On a testé la nocturne gratuite du Louvre

Je vous en parlais hier, nouvelle formule au Louvre dès ce mois d’avoir, la nocturne gratuite du premier vendredi du mois. On a testé avec Hortense et sa copine Juliette. Eglantine était trop fatiguée, elle est restée à la maison.

Le strudel chez Stube

Pourquoi Juliette a-t-elle associé le Louvre à la dégustation d’un strudel ? Trop compliqué à expliquer. Je ne suis pas certaine d’en avoir bien saisi la raison. Le fait est qu’Hortense et elle se sont mises en tête de goûter du strudel ce soir là.

Espèce de strudel, c’est d’ailleurs leur insulte favorite. Elles ont leurs codes et leurs tics de langage d’adolescentes complices.

J’ai relevé le défi strudel et dégotté un petit restau-pâtisserie à quelques minutes à pied du Louve, le Stube. Ambiance pain noir et brioche traditionnelle de Pâques en forme d’agneau.

Les filles sont ravies. Elles dégustent leur premier strudel après un dîner composé de saucisses et de patates. De bonnes limonades pas trop sucrées, pomme, rhubarbe ou citron-gingembre, c’est parfait.

Réservation conseillée

Penser à réserver en ligne à l’avance. Sinon, c’est deux heures de queue pour entrer. Les créneaux sont répartis toutes les demie-heures. Nous, c’est 19h30. Le soleil rasant de fin de journée baigne les vieilles pierres et se reflète dans les innombrables vitres de la pyramide.

Devant nous, une dame découvre la fille d’attente pour les personnes sans billets. Dépitée, elle s’apprête à rebrousser chemin. Nous avons la place d’Eglantine, je lui propose de se joindre à nous.

Nous nous quittons sous la pyramide. Elle veut rendre visite aux peintres français du XIVè siècle. Nous nous dirigeons vers l’Egypte antique. Nous la croiserons à nouveau un peu plus tard, devant des tableaux de Leonard de Vinci.

Est-ce grâce à ce système de réservation ou parce que la formule n’est pas encore très connue ? La foule est au rendez-vous sans être compacte. L’ambiance est détendue.

Direction l’Egypte antique

Nous entrons par l’aile Sully. Hortense aime beaucoup les antiquités égyptiennes. Les couleurs, les dessins, les formes, les matières l’inspirent beaucoup plus que les marbres romains.

Les filles visitent à leur rythme. Très rapide. Trop pour moi. Je les perds rapidement parce que je traîne. Je suis sous le charme des dieux thérianthropes, des sarcophages qui s’emboîtent les uns dans les autres tels des poupées russes, de la richesses des représentations, sculptures ou dessins.

La démesure du Louvre

Je ne vois plus Hortense et Juliette. Je leur téléphone pour les retrouver. Hortense veut faire comme d’habitude quand nous allons au musée. Chacune à son rythme. On se retrouve à la sortie. Mais elle a oublié que le Louvre n’est pas n’importe quel musée. Il est immense. C’est trop compliqué de se retrouver si nous partons dans des directions opposées.

C’est seulement quand nous rejoignons l’aile Denon pour voir la Joconde qu’elle se rendent compte du nombre d’occasions de se perdre.

Découverte de la harpe égyptienne

Loin des incontournables du musée, je découvre avec émerveillement les harpes égyptiennes. Belles formes en trapèze, j’aimerais entendre cette musique qui ravit les dieux et les hommes de l’Egypte antique.

Je ne suis pas la seule à vouloir entendre cette période lointaine. Voici d’ailleurs une vidéo qui montre comment on a pu reconstituer une harpe égyptienne et en dévoiler toutes ses prouesses musicales.

Quelques œuvres majeures

Nous aurions pu nous contenter des antiquités égyptiennes. Mais Juliette visitait le Louvre pour la première fois. Difficile de faire l’impasse sur la Joconde. En chemin, nous croisons la Venus de Milo, à l’air un peu snob malgré l’absence de ses bras et la Victoire de Samothrace et son incroyable drapé.

Des dizaines de personnes se pressent pour faire un selfie avec la Joconde. Juliette se faufile pour apercevoir le si célèbre tableau.

Chacune ses goûts

Nous continuons ensuite avec la peinture française. C’est autre chose aussi de voir les œuvres en vrai, en grand. Même si elles sont parfois plus sombres que les impressions dans les livres de cours. Ainsi le Radeau de la Méduse de Géricault et la Liberté guidant le peuple de Delacroix.

