Immersion égyptienne

Hortense est revenue d’Égypte chargée de souvenirs colorés, à nageoires ou écailles, au goût de soleil et de sel.

Lumière pâle du petit matin. Le tube de Biafine est posé sur la table du salon. Le gros sac de plongée est éventré un peu plus loin. En sortent pêle-mêle des palmes bleu et noir, le néoprène épais de la combinaison de plongée et une petite robe de plage en coton blanc ajouré. Reliefs du magnifique séjour en Egypte d’Hortense.

Elle est partie avec son club de plongée. Des moniteurs expérimentés qui la connaissent depuis quatre ans, l’ont vu grandir et l’accompagnent dans ses passages de niveaux. Plongeur Bronze, Or, Niveau 1, PE40 (plongeur encadré 40 mètre) et la poussent pour qu’elle obtienne son Niveau 2 dès qu’elle aura 16 ans. L’âge minimum.

Pour elle, ça signifie beaucoup de calculs pour apprendre à plonger en autonomie (plein de maths !), préparer elle-même son brief, savoir gérer les paliers de décompressions. Les ordinateurs de plongée calculent désormais tout cela automatiquement. Mais on exige des plongeurs qu’ils comprennent ce que fait l’ordinateur. Pour Hortense, c’était donc des cours théoriques et des entraînements à l’examen tous les jours à 18h alors que les copains traînaient dans les hamacs.

Ils sont une bande de sept ado de 13 à 17 ans. Deux filles. La plongée reste encore beaucoup un sport de mecs. Mais ça s’ouvre. Le club d’Hortense, lui, compte de nombreuses femmes. Et quantité de jeunes puisqu’il est un des rares à les former dès l’âge de 8 ans. C’est majoritairement en famille que les plongeurs se sont retrouvés dans cet hôtel posé sur le sol aride du bord de la mer Rouge au nord de Marsa Alam.

Hortense a été adoptée le temps du séjour. Par Frédéric et Catherine pendant les trajets. Par Henri pour les plongées et par sa femme, Isabelle, quand la fatigue accumulée (enchaîner le FRAT et l’ Egypte, c’était intense) nécessitait du réconfort. Par Bernard le jour de la plongée « Familles ». L’occasion pour les parents et leurs enfants de plonger tous ensemble. Normalement, les palanquées sont constituées en fonction des niveaux.

J’ai cueilli Hortense à Roissy hier après-midi, glané quelques infos de Catherine et Frédéric avant de les déposer chez eux et butiné le téléphone d’Hortense pour découvrir les premières images de son séjour. Elle n’est pas équipée pour la photographie sous-marine. Mais d’autres plongeurs sont de véritables professionnels. Ces photos-là arriveront plus tard, après un petit travail d’édition. Heureusement, on peut compter sur les amateurs pour les clichés à chaud et quelques vidéos partagées sur leur groupe WhatsApp.

Hortense nous avait aussi envoyé quelques nouvelles pendant la semaine. En grandissant, elle apprend à prendre soin de ses parents… Le jour où elle a croisé des dauphins et des tortues, son enthousiasme était à son paroxysme. Frédéric m’a appris que c’est Hortense qui avait repéré ces gros reptiles marins. Je ne suis pas étonnée. Sous son allure désinvolte et son attention évanescente, elle a un sens de l’observation très aiguisé. Et une sensibilité délicate. Alors, comme les tortues, elle se protège d’une épaisse carapace.

Pour le moment, elle est plongée dans un profond sommeil réparateur. Une odeur de Monoï persiste devant sa chambre. Elle a posé un masque sur ses cheveux desséchés par le soleil et le sel avant de sombrer sous sa couette hier soir. Il y a des naufrages bienvenus.

Quelques heures à la plage

Escapade hivernale sur la côte atlantique. Entre dunes dorées, rouleaux puissants et moments de détente face à l’océan.

Bordeaux. V nous prête sa voiture. L’océan est au bout de cette route qui serpente entre les forêts de pins. La lumière dorée de l’hiver atlantique baigne les troncs rouges, rebondit sur les flaques de sable, allume les grappes de mimosas.

Plage du Grand Crohot. Celle de mon enfance. Quand, lassés de la marée basse côté Bassin, nous allions à l’Océan. Ici, on ne va pas à la mer.

