Qui ne connaît pas cette envie d’aller voir de l’autre côté ? En cette dernière semaine d’octobre, alors que le soleil réchauffe doucement la baie de Fethiye, Yeşim, Eglantine et moi prenons le bateau pour nous rendre au marché. Conduite par un vieux capitaine à la peau burinée, la navette quitte l’hôtel toutes les heures. En arrivant vers le port, nous croisons quelques-uns de ces bateaux pirates qui hantent les baies et les criques de la région, musique à fond, pour des excursions festives à la journée. Mais aussi de beaux voiliers appelant au voyage et les fameuses gület (goélette), synonymes de croisières luxueuses, loin des foules.

Visiter le marché, c’est se plonger au cœur de la Turquie. Retrouver les sons, les odeurs et les saveurs que nous avons tant aimées lors de nos années dans ce pays. Mais se rendre au marché de Fethiye, c’est surtout partir à la découverte des montagnes environnantes, imaginer les chemins pierreux, deviner les arbustes aux baies parfumées dans la chaleur sèche de l’été. Dans les allées du marché de Fethiye se succèdent les petits étals des paysans des environs. Ils viennent vendre leur production.

Chez eux, pas de pyramides de courgettes au vert éclatant, d’aubergines luisantes, de chou-fleurs d’un blanc parfait. Les femmes portent leurs vêtements traditionnels. Des foulards vaporeux et colorés noués sur la tête, des pantalons larges, confortables, resserrés aux chevilles, aux motifs fleuris. Leurs mains sont larges, abîmées par le travail. Leurs visages sont marqués par le soleil et l’air de la montagne. Les hommes portent des pantalons en flanelle dans lesquels leur chemise est soigneusement rentrée. Surtout les vieux. Les plus jeunes préfèrent généralement la facilité d’un polo ou d’un tee-shirt.

Au milieu des fruits et légumes communs à tous les marchés de Turquie, nous en remarquons d’autres, plus petits, aussi discrets sur les étals que dans les montagnes d’où ils viennent. Grâce à Yeşim, nous nous obtenons des noms, des détails sur leur provenance, la façon dont ils se mangent. Nous goûtons tout. Les saveurs sont surprenantes, inhabituelles. Elles ont le goût des plantes sauvages, l’âpreté des arbustes de montagne, quand la douceur vient à la fin, subtile récompense.
Je note les noms turcs. Il sera toujours temps ensuite de trouver l’équivalent français.
La tâche s’avère finalement compliquée. Je commence par Google traduction, je tape les noms turcs et les possibilités en français dans mon moteur de recherche, j’explore les correspondances avec les photos que j’ai prises, je furète dans les vidéos YouTube en français et en turc…
Enfin, je peux vous raconter ce que nous avons goûté.
D’abord, le fruit inconnu. Sa couleur évoque une olive mais sa forme le rapproche d’un tout petit coing. En turc, il s’appelle mersin. Mais je n’ai pas réussi à trouver son nom français.

Nous n’avons eu aucun mal à reconnaître le cynorhodon. Quand on a une fille qui s’appelle Eglantine, il y a longtemps que l’on connaît le nom du fruit de cet arbuste. Par contre, j’ai goûté pour la première fois le fruit de l’aubépine, la cenelle, alıç en turc (se prononce aleutch).

Le goût du jujube, lui, évoque celui d’une petite pomme. En turc, il s’appelle hünnap.
Un peu partout, nous trouvions des étals de plantes séchées pour des infusions. Si nous en reconnaissions la plupart, une espèce en particulier nous intriguait. Des tiges très longues, rigides, sur lesquelles on semblait avoir enfilé comme des perles des petites corolles serrées de fleurs jaunes. Les petites pancartes en carton annonçaient ada çayı, la sauge. Mais je ne retrouvais pas dans cette plante les longues feuilles veloutées vert amande de la sauge classique. Une vendeuse expliqua à Yeşim qu’il s’agissait d’une espèce sauvage typique des montagnes voisines. Après quelques recherches, j’en ai conclu qu’il s’agit de la crapaudine de Crête ou Sideritis syriaca.

Enfin, intriguées par de petites graines aux reflets bleutés, nous avons goûté le çitemik. Visuellement, il ressemble à du poivre mais son goût se rapproche plus de sésame. La graine n’est pas très agréable à croquer car elle est dure et laisse plein de petits éclats dans les dents. Il faut en prendre plusieurs à la fois pour que ça ait un réel intérêt gustatif. Je suis une des rares à avoir aimé. Mes recherches me font penser qu’il s’agit des baies de térébinthe séchées, le fruit du pistachier térébinthe.

Quand nous arrivons à l’hôtel après le marché, nous avons l’impression de rentrer d’un voyage dans un pays inconnu, la tête pleine de sensations nouvelles, du plaisir de la découverte et de la rencontre. Et l’envie de partir visiter la montagne après l’avoir goûtée avec autant d’ardeur.