Amusant de constater que nous ne sommes pas du tout attirées par les même peintures. Je me délecte de La grande odalisque d’Ingres alors que Hortense et son amie s’extasient devant la Vue intérieure de la Cathédrale de Milan de l’école de Sebron.

Les colonnes de Buren

Nous quittons le Louvre à l’heure un peu avant la fermeture des portes. Hortense emmène son amie jouer au milieu des colonnes de Buren. L’heure tardive a chassé les badauds. Nous sommes presque seules. Les filles grimpent de colonne en colonne. La nuit est douce. Un drapeau français flotte sur le bâtiment du Conseil d’Etat.

Un sifflet retentit. « Mesdames, messieurs, nous fermons. Veuillez vous diriger vers la sortie ! » Des lampes de poche fouillent la nuit à la recherche d’éventuels récalcitrants.

Nous contournons la Comédie Française et retournons paisiblement dans notre banlieue endormie.

Hortense et son amie ont passé une excellente soirée. Elles ont surtout aimé le strudel et les colonnes de Buren. Même si le Louvre, quand même, c’était bien.

Les chiens de Pasvik

Alors que je me réveillais tous les matins en regardant la montagne enneigée, j’avais choisi de lire la semaine dernière, le quatrième tome de la série d’Olivier Truc, Les chiens de Pasvik. Commencée avec Le dernier Lapon, suivi du Détroit du loup puis de La montagne rouge. Des polars nordiques autour de l’élevage des rennes et du peuple Sami.

Des paysages pris dans un hiver glacial, des descriptions vivantes qui donnent le sentiment d’avoir réellement visité ce bout de terre à la croisée de la Norvège, la Finlande et la Russie.

Pasvik est à la fois la rivière qui sépare la Norvège de la Russie et le nom de la réserve naturelle à cheval sur ces deux pays. Au nord, c’est la mer de Barents.

Klemet est un Sami de la région de Kautokeino qui appartient à la police des rennes. Il a été muté à la frontière russe, à Kirkenes, depuis le dernier tome de la série. Il y retrouve son ancienne coéquipière, Nina, désormais à la police des frontières.

Les frontières, justement, sont le vrai personnage principal de ce roman. Elles ont été tracées sans aucun respect pour la culture Sami qui s’articule autour de l’élevage des rennes. Ces animaux n’ont que faire des frontières humaines. Les rennes norvégiens passent ainsi en Russie à la recherche de meilleurs pâturages. C’est l’incident diplomatique.

Comprendre et trouver ses racines, connaître et faire vivre son histoire familiale, trouver sa place… plus qu’une enquête policière, ce livre est une plongée dans un univers lointain, qui vit à un rythme très différent du nôtre. Un monde de chamans, où les ombres sont reliées à la terre, où les paysages sont autant de panneaux indicateurs, ou même le bruit du vent ou le craquement de la neige peuvent donner une direction.

Au volant de leurs motoneiges, éleveurs, policiers et mafieux se croisent au son des hurlement d’une meute de chiens sauvages. Le livre est fabuleusement documenté grâce au métier de journaliste et documentariste d’Olivier Truc dans cette région. Il réussit parfaitement à partager son attachement à ces lieux.

J’espère qu’il y aura une suite. J’aimerais faire un nouveau voyage au pays des Samis avec Klemet et Nina.

Sophie, Palissy et moi

Mon amie Sophie et moi avons ceci en commun que nous ne venons pas de familles où la culture se partageait en héritage. Ainsi, à presque cinquante ans, nous sommes encore en train de former nos goûts et d’enrichir nos connaissances. Sophie a découvert le travail de la terre alors qu’elle vivait en Roumanie. Nous étions voisines. Le travail de la terre reste aujourd’hui sa soupape de décompression.

C’est elle qui m’a fait découvrir l’expo actuellement visible au Musée de la Manufacture de Sèvres, haut lieu de la céramique française, Formes Vivantes. Au dernier étage du bâtiment, nous voilà immédiatement embarquées dans un foisonnement de couleurs, de formes et de matières auquel je ne m’attendais pas.

Après une rapide introduction, l’exposition commence réellement avec les œuvres de Bernard Palissy. J’ai d’abord vu les moules de ses rustiques figulines. Les formes animales ainsi piégées dans la terre dure comme de la roche sédimentaire rappellent les fossiles préhistoriques. Ici, point d’amanites mais des couleuvres curvilignes, des grenouilles, une mouche et même un oiseau.

Je suis plus émue par l’aspect brut et archéologique des moules que par le plat que je découvre ensuite. Un serpent ondule au centre. Des poissons à l’aspect visqueux semblent manquer d’eau dans un bassin où baignent également une tortue et une écrevisse. Des lézards criant de réalisme se faufilent sur les berges au milieu de coquillages et de feuillages.

