Tout le monde a un arbre dans son cœur

Une des raisons pour lesquelles nous avons choisi notre maison, c’est le grand cèdre qui domine le jardin. Il veille sur les noisetiers, sureau, arbre de Judée, pruniers et autres lauriers où pépient les oiseaux tout au long de l’année. Grâce à eux, notre jardin est un havre de paix verdoyant. Il fait bon y laisser perdre son regard et dériver ses pensées.

L’hiver, il perd de sa superbe mais gagne en mystère quand la neige vient le recouvrir. L’été, l’herbe crame systématiquement mais qu’il est bon de s’y relaxer au rythme lent du hamac que l’on pousse d’un pied indolent. A l’automne, les feuilles envahissent le moindre recoin, refuge de nombreuses bestioles que je laisse consciencieusement tranquilles.

Le printemps est l’acmé de la beauté de notre jardin. Les arbres fleurissent à tour de rôle. D’abord les pruniers dont les fleurs blanches annoncent le retour prochain des journées ensoleillées. Au moindre coup de vent, les petits pétales blancs tombent en une neige féérique. Sablier des jours qui rallongent.

Jardin au printemps.

Puis les bourgeons pointent leur vert tendre tandis que l’arbre de Judée éclate d’un rose flamboyant. Chaque jour, les couleurs évoluent jusqu’à ce que le rose se fasse vieux, pastel poussiéreux qui tombera en pluie fine pendant des semaines sous le vert immuable du grand cèdre et les cris stridents des perruches.

En ce mois de juillet, les branches se balancent sous le poids des différents oiseaux. Rouges-gorges, mésanges, moineaux, palombes, geais, pies et merles se disputent régulièrement les meilleurs places. Lors des canicules, la chaleur est encore alourdie par le silence des oiseaux qui, comme nous, préservent leurs forces au cœur de la fournaise. Mais au petit matin, quand je m’assois avec une tasse de thé sur la terrasse et que je les regarde virevolter bruyamment de branche en branche, je sens cet émerveillement modeste dans parle si bien Belinda Cannone :

« S’émerveiller résulte d’un mouvement intime, d’une disposition intérieure par lesquels le paysage à ma fenêtre ou l’homme devant moi deviennent des évènements. »

Il n’est pas anodin d’ailleurs que la base de sa réflexion dans son livre S’émerveiller soit un chêne voisin qu’elle prend plaisir à observer au fil des saisons.

Depuis que nous sommes dans cette maison, nos arbres nous accompagnent, recueillent mes pensées, escortent mes espoirs et suscitent invariablement une fascination discrète propice à une sorte de méditation.

Affiche de l’exposition Nous les arbres à la Fondation Cartier

L’affiche de l’exposition Nous les arbres, aperçue un jour au détour d’un couloir de métro, avec son vert pétant et sa jungle surannée a tout de suite attiré mon regard. Je proposais une virée culturelle à mon Petit Chat qui accepta immédiatement. Devant la Fondation Cartier, notre regard a immédiatement été attiré par la photo d’une partie d’un des immenses tableaux de Luis Zerbini. Un enchevêtrement de végétaux colorés, jungle prolifique et chatoyante, où l’incongruité d’une boîte de conserve ou d’une bouteille en plastique ne saute pas immédiatement aux yeux.

Détail de Lago Quadrado de Luis Zerbini
Détail de Lago Quadrado de Luis Zerbini

Une fois à l’intérieur du bâtiment, notre premier sentiment a été renforcé. Les tableaux de Luis Zerbini, gigantesques et foisonnants, sont sublimes. Ils sont à l’image d’un monde où l’on ne sait plus qui de l’homme ou de la nature triomphe réellement (mais faut-il réellement que l’un ou l’autre triomphe ?). La nature redevient sauvage dès que l’homme la laisse en paix. Et pourtant, jamais les arbres et tous les végétaux dans leur diversité n’ont été autant menacés.

Dans la grande salle du rez-de-chaussée de la Fondation Cartier, Luis Zerbini occupe la majeure partie de l’espace. Au centre des ses toiles cloisons, un arbre se dresse au centre d’une table de verre, bois, végétaux, minéraux et divers objets hétéroclites. Comme une vision en trois dimensions d’une de ses toiles, point de convergence des oeuvres installées tout autour. Place du village ou île isolée ? Clairière colorée ou cabinet de curiosités ?

Luis Zerbini

Nous avons déambulé au milieu d’œuvres très différentes, belles, douces, surprenantes, interpellant notre civilisation sur ses modes de vie, sur la place de l’arbre, sur notre prétendue supériorité. Un oasis de fraîcheur en plein été parisien, une envie de se poser et de regarder le temps qui passe sur les feuilles.