L’océan, ce sont les hautes dunes que l’on se dépêche de monter, jusqu’à perdre son souffle, puis de descendre en courant à pas de géant, tels des astronautes lunaires aux pieds nus. Ce sont ces plages qui s’étirent à perte de vue, où que porte le regard. Ce sont les rouleaux qui déferlent en longs rubans blancs échevelés par le vent sur une eau qui oscille entre un vert bouteille, un gris de plomb et un parme presque métallique.

En hiver, c’est un pêcheur qui surveille ses longues cannes pointées vers l’horizon. Des manteaux épais et des bonnets en laine, vite retirés – le soleil inespéré appelle une légèreté oubliée. Des chiens courant dans les petites vagues qui viennent mourir sur un replat. Des cerfs-volants dans le contre-jour. Un papa qui joue au ballon avec ses garçons. Des maillots de bain courageux. Un surfeur en combi. Des cheveux gris sur des chaises pliables. Des enfants chaussés de bottes en caoutchouc.

Et le jean d’Hortense qui sèche sur le grillage protégeant la dune.

Allongée sur ma doudoune qui fait office de paillasse, jambes nues, elle lit.

L’océan ronronne.

Ma gourde plantée dans le sable à côté du sac du pique-nique.

Un bateau traverse lentement l’horizon.

Des avions de chasse trouent le ciel.

Une voiture file sur la plage. Logo de la commune. Bientôt, il faudra nettoyer. Préparer les lieux pour la saison.

Déjà, l’après-midi tire à sa fin. Le soleil commence à raser les dunes.

Fin de la parenthèse océane.

Le soir, après les embouteillages, retirer les derniers grains de sable entre ses orteils.

C’était bien.

Les pêcheurs du Bosphore

Sur les bords du Bosphore, une forêt d’hommes étire ses longues cannes à pêche flexibles au-dessus des eaux scintillantes. Derrière eux, des seaux sont suspendus à autant de trépieds où poser leur gaule le temps d’une pause. Buissons à trois pieds en lisière de ce monde à part.

Pêcheurs dans l’ombre d’Anadolu Hisarı

Ils sont déjà nombreux, au matin, quand les rayons du soleil rasent les toits endormis de la ville. Ils arrivent par petites grappes sur la rive asiatique de la ville à cheval sur deux continents, cigarette à la bouche, matériel soigneusement plié dans des sacs similaires à ceux des tireurs, habillés de noir, bottes en caoutchouc. Leurs silhouettes dessinent un théâtre d’ombre dans le contre-jour d’une percée sur le Bosphore, entre les murs épais d’une antique forteresse et ceux en bois des yalı, ces maisons traditionnelles qui colorent les rives d’Istanbul. 

Les yalı le long du Bosphore

Les chats attendent non loin, faussement désinvoltes, prêts à saisir un poisson. Comme ce félin réfugié dans le jardin d’une mosquée, conservant fermement sa prise dans sa gueule, alors qu’une poignée de congénères le poursuit. Les flâneurs du dimanche, amusés et curieux, observent la scène. Réussira-t-il à garder pour lui seul son énorme poisson ? 

Tout comme les chats, sur ces quais de la rive européenne d’Istanbul, les pêcheurs ne prêtent aucune attention à la foule déambulant entre les restaurants huppés et les petits cafés de quartier. Bercés par l’incessant clapotis des vagues, leurs regards se perdent dans le ballet des bateaux. Coques de noix des petits pêcheurs, bateaux taxi, yachts luxueux, vapör (bateaux-bus) et autres embarcations dessinent des trajectoires aléatoires alors que les immenses carcasses de métal des cargos gardent le cap en direction de la mer Noire ou de celle de Marmara. 

Vue sur le Bosphore depuis Bebek, rive européenne

Un pêcheur remonte sa ligne. Mouvement souple du moulinet à la mécanique impeccable. Il dépose trois reflets d’argent dans son seau avant de relancer sa ligne d’un geste ample. Derrière lui, la ville vibre des klaxons des voitures et du brouhaha de la foule, de la musique des cafés et du chant d’un guitariste de rue. Pour lui, ce sera friture au prochain repas.

Le goût de la montagne

Qui ne connaît pas cette envie d’aller voir de l’autre côté ? En cette dernière semaine d’octobre, alors que le soleil réchauffe doucement la baie de Fethiye, Yeşim, Eglantine et moi prenons le bateau pour nous rendre au marché. Conduite par un vieux capitaine à la peau burinée, la navette quitte l’hôtel toutes les heures. En arrivant vers le port, nous croisons quelques-uns de ces bateaux pirates qui hantent les baies et les criques de la région, musique à fond, pour des excursions festives à la journée. Mais aussi de beaux voiliers appelant au voyage et les fameuses gület (goélette), synonymes de croisières luxueuses, loin des foules.

