Soyons fanes !

Confinement oblige, je cuisine encore plus que d’habitude. Les premières semaines, je ne sortais même pas pour aller à la boulangerie. Puis mes réserves de farine et de levure boulangère s’amenuisant sérieusement, j’ai recommencé à acheter du pain frais.

Je participe à un groupe de cuisine sur WhatsApp. Nous échangeons des recettes afin de varier les plaisirs gustatifs quotidiens et d’éviter le retour trop régulier du jambon-purée. Je teste ainsi fréquemment de nouvelles recettes et recherche des façons différentes de cuisiner les légumes de saison.

Ces nouveautés deviennent les classiques du moment. Ainsi le risotto aux asperges vertes, citron et amandes qui ravit tout le monde. Jamais de reste ! Même si les restes ne sont pas vraiment un problème. Dès que les bacs se multiplient dans le frigo, nous faisons un dîner en mettant tout sur la table et chacun pioche ce qu’il veut. Un peu comme des mezzé.

Risotto aux asperges

Ainsi, nous ne sommes pas encore au zéro déchet mais nous avons bien progressé dans la diminution de nos ordures. Ce qui passe notamment par une bonne gestion de la nourriture. En ce qui concerne les légumes, je remplis le bac à compost avec les épluchures.

Je n’ai pas encore essayé d’utiliser les pelures de carottes. Mais aujourd’hui, j’ai décidé de cuisiner quelque chose avec les fanes de mes radis. Mixées avec de l’huile d’olive et un peu de sel, elles ont donné un pesto d’un vert printanier à l’odeur acidulée légèrement piquante. La base de ma nouvelle recette de pain feuilleté au pesto de fanes.

Autant dire que les nez se sont tordus à l’évocation de l’ingrédient phare de ma recette. Mon homme et mes filles n’étaient pas fans de mes fanes. Finalement, jambon-purée c’est bien aussi, non ?

Cependant tous les a priori ont été balayés quand nous avons goûté le fameux pain. Une pâte moelleuse, un peu fondante grâce à la mozzarella et un goût frais proche de l’ail des ours. Avec un bon velouté de légumes, ce fût un dîner à la fois simple et original. Un nouveau classique de la maison ?

Emporter la beauté ?

Les premiers archéologues emportaient des morceaux choisis de leurs découvertes. Ainsi le portrait d’une jeune femme tenant un stylet arraché à une fresque en 1760 par les premiers archéologues de Pompéi. Une pratique courante à l’époque et aujourd’hui condamnée. Pourtant qu’il semble naturel d’avoir envie d’emporter un souvenir, une trace du beau pour faire renaître encore et encore ce moment d’émerveillement face à ce qui nous touche. Peut-être même ces premiers archéologues craignaient-ils que les fresques qu’ils venaient de mettre au jour ne se dégradent. Ils devaient alors être intimement persuadés de les préserver des ravages du temps et des pillards en les emportant.

Portrait de jeune femme - Sappho

Et que fait d’autre l’humanité connectée aujourd’hui en photographiant convulsivement les œuvres dans les musées, les arbres en fleurs et les couchers de soleil ? Cette beauté exceptionnelle ou ordinaire, nous éprouvons un besoin impérieux de la garder avec nous le plus longtemps possible et à la partager.

Avec le confinement et les contraintes sanitaires qui vont nous être imposées pour encore longtemps, heureusement qu’il nous reste le plaisir de découvrir la beauté sur nos écrans. Les musées proposent de nombreux parcours en ligne.

Cette jeune femme antique aux traits délicats m’inspire beaucoup de douceur. De grands yeux noirs, une multitude de boucles brunes, des lèvres délicieusement ourlées d’où s’échappe un stylet, parole légère, pensées puissantes à noter impérativement.

A l’instar des archéologues du 18è siècle, j’ai envie de garder la bienveillance de son regard près de moi.

Ca rubikscube !

Petit chat a ressorti les Rubik’s Cubes. Avec son papa, elle a exploré les tutos sur le web. A la fin de journée d’hier, elle était capable de résoudre le 2×2. Quand nous sommes revenus de notre sortie au théâtre, elle n’attendait qu’une chose, que nous mélangions son petit cube coloré.

