« Et il devra porter une collerette pendant une semaine ».
Passage à la caisse de la clinique vétérinaire. Anti-inflammatoire. Antibiotique. Et un grand morceau de plastique semi-rigide transparent, orné d’un ruban vert. Le dernier West side story félin dans le jardin a laissé Django avec une plaie de morsure purulente derrière l’oreille.
Première étape, se familiariser avec la collerette. Fermer le cône, passer la languette dans les différentes fentes entre les deux épaisseurs de plastique. Dessus-dessous. Dessus-dessous. Nouer le ruban. « On doit pouvoir glisser deux doigts » a conseillé la véto. Mais pas plus. Les chats sont très agiles pour retirer une collerette.
Je m’entraîne à manipuler le plastique. Posé sur mes genoux, mon gros chat est encore un peu sonné par la douleur et l’inflammation. Il se laisse faire quand je lui pose maladroitement cet immense tour de cou en plastique. Puis vient la panique.
Il saute au sol et tente de s’extraire du cône transparent. Il parcourt tout le salon en zigzagant en marche arrière. Sa tête, alourdie par la collerette, traîne devant lui, se cogne dans les pieds des tables et des chaises. Petit à petit, il passe en marche avant. Bruit sourd du plastique qui heurte les portes et les meubles. Django ressemble à un PNJ de jeu vidéo qui bugue dans le coin d’une pièce. Incapable d’estimer une distance il reste bloqué à l’entrée de la cuisine. Il lui manque deux centimètres pour que la collerette arrête de buter sur le montant de la porte.
Après deux jours, il est un peu plus à l’aise. La douleur et l’inflammation doivent avoir bien diminué, il a retrouvé un peu d’énergie. Suffisamment pour attaquer la collerette à coups de pattes arrière. Il me jette des regards noirs à chaque fois que lui remets après avoir désinfecté sa plaie.
J’ai bien essayé de le laisser sans collerette mais il passe alors sa patte consciencieusement humectée de salive sur la plaie.
Encore cinq jours à le voir cogner sa collerette à chaque marche dans l’escalier et finir par attendre mollement que ça passe, la tête posée sur le bord de sa banquette préférée, les pattes tombant sur le côté, vaincu. Il a le même air malheureux que Doug avec sa collerette de la honte dans Là-haut.
Collerette, ça rime peut-être avec guinguette mais, saperlipopette, pour notre vieux matou, ce n’est pas la fête.
Aller déjeuner aux Petites Cantines Paris. Les rues balayées par les rafales de vent. Les tourbillons dorés des feuilles automnales. Traverser le 13e arrondissement en voiture (pas question de prendre les vélos en pleine tempête), longer une forêt de tours hautaines à l’architecture austère. Se garer sous des platanes dégarnis au bord du métro aérien et avoir le regard aimanté par la douceur des personnages peints sur des murs aveugles. Vision fantastique. La ville prend soudain une autre dimension.
Envie, une prochaine fois, de déambuler en deux roues dans les rues de cet arrondissement réputé pour ses fresques.
Qui ne connaît pas cette envie d’aller voir de l’autre côté ? En cette dernière semaine d’octobre, alors que le soleil réchauffe doucement la baie de Fethiye, Yeşim, Eglantine et moi prenons le bateau pour nous rendre au marché. Conduite par un vieux capitaine à la peau burinée, la navette quitte l’hôtel toutes les heures. En arrivant vers le port, nous croisons quelques-uns de ces bateaux pirates qui hantent les baies et les criques de la région, musique à fond, pour des excursions festives à la journée. Mais aussi de beaux voiliers appelant au voyage et les fameuses gület (goélette), synonymes de croisières luxueuses, loin des foules.
Sans musique, juste un avant-goût d’Halloween
Visiter le marché, c’est se plonger au cœur de la Turquie. Retrouver les sons, les odeurs et les saveurs que nous avons tant aimées lors de nos années dans ce pays. Mais se rendre au marché de Fethiye, c’est surtout partir à la découverte des montagnes environnantes, imaginer les chemins pierreux, deviner les arbustes aux baies parfumées dans la chaleur sèche de l’été. Dans les allées du marché de Fethiye se succèdent les petits étals des paysans des environs. Ils viennent vendre leur production.