Dans un réflexe primaire, j’associe la forme de l’objet à sa finalité. Un plat, pour y mettre de la nourriture. Un certain dégoût me traverse. Et puis je commence à comprendre que ce plat n’est qu’un support pour un art dont je reconnaît peu à peu la prouesse technique. Les animaux grouillent dans cette flaque d’eau avec une authenticité vivace.

Contrairement à ces YouTubers, je n’en suis pas à comparer Palissy à de l’art nanar. Mais, au premier regard, j’étais très loin d’être sensible à son travail.

L’exposition est encore riche de nombreuses œuvres. Elle met en regard différentes époques. Si bien que ce n’est qu’aujourd’hui que j’ai pu en savoir un peu plus sur Bernard Palissy. Il est l’inventeur des rustiques figulines, ces petits animaux en terre cuite vernissée moulés sur le vif. Comme le remarquait la fille de mon amie Sophie, ils ne devaient pas trop se soucier de la souffrance animale à l’époque.

Palissy avait déjà bien à faire avec sa propre souffrance lui qui, en tant que protestant, échappa de peu à la Saint-Barthélémy et finit sa vie dans une geôle de la Bastille, mourant de faim, de froid et de mauvais traitements.

Scientifique autant qu’artiste, il est un grand technicien de cette terre qu’il modèle avec finesse pour obtenir le réalisme qui feront sa gloire. J’ajoute une dernière vidéo afin de bien voir le mystère qui persiste encore aujourd’hui autour de sa technique.

Après en avoir appris un peu plus sur lui, je pose sur son œuvre un regard différent, averti, admiratif. Bien plus riche que mon premier sentiment, kitch, face à son œuvre.

L’exposition montre comment son travail a inspiré des artistes contemporains, tels que Johan Creten dont les formes viscérales des Vagues pour Palissy sont directement inspirées par la technique du céramiste de la Renaissance.

Ou, dans une lignée plus évidente, les œuvres de la norvégienne Christine Viennet. Même si, en ce qui la concerne, il me semble que les techniques de cuisson et de colorisation diffèrent de celles de Palissy.

« Obtenues par moulage ou modelage, ses figures animalières ou végétales sont ensuite scellées au plat à l’aide de barbotine, une argile liquide permettant de « coller » les pièces entre elles. Une première cuisson fixe la composition générale, puis, après application des couleurs au pinceau, la pièce est plongée dans un bain de glaçure transparente plombifère, et enfin cuite à 1060°. »

Elle a revisité la vision très réaliste de Palissy, noyant son plat dans un camaïeux de verts évoquant plutôt une nature rêvée, enchanteresse ou cauchemardesque. A chacun de choisir. A l’instar de l’interprétation que chacun peut avoir de ses vase envahis de serpents dont les courbes se resserrent sur l’anse ou la corps gibbeux. Repoussoir diabolique, image tentatrice ou renaissance et nouvelle Vénus animal qui sait changer de peau pour continuer de vivre ?

Cette expo est un vrai plaisir des sens. Elle éveille la curiosité, contraste les sentiments, de l’émerveillement au dégoût. Je vais continuer à partager cette découverte avec vous durant les prochains jours.

Pérégrinations fantastiques

Univers étranges où des femmes plus ou moins nues, des poils sous les bras, des tatouages, s’enlacent et se prélassent. Des mondes peuplés de bêtes imaginaires, mythologiques où trône un soleil bienveillant au milieu d’océans alternants tempêtes et douceurs. Des aquarelles, des dessins à la mine de plomb, de la gouache sur de vieilles cartes postales, des films sur pellicule, des dioramas (mises en scènes de personnages de papier découpé), des diapositives, des papiers épais, charnus, organiques… Le support est partie intégrante des œuvres présentées.

La terre se fait mère nourricière dans des grottes où filtre la lumière et dont les plafonds ressemblent à des mamelles d’où goutte du lait. Rappelant ces femmes qui allaitent, des perles miniatures suintant de leurs seins, ronds comme le soleil.

Les oiseaux se font chamans pour interpréter ce monde merveilleux. Livres, dés, cartes de jeux ou divinatoires guident ces créatures dans un entrelacement cosmique où chacun semble chercher sa place.

Sensations éphémères, surprises miniatures, détails attachants, couleurs saisissantes, délicatesse hypnotisante, raffinement brûlant tel ce cœur ardent qu’une femme étreint tendrement. Le monde de Karine Rougier est un jeu de masques, bienveillants ou effrayants dont je n’ai pas saisi tout le sens. Mais dans lequel j’ai déambulé un long moment en ce lundi hivernal au Drawing Lab.

