un papillon sur une fleur sauvage m’émeuvent plus qu’une vue dégagée.
En contrebas, les immeubles en constructions cernent les vieux clochers. Les grues jettent des éclats jaunes. Pourtant, qu’il est doux de retrouver les hautes herbes de la vallée, les chemins blancs et les champs moissonnés. Puis la fraîcheur des vieilles voûtes de la maison.
Retirer les grosses chaussures de randonnée. S’affaler sur le canapé. Et ne plus entendre le ronronnement de la circulation.
Nous profiterons du silence de la montagne et de ses grands espaces quand nous rejoindrons des versants plus éloignés des axes routiers.
Village de montage. Maisons resserrées de pierre sombre, venelles tortueuses. Sempiternel bruit de l’eau claire qui coule joyeusement dans les rigoles le long des rues. Elle vient de la montagne qui domine tout horizon. Haute, fière, saupoudrée d’une neige chaque année plus rare.
Il est déjà tard. La route fût longue. Un arbre affalé en travers de l’autoroute en quittant Paris, embouteillages immédiat. Sur les petites routes de montagne, nous avons grand ouvert les fenêtres de la voiture. Laisser les mains s’envoler dans le vent. Sentir les odeurs de forêt, d’herbes sèches, de pierre chaude et de plantes vivaces dont on ne connaît pas les noms. La bouse de vache aussi, parfois. Le pot d’échappement des motos qui doublent en vrombissant s’estompe heureusement assez vite.
Une pause au dernier col dans cette miellerie que nous aimons tant. L’air frais qui ébouriffe les cheveux. Le soleil qui réchauffe la peau. La montagne, majestueuse, gouverne la perspective, domine les vallées qui s’étirent de chaque côté du col, écrase les humains qui s’agitent sur le parking en contrebas autour des restaurants et des boutiques de souvenir. Fin de randonnée ou pause sur la route, comme nous.
Vue depuis la voiture alors que nous quittons le col du Lautaret
Dans le petit village, il faut faufiler la voiture au milieu des derniers randonneurs, sacs à dos ventrus, grosses chaussures poussiéreuses, bâtons de marches cliquetant sur le bitume, et des familles aux enfants fraîchement douchés, des ultimes courses à la supérette, des premiers apéros en terrasse et des barrières interdisant de circuler autour de l’église.
Le temps de s’installer sous les voûtes fraîches de la maison séculaire et la musique résonne sur la place du marché. Une femme est suspendue sur l’un des côté du clocher carré. Elle danse en défiant les lois de l’apesanteur, guidée par les notes légères du guitariste qui l’accompagne au sol. Une autre femme réalise, solitaire, la même chorégraphie sur l’autre côté. Nous l’apercevons par intermittence. Puis de plus en plus souvent, chacune passe la tête du côté de l’autre. Petit à petit, elles jouent à se découvrir, se rapprochent puis s’éloignent, parcourant telles des anges blancs toute la paroi du clocher. On ne serait pas surpris de les voir s’envoler vers la lune déjà imprimée dans le ciel bleu de cette fin de journée d’été.
Spectacle aérien « Suspend »
Ce moment suspendu, l’air vif, l’eau fraîche, le calme serein de la maison apaisent les angoisses qui m’étreignent depuis des semaines.
Le jour se lève à peine sur mon insomnie. Un chat passe tranquillement devant la fenêtre. Je suis heureuse d’avoir retrouvé des mots à partager avec vous.
La Charente serpente entre les pierres blanches de ses vieilles cités, petits villages et abbayes romanes. Les saules pleurent leurs branches dans l’eau claire qui file doucement. Des poissons rasent la surface à la recherche de nourriture. Les libellules virevoltent le long des berges dans des éclats bleus ou verts. Un kayak aux couleurs vives est posé sur un banc de gravier au milieu du fleuve. On entend des éclats de rire derrière les arbres de la berge. Quatre adolescents s’amusent et se chicanent à grands renforts de jets d’eau fraîche.
Je m’accorde une dernière pause avant de rejoindre maman. Toujours se méfier de l’eau qui dort.
Ce sera ma photo du lundi cette semaine. Une bouffée d’oxygène, un oasis de quiétude avant d’affronter le grand tourbillon.
Déjà six heures que nous sommes sur la route. A l’arrière de la voiture, Hortense écoute de la musique dans mon gros casque réducteur de bruit. Sitôt quittés nos amies à Carry le Rouet, elle a sombré dans un sommeil profond, la tête renversée contre la portière. Une semaine de plongée quotidienne, de levés à 7h30, de veillées animés, d’éclats de rire avec les nouvelles copines et copains, de kayak dans les calanques et autres défis sportifs à l’UCPA de Niolon… elle est crevée.
Nous venons de passer Vezelay quand Eglantine entreprend de nous situer sur la carte de France. Je l’ai acheté sur une aire d’autoroute à l’aller. Mais nous étions toutes trop fatiguées pour s’y intéresser. C’est la première fois qu’Eglantine suit notre trajet sur une carte en papier.