Paysanne en costume traditionnel
Chez eux, pas de pyramides de courgettes au vert éclatant, d’aubergines luisantes, de chou-fleurs d’un blanc parfait. Les femmes portent leurs vêtements traditionnels. Des foulards vaporeux et colorés noués sur la tête, des pantalons larges, confortables, resserrés aux chevilles, aux motifs fleuris. Leurs mains sont larges, abîmées par le travail. Leurs visages sont marqués par le soleil et l’air de la montagne. Les hommes portent des pantalons en flanelle dans lesquels leur chemise est soigneusement rentrée. Surtout les vieux. Les plus jeunes préfèrent généralement la facilité d’un polo ou d’un tee-shirt.
Marchande de plantes séchées
Au milieu des fruits et légumes communs à tous les marchés de Turquie, nous en remarquons d’autres, plus petits, aussi discrets sur les étals que dans les montagnes d’où ils viennent. Grâce à Yeşim, nous nous obtenons des noms, des détails sur leur provenance, la façon dont ils se mangent. Nous goûtons tout. Les saveurs sont surprenantes, inhabituelles. Elles ont le goût des plantes sauvages, l’âpreté des arbustes de montagne, quand la douceur vient à la fin, subtile récompense.
Je note les noms turcs. Il sera toujours temps ensuite de trouver l’équivalent français.
La tâche s’avère finalement compliquée. Je commence par Google traduction, je tape les noms turcs et les possibilités en français dans mon moteur de recherche, j’explore les correspondances avec les photos que j’ai prises, je furète dans les vidéos YouTube en français et en turc…
Enfin, je peux vous raconter ce que nous avons goûté.
D’abord, le fruit inconnu. Sa couleur évoque une olive mais sa forme le rapproche d’un tout petit coing. En turc, il s’appelle mersin. Mais je n’ai pas réussi à trouver son nom français.
Mersin
Nous n’avons eu aucun mal à reconnaître le cynorhodon. Quand on a une fille qui s’appelle Eglantine, il y a longtemps que l’on connaît le nom du fruit de cet arbuste. Par contre, j’ai goûté pour la première fois le fruit de l’aubépine, la cenelle, alıç en turc (se prononce aleutch).
Alıç
Le goût du jujube, lui, évoque celui d’une petite pomme. En turc, il s’appelle hünnap.
Un peu partout, nous trouvions des étals de plantes séchées pour des infusions. Si nous en reconnaissions la plupart, une espèce en particulier nous intriguait. Des tiges très longues, rigides, sur lesquelles on semblait avoir enfilé comme des perles des petites corolles serrées de fleurs jaunes. Les petites pancartes en carton annonçaient ada çayı, la sauge. Mais je ne retrouvais pas dans cette plante les longues feuilles veloutées vert amande de la sauge classique. Une vendeuse expliqua à Yeşim qu’il s’agissait d’une espèce sauvage typique des montagnes voisines. Après quelques recherches, j’en ai conclu qu’il s’agit de la crapaudine de Crête ou Sideritis syriaca.
Ada çayı
Enfin, intriguées par de petites graines aux reflets bleutés, nous avons goûté le çitemik. Visuellement, il ressemble à du poivre mais son goût se rapproche plus de sésame. La graine n’est pas très agréable à croquer car elle est dure et laisse plein de petits éclats dans les dents. Il faut en prendre plusieurs à la fois pour que ça ait un réel intérêt gustatif. Je suis une des rares à avoir aimé. Mes recherches me font penser qu’il s’agit des baies de térébinthe séchées, le fruit du pistachier térébinthe.
çitemik
Quand nous arrivons à l’hôtel après le marché, nous avons l’impression de rentrer d’un voyage dans un pays inconnu, la tête pleine de sensations nouvelles, du plaisir de la découverte et de la rencontre. Et l’envie de partir visiter la montagne après l’avoir goûtée avec autant d’ardeur.
Une côte découpée comme de la dentelle, roches aux nuances de gris, d’ocre et de rouille, eaux turquoises virant sur le marine ou le vert en fonction de la lumière, la baie de Fethiye est encore douce alors que l’automne pleut sur Paris. Notre hôtel occupe une vaste presque-île qui s’enfonce dans la mer Méditerranée. Le soir, au loin, les lumières de la ville scintillent derrière celles des mats des bateaux qui mouillent pour la nuit.