Après le déjeuner, ce dimanche, les filles ont troqué leurs savoir-faire. Je te montre comment résoudre le Pyramix (ce Rubik’s Cube en forme de pyramide) et tu m’apprends le 2×2. Petit Oiseau a dû faire preuve de patience car sa sœur n’aime pas du tout ne pas réussir du premier coup.

Alors, tête contre tête, l’une allongée sur le canapé, le chat sur les genoux, l’autre lovée dans le fauteuil qu’elle avait rapproché au plus près de sa sœur, elles ont fait tourner les faces aux couleurs vives. Cris de frustration, rires bienveillants, ça charriait un peu, et ça recommençait. Sororité complice. Connivence de casse-tête.

Prochaine étape pour tout le monde, le 3×3. Leur père s’est déjà entraîné.

A quelques degrés de là

Entre les livres et le public venu écouter Irina Teodorescu parler de son dernier ouvrage, Ni poète, ni animal. Il fait chaud à la librairie Libralire. Je suis arrivée en retard mais j’ai été immédiatement happée par les yeux noirs, le sourire pétillant et la voix douce d’Irina. J’ai laissé derrière la porte les terrasses des cafés, leurs minuscules tables où se serrent les buveurs d’apéro-assiette de charcuterie et le brouhaha de ce onzième tellement plein de vie.

Irina Teodorescu

Irina a répondu à quelques questions sur Ni poète, ni animal. Le grand poète, tourillon de son récit, est une invention. En revanche son grand-père a bel et bien volé une chat quand elle était petite, en Roumanie. Irina mélange fiction et réalité dans un univers flottant et onirique, rendant plus palpable le réel.

Une grand-mère toquée, une mère qui parle à des K7 qu’elle n’enverra jamais à son amie passée à l’Ouest et Carmen, clown-poétesse de10 ans à l’heure où les Ceaucescu, abattus les yeux bandés et les mains attachées, ne sont plus qu’une effluve d’after-shave. Irina n’a jamais regardé les images de leur exécution.

Qu’est-ce que la révolution pour une enfant de 10 ans ? Qu’est-ce qui sépare la révolution d’un coup d’état ? La poésie peut-elle triompher ? L’homme n’est-il qu’un animal ? La mort rode. Le renard, le cochon, le poète, le dictateur et son épouse. Il fait froid en ce mois de décembre 1989 mais les mots d’Irina, simples et pertinents, sont une ode à la vie, à l’envie, qui réchauffent le coeur.

Ses romans, comme un poème, laissent une grande part à notre imagination, à notre interprétation.

J’ai retrouvé Claire. Nous avons partagé un atelier d’écriture avec Irina cet hiver. Avant que Petit Oiseau ne soit malade. Je ne connais personne d’autre. J’ai trop chaud. Il est tard.

Dans la rue Saint Maur, la boutique de pâtisseries orientales à descendu ses stores noirs. Les terrasses débordent sur les trottoirs. On est debout, un verre de bière ambrée à la main. On rit fort, on se parle à l’oreille pour mieux se comprendre. Un homme abaisse vigoureusement le rideau de fer de sa petite boutique de réparation de téléphones. La journée est finie. La nuit bat déjà sa propre mesure.

Mon manteau est grand ouvert. Je n’ai pas le courage de le retirer. J’ai enroulé mon écharpe autour de la lanière de mon sac. Une bande de skaters passe en trajectoires brouillonnes. Quels moulures apparaissent dans les lumières des appartements de l’avenue. Que la nuit est douce, que Paris est vivante.

A quelques degrés de là, je descend du RER. Je frissonne. J’enroule mon écharpe autour de mon cou et enfouis mon nez à l’intérieur. Pas de café, pas de terrasse et l’œil de la lune qui me regarde fraîchement dans le ciel noir. Elle sera bientôt pleine.

Maisons avec jardins, échiquiers d’appartements éclairés, je marche seule dans la lumière chaude des réverbères. Paris-banlieue, quelques degrés d’écart et déjà un autre monde.

Le temps d’un livre dans une librairie, j’ai aussi retrouvé un peu de Roumanie. Encore quelques degrés de moins et je skie dans les Carpates avec Carmen.