Comme cet arbre, Paradis de Fabrice Hyber, dont le feuillage reprend toutes les couleurs de peaux humaines, chairs d’arbre, et sous lequel s’assoient paisiblement les visiteurs, protégés du soleil par les vrais arbres qui entourent la Fondation Cartier.

Paradis de Fabrice Hyber

Dans le film Mon arbre de Raymond Depardon et Claudine Nougaret, un homme dit « Tout le monde a un arbre dans son cœur ». Pour nous aujourd’hui c’est le cèdre qui veille sur notre maison. Il marque durablement de son empreinte l’enfance de nos filles.

Et pour ceux qui ont envie de passer plus de temps avec les arbres, je vous recommande les excellents épisodes de La Série Documentaire sur France Culture, Des arbres et des hommes (diffusés en décembre 2018). A écouter en podcast :

1- L’homme de la forêt

2- L’arbre à loques guérisseur

3- Un arbre dans la ville

4- L’arbre sensible

Retour de camp

Retour de camp après le Jamboree des Scouts et de Guides de France à Jambville. Connecte 2019.

Retour de campFin de canicule. Fin de camp. Jamboree. 22000 chemises bleues, une forêt de tentes et une ambiance de festival. Petit Oiseau était à Connecte 2019 avec sa tribu.

Donc elle va mieux.

Suffisamment pour partir deux semaines en camp scout. Tant que les chefs ne m’appellent pas, c’est que ça va. Un petit malaise en première semaine. Sac à dos trop lourd pendant l’exploration. Après des mois au fond de son lit, elle n’a pas encore récupéré toutes ses capacités.

Puis c’est la grande réunion des scouts et des guides, ces jeunes de 11 à 14 ans venus de toute la France et d’au-delà. Avec un pic à 42°, je redoutais pour l’organisme de celle qui, malgré tout, reste mon bébé. Et puis, finalement, nous n’avons encore aucun diagnostic précis de ce qu’elle a eu. Je crains toujours une rechute.

Pas de nouvelles. Pas une lettre. Elle n’y pense jamais de toute façon, trop occupée à vivre ses aventures en chemise et foulard, feu de camp et chaussures de rando. Difficile quand même d’accepter que, moins d’un mois après l’amélioration de son état, elle va mettre son corps à rude épreuve, dormir sous la tente, cuisiner sur une table à feu, manger dans des gamelles en fer, se doucher à l’eau froide.

Pour elle, c’est un retour à la vie.

Pour moi, c’est un changement violent de température. De maman soignante à maman derrière son écran, à l’affût d’un Petit Oiseau avec un grand sourire et deux nattes sur les vidéos mises en ligne par la Toile Scoute sur YouTube.

Journal de 13h, journal de 20h, TF1 parle des scouts. Sur Facebook, vue aérienne d’une veillée hors norme. C’est quel point bleu mon Petit Oiseau ?Vue aérienne Connecté 2019. Crédit Thierry Braun.

Photo de Thierry Braun. Cliquez pour voir l’originale.

Alors ce vendredi, je suis assise au soleil sur la dalle du RER. J’ai de quoi lire mais je reste concentrée sur les portes en verre de la gare. Soudain, une première chemise bleue. C’est une cheftaine. Puis, tout de suite, c’est mon Petit Oiseau avec son gros sac à dos qui dépasse au-dessus de sa tête.

J’ai mon appareil photo. Je la mitraille. Ce sourire-là est unique, encore chargé de la force du groupe, de la magie de ces moments passés avec tant d’autres jeunes, de la joie de vivre des moments d’exception. Ensuite, il s’étiolera, gagné par la fatigue, vidé par les récits, rattrapé par le présent et les projets futurs.

Elle rayonne. C’est un sourire à pleines dents, bonheur à l’état brut, diamant émotionnel.

Un câlin, l’odeur de camp et de feu de bois. Elle parle vite. Elle déverse d’un coup le sac de ses souvenirs. Derniers mots avec les copines, avec les chefs. On s’éternise au local. Quitter la tribu, c’est accepter que ce moment est terminé, que le Jamboree a été, qu’il ne vivra désormais que dans son cœur, ses récits et les souvenirs qu’elle évoquera certainement longtemps avec ses amies.

Son foulard est posé sur la table, sa chemise sur le canapé. Elle a de nouveaux écussons et quelques badges. A la rentrée, elle aura tout cousu sur sa nouvelle chemise rouge. Elle entrera dans la caravane des grands. Tout un programme, encore plus d’autonomie et tant de nouveaux projets.

Retour de Camp. Connecte 2019. Chemise et foulard

Pour le moment elle dort, bienheureuse de retrouver le confort d’un lit moelleux et sans bosses. Petit passage aux urgences en début de soirée, quand même, pour faire retirer cinq tiques tellement petites que je n’arrivais pas à les enlever avec le tire-tique. Mais elle va bien.

Elle grandit et la voir s’épanouir est le plus précieux des cadeaux.