Cabotage le long des côtes
Bonheur paisible de la baignade et du farniente. L’hôtel propose une quantité improbable d’activités. De grands toboggans accueillent les rires tourbillonnants des enfants avant d’être submergés dans l’eau encore très chaude. Un peu plus loin, les paddles, kayaks et optimists sont en libre accès. De l’autre côté de l’hôtel, on croisera un père et son fils en train de pêcher. En grimpant sur les hauteurs, on s’aventure au tir à l’arc. Le sommet d’une autre petite colline héberge un mini-golf et un terrain de badminton. On peut s’essayer à l’ebru (papier marbré) ou à la poterie. On retrouve aussi l’incontournable aquagym, les leçons de danse et de Zumba et les cours de Yoga. Mais la liste est encore longue. Impossible de tout expérimenter…
Vue sur la plage aux toboggans
Dans la douceur des fleurs de bougainvilliers, nous profitons de vacances en famille sans autre contrainte logistique que celle de choisir sur quelle plage se retrouver. Les cousines partagent des moments précieux, elles qui ne se voient que rarement. Même Eglantine, une fois passée la fatigue du voyage, s’épanouit au soleil.
Elle partage avec son père et sa sœur un vol incroyable depuis le sommet de Babağda, cette montagne qui domine la baie de ses 1975 mètres. Moment intense lorsque les voiles des parapentes se gonflent et filent dans l’azur. Ils partiront chacun à quelques minutes d’intervalle, bien arrimés aux parapentistes professionnels qui enchaînent les vols en duo. Alors que je redescends en voiture, je regarde le ciel constellé de voiles colorées qui pirouettent avec habilité. J’arrive bien après eux sur la plage d’Ölüdenız où ils ont atterri.
Pour Hortense, nous avons tous embarqué sur un bateau de plongée. Portants chargés de combinaisons Néoprène, palmes rangées dans des casiers sous le toit, bouteilles et détendeurs calés le long des parois. Olivier et Eglantine feront leur baptême. Plongée à 5 mètres le matin. 7 l’après-midi. Chantal, Elise, Estée, Yeşim et moi profiterons des petites baies où s’ancrera le bateau pour nager avec les poissons, simplement équipées de palmes, de masque et de tuba. Hortense, elle aura le droit de plonger à 18 mètres grâce à sa carte de plongeuse niveau 1. Malgré son mètre soixante-quinze, elle n’a encore que 13 ans et la Turquie interdit aux moins de 14 ans d’aller jusqu’à 20 mètres.
Première plongée d’Hortense en Turquie 🇹🇷
Grâce à leur cousine Estée, les filles découvriront aussi le ski nautique. Plaisir de glisser sur l’eau. Premiers slaloms. Et même, sortir du sillon, passer la vague, puis revenir dans l’axe du bateau. Sourires radieux.
Délice des papotages retrouvés avec mon amie Yeşim, tout en profitant du reste de la famille. Surtout Élise et Estée que la distance et les rythmes de vie ne permettent pas de voir très souvent.
Dernier matin avant le départ, attendre le lever du soleil.
Enfin, alors que la toute jeune république turque fête ses 100 ans, que les drapeaux rouges inondent les rues, les boutiques, les façades et les moindres recoins du pays, chacun.e repart dans sa direction. Eglantine et moi rentrons à Paris alors qu’Elise et Estée retrouvent Vienne. Olivier, Chantal et Hortense, eux, profitent encore un peu de la Turquie à Istanbul avec Yeşim.
Matinée à Istanbul. Rive asiatique. Quitter la maison endormie et marcher dans les rues ensoleillées. La chaleur monte doucement en ce début d’automne. Retirer le pull de coton, acheter des açma à la boulangerie. Les mots qui reviennent. La douce musique de la langue aimée mais oubliée.
Remonter la ruelle le long du vieux cimetière. Admirer les pierres tombales séculaires soutenues par la végétation luxuriante. Dans le creux d’un turban de marbre, un escargot. L’ombre douce sur les allées encore humides de rosée. Les chiens décharnés au regard paisible. Sur la margelle d’une fontaine, un chat me regarde, impassible.