La rentrée d’après

Dans le salon les sacs et cartables sont prêts pour la rentrée. Mais moi je n’ai pas dormi de la nuit. Voilà dix jours que nous sommes rentrés de vacances en avance car Petit Oiseau était à nouveau au fond de son lit. Je l’ai trouvée fatiguée tout l’été. Je suis angoissée. Elle n’est pas allée en cours depuis le mois de mars. Comment va-t-elle reprendre le rythme soutenu du collège ? Je l’imagine déjà terrassée de fatigue, pliée en deux de douleur.

Et puis non.

Ce lundi soir, les rires fusent dans la maison. Les filles chahutent. Petit Oiseau taquine sa petite sœur. Petit Chat raconte sa journée. Elles chantonnent dans leurs chambres. Les éclats de leurs voix sautillent dans les escaliers. Je recouvre les livres. Corvée de rentrée.

Mardi, la prof d’anglais exige un cahier bleu. Déception de mettre au placard le traditionnel cahier orange que Petit Oiseau choisit à chaque rentrée depuis le CP pour cette matière. On peut donc encore sérieusement imposer une couleur de cahier pour des élèves de troisième ? Cependant, si les seuls soucis de Petit Oiseau en ce début d’année sont ses fournitures, je me sens rassurée.

Mercredi, toujours pas de fatigue particulière. Petit Oiseau rentre déjeuner rapidement avant de filer vers Paris. Cette semaine elle se rend seule à sa séance d’hypnose. Petit Chat est un peu malade et je reste avec elle. Un sms pour m’avertir qu’elle sort du RER. Un passage à la FNAC voisine après la séance. Ma fille aînée découvre le plaisir de se balader seule dans Paris. Elle se régale de la possibilité d’entrer dans les musées gratuitement ou de monter en haut de l’Arc de Triomphe. Mais elle n’a pas encore le droit de prendre un verre dans un café, même un simple citron pressé. Ce petit rituel restera encore quelque temps un privilège à partager avec moi.

Mon Petit Oiseau grandit. Je n’aurais jamais imaginé que la rentrée d’après ses six mois de maladie sans diagnostic se passe aussi bien. Je la scrute, j’observe ses expressions, les plis sur son visage, je cherche les traces de fatigue, les difficultés dessinées dans les cernes.

Et puis non.

La rentrée d’après se passe bien.

C’est tout.

C’est énorme tellement c’est simple.

Tout le monde a un arbre dans son cœur

Une des raisons pour lesquelles nous avons choisi notre maison, c’est le grand cèdre qui domine le jardin. Il veille sur les noisetiers, sureau, arbre de Judée, pruniers et autres lauriers où pépient les oiseaux tout au long de l’année. Grâce à eux, notre jardin est un havre de paix verdoyant. Il fait bon y laisser perdre son regard et dériver ses pensées.

L’hiver, il perd de sa superbe mais gagne en mystère quand la neige vient le recouvrir. L’été, l’herbe crame systématiquement mais qu’il est bon de s’y relaxer au rythme lent du hamac que l’on pousse d’un pied indolent. A l’automne, les feuilles envahissent le moindre recoin, refuge de nombreuses bestioles que je laisse consciencieusement tranquilles.

Le printemps est l’acmé de la beauté de notre jardin. Les arbres fleurissent à tour de rôle. D’abord les pruniers dont les fleurs blanches annoncent le retour prochain des journées ensoleillées. Au moindre coup de vent, les petits pétales blancs tombent en une neige féérique. Sablier des jours qui rallongent.

Jardin au printemps.

Puis les bourgeons pointent leur vert tendre tandis que l’arbre de Judée éclate d’un rose flamboyant. Chaque jour, les couleurs évoluent jusqu’à ce que le rose se fasse vieux, pastel poussiéreux qui tombera en pluie fine pendant des semaines sous le vert immuable du grand cèdre et les cris stridents des perruches.