Une parenthèse calme et silencieuse. Personne d’autres que les créatures de l’artiste pour m’entraîner dans des pérégrinations fantastiques.

D’autres artistes sont invités, dont les œuvres font écho à celle de la miniaturiste. Tel ce poème de Nina Leger à mettre en regard du dessin éponyme de Karine Rougier : Maintenant vivantes.

Il sera plus facile de dire qu’on a rêvé.

Nina Leger

Être ici est une splendeur

J’ai acheté ce livre de poche à la librairie du musée d’Orsay après ma visite de l’exposition « Edvard Munch. Un poème de vie, d’amour et de mort »  en novembre. C’est à cette occasion également que j’ai découvert Une maison de poupée, de Ibsen.

Sur la couverture, une femme nue jusqu’à la taille, main droite posée sur son ventre rond, un long collier tombe au creux de ses petits seins dont les tétons ont la même couleur que les perles – au moment où j’achète le livre, je ne sais pas encore que c’est de l’ambre. La main gauche retient un drap blanc autour de son bassin, juste sur le pubis. Peau ocre sur fond vert amande. La jeune femme a les joues roses, le regard doux et large, le nez légèrement rougi les cheveux tressés sur la tête. Le visage, de trois-quarts, fixe le lecteur légèrement par en-dessous, comme pour lui dire : alors, qu’en dis-tu ?

Et le titre ! Être ici est une splendeur. Cette phrase m’a saisie. Quelques mots d’une beauté étrange qui ont tout de suite résonné en moi. Ils sont de Rainer Maria Rilke.

J’étais persuadée d’avoir lu l’auteure, Marie Darrieussecq. Pourtant, quand je regarde sa bibliographie, je ne reconnais aucun titre que j’aurais lu. Finalement, j’ai dû tellement entendre parler d’elle et des polémiques qu’elle a suscitées, que je pensais connaître ses écrits

J’imaginais lire ce petit livre en quelques heures. Il m’a accompagné deux semaines. Glissé dans mon sac, quelques pages en attendant un rendez-vous, compagnon de mes attentes.  Posé sur ma table de nuit, dernière lecture avant de fermer les yeux, gardien de mes rêves. Abandonné sur la table basse, lecture le temps d’une pause thé, ami des temps libres.

Car ce livre m’a conduite sur des chemins détournés. Marie Darrieussecq y raconte la vie de Paula Modersohn-Becker. P.B.M. ainsi qu’elle signait ses toiles. Pourtant, ce n’est pas réellement une biographie. L’auteure y partage ses impressions, ses sensations, ses supputations. Disons plutôt que c’est la promenade de Marie Darrieussecq au pays de cette peintre allemande visiblement peu connu en France. J’ai eu envie d’en savoir plus.

Sur Rainer Maria Rilke, tout d’abord. Autrichien, né à Prague, il vécut longtemps à Paris, proche de Rodin, grand voyageur. J’ai écouté des podcasts, notamment celui sur Radio France, Rainer Maria Rilke, la nécessité de la création. J’ai regardé des photos. J’ai cherché le portrait de lui peint par Paula. Il ne serait pas fini. Amitié, flirt ? Une relation intense, documentée par leurs nombreuses lettres à tous les deux.

Sur Paula Modersohn-Becker, surtout. Le livre s’ouvre sur sa maison de Worpswede, qu’elle habitait avec son mari Otto Modersohn, plus connu qu’elle de son vivant. Moins célèbre aujourd’hui. Marie Darrieussecq s’appuie sur les journaux intimes et les lettres échangées entre ami·es et famille autour des années 1900. Elle exprime également les peintures de Paula avec ses mots d’écrivaine française du XXIè siècle. Elle en fait presque une histoire personnelle.

Je suis allée voir les œuvres sur internet. Mais surtout, j’ai emprunté le catalogue de l’exposition au Musée d’Art Moderne de Paris en 2016. Ma médiathèque a un rayon de livres d’art très bien fourni.

J’ai refermé le livre depuis quelques jours et je continue de feuilleter le catalogue. Marie l’écrivaine et Paula la peintre accompagnent encore mes rêveries.

Féminisme à travers les âges

J’aimerais ce soir réussir à associer un auteur norvégien du XIXè séché et une autrice, actrice et metteuse en scène du XXIè siècle (même si, comme moi, elle est née au XXè). Le rapport ? Un hasard du calendrier et la place des femmes dans la société.