Puis apparaissent un bout de rivière, les premiers bateaux et les premières yalı, ces maisons traditionnelles des bords du Bosphore, joliment restaurées. De grosses voitures rutilantes et de vieilles guimbardes poussiéreuses se croisent difficilement dans l’étroite ruelle. Face aux restaurants chics aux brunchs pantagruéliques, des maisons modestes devant lesquelles sont alignés d’humbles pots de fleurs. La lumière qui s’accroche délicatement dans les feuilles. Tendresse de la peinture écaillée comme la peau usée des vieux marins qui boivent leur thé un peu plus loin devant la capitainerie du petit port local.
Puis, enfin, derrière les pierres ocres de la vieille forteresse d’Anadolu Hısarı, le majestueux Bosphore. Les vapör croisent d’immenses cargos dont les coques disent les tempêtes des océans. Ici un pêcheur sur son petit bateau. Là, des touristes en croisière et les hauts-parleurs qui expliquent la ville.
Sur le quai, entre le clapotis des vagues, les cornes de brume, les cris des mouettes et les klaxons, une petite boutique de thé. Liquide ambré dans les courbes d’un verre tulipe qui s’attrape par le col, pour ne pas se brûler. Froissement des sacs en plastique des boulangeries voisines dans lesquels plongent des mains gourmandes. Miettes de simit, de börek et autres poğaça sur les petites tables rustiques. Tintement des cuillères reposées dans les soucoupes en porcelaine blanche rehaussée de notes rouge et doré. Les visages tournés vers le Bosphore. Là-bas, on aperçoit un bout du pont suspendu entre deux continents.
A peine un mois après la rentrée, Eglantine est déjà épuisée. Difficile de laisser tomber les matières qu’elle a tant aimée l’année dernière. Elle s’est fait une raison pour la philo mais a bien du mal à ne pas aller en cours de sciences de la vie et de la terre, de physique-chimie et de maths expert. Quant aux cours d’anglais, il y a trop à perdre à ne pas pratiquer pendant toute une année. On y ajoute les incontournables rendez-vous médicaux, les cours de piano, un emploi du temps mal fichu et une belle rhino-pharyngite. La recette est complète pour le visage tiré, la fatigue qui écrase, le raplapla général.
On oublie toujours trop vite que la vie d’Eglantine reste une question de dosage permanent, d’anticipation continuelle, de renoncements récurrents.
Heureusement, Eglantine reste Eglantine. Joie de vivre, vision positive, projection optimiste.
Ce soir, visage reposé après une journée où l’on avait tout annulé, elle était radieuse à l’heure de rejoindre ses tout nouveaux cours de tir à l’arc. Se concentrer, viser, tirer, relâcher. Une métaphore de son quotidien ?
Oui, j’ai vu le film de Roman Polanski, J’accuse. Le film pour lequel il a reçu plusieurs Césars en 2020, provoquant le départ d’Adèle Haenel. On se lève et on se casse.
Un homme grand, fin, tête d’éternel adolescent, feuilles de texte sous les yeux, interroge le public en préambule de Faut-il séparer l’homme de l’artiste ?.
Le théâtre La Piscine programmait cette semaine deux représentations de ce débat mis en scène, pièce de théâtre argumentative, conférence réflective où l’on suit les questionnements et les tâtonnements du metteur en scène Étienne Gaudillère face à la journaliste Giulia Foïs. Voix grave, ronde, chaude, qui égrenne les chiffres sordides des violences faites aux femmes. 1 viol toutes les 7 minutes. Seulement 10% des femmes agressées portent plainte. A peine 1% des violeurs sont finalement condamnés.
Le refus de croire les victimes. Le refus de voir les coupables.
L’impuissance des faibles. L’impunité des puissants.
Le lynchage médiatique dont se plaignent ces hommes influents qui occupent les plateaux télés et les colonnes des journaux alors que leurs victimes se terrent.
Le viol est un crime. Comme le meurtre. Un homme accusé de douze meurtres aurait-il reçu un César ? Certainement pas. Même si l’instruction est encore en cours.