Nous ne roulons plus qu’avec le GPS. Très pratique pour ne pas se perdre. Complètement inutile pour se repérer dans l’espace. Avec Waze la route ressemble à une éternelle ligne droite. Si l’on sait où l’on va, on ne sait plus où l’on est.
Le doigt posé sur la carte, Eglantine a repéré le nom des villes, le numéro des routes, celui des sorties de l’A6, la destination des autoroutes que nous rencontrions. L’A19 partait vers Orléans. L’A77 provenait de Nevers. Les départements sont devenus concrets. Les distances se sont ajustées. La géographie a retrouvé une réalité dans laquelle projeter le trajet. La route a cessé d’être un espace distendu où seul le temps qui passe servirait de repère.
En plus, la lecture de la carte amène des discussions, des découvertes, des mises au point et des interrogations. Plus le temps de s’ennuyer. Arrivées en région parisienne, il nous aurait fallu un plan plus détaillé pour continuer à suivre.
Désormais cette carte restera toujours à portée de main dans le vide poche central de la voiture.
Les week-end de juin, les journées sont tellement longues qu’elles semblent ne jamais se terminer. On tient la chaleur à distance derrière les volets fermés. On déjeune en terrasse avec de la mozzarella bien fraîche. Et on fête les dernières fois.
Dernière épreuve du bac pour Eglantine cette année avec la philo. Sujet 1 : Le bonheur est-il affaire de raison. Quatre heures. Et une tel soulagement ensuite que, pour la première fois depuis des mois, Eglantine rayonne.
Dernière fosse pour Hortense. Un aller-retour en Belgique avec son club de plongée un samedi. Tout un après-midi dans un aquarium géant avec des poissons d’eau douce exotiques. Difficile de la reconnaître derrière le masque et le détendeur, bien cachée dans son épaisse combinaison noire.
Les pique-niques, les barbecues, les restaus, les cafés, les apéros pour se voir, une dernière fois, avant la grande pause estivale. Revivre l’année. Partager les bons souvenirs.
Les anniversaires, soirées pyjamas, à rire et à papoter jusqu’au milieu de la nuit pour notre jeune adolescente, Hortense, tellement heureuse de grandir et de s’épanouir avec ses ami.es.
Les derniers spectacles de l’année avec Solstice, le festival de cirque et de musique de rue de l’Azimut. Un chien blanc qui traque un diabolo, des acrobates qui jonglent avec des poutres sur des trampolines, de l’humour, de la musique, de la poésie. Et Eglantine, pantalon fluide bleu et blanc, blouse légère et large chapeau, qui enfourche son vélo électrique pour profiter des spectacles.
Jour d’orage. Les spectacles sont rapatriés à l’intérieur du théâtre. Dans le foyer, musiciens et techniciens regardent le dernier spectacle grâce au retour vidéo. Au fond, à gauche, je reconnais Eglantine, trop heureuse de jouer avec une poutre dans la lumière des spots.
Et puis la fête du collège. C’était hier. La fin des cours approche. Le récital de piano. Cet après-midi. Bientôt les vacances.
Les week-ends de juin défilent à toute vitesse. Riches, intense, heureux, épuisants, stimulants.
Ca tire dans les muscles, ça racle sous les paupières, ça fond au niveau des neurones, ça explose les émotions.
La grande salle de spectacle du collège d’Hortense bruisse des murmures de sa classe de quatrième. Assis aux deux premiers rangs, les élèves se sont habillés pour l’occasion. Jolies robes pour les filles. Chemises blanches, veste ou veston pour les garçons. Ils découvrent ce soir le livre sur lequel ils ont travaillé toute l’année avec leur professeure de français et de latin.
Dans cette classe Si l’antiquité m’était contée, les élèves écrivent des nouvelles par groupe de deux, trois au quatre. Les contraintes sont simples : l’histoire doit se placer dans la villa de Titus, près du Colisée romain. Chaque nouvelle respecte impérativement le contexte historique du IIè siècle après J.C et les auteurs doivent introduire dans leurs textes des phrases en latin.
Défi relevé pour Hortense avec ses amies Marie et Lucie. Une histoire à six mains et trois cerveaux, sombre, réaliste et stylée autour de deux jeunes esclaves dans la domus de Titus pour construire avec les autres le recueil de nouvelles L’obscure grandeur de Rome.
Chaque élève vient chercher son livre sur scène. Petite photo souvenir avec l’ouvrage dans les mains, entouré.e de la prof de français et de celle d’arts plastique – pour les illustrations.
Ambiance détendue mais sérieuse. Dans la salle, les parents sont tous venus clôturer cette belle année d’écriture aux côtés de leurs enfants.
Pour nous aussi, pas question de manquer l’évènement.
Il nous reste maintenant à lire l’ouvrage, en commençant par la nouvelle d’Hortense, Condamnés.