En ce mois de juillet, les branches se balancent sous le poids des différents oiseaux. Rouges-gorges, mésanges, moineaux, palombes, geais, pies et merles se disputent régulièrement les meilleurs places. Lors des canicules, la chaleur est encore alourdie par le silence des oiseaux qui, comme nous, préservent leurs forces au cœur de la fournaise. Mais au petit matin, quand je m’assois avec une tasse de thé sur la terrasse et que je les regarde virevolter bruyamment de branche en branche, je sens cet émerveillement modeste dans parle si bien Belinda Cannone :

« S’émerveiller résulte d’un mouvement intime, d’une disposition intérieure par lesquels le paysage à ma fenêtre ou l’homme devant moi deviennent des évènements. »

Il n’est pas anodin d’ailleurs que la base de sa réflexion dans son livre S’émerveiller soit un chêne voisin qu’elle prend plaisir à observer au fil des saisons.

Depuis que nous sommes dans cette maison, nos arbres nous accompagnent, recueillent mes pensées, escortent mes espoirs et suscitent invariablement une fascination discrète propice à une sorte de méditation.

Affiche de l’exposition Nous les arbres à la Fondation Cartier

L’affiche de l’exposition Nous les arbres, aperçue un jour au détour d’un couloir de métro, avec son vert pétant et sa jungle surannée a tout de suite attiré mon regard. Je proposais une virée culturelle à mon Petit Chat qui accepta immédiatement. Devant la Fondation Cartier, notre regard a immédiatement été attiré par la photo d’une partie d’un des immenses tableaux de Luis Zerbini. Un enchevêtrement de végétaux colorés, jungle prolifique et chatoyante, où l’incongruité d’une boîte de conserve ou d’une bouteille en plastique ne saute pas immédiatement aux yeux.

Détail de Lago Quadrado de Luis Zerbini
Détail de Lago Quadrado de Luis Zerbini

Une fois à l’intérieur du bâtiment, notre premier sentiment a été renforcé. Les tableaux de Luis Zerbini, gigantesques et foisonnants, sont sublimes. Ils sont à l’image d’un monde où l’on ne sait plus qui de l’homme ou de la nature triomphe réellement (mais faut-il réellement que l’un ou l’autre triomphe ?). La nature redevient sauvage dès que l’homme la laisse en paix. Et pourtant, jamais les arbres et tous les végétaux dans leur diversité n’ont été autant menacés.

Dans la grande salle du rez-de-chaussée de la Fondation Cartier, Luis Zerbini occupe la majeure partie de l’espace. Au centre des ses toiles cloisons, un arbre se dresse au centre d’une table de verre, bois, végétaux, minéraux et divers objets hétéroclites. Comme une vision en trois dimensions d’une de ses toiles, point de convergence des oeuvres installées tout autour. Place du village ou île isolée ? Clairière colorée ou cabinet de curiosités ?

Luis Zerbini

Nous avons déambulé au milieu d’œuvres très différentes, belles, douces, surprenantes, interpellant notre civilisation sur ses modes de vie, sur la place de l’arbre, sur notre prétendue supériorité. Un oasis de fraîcheur en plein été parisien, une envie de se poser et de regarder le temps qui passe sur les feuilles.

Comme cet arbre, Paradis de Fabrice Hyber, dont le feuillage reprend toutes les couleurs de peaux humaines, chairs d’arbre, et sous lequel s’assoient paisiblement les visiteurs, protégés du soleil par les vrais arbres qui entourent la Fondation Cartier.

Paradis de Fabrice Hyber

Dans le film Mon arbre de Raymond Depardon et Claudine Nougaret, un homme dit « Tout le monde a un arbre dans son cœur ». Pour nous aujourd’hui c’est le cèdre qui veille sur notre maison. Il marque durablement de son empreinte l’enfance de nos filles.

Et pour ceux qui ont envie de passer plus de temps avec les arbres, je vous recommande les excellents épisodes de La Série Documentaire sur France Culture, Des arbres et des hommes (diffusés en décembre 2018). A écouter en podcast :

1- L’homme de la forêt

2- L’arbre à loques guérisseur

3- Un arbre dans la ville

4- L’arbre sensible

Retour de camp

Retour de camp après le Jamboree des Scouts et de Guides de France à Jambville. Connecte 2019.

Retour de campFin de canicule. Fin de camp. Jamboree. 22000 chemises bleues, une forêt de tentes et une ambiance de festival. Petit Oiseau était à Connecte 2019 avec sa tribu.

Donc elle va mieux.

