Le bonheur ordinaire de la tarte aux pommes

Elle est si ordinaire, la tarte aux pommes, que je l’avais oubliée au profit des crumbles, des crêpes ou du riz au lait. Desserts de l’hiver dont la rondeur des odeurs réconforte, parfumant l’enfance de souvenirs gourmands. En achetant ma baguette, elles sont pourtant là, les tartes aux pommes, alignées dans la vitrine, rondes et brillantes dans l’éclat des lumières artificielles.

Les minces lamelles de fruits déposées en rosaces élégantes sur des cercles de pâte fine et croustillante. Elles sont si délicates, ces jolies tartes, qu’on a de le peine de les dévorer en seulement quelques minutes. Ma brochette de gourmands n’en ferait qu’une bouchée.

De retour à la maison, je choisis donc la version famille nombreuse, plus rustique et copieuse. Je prépare une grosse boule de pâte brisée. Une pâte simple et rapide qui accueille aussi bien du sucré que du salé. Je l’étale sur le lèche-frite du four en remontant un peu sur les bords. Puis je recouvre toute la surface de pommes coupées finement. Enfin plus ou moins. Je n’ai pas la patience et le savoir-faire du pâtissier.

Puis je mélange des œufs, de la crème, du lait, du sucre et de la vanille. Les proportions sont approximatives. La tarte aux pommes, c’est comme le vélo. Une fois qu’on a appris, on n’oublie pas. Je coule la garniture entre les rangées de fruit et enfourne le grand plateau pour quarante minutes.

La maison embaume rapidement. Églantine passe une tête dans la cuisine, découvre le temps de cuisson restant et décide de redescendre de sa sieste quand ce sera prêt. Hortense rentre plus tôt du collège. La prof de latin est absente. Ainsi, nous sommes réunies à l’heure du goûter. Les parts sont généreuses, la tarte moelleuse et les papilles joyeuses.

Elle est si ordinaire, la tarte aux pommes, qu’on oublie parfois le plaisir élémentaire d’en déguster une. S’assoir ensemble autour de la table, se raconter les anecdotes de la journée, les joies familières et les petits tracas. Elle invite à sourire, la tarte aux pommes. Elle détend les cœurs serrés et assouplit les esprits tortueux. Avec elle, la vie semble plus douce. Un très bon remède à l’hiver morne et monotone.

La version XXL du lèche-frite étire la gourmandise jusqu’au petit-déjeuner. Volupté ensoleillée d’un début de journée grisâtre. Quel bonheur cette tarte aux pommes !

Le platitude de La vie heureuse

On ne peut pas rater la sortie du dernier livre de David Foenkinos, La vie heureuse. Émissions de télé, radio, encarts publicitaires dans la presse, affiches dans la rue. Son titre sonne comme un mantra de développement personnel, un appel au bonheur dans une période morose.

Si j’y ai retrouvé son art du récit délicat, les incertitudes touchantes des personnages et une approche inattendue de nos quotidiens modernes, je n’ai pas été embarquée par le roman. J’ai gardée une certaine distance tout au long de la lecture. Comme lorsqu’on retrouve une ancienne connaissance et qu’on s’aperçoit que la conversation ne décolle pas. On sait déjà qu’à la fin de celle-ci, on ne se reverra plus.

Pourtant, Eric et Amélie, les personnages principaux du livre, sont attachants. Pétris des travers de notre société, moulés dans ses attendus, leurs vies se fissurent lentement, de renoncements en acceptations dociles. Jusqu’au grand bouleversement, la rencontre avec la mort. Pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit de sa propre mort.

Ecrire son épitaphe, se retrouver dans son propre cercueil, faire face à sa propre finitude. Tout le monde semble trouver cela normal. Les bénéfices de l’expérience ne sont jamais remis en question. L’enthousiasme général, unanime, retire toute force et tout éclat à l’idée.

De même, les ruptures feutrées, les sentiments contrôlés, les mots pesés confèrent à l’ensemble une atmosphère anesthésiée. Alors que les trahisons plus ou moins volontaires, les méprises et les contre-temps savamment distillés devraient donner du relief au récit, l’ensemble est finalement assez plat, manquant de force et d’entrain.

L’histoire de La vie heureuse, est celle d’Eric et Amélie. Anciens camarades de lycée, ils se retrouvent à l’aube de leurs quarante ans grâce aux réseaux sociaux. Lui, cadre chez Décathlon n’est plus tellement « A fond la forme ». Elle, à la pointe de la start-up nation jupitérienne, semble increvable. Le roman n’oublie aucun stéréotype de nos sociétés modernes.

J’ai trop senti l’auteur me prendre la main pour m’emmener dans son nouvel univers – avec toujours cette attirance récurrente pour le monde de la culture et des musées. J’aurais préféré être portée par l’histoire au point de lâcher prise. Au moins ai-je passé un bon moment.