Sans musique, juste un avant-goût d’Halloween

Visiter le marché, c’est se plonger au cœur de la Turquie. Retrouver les sons, les odeurs et les saveurs que nous avons tant aimées lors de nos années dans ce pays. Mais se rendre au marché de Fethiye, c’est surtout partir à la découverte des montagnes environnantes, imaginer les chemins pierreux, deviner les arbustes aux baies parfumées dans la chaleur sèche de l’été. Dans les allées du marché de Fethiye se succèdent les petits étals des paysans des environs. Ils viennent vendre leur production.

Paysanne en costume traditionnel

Chez eux, pas de pyramides de courgettes au vert éclatant, d’aubergines luisantes, de chou-fleurs d’un blanc parfait. Les femmes portent leurs vêtements traditionnels. Des foulards vaporeux et colorés noués sur la tête, des pantalons larges, confortables, resserrés aux chevilles, aux motifs fleuris. Leurs mains sont larges, abîmées par le travail. Leurs visages sont marqués par le soleil et l’air de la montagne. Les hommes portent des pantalons en flanelle dans lesquels leur chemise est soigneusement rentrée. Surtout les vieux. Les plus jeunes préfèrent généralement la facilité d’un polo ou d’un tee-shirt.

Marchande de plantes séchées

Au milieu des fruits et légumes communs à tous les marchés de Turquie, nous en remarquons d’autres, plus petits, aussi discrets sur les étals que dans les montagnes d’où ils viennent. Grâce à Yeşim, nous nous obtenons des noms, des détails sur leur provenance, la façon dont ils se mangent. Nous goûtons tout. Les saveurs sont surprenantes, inhabituelles. Elles ont le goût des plantes sauvages, l’âpreté des arbustes de montagne, quand la douceur vient à la fin, subtile récompense.

Je note les noms turcs. Il sera toujours temps ensuite de trouver l’équivalent français.

La tâche s’avère finalement compliquée. Je commence par Google traduction, je tape les noms turcs et les possibilités en français dans mon moteur de recherche, j’explore les correspondances avec les photos que j’ai prises, je furète dans les vidéos YouTube en français et en turc…

Enfin, je peux vous raconter ce que nous avons goûté.

D’abord, le fruit inconnu. Sa couleur évoque une olive mais sa forme le rapproche d’un tout petit coing. En turc, il s’appelle mersin. Mais je n’ai pas réussi à trouver son nom français.

Mersin

Nous n’avons eu aucun mal à reconnaître le cynorhodon. Quand on a une fille qui s’appelle Eglantine, il y a longtemps que l’on connaît le nom du fruit de cet arbuste. Par contre, j’ai goûté pour la première fois le fruit de l’aubépine, la cenelle, alıç en turc (se prononce aleutch).

Alıç

Le goût du jujube, lui, évoque celui d’une petite pomme. En turc, il s’appelle hünnap.

Un peu partout, nous trouvions des étals de plantes séchées pour des infusions. Si nous en reconnaissions la plupart, une espèce en particulier nous intriguait. Des tiges très longues, rigides, sur lesquelles on semblait avoir enfilé comme des perles des petites corolles serrées de fleurs jaunes. Les petites pancartes en carton annonçaient ada çayı, la sauge. Mais je ne retrouvais pas dans cette plante les longues feuilles veloutées vert amande de la sauge classique. Une vendeuse expliqua à Yeşim qu’il s’agissait d’une espèce sauvage typique des montagnes voisines. Après quelques recherches, j’en ai conclu qu’il s’agit de la crapaudine de Crête ou Sideritis syriaca.

Ada çayı

Enfin, intriguées par de petites graines aux reflets bleutés, nous avons goûté le çitemik. Visuellement, il ressemble à du poivre mais son goût se rapproche plus de sésame. La graine n’est pas très agréable à croquer car elle est dure et laisse plein de petits éclats dans les dents. Il faut en prendre plusieurs à la fois pour que ça ait un réel intérêt gustatif. Je suis une des rares à avoir aimé. Mes recherches me font penser qu’il s’agit des baies de térébinthe séchées, le fruit du pistachier térébinthe.