Suffisamment pour partir deux semaines en camp scout. Tant que les chefs ne m’appellent pas, c’est que ça va. Un petit malaise en première semaine. Sac à dos trop lourd pendant l’exploration. Après des mois au fond de son lit, elle n’a pas encore récupéré toutes ses capacités.

Puis c’est la grande réunion des scouts et des guides, ces jeunes de 11 à 14 ans venus de toute la France et d’au-delà. Avec un pic à 42°, je redoutais pour l’organisme de celle qui, malgré tout, reste mon bébé. Et puis, finalement, nous n’avons encore aucun diagnostic précis de ce qu’elle a eu. Je crains toujours une rechute.

Pas de nouvelles. Pas une lettre. Elle n’y pense jamais de toute façon, trop occupée à vivre ses aventures en chemise et foulard, feu de camp et chaussures de rando. Difficile quand même d’accepter que, moins d’un mois après l’amélioration de son état, elle va mettre son corps à rude épreuve, dormir sous la tente, cuisiner sur une table à feu, manger dans des gamelles en fer, se doucher à l’eau froide.

Pour elle, c’est un retour à la vie.

Pour moi, c’est un changement violent de température. De maman soignante à maman derrière son écran, à l’affût d’un Petit Oiseau avec un grand sourire et deux nattes sur les vidéos mises en ligne par la Toile Scoute sur YouTube.

Journal de 13h, journal de 20h, TF1 parle des scouts. Sur Facebook, vue aérienne d’une veillée hors norme. C’est quel point bleu mon Petit Oiseau ?Vue aérienne Connecté 2019. Crédit Thierry Braun.

Photo de Thierry Braun. Cliquez pour voir l’originale.

Alors ce vendredi, je suis assise au soleil sur la dalle du RER. J’ai de quoi lire mais je reste concentrée sur les portes en verre de la gare. Soudain, une première chemise bleue. C’est une cheftaine. Puis, tout de suite, c’est mon Petit Oiseau avec son gros sac à dos qui dépasse au-dessus de sa tête.

J’ai mon appareil photo. Je la mitraille. Ce sourire-là est unique, encore chargé de la force du groupe, de la magie de ces moments passés avec tant d’autres jeunes, de la joie de vivre des moments d’exception. Ensuite, il s’étiolera, gagné par la fatigue, vidé par les récits, rattrapé par le présent et les projets futurs.

Elle rayonne. C’est un sourire à pleines dents, bonheur à l’état brut, diamant émotionnel.

Un câlin, l’odeur de camp et de feu de bois. Elle parle vite. Elle déverse d’un coup le sac de ses souvenirs. Derniers mots avec les copines, avec les chefs. On s’éternise au local. Quitter la tribu, c’est accepter que ce moment est terminé, que le Jamboree a été, qu’il ne vivra désormais que dans son cœur, ses récits et les souvenirs qu’elle évoquera certainement longtemps avec ses amies.

Son foulard est posé sur la table, sa chemise sur le canapé. Elle a de nouveaux écussons et quelques badges. A la rentrée, elle aura tout cousu sur sa nouvelle chemise rouge. Elle entrera dans la caravane des grands. Tout un programme, encore plus d’autonomie et tant de nouveaux projets.

Retour de Camp. Connecte 2019. Chemise et foulard

Pour le moment elle dort, bienheureuse de retrouver le confort d’un lit moelleux et sans bosses. Petit passage aux urgences en début de soirée, quand même, pour faire retirer cinq tiques tellement petites que je n’arrivais pas à les enlever avec le tire-tique. Mais elle va bien.

Elle grandit et la voir s’épanouir est le plus précieux des cadeaux.

Errance thérapeutique

Il y a des mots un peu flous qui cachent un grand désarroi. J’ai appris la semaine dernière un nouveau terme : errance thérapeutique. J’ai parlé ainsi avec une maman qui a erré douze ans avant que ne soit établi le diagnostic correct pour sa fille et qu’elle puisse enfin la soigner. J’avais également discuté avec une maman qui avait erré plusieurs années avant que ne soit établi un diagnostic pour sa fille. Diagnostic dont l’importance se mesure à l’aune du traitement thérapeutique mis en place puis de la guérison ou, du moins, de la possibilité de retrouver une vie normale.