J’ai terminé, hier, la lecture d’Une maison de poupée de Henrik Ibsen. J’avais découvert ce monument culturel norvégien lors de ma visite de l’exposition Munch au Musée d’Orsay en novembre. J’avais acheté le livre à la boutique du musée, avais entamé les premières pages, puis l’avais oublié dans un coin.

Je l’ai repris cette semaine. D’abord scandalisée par la vision de la femme dans les premières scènes, j’ai ensuite découvert toute la complexité de Nora, ses choix, ses sacrifices et ses désillusions derrière une joie de vivre commandée. Telle une poupée guillerette, elle chante et danse pour son mari Torvald, qui ne lui prête pas plus de cervelle qu’à une alouette ou un écureuil. Petits surnoms dont il accable amoureusement cette femme qui répond à tous ses désirs et à toutes les convenances. En façade en tout cas.

Puis, trahie et incomprise, rejetée et méprisée, elle finit par rejeter cet homme qui ne l’aime pas pour ce qu’elle est mais pour ce qu’elle représente, poupée entre ses mains après avoir été celle de son père. Je ne connaissais rien d’Ibsen. Je ne m’attendait pas à la fin de la pièce. Car, loin de se jeter dans les bras de son mari après que la tempête se soit éloignée, elle décide de le quitter sans sommation. Elle veut se forger ses propres opinions et agir pour elle-même.

J’ai été joyeuse, voilà tout. Et tu as toujours été si gentil pour moi. Notre foyer n’a jamais été rien d’autre qu’une salle de récréation. Ici, j’ai été ton épouse-poupée, tout comme à la maison j’étais l’enfant-poupée de papa. Et mes enfants, à leur tour, ont été mes poupées.

A peine avais-je fermé ce livre que je décidais d’aller voir Féministe pour homme, le spectacle de Noémie de Lattre qui jouait ce soir au théâtre d’Antony. Je n’avais pas été très motivée au départ par le côté féministe de cabaret (satin, paillettes et plumes rose pastel), mais tout le monde au théâtre m’en disant le plus grand bien, nous y sommes allés ce soir.

Noémie de Lattre dans Féministe pour homme
Photo de François Fonty
prise sur le site de L’Azimut

Noémie de Lattre a de l’énergie, de l’humour, de la souplesse et une belle paire de seins. Elle a aussi un sacré régime de parole et débite anecdotes et chiffres du sexisme ordinaire à un rythme effréné. Elle vise juste et sait alterner légèreté et profondeur pour faire passer son message engagé. Elle cadence son spectacle de jingles dansés, pseudo Beyoncé blanche et parisienne. Elle assume ses formes, son âge et son histoire, tout en invitant sur scène toute la diversité des femmes.

Si Ibsen émancipe son héroïne avec violence (elle quitte mari et enfant sans rien garder de sa vie avec eux), Noémie de Lattre lutte, elle, pour l’égalité des hommes et des femmes, contre le patriarcat mais sans stigmatisation des hommes. Elle aborde la linguistique et la grammaire, la charge mentale, la place de la femme dans l’espace public, la vision de la mère dans la société, l’objectification de la femme tout comme le plaisir sexuel et les caractéristiques du clitoris.

Quand tu veux insulter une femme, tu la traites de pute. Quand tu veux insulter un homme, tu le traites de fils de pute. C’est la double peine !

Mais comment s’appelle le client d’une pute ? Noémie de Lattre propose de lui inventer un mot, qui pourrait devenir une insulte, lui aussi.

Ou encore, le sexisme c’est de dire « une femme, c’est bien, un homme, c’est mieux ».

D’Ibsen à Noémie de Lattre, le féminisme n’est pas un sujet nouveau, ni récent. Et il n’a pas fini de faire parler de lui. Tant mieux si c’est avec autant de plaisir que ces deux auteur.ices.

 

 

Monnet-Mitchell – Dialogue des couleurs

Je ne sais plus quel âge j’avais la première fois que j’ai visité une exposition. J’étais en primaire. Une sortie scolaire. J’ai été subjuguée par les peintures de Modigliani que nous étions allés voir. Les couleurs. Les longs cous. Les yeux vides. Puis j’ai mis très longtemps avant de retourner voir des œuvres d’art. J’en garde un certain décalage, un sentiment de retard perpétuel de connaissance et une soif de découvrir. Car rien n’est plus émouvant que de voir des œuvres d’art de ses propres yeux. Les toiles vibrent. Il se passe réellement quelque chose.