çitemik

Quand nous arrivons à l’hôtel après le marché, nous avons l’impression de rentrer d’un voyage dans un pays inconnu, la tête pleine de sensations nouvelles, du plaisir de la découverte et de la rencontre. Et l’envie de partir visiter la montagne après l’avoir goûtée avec autant d’ardeur.

La presqu’île du bonheur

Une côte découpée comme de la dentelle, roches aux nuances de gris, d’ocre et de rouille, eaux turquoises virant sur le marine ou le vert en fonction de la lumière, la baie de Fethiye est encore douce alors que l’automne pleut sur Paris. Notre hôtel occupe une vaste presque-île qui s’enfonce dans la mer Méditerranée. Le soir, au loin, les lumières de la ville scintillent derrière celles des mats des bateaux qui mouillent pour la nuit.

Cabotage le long des côtes

Bonheur paisible de la baignade et du farniente. L’hôtel propose une quantité improbable d’activités. De grands toboggans accueillent les rires tourbillonnants des enfants avant d’être submergés dans l’eau encore très chaude. Un peu plus loin, les paddles, kayaks et optimists sont en libre accès. De l’autre côté de l’hôtel, on croisera un père et son fils en train de pêcher. En grimpant sur les hauteurs, on s’aventure au tir à l’arc. Le sommet d’une autre petite colline héberge un mini-golf et un terrain de badminton. On peut s’essayer à l’ebru (papier marbré) ou à la poterie. On retrouve aussi l’incontournable aquagym, les leçons de danse et de Zumba et les cours de Yoga. Mais la liste est encore longue. Impossible de tout expérimenter…

Vue sur la plage aux toboggans

Dans la douceur des fleurs de bougainvilliers, nous profitons de vacances en famille sans autre contrainte logistique que celle de choisir sur quelle plage se retrouver. Les cousines partagent des moments précieux, elles qui ne se voient que rarement. Même Eglantine, une fois passée la fatigue du voyage, s’épanouit au soleil.

Elle partage avec son père et sa sœur un vol incroyable depuis le sommet de Babağda, cette montagne qui domine la baie de ses 1975 mètres. Moment intense lorsque les voiles des parapentes se gonflent et filent dans l’azur. Ils partiront chacun à quelques minutes d’intervalle, bien arrimés aux parapentistes professionnels qui enchaînent les vols en duo. Alors que je redescends en voiture, je regarde le ciel constellé de voiles colorées qui pirouettent avec habilité. J’arrive bien après eux sur la plage d’Ölüdenız où ils ont atterri.

Pour Hortense, nous avons tous embarqué sur un bateau de plongée. Portants chargés de combinaisons Néoprène, palmes rangées dans des casiers sous le toit, bouteilles et détendeurs calés le long des parois. Olivier et Eglantine feront leur baptême. Plongée à 5 mètres le matin. 7 l’après-midi. Chantal, Elise, Estée, Yeşim et moi profiterons des petites baies où s’ancrera le bateau pour nager avec les poissons, simplement équipées de palmes, de masque et de tuba. Hortense, elle aura le droit de plonger à 18 mètres grâce à sa carte de plongeuse niveau 1. Malgré son mètre soixante-quinze, elle n’a encore que 13 ans et la Turquie interdit aux moins de 14 ans d’aller jusqu’à 20 mètres.

Première plongée d’Hortense en Turquie 🇹🇷

Grâce à leur cousine Estée, les filles découvriront aussi le ski nautique. Plaisir de glisser sur l’eau. Premiers slaloms. Et même, sortir du sillon, passer la vague, puis revenir dans l’axe du bateau. Sourires radieux.

Délice des papotages retrouvés avec mon amie Yeşim, tout en profitant du reste de la famille. Surtout Élise et Estée que la distance et les rythmes de vie ne permettent pas de voir très souvent.

Dernier matin avant le départ, attendre le lever du soleil.

Enfin, alors que la toute jeune république turque fête ses 100 ans, que les drapeaux rouges inondent les rues, les boutiques, les façades et les moindres recoins du pays, chacun.e repart dans sa direction. Eglantine et moi rentrons à Paris alors qu’Elise et Estée retrouvent Vienne. Olivier, Chantal et Hortense, eux, profitent encore un peu de la Turquie à Istanbul avec Yeşim.