Ces deux mamans ne faisaient pas face à la même maladie. Mais elles ont chacune vécu ce que nous commençons tout juste à appréhender, cette fameuse errance thérapeutique. Ces jours d’incertitude qui se transforment en semaines puis en mois, voire carrément en années. Notre Petit Oiseau est malade depuis cinq mois sans que nous ne trouvions l’origine de ses maux de ventre et de son intense fatigue. Son état se détériore petit à petit.

En janvier, nous avions cru identifier le problème. Une gastro qui aurait provoqué une intolérance au lactose. Remise sur pied, Petit Oiseau a repris les cours et retrouvé ses nombreuses activités avec la joie de vivre qui la caractérise. Mais début mars, patatras, les douleurs reviennent en force. Ensuite elle n’a eu qu’une semaine de rémission de ci de là. Fin avril, déjà, ces moments de répit se limitaient seulement à un jour ou deux. Depuis le début du mois de mai, Petit Oiseau ne profite plus d’aucun moment de paix et son minima de douleur est de plus en plus fort.

Or les pistes médicales mènent toutes à des impasses. Certes, il est réjouissant de constater qu’elle n’a pas telle ou telle maladie, ou syndrome. Mais, en attendant, le temps passe sans que nous ne réussissions à la soulager.

Notre Petit Oiseau ne quitte plus son lit que pour aller à des rendez-vous avec des médecins que je redoute à chaque fois de rencontrer. Ils feuillètent le porte-vues dans lequel je range tous les documents et analyses accumulés depuis le mois de janvier, constatent que tout est normal, expliquent que ça ne peut pas être ceci ou cela, et merci donc de chercher dans une autre voie. Laquelle ? Eux ne savent pas, puisque ce n’est pas leur spécialité.

Je me sens comme une abeille coincée dans un bocal en verre. La sortie semble à portée d’ailes et pourtant, chaque fois que je pense avoir trouvé un passage, je me cogne contre la paroi. Or, plus le temps passe, plus le brouillard se forme autour de nous. Nous voilà embarqués sur un bateau qui dérive, moteur en panne, avançant au hasard, ramant pour approcher certaines côtes avant de réaliser que ce n’est pas le bon chemin. D’île en île, je n’ai qu’à espérer que nous trouverons enfin la terre promise. Celle qui nous permettra de retrouver cette jeune fille pleine de vie, d’enthousiasme et d’énergie que nous aimons tellement fort.

L’errance est un cheminement, une sorte de voyage dans lequel nous sommes embarqués malgré nous et qui s’annonce long et tortueux.

Où est le Noir de Basquiat ?

Derniers jours pour voir l’exposition Basquiat à la Fondation Louis Vuitton. Certes elle est prolongée. Mais l’exposition Schiele qui lui fait miroir se termine bien ce week-end. Une heure et demie d’attente dans la bruine hivernale ont pallié la rupture de places disponibles à la prévente. Et la Fondation fournit de grands parapluies aux malheureux qui n’avaient pas prévu de piétiner aussi longtemps à ses portes.

Une file ensuite, rapide, pour acheter son billet. Une file, encore, pour disposer d’un audioguide. Une file, toujours, pour déposer son manteau et autres effets encombrants au vestiaire. Etant donné la forte affluence, la visite des deux expositions se fait à touche-touche. Il est donc fortement conseillé d’être le plus léger possible.

Avec un peu de patience, il est possible d’admirer toutes les œuvres de Schiele. Principalement des dessins de petit format rehaussés de couleurs à l’aquarelle ou à la gouache. Là encore, des files se forment qui défilent devant les cimaises, à petit pas. Corps difformes, souvent nus, sexes rougis, mains noueuses aux doigts démesurés, autoportraits hallucinés, carnations glauques tirant vers l’étal de boucher, ou quand la laideur devient belle. De ses traits tordus, des ses corps étirés, Schiele tire une émotion incomparable. Loin des normes de l’esthétisme académique, le jeune Autrichien trace sa ligne, noire, nerveuse, torturée, mais où la vérité de l’être semble se nicher dans toute sa sensation. L’exposition est captivante.20190111_115004145_ios

 

Et le lien se fait assez naturellement avec Basquiat, bien que l’époque et le style soient radicalement différents. Explosion des couleurs, urgence de l’instant acquise avec ses débuts de graffeur de rue, une vie folle éclate sur les œuvres du jeune Newyorkais. Références aux classiques avec une série de têtes rappelant les Vanités du XVIIe, il puise plusieurs fois son inspiration auprès de Léonard de Vinci. Mais surtout, comme chez Schiele, un univers et un style propres dont il est le créateur. Et une ligne noire. Ou plutôt un trait, qui s’épaissit pour former des personnages inquiétants ou s’affine pour piquer d’épines des couronnes sacrificielles.

