Vacances cocooning

Ils sont partis. Samedi matin, peu avant 7h, la voiture a pris la route des Alpes. Sans moi. Pour la première fois en dix-huit ans, Olivier voyage seul avec nos filles.

J’ai aidé à préparer les valises. S’assurer que chacune et chacun a les vêtements qu’il désire. Mettre de quoi grignoter et boire dans un panier pour la route. Retrouver le sac-à-dos disparu. Sortir les bottes de neige du capharnaüm du sous-sol. Je me suis levée à 5h du matin pour accompagner les derniers préparatifs.

Au chargement de la voiture, j’ai commencé à réaliser que, vraiment, ces vacances seraient différentes. Déjà, la veille, les filles étaient surprises de me voir aussi détendue alors que les valises ouvertes avaient envahi le salon. D’habitude, à l’approche d’un départ, je suis en mode « valises ». Mon esprit est concentré sur des listes de choses à prendre et à faire avant de partir. Le fil de mes pensées se casse à la moindre interruption. Je cours partout dans la maison. Une fois que leurs affaires sont prêtes, les filles disparaissent dans leurs chambres, laissant le champ libre pour la guerrière du départ, moi.

C’est que je sais que je retrouverai la maison dans l’état exact dans lequel je la laisse. Pour moi, il ne s’agit donc pas simplement de préparer notre départ mais, aussi, d’anticiper le retour. Ne pas seulement remplir les valises mais ranger les chambres. Emmener un pique-nique mais trier le frigo, vider le lave-vaisselle. Mettre quatre litières pour les chats mais poser des draps sur les fauteuils et le canapé pour recueillir les poils qui vont s’accumuler en notre absence.

Samedi matin, je suis restée en pyjama, au chaud, alors qu’ils déposaient leurs bagages dans la voiture. Mes vacances ont commencé à ce moment-là. Je n’ai tellement pas l’habitude que j’ai suivi leur trajet toute la journée avec la géolocalisation de leurs téléphones. Incapable, dans un premier temps, de faire face à ce vide nouveau, cette vacance inconnue. Besoin, également, de tout relâcher après les dernières semaines compliquées. J’ai éteint toutes les alarmes et les notifications. Je me suis couchée tôt, bercée par les mots de Wilfried N’Sondé et son Afrique mystique.

Lire, écrire, peindre (si si, je vais m’y remettre), me balader mais aussi profiter de leur absence pour ranger, sans me presser. Mes vacances ont commencé en douceur, sans tambour, ni trompette. Elles ne sont pas instagramables, n’ont rien d’original, sont délicieusement banales. Simplement, pendant une semaine, je n’ai qu’à m’occuper de moi. Pas d’horaire à part quelques rendez-vous. Personne à qui parler. Une solitude choisie que je n’ai jamais connue depuis la naissance d’Églantine.

Alors oui, je kiffe mes vacances cocooning.

Après tout, c’est d’un cocon que l’on tire la soie, fibre précieuse, délicate et résistante.

Citron pressé

Je ne pensais pas croiser autant de cyclistes sur la route aujourd’hui. Je suis admirative des jeunes femmes en petites bottines et simple manteau de laine. Moi je roule avec une grosse doudoune. J’ai piqué les moufles de ski d’Eglantine et je porte un bonnet sous mon casque.

Au bout des seize kilomètres pour rejoindre la Fondation de France ce matin, j’ai tout de même le bout des orteils gelés.

Retour dans les mêmes conditions glaciales. La Seine se perd dans un air blanc, acéré. La Tour Eiffel se distingue à peine. Les dorures du pont Alexandre III sont ternes.

Poser mon vélo. Déjeuner rapidement avec Eglantine. La conduire au lycée. Filer faire le contrôle technique. Attendre. Lire un peu. Repartir. Récupérer Eglantine qui n’a assisté qu’à son seul cours de maths. La prof de philo a eu pitié d’elle hier. Elle lui a demandé de ne pas venir aujourd’hui. Sa fatigue reste bien trop présente.

Partager la joie d’Eglantine qui a eu 20 à son bac blanc de maths. Un bon présage pour l’épreuve de mars. Écouter en boucle le contenu des exercices, les annotations du prof. Parfait.

Déposer Eglantine à la maison. Aller chercher Hortense à la sortie du collège. Rendez-vous chez le médecin. Attendre un heure pour quinze minutes de consultation.

Préparer le dîner alors que la fatigue tiraille. Le mal de crâne qui tape derrière les yeux. Le cerveau dans la semoule. Les muscles qui tirent. Les paupières plombées.

Attendre le retour d’Olivier pour qu’il prenne le relais sur les maths. Je suis au bout de mes compétences et de mes capacités à écouter les histoires de conjecture et de théorème du point fixe.

Je range la cuisine en écoutant un podcast dans mon gros casque quand Eglantine vient me voir avec un grand sourire.

Quelle est l’exponentielle de ln(3) ?

Se prononce comme « quelle est l’exponentielle de Hélène de Troie ».

Mon cerveau se fige. Plus de jus. Plus rien. Même pas une blague en rebondissant sur Hélène de Troie. Juste l’envie violente que l’on me laisse tranquille.

Ce soir, je suis un citron pressé. La Fondation de France présentait ce matin son Rapport des solitudes 2022, insistant sur la souffrance engendrée. Moi, j’ai parfois des rêves de solitude, de silence total, d’un temps qui s’étirerait à mon rythme seul.

Ça ne dure pas. Et je retourne voir Eglantine avant d’aller me coucher. C’était quoi sa question déjà ? Parce que j’ai en tête de vous la partager. Et la réponse ? Trois bien sûr !

Hortense vient nous souhaiter une bonne nuit. Elle se love sur notre lit. Tout à l’heure ce sera au tour de Django de venir chercher son câlin du soir.

Mon envie de solitude est passée dans la douceur de notre cocon familial. Ça pique beaucoup moins quand les maths partent se reposer aussi.

Dans mes écouteurs, Lucas Santtana chante Sobre la memoria. Bonne nuit…