De l’autre côté du Bosphore

Matinée à Istanbul. Rive asiatique. Quitter la maison endormie et marcher dans les rues ensoleillées. La chaleur monte doucement en ce début d’automne. Retirer le pull de coton, acheter des açma à la boulangerie. Les mots qui reviennent. La douce musique de la langue aimée mais oubliée.

Remonter la ruelle le long du vieux cimetière. Admirer les pierres tombales séculaires soutenues par la végétation luxuriante. Dans le creux d’un turban de marbre, un escargot. L’ombre douce sur les allées encore humides de rosée. Les chiens décharnés au regard paisible. Sur la margelle d’une fontaine, un chat me regarde, impassible.

Puis apparaissent un bout de rivière, les premiers bateaux et les premières yalı, ces maisons traditionnelles des bords du Bosphore, joliment restaurées. De grosses voitures rutilantes et de vieilles guimbardes poussiéreuses se croisent difficilement dans l’étroite ruelle. Face aux restaurants chics aux brunchs pantagruéliques, des maisons modestes devant lesquelles sont alignés d’humbles pots de fleurs. La lumière qui s’accroche délicatement dans les feuilles. Tendresse de la peinture écaillée comme la peau usée des vieux marins qui boivent leur thé un peu plus loin devant la capitainerie du petit port local.

Puis, enfin, derrière les pierres ocres de la vieille forteresse d’Anadolu Hısarı, le majestueux Bosphore. Les vapör croisent d’immenses cargos dont les coques disent les tempêtes des océans. Ici un pêcheur sur son petit bateau. Là, des touristes en croisière et les hauts-parleurs qui expliquent la ville.

Sur le quai, entre le clapotis des vagues, les cornes de brume, les cris des mouettes et les klaxons, une petite boutique de thé. Liquide ambré dans les courbes d’un verre tulipe qui s’attrape par le col, pour ne pas se brûler. Froissement des sacs en plastique des boulangeries voisines dans lesquels plongent des mains gourmandes. Miettes de simit, de börek et autres poğaça sur les petites tables rustiques. Tintement des cuillères reposées dans les soucoupes en porcelaine blanche rehaussée de notes rouge et doré. Les visages tournés vers le Bosphore. Là-bas, on aperçoit un bout du pont suspendu entre deux continents.

Ici l’Asie. En face l’Europe.

Retrouver ses mots dans un moment suspendu

Village de montage. Maisons resserrées de pierre sombre, venelles tortueuses. Sempiternel bruit de l’eau claire qui coule joyeusement dans les rigoles le long des rues. Elle vient de la montagne qui domine tout horizon. Haute, fière, saupoudrée d’une neige chaque année plus rare.

Il est déjà tard. La route fût longue. Un arbre affalé en travers de l’autoroute en quittant Paris, embouteillages immédiat. Sur les petites routes de montagne, nous avons grand ouvert les fenêtres de la voiture. Laisser les mains s’envoler dans le vent. Sentir les odeurs de forêt, d’herbes sèches, de pierre chaude et de plantes vivaces dont on ne connaît pas les noms. La bouse de vache aussi, parfois. Le pot d’échappement des motos qui doublent en vrombissant s’estompe heureusement assez vite.

Une pause au dernier col dans cette miellerie que nous aimons tant. L’air frais qui ébouriffe les cheveux. Le soleil qui réchauffe la peau. La montagne, majestueuse, gouverne la perspective, domine les vallées qui s’étirent de chaque côté du col, écrase les humains qui s’agitent sur le parking en contrebas autour des restaurants et des boutiques de souvenir. Fin de randonnée ou pause sur la route, comme nous.

Vue depuis la voiture alors que nous quittons le col du Lautaret

Dans le petit village, il faut faufiler la voiture au milieu des derniers randonneurs, sacs à dos ventrus, grosses chaussures poussiéreuses, bâtons de marches cliquetant sur le bitume, et des familles aux enfants fraîchement douchés, des ultimes courses à la supérette, des premiers apéros en terrasse et des barrières interdisant de circuler autour de l’église.

Le temps de s’installer sous les voûtes fraîches de la maison séculaire et la musique résonne sur la place du marché. Une femme est suspendue sur l’un des côté du clocher carré. Elle danse en défiant les lois de l’apesanteur, guidée par les notes légères du guitariste qui l’accompagne au sol. Une autre femme réalise, solitaire, la même chorégraphie sur l’autre côté. Nous l’apercevons par intermittence. Puis de plus en plus souvent, chacune passe la tête du côté de l’autre. Petit à petit, elles jouent à se découvrir, se rapprochent puis s’éloignent, parcourant telles des anges blancs toute la paroi du clocher. On ne serait pas surpris de les voir s’envoler vers la lune déjà imprimée dans le ciel bleu de cette fin de journée d’été.