Comme beaucoup, je me rangeais derrière la non-condamnation. Tant qu’un homme, ou une femme, n’est pas condamnée, il-elle est innocente. Disons plutôt il dans le cadre des violences sexuelles. Car Giulia Foïs continue de dérouler les chiffres. Dans 99% des cas, l’agresseur est un homme, la victime est une femme. Un tel déséquilibre implique un réel dysfonctionnement sociétal.
Lecture de tribunes. Transcriptions de conversations. Entretiens à bâtons rompus. Vidéos. Bandes son. Saynètes. Chansons. Accompagnés de deux autres comédien.nes, Astrid Roos et Jean-Philippe Salério, Giulia Foïs et Étienne Gaudillère nous emmènent dans une tornade d’observations attentives et argumentées du monde de la culture en particulier et de la société en général. Ça bouscule, ça dérange, ça embarrasse.
Ça dessine des lignes, ça pose des bases, ça éclaircit.
Je n’avais pas prévu d’aller voir ce spectacle. Les voyages chez ma mère me laissent vide d’énergie et d’envie. Mais mon amie Gaëlle me l’a conseillé. Elle y est allée avec une classe de son lycée. Les garçons, notamment, étaient abasourdis par les chiffres. Peut-être parce que, pour les filles, les chiffres n’ont pas besoin d’être verbalisés. Elles savent que ça peut arriver. N’est-ce pas la raison pour laquelle, samedi dernier, je n’ai pas laissé Hortense rentrer seule de l’anniversaire d’une amie à 23h alors qu’elle fait ce trajet sans soucis en journée ?
Mettre des mots (et choisir les bons), donner les chiffres, parler, témoigner, écouter, soutenir, dénoncer. Une nécessité quand, après le spectacle, dans la discussion avec les artistes, une adolescente exprime son incompréhension. « Je n’ai pas bien compris ce que vous vouliez dire par séparer l’œuvre de l’artiste ? Parce que si l’œuvre ne pose pas de problème, alors… » et elle se perd dans un océan de mal-être, d’incertitude, de flou.
A sa décharge, le spectacle fait beaucoup de références à des faits qui ont eu lieu à l’âge où ces adolescents ne s’intéressaient pas à ces polémiques. Le contenu est dense, le rythme soutenu. Ça met KO dans les cordes. Pour qui n’a pas le contexte, il y a de quoi lâcher prise.
Accompagner. Définition du Robert. Se joindre à quelqu’un pour aller où il va en même temps que lui.
Pour me tenir compagnie dans la voiture, un énorme bouquet de fleur et le panier de mon pique-nique. Des couleurs, de la joie, de la lumière pour m’accompagner et garder le cap dans la tempête.
Accompagner. Par extension : soutenir, assister. Comment accompagner quelqu’un qui perd la tête ? Qui mélange réalité et affabulations ? Comment accompagner à 500 km ? Comment laisser de côté la colère et la frustration face à la confiance tant de fois trahie ? Comment accepter la déliquescence d’un de ses parents ?
Se joindre pour aller ensemble. Les courses, les rendez-vous médicaux, les petites discussions sur la pluie et le beau temps, les dernières nouvelles des enfants.
Qui a imaginé un spectacle avec deux hommes en costume trois-pièces sombres, chaussures vernies noires et un seau en métal sur la tête ? Qui a eu l’idée des assiettes chinoises en vaisselle cassable, à l’aveugle (à cause du seau sur la tête) ? Quel hurluberlu a pensé que ce serait amusant de regarder deux hommes portant d’énormes gants de boxe rouges, poser des verres à vin et de lourdes briques sur un plateau suspendu dans un jeu d’équilibre un peu fourbe ? Et ce lapin en peluche rose, qui tient un énorme bouton rouge, sorte de détonateur relié à un épais câble noir ? Quand il le presse, les éléments du spectacle se mettent en place.
Absurde et poétique, dérangeant et enthousiasmant, le spectacle Der Lauf est un vrai régal jubilatoire, un défouloir joyeux, même si le passage avec la carabine visant un long moment des ballons, errant sur le lapin et le public, m’a trop rappelé les tueries qui ponctuent régulièrement l’actualité. Ce devait être un peu le but puisque dans la version familiale du dimanche après-midi, toute cette partie a été escamotée afin de ne pas perturber le jeune public.