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Basquiat transpose sur des toiles gigantesques la vie bouillonnante du New-York du début des années 80. Surtout, il prend le parti de parler du racisme dont il souffre quotidiennement, plongeant jusque dans les racines du commerce triangulaire ou faisant appel aux conteurs traditionnels africains. Il dénonce la suprématie de la société blanche bien-pensante, son intolérance et son injustice.

 

 

Il le dit lui-même, ses œuvres contiennent 80% de colère. D’ailleurs les traits bouillonnent, les mots écument, les formes s’entrechoquent et les couleurs se bousculent, vives et intenses. La peinture n’est pas belle au sens académique mais, comme chez Schiele, elle subjugue et fascine. Alors, oui, on se surprend à trouver l’ensemble magnifique quand le détail dérange souvent.

Quelle frustration de devoir encore attendre dans d’interminables files pour profiter des œuvres dans les salles plus petites. Sensation d’être au zoo, de regarder un animal sauvage à distance dans sa cage. Ce public policé dont je fais partie est tout le contraire de Basquiat. Nous sommes blancs dans notre immense majorité, bien habillés, dociles et patients.

Où est le Noir dont Basquiat se revendique et qu’il défend et met en scène dans ses œuvres ? Pourquoi cette superbe exposition est-elle si blanche ?

Pour ceux qui veulent en savoir plus sur Basquiat, je conseille cette vidéo de Mathieu Ophanin :

Article écrit en janvier 2019

L’habit ne fait pas le moine

Petit Oiseau s’est installée par terre, sur le tapis. Elle écoute sa grand-mère lui raconter son mai 68. A cette époque Chantoune avait 22 ans et elle était déjà mariée. En fac de socio, elle partageait la même classe que Cohn-Bendit, mais pas le même activisme. Elle ne participait pas aux groupes de réflexion où se sont joués les prémices de mai 68. D’ailleurs, quelques semaines avant cette « chienlit » (elle se remémore les titres dans les journaux), elle avait bonnement distribué un tract pour le pèlerinage annuel à Chartres à l’entrée de la fac. Sa petite fille se délecte alors, et nous aussi, du récit de Cohn-Bendit lui renvoyant un sourire en coin, amusé. Elle était comme ça Chantoune en Mai 68, fidèle à sa foi, mais qui criait aussi « CRS SS ! » dans les manifs.

Elle vivait avec Dominique dans un petit studio vers l’Odéon. Au cœur des évènements. Elle raconte la fuite devant les coups de matraque. Comme cette fois où ils se sont réfugiés dans l’entrée de leur immeuble pour échapper aux CRS. Dominique avait réussi à bloquer la porte automatique au nez des policiers qui n’ont pas pu les suivre. Un face à face avec juste la porte entre eux. On la voit revivre le soulagement qu’elle a dû ressentir à l’époque. Avec ce rien de détachement que le temps apporte.

Elle parle des utopies, de la volonté de changement, de l’envie, du besoin d’une autre société. Et de cette foi chrétienne qui s’ouvrait énormément, qui sortait des carcans de la tradition. Car la discussion est née d’un constat qui nous attriste, le regain d’anciennes pratiques ascétiques qui enferment plus qu’elles n’ouvrent. Comme ces scouts d’Europe dont les tenues tutoient le culte du paramilitaire, ces prêtres qui abandonnent les habites séculiers pour revenir à la soutane, ou ce retour en force de l’agenouillement au sol. Entre autres.

La discussion pourrait durer des heures. Mais il se fait tard. Après son départ, nous repensons à Chantoune. On a du mal imaginer cette grande dame à l’allure sage et soignée dans les manifs de mai 68 face aux CRS. Même en arrière-plan.

L’habit ne fait pas le moine.

En religion non plus.