Spectacle aérien « Suspend »

Ce moment suspendu, l’air vif, l’eau fraîche, le calme serein de la maison apaisent les angoisses qui m’étreignent depuis des semaines.

Le jour se lève à peine sur mon insomnie. Un chat passe tranquillement devant la fenêtre. Je suis heureuse d’avoir retrouvé des mots à partager avec vous.

Le luxe du voyage à faible empreinte carbone

Les prochains mois vont m’amener à voyager régulièrement vers les vignobles du Cognac. Pour plus de tranquillité, je souhaitais voyager en train.

Le temps de transport est globalement le même qu’en voiture puisque je dois compter le trajet de chez moi à la gare TGV, le temps de récupérer une voiture de location à la gare d’arrivée, puis le trajet jusqu’à ma destination. Mais je peux me reposer dans le train et il est considéré comme l’un des moyens de transport les moins polluants au monde. De quoi dormir sur mes deux oreilles.

Or il est impossible de dormir sur ses deux oreilles. Je ne sais pas qui est l’inventeur ou l’inventrice de cette expression mais il/elle devait avoir une drôle de tête pour être capable de dormir sur ses deux esgourdes en même temps. Notre anatomie ne nous le permet tout simplement pas. Et le train non plus.

Le repos et une meilleure empreinte carbone pour quelques euros en plus

Tout d’abord pour une question de prix. Essence et péages inclus, le trajet en voiture me revient à peu près à 90€. Soit 180€ aller-retour. La semaine dernière, alors que j’ai fait ce même trajet, j’ai réussi à acheter des billets aller-retour pour un peu moins de 120 euros. J’y ai ajouté la même somme pour disposer d’une voiture sur place. Les charmes de la campagne et des villages isolés… Résultat, quelques dizaines d’euros de plus que le trajet en voiture. Le prix de mon repos et d’une meilleure empreinte carbone. Ça se justifiait.

Pour une meilleure empreinte carbone, remplacer la location d’une voiture par un vélo

Emporter Pimprenelle

Alors que je dois y retourner dans quelques jours – j’ajuste les dates en fonction des contraintes du moment – je pense à troquer la voiture contre un vélo. Mon premier réflexe est de regarder les solutions pour emporter Pimprenelle – ma bicyclette électrique. Avec elle, je ne crains pas d’affronter quelques dizaines de kilomètres dans la campagne charentaise.

La SNCF propose le transport d’un vélo pour 10 euros supplémentaires, dans la limite des places disponibles, sur ses TGV Inoui. Il ne me reste qu’un choix d’aller et de retour direct. Mais aucune possibilité d’ajouter un vélo à ma réservation. Je pense que les quelques places pour les bicyclettes sont déjà prises. Logique, les vacances estivales sont déjà bien entamées.

Les autres billets disponibles sont des trajets avec une, deux ou trois correspondances. Compliqué avec Pimprenelle. Et mon temps de transport est multiplié par deux ou trois.

Louer un vélo sur place

Je ne me décourage pas et entreprends de louer un vélo dans la ville d’arrivée. La gare de TGV étant à 30km de ma destination finale, je cherche un loueur dans la petite ville desservie par le TER la plus proche. C’est une ville ravissante où le tourisme vert prend tout son charme. Les vélos y sont loués pour des balades à travers les vignobles ou le long du fleuve et non comme un réel mode de transport tel qu’on peut trouver dans les grandes villes. Les prix s’en ressentent. A la journée, c’est à peine moins cher que la location d’une voiture.

Je me tourne alors vers un loueur de vélo autour de la gare TGV. Il me faudra prendre un bus pour rejoindre l’agence de location associée aux transports publics de la ville. Sur le site, je n’ai aucune info sur le nombre de kilomètres qu’il est possible de faire avec leurs vélos. Normal, ils sont prévus pour rester en ville, dans un rayon de 5 à 10km. Tenté 60km est trop risqué. Un vélo électrique sans batterie c’est une plaie à pousser. Inenvisageable sur plusieurs kilomètres.

Pas question non plus de faire 30km sans assistance électrique. Trop fatiguant.

