Soleil, fraises et petits pois

Des années que ça tire. Prendre soin. Chercher des solutions. Trouver des expédients. Accompagner. Soutenir. S’écrouler. Se relever. Porter.

Les derniers mois ont été moroses. Voir ma maman se faner, son esprit s’étioler. La colère face au déni. L’impuissance face à la maladie. Ne pas abandonner. Sentiment d’être un de ces pêcheurs dévorés par la mer déchaînée dans La Vague d’Hokusai, où il faut prêter attention aux détails pour apercevoir les barques malmenées par les flots. Sont-ils encore à bord ou déjà noyés ?

Les flots, justement, parlons-en. Des semaines qu’il pleut. Les journées de grisaille et le froid humide qui infiltre les corps. Ressortir les gros pulls à la saison où l’on aspire à la légèreté du coton et du lin. Déplier un parapluie plutôt que des lunettes de soleil.

Ce dimanche était une journée de répit. Aucun rendez-vous. Pas de boulot. Pas de visite. Pas de rendez-vous médical. Pas de conduite. Pas de pique-nique à préparer. Pas de sac à vérifier, qu’il soit de plongée, de dessin ou de scoutisme. Rien. J’aurais pu faire la grasse matinée, mais je me réveille toujours très tôt. Lire au lit sans regarder l’heure. Se délecter des nouvelles délicates comme de la dentelle, taillées au ciseau, de Franck Courtès dans Autorisation de pratiquer la course à pied.

Descendre prendre mon petit-déjeuner avec Eglantine. Deuxième jour de traitement. Elle avale sa gélule aux couleurs pastels dès le début de la journée. L’effet dure douze heures. Pas question que ça l’empêche de dormir le soir. Nous terminons de boire notre thé au salon. Désir de retrouver la douce chaleur de ma couette alors qu’Eglantine ne demande qu’à m’accompagner au marché. Elle est pleine d’envie et d’énergie.

Au point de faire le marché à ma place ? L’idée lui plaît. Je n’en reviens pas. Le marché, c’est des centaines de personnes entassées dans un tout petit espace. Le brouhaha des conversations. Les lumières des étals. Les mouvements en tous sens. Pour elle, c’est épuisant. Mais ce matin, je remonte dans mon lit alors qu’elle saisit le panier en paille.

Quand je me réveille, Eglantine vient de mettre le déjeuner dans le four et entreprend de laver la salade. L’après-midi est déjà entamée. Elle a révisé ses cours pour son épreuve de demain. Maintenant, elle a faim. J’ai dormi trois heures. Si profondément qu’il paraît que j’ai même ronflé.

Hortense se lève aussi. Elle n’a aucun problème, elle, à profiter des grasses matinées dominicales. Olivier rentre du golf au moment où nous passons à table. Déjeuner en famille. Discussions tranquilles. Éclats de rire. Nous sommes bien. C’est tout simple, certes. Mais pas si commun. Surtout, Eglantine ne file pas se coucher dès la fin du repas. Les discussions continuent sans que son teint ne pâlisse et que ses yeux ne se creusent.

Un peu plus tard, nous écossons toutes les deux les petits pois qu’elle a acheté au marché et elle chipe les fraises que je viens à peine de laver. Pas de sieste. Elle a continué à réviser et joué avec sa sœur. Le soleil badine dans les feuilles des noisetiers du jardin. La grisaille semble partie pour de bon.

Eglantine est finalement terrassée par la fatigue au moment du dîner. Soit douze heures après avoir pris son traitement. Mais, indéniablement, ça fonctionne. Elle retrouve un peu d’énergie, d’envie, et de ce dynamisme qui l’a toujours caractérisée avant qu’elle ne s’éteigne à l’âge de 13 ans. Elle doit augmenter les doses petits à petits. Il peut y avoir des effets indésirables. Des ajustements seront certainement nécessaires. Mais, indéniablement, il se passe quelque chose.

Pour moi, ce renouveau a la couleur du soleil, le goût des petits pois, l’odeur des fraises fraîchement coupées et la saveur d’un repos authentique. Une recette délicieuse.