Vue sur la fondation Louis Vuitton en arrivant à vélo

J’avais un peu de temps ce matin après mon travail au théâtre, avant de rejoindre une cousine d’Olivier pour un café aux Batignoles. J’ai fait un détour par la fondation Louis Vuitton pour visiter l’exposition Monet-Mitchell dont les couleurs chatoyantes de l’affiche m’attiraient depuis des mois. Peu de file d’attente, même sans avoir réservé d’entrée. Contrôle des sacs, gourde consignée. Casque et batterie du vélo au vestiaire. Tout est fluide. Il n’y a pas foule.

Tout de suite, les toiles de Monet et Michell entament une conversation picturale. Le choix des vis-à-vis est judicieux. La douceur suave de Monet. La fougue éclatante de Mitchell. La foule est clairsemée. On peut profiter des perspectives qui nous plongent dans un monde onirique, vibrant, sensationnel.

Je garde une préférence pour Monnet, ses agapanthes ondoyantes et ses nénuphars éclatants. Les reflets ondulants du bassin. Les branches du saule qui s’écrasent au sol en cascades colorées. Les gestes de Mitchell sont plus nerveux et plus abstraits. Les lignes se cassent en pointes. Le paysage ne se devine pas, il finit par nous imprégner sans pour autant donner la possibilité de le décrire.

Le velouté des pastels qui accompagnent les poésies de Jacques Dupin apportent un peu de répit dans l’impétuosité de Mitchell. Je suis sous le charme.

Dans chaque salle, les tableaux de Monet palpitent sous les bleus, les mauves, les verts, les jaunes, les roses et les oranges alors que les œuvres de Michell imposent leurs couleurs vives qui sautent, coupent, trépignent et carillonnent, remplissant l’espace d’une énergie qui dynamise le dernier Monet. Ce Monet qui s’est affranchi des limites de l’espace et des perspectives pour choisir la couleur et la lumière, sans véhémence, tout en fluidité.

Glycines, 1919-1920
Le triptyque de L’Agapanthe (1915-1926) réuni pour la première fois.

Enfin arrive la salle de La grande vallée. Une série de tableaux immenses de Joan Mitchell. Endeuillée, elle peint la vallée des jeux d’enfants de son amie compositrice Gisèle Barreau. Pourtant, ce n’est pas la mort que l’on côtoie mais bien la vie, dans un hymne joyeux et foisonnant. On a envie de s’allonger dans cette Grande vallée merveilleuse où dominent le bleu et le jaune.

Il est déjà l’heure de partir. Je n’aurai pas le temps de voir la rétrospective consacrée à Joan Mitchell au rez-de-jardin. Heureusement, j’ai fait le plein de couleurs. Suffisamment pour affronter la pluie qui va rythmer le reste de la journée.

Emporter la beauté ?

Les premiers archéologues emportaient des morceaux choisis de leurs découvertes. Ainsi le portrait d’une jeune femme tenant un stylet arraché à une fresque en 1760 par les premiers archéologues de Pompéi. Une pratique courante à l’époque et aujourd’hui condamnée. Pourtant qu’il semble naturel d’avoir envie d’emporter un souvenir, une trace du beau pour faire renaître encore et encore ce moment d’émerveillement face à ce qui nous touche. Peut-être même ces premiers archéologues craignaient-ils que les fresques qu’ils venaient de mettre au jour ne se dégradent. Ils devaient alors être intimement persuadés de les préserver des ravages du temps et des pillards en les emportant.

Portrait de jeune femme - Sappho

Et que fait d’autre l’humanité connectée aujourd’hui en photographiant convulsivement les œuvres dans les musées, les arbres en fleurs et les couchers de soleil ? Cette beauté exceptionnelle ou ordinaire, nous éprouvons un besoin impérieux de la garder avec nous le plus longtemps possible et à la partager.

Avec le confinement et les contraintes sanitaires qui vont nous être imposées pour encore longtemps, heureusement qu’il nous reste le plaisir de découvrir la beauté sur nos écrans. Les musées proposent de nombreux parcours en ligne.

Cette jeune femme antique aux traits délicats m’inspire beaucoup de douceur. De grands yeux noirs, une multitude de boucles brunes, des lèvres délicieusement ourlées d’où s’échappe un stylet, parole légère, pensées puissantes à noter impérativement.

A l’instar des archéologues du 18è siècle, j’ai envie de garder la bienveillance de son regard près de moi.

Tout le monde a un arbre dans son cœur

Une des raisons pour lesquelles nous avons choisi notre maison, c’est le grand cèdre qui domine le jardin. Il veille sur les noisetiers, sureau, arbre de Judée, pruniers et autres lauriers où pépient les oiseaux tout au long de l’année. Grâce à eux, notre jardin est un havre de paix verdoyant. Il fait bon y laisser perdre son regard et dériver ses pensées.