Je laisse tomber l’option vélo.

Le coût du train

Contrairement à mon dernier voyage, cette fois-ci mes billets coûtent plus de 200€. Et je dois y ajouter la location d’une voiture. Trop cher.

Je partirai donc à l’heure qui me convient. Je roulerai à mon rythme en écoutant un livre audio, un podcast ou de la musique. J’arriverai directement à destination et je profiterai d’une voiture sur place. Ce sera la mienne.

Le coût du train est trop élevé à moins de s’y prendre des mois à l’avance. Ou d’avoir un gros coup de chance que les tarifs, comme la semaine dernière. Or mes contraintes actuelles m’obligent à des adaptations de dernière minute.

Le voyage à faible empreinte carbone (train + vélo) est actuellement un luxe qui demande soit d’avoir du temps, soit d’avoir de l’argent. L’idéal étant d’avoir les deux. A quand une vraie politique publique pour favoriser ces modes de transport ?

Carte routière

Déjà six heures que nous sommes sur la route. A l’arrière de la voiture, Hortense écoute de la musique dans mon gros casque réducteur de bruit. Sitôt quittés nos amies à Carry le Rouet, elle a sombré dans un sommeil profond, la tête renversée contre la portière. Une semaine de plongée quotidienne, de levés à 7h30, de veillées animés, d’éclats de rire avec les nouvelles copines et copains, de kayak dans les calanques et autres défis sportifs à l’UCPA de Niolon… elle est crevée.

Nous venons de passer Vezelay quand Eglantine entreprend de nous situer sur la carte de France. Je l’ai acheté sur une aire d’autoroute à l’aller. Mais nous étions toutes trop fatiguées pour s’y intéresser. C’est la première fois qu’Eglantine suit notre trajet sur une carte en papier.

Nous ne roulons plus qu’avec le GPS. Très pratique pour ne pas se perdre. Complètement inutile pour se repérer dans l’espace. Avec Waze la route ressemble à une éternelle ligne droite. Si l’on sait où l’on va, on ne sait plus où l’on est.

Le doigt posé sur la carte, Eglantine a repéré le nom des villes, le numéro des routes, celui des sorties de l’A6, la destination des autoroutes que nous rencontrions. L’A19 partait vers Orléans. L’A77 provenait de Nevers. Les départements sont devenus concrets. Les distances se sont ajustées. La géographie a retrouvé une réalité dans laquelle projeter le trajet. La route a cessé d’être un espace distendu où seul le temps qui passe servirait de repère.

En plus, la lecture de la carte amène des discussions, des découvertes, des mises au point et des interrogations. Plus le temps de s’ennuyer. Arrivées en région parisienne, il nous aurait fallu un plan plus détaillé pour continuer à suivre.

Désormais cette carte restera toujours à portée de main dans le vide poche central de la voiture.

Pendant ce temps en Turquie

La sonnerie retentit. Facetime. Ici, il fait encore jour. En Turquie, la nuit est déjà tombée. Olivier télétravaille depuis Istanbul pendant que Yesim guide Hortense et Juliette entre l’Asie et l’Europe. Istanbul, seule ville au monde à cheval entre deux continents…

Dégustation de simit et d’açma, vapör pour traverser le Bosphore accompagnés par les mouettes, gastronomie turque. Thé noir, glycine mauve, mosquée Bleue. Jeux de lumière dans la Citerne Basilique. Olivier, Hortense et Juliette profitent des couleurs douces de la Turquie.

Sur la tombe du papa de Yesim

Art espiègle des vendeurs de glaces qui, vingt fois, font semblant de laisser tomber le cornet, le lancent dans des pirouettes acrobatiques, magiciens de la crème glacée, illusionnistes de rue qui produisent toujours autant de sourires, même avec des ados.

L’art de souffler le verre pour créer ses propres perles colorées. Yesim a trouvé l’endroit idéal pour deux jeunes filles à peine sorties de l’enfance. Dans le parc voisin de la verrerie, des lapins en liberté, des jeux en quantité, moments de bonheur ensoleillé.

Partage de photos, de videos et visios, une impression d’ailleurs pour nous aussi. Eglantine et moi profitons sans regret du calme de la maison, même si nous serons très heureuses de retrouver l’autre moitié de la famille dans quelques jours.

Petit pincement au coeur, tout de même, de ne pas avoir pu rejoindre ce pays tant aimé.

Photos prises par Olivier