Quel dommage que le trailer sur YouTube ne mette pas plus en avant l’aspect réjouissant de ce spectacle ! La musique angoissante, les personnages aux gestes mécaniques, j’avais très peur de ne pas accrocher avec la proposition de ce trio sérieusement déjanté.
Ravie d’avoir tenté l’expérience vendredi soir, j’y suis retournée avec Hortense aujourd’hui.
Le petit plus ? Les lunettes à diffraction qui transforment le halo des lumières en une multitude cœurs. Parce que la vie est belle.
Der lauf ça veut dire Le cours, ou La marche, pour Le cours des choses (Der lauf der dingen). Comme le cours de la vie et toutes ces petites choses qui l’émaillent, cet aveuglement qui nous enferme dans les propres seaux de nos habitudes. Der lauf, finalement, c’est une invitation à ouvrir les yeux, à regarder le monde et à s’y joindre.
Quant au Lapin rose, il me rappelle terriblement la pub Kiss Cool et son deuxième effet. Ça vous dit quelque chose ?
Fixé sur le guidon de mon vélo, mon téléphone me sert de GPS. Geovelo me guide dans les petites rues, les pistes cyclables et autres chemins praticables en deux roues non motorisées. L’assistance électrique de vélo n’est définitivement pas un moteur. Aucun mouvement sans action de mes muscles. Mon amie Véro m’a proposé de la rejoindre aujourd’hui pour déjeuner dans un joli village de l’Essonne, à quelques kilomètres de chez moi. Je me laisse guider entre les meulières cossues et les allées verdoyantes de petits villages hors du temps.
Nous avons rendez-vous au Mille Feuilles, un restaurant, librairie, salon de thé, galerie au centre de Bièvre. Rue pavée, portes rouge vif orant une vieille demeure cossue à la façade couverte de lierre. De l’autre côté de la rue, des bancs attendent les promeneurs sous de solides platanes. La charmante église ornée d’une dentelle de pierre, de quelques vitraux et d’un porche avancé, donne l’heure aux curieux qui entrent dans le musée de l’outil. Ici, Paris semble loin, le paysage fait penser à un roman de Flaubert. C’est Victor Hugo pourtant, qui écrivit un poème en s’inspirant de cette petite église provinciale.
« C’était une humble église au cintre surbaissé,
L’église où nous entrâmes,
Où depuis trois cents ans avaient déjà passé
Et pleuré bien des âmes. »
Premiers vers du poème de Victor Hugo, Dans l’église de***
J’attache ma monture aux arceaux à vélo que ni Hugo, ni Flaubert n’ont connu et suit mon amie dans la boutique baignée de lumière. Douceur des livres que l’on a envie de feuilleter, chaleur d’un lieu accueillant. On nous installe sur la terrasse dominant les frondaisons encore vertes de la forêt en contrebas. Sous les feuilles coule la Bièvre, ses berges luxuriantes et ombragées, le clapotis de l’eau, la fraîcheur du sous-bois. Depuis la terrasse, la vue dégagée repousse dans le lointain le ronronnement de l’autoroute.
Une librairie insolite loin du tumulte de la ville
Véro est venue à pied avec deux amies en suivant la rivière. Balade, déjeuner entre copines, balade. Leur programme est simple sous l’œil complice du soleil d’automne.
Repas très végétal. Saveurs riches de l’été indien où les couleurs égayent les assiettes et les esprits. Discussions sans fin autour d’un verre de rosé. Au moment de partir, la libraire nous explique comment elle a réussit à faire venir Gaspard Koenig. Dans quelques jours, il sera présent dans cette délicieuse librairie insolite pour une rencontre avec les lecteurs autour de son dernier livre, Humus. La libraire a une chevelure grise bouillonnante et des lunettes aux couleurs vives. Elle s’étonne encore d’avoir réussi à convaincre cet auteur de venir chez elle. Elle fait partie de ces gens qui s’enthousiasment sincèrement et vous donnent envie de croquer la vie.
Quand vient l’heure de partir, je reprends mes étroits chemins cyclables baignés de verdure. Petit à petit, je retrouve les voitures et les feux rouges. Dans mon cœur persiste un morceau du Mille Feuilles.
Rouler loin des voitures et des promeneurs du bord de la BièvreLa Coulée Verte à Antony, dernier tronçon loin des voitures et presque sans piétons.