L’hiver, il perd de sa superbe mais gagne en mystère quand la neige vient le recouvrir. L’été, l’herbe crame systématiquement mais qu’il est bon de s’y relaxer au rythme lent du hamac que l’on pousse d’un pied indolent. A l’automne, les feuilles envahissent le moindre recoin, refuge de nombreuses bestioles que je laisse consciencieusement tranquilles.

Le printemps est l’acmé de la beauté de notre jardin. Les arbres fleurissent à tour de rôle. D’abord les pruniers dont les fleurs blanches annoncent le retour prochain des journées ensoleillées. Au moindre coup de vent, les petits pétales blancs tombent en une neige féérique. Sablier des jours qui rallongent.

Jardin au printemps.

Puis les bourgeons pointent leur vert tendre tandis que l’arbre de Judée éclate d’un rose flamboyant. Chaque jour, les couleurs évoluent jusqu’à ce que le rose se fasse vieux, pastel poussiéreux qui tombera en pluie fine pendant des semaines sous le vert immuable du grand cèdre et les cris stridents des perruches.

En ce mois de juillet, les branches se balancent sous le poids des différents oiseaux. Rouges-gorges, mésanges, moineaux, palombes, geais, pies et merles se disputent régulièrement les meilleurs places. Lors des canicules, la chaleur est encore alourdie par le silence des oiseaux qui, comme nous, préservent leurs forces au cœur de la fournaise. Mais au petit matin, quand je m’assois avec une tasse de thé sur la terrasse et que je les regarde virevolter bruyamment de branche en branche, je sens cet émerveillement modeste dans parle si bien Belinda Cannone :

« S’émerveiller résulte d’un mouvement intime, d’une disposition intérieure par lesquels le paysage à ma fenêtre ou l’homme devant moi deviennent des évènements. »

Il n’est pas anodin d’ailleurs que la base de sa réflexion dans son livre S’émerveiller soit un chêne voisin qu’elle prend plaisir à observer au fil des saisons.

Depuis que nous sommes dans cette maison, nos arbres nous accompagnent, recueillent mes pensées, escortent mes espoirs et suscitent invariablement une fascination discrète propice à une sorte de méditation.

Affiche de l’exposition Nous les arbres à la Fondation Cartier

L’affiche de l’exposition Nous les arbres, aperçue un jour au détour d’un couloir de métro, avec son vert pétant et sa jungle surannée a tout de suite attiré mon regard. Je proposais une virée culturelle à mon Petit Chat qui accepta immédiatement. Devant la Fondation Cartier, notre regard a immédiatement été attiré par la photo d’une partie d’un des immenses tableaux de Luis Zerbini. Un enchevêtrement de végétaux colorés, jungle prolifique et chatoyante, où l’incongruité d’une boîte de conserve ou d’une bouteille en plastique ne saute pas immédiatement aux yeux.

Détail de Lago Quadrado de Luis Zerbini
Détail de Lago Quadrado de Luis Zerbini

Une fois à l’intérieur du bâtiment, notre premier sentiment a été renforcé. Les tableaux de Luis Zerbini, gigantesques et foisonnants, sont sublimes. Ils sont à l’image d’un monde où l’on ne sait plus qui de l’homme ou de la nature triomphe réellement (mais faut-il réellement que l’un ou l’autre triomphe ?). La nature redevient sauvage dès que l’homme la laisse en paix. Et pourtant, jamais les arbres et tous les végétaux dans leur diversité n’ont été autant menacés.

Dans la grande salle du rez-de-chaussée de la Fondation Cartier, Luis Zerbini occupe la majeure partie de l’espace. Au centre des ses toiles cloisons, un arbre se dresse au centre d’une table de verre, bois, végétaux, minéraux et divers objets hétéroclites. Comme une vision en trois dimensions d’une de ses toiles, point de convergence des oeuvres installées tout autour. Place du village ou île isolée ? Clairière colorée ou cabinet de curiosités ?

Luis Zerbini

Nous avons déambulé au milieu d’œuvres très différentes, belles, douces, surprenantes, interpellant notre civilisation sur ses modes de vie, sur la place de l’arbre, sur notre prétendue supériorité. Un oasis de fraîcheur en plein été parisien, une envie de se poser et de regarder le temps qui passe sur les feuilles.

Comme cet arbre, Paradis de Fabrice Hyber, dont le feuillage reprend toutes les couleurs de peaux humaines, chairs d’arbre, et sous lequel s’assoient paisiblement les visiteurs, protégés du soleil par les vrais arbres qui entourent la Fondation Cartier.

Paradis de Fabrice Hyber

Dans le film Mon arbre de Raymond Depardon et Claudine Nougaret, un homme dit « Tout le monde a un arbre dans son cœur ». Pour nous aujourd’hui c’est le cèdre qui veille sur notre maison. Il marque durablement de son empreinte l’enfance de nos filles.

Et pour ceux qui ont envie de passer plus de temps avec les arbres, je vous recommande les excellents épisodes de La Série Documentaire sur France Culture, Des arbres et des hommes (diffusés en décembre 2018). A écouter en podcast :

1- L’homme de la forêt

2- L’arbre à loques guérisseur

3- Un arbre dans la ville

4- L’arbre sensible

Où est le Noir de Basquiat ?

Derniers jours pour voir l’exposition Basquiat à la Fondation Louis Vuitton. Certes elle est prolongée. Mais l’exposition Schiele qui lui fait miroir se termine bien ce week-end. Une heure et demie d’attente dans la bruine hivernale ont pallié la rupture de places disponibles à la prévente. Et la Fondation fournit de grands parapluies aux malheureux qui n’avaient pas prévu de piétiner aussi longtemps à ses portes.

Une file ensuite, rapide, pour acheter son billet. Une file, encore, pour disposer d’un audioguide. Une file, toujours, pour déposer son manteau et autres effets encombrants au vestiaire. Etant donné la forte affluence, la visite des deux expositions se fait à touche-touche. Il est donc fortement conseillé d’être le plus léger possible.

Avec un peu de patience, il est possible d’admirer toutes les œuvres de Schiele. Principalement des dessins de petit format rehaussés de couleurs à l’aquarelle ou à la gouache. Là encore, des files se forment qui défilent devant les cimaises, à petit pas. Corps difformes, souvent nus, sexes rougis, mains noueuses aux doigts démesurés, autoportraits hallucinés, carnations glauques tirant vers l’étal de boucher, ou quand la laideur devient belle. De ses traits tordus, des ses corps étirés, Schiele tire une émotion incomparable. Loin des normes de l’esthétisme académique, le jeune Autrichien trace sa ligne, noire, nerveuse, torturée, mais où la vérité de l’être semble se nicher dans toute sa sensation. L’exposition est captivante.20190111_115004145_ios

 

Et le lien se fait assez naturellement avec Basquiat, bien que l’époque et le style soient radicalement différents. Explosion des couleurs, urgence de l’instant acquise avec ses débuts de graffeur de rue, une vie folle éclate sur les œuvres du jeune Newyorkais. Références aux classiques avec une série de têtes rappelant les Vanités du XVIIe, il puise plusieurs fois son inspiration auprès de Léonard de Vinci. Mais surtout, comme chez Schiele, un univers et un style propres dont il est le créateur. Et une ligne noire. Ou plutôt un trait, qui s’épaissit pour former des personnages inquiétants ou s’affine pour piquer d’épines des couronnes sacrificielles.

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Basquiat transpose sur des toiles gigantesques la vie bouillonnante du New-York du début des années 80. Surtout, il prend le parti de parler du racisme dont il souffre quotidiennement, plongeant jusque dans les racines du commerce triangulaire ou faisant appel aux conteurs traditionnels africains. Il dénonce la suprématie de la société blanche bien-pensante, son intolérance et son injustice.

 

 

Il le dit lui-même, ses œuvres contiennent 80% de colère. D’ailleurs les traits bouillonnent, les mots écument, les formes s’entrechoquent et les couleurs se bousculent, vives et intenses. La peinture n’est pas belle au sens académique mais, comme chez Schiele, elle subjugue et fascine. Alors, oui, on se surprend à trouver l’ensemble magnifique quand le détail dérange souvent.

Quelle frustration de devoir encore attendre dans d’interminables files pour profiter des œuvres dans les salles plus petites. Sensation d’être au zoo, de regarder un animal sauvage à distance dans sa cage. Ce public policé dont je fais partie est tout le contraire de Basquiat. Nous sommes blancs dans notre immense majorité, bien habillés, dociles et patients.

Où est le Noir dont Basquiat se revendique et qu’il défend et met en scène dans ses œuvres ? Pourquoi cette superbe exposition est-elle si blanche ?

Pour ceux qui veulent en savoir plus sur Basquiat, je conseille cette vidéo de Mathieu Ophanin :

Article écrit en janvier 2019