Dans les vibrations colorées de David Hockney

David Hockney à la Fondation Vuitton : un festival de couleurs qui transforme les flaques d’eau en chef-d’œuvres et vous fait voir la vie en technicolor sans substance illicite !

Jour de pluie. Ciel sombre. Grondement du tonnerre au loin. Le ciel s’éclaircit alors que je me gare dans le Bois de Boulogne. Les allées sentent le sous-bois humide, alliaire et gaillet-gratteron dégoulinent des bas-côtés et soudain les flaques d’eau sont inondées de soleil.

Nous n’attendons pas longtemps avant de rentrer dans la Fondation Louis Vuitton mais la foule est dense. Églantine et moi nous réfugions dans la musique de nos casques réducteurs de bruit. Rapidement harponnées par les couleurs de David Hocney, nous nous perdons de vue. Peu importe, nous savons que nous nous retrouverons à la fin. Chacune navigue à son rythme dans un océan de couleurs vibrantes.

Les premières salles prennent des raccourcis bienvenus de Bradford à Los Angeles en passant par Londres, Berlin et Paris. On retrouve les fameuses piscines, les paysages californiens, les portraits baignés de lumière, la palette vive, les toiles immenses. Et commence l’éblouissement des couleurs. Une nature vibrante. David Hockney nous embarque dans sa vision de l’espace et du temps. Celui qui passe et celui qu’il fait. Les saisons défilent, obsessionnelles. Variations à l’infini de paysages récurrents d’où jaillissent des vagues de lumières.

Les peintures de David Hockney ne sont pas réalistes. Pourtant il me semble entendre le sifflement du vent dans les branches nues des grands arbres, sentir le murmure de la brise dans les feuillages d’été alors que monte du sol une chaleur bienveillante. Le bruissement des fruitiers en fleurs perdant des tourbillons de pétales. Le clapotis de la pluie ou le bouillonnement d’un ruisseau. J’ai envie de m’allonger dans les hautes herbes, d’escalader les bottes de foin, de sauter dans les flaques avec des bottes en caoutchouc.

La multiplication des portraits. Galerie monumentale, impressionnante. Hommage à l’humanité. Le foisonnement des fleurs, un mur entier de natures mortes. La mise en abîme des visiteurs dans des œuvres où se mêlent collages photographiques et dessin. Les vidéos, les animations sur iPad, l’opéra animé, les fusains, les aquarelle, les gouaches, les huiles, les acryliques… C’est une plongée dans l’univers sans limite d’un artiste inventif, libre et fertile.

Il y aurait encore beaucoup à dire. Il y avait surtout beaucoup à voir. Nous avions les couleurs incrustées dans nos rétines en sortant. Je voyais les arbres vibrer de tons vifs, les chemins violets, les routes rouges. La vie paraissait soudain plus belle.

Ceci est une clé

Ou comment Magritte peut déverrouiller une facette d’Hortense.

Ne pas partir en vacances, c’est prendre le temps de laisser faner les maladies d’hiver en un froissement de mouchoirs

en papier. C’est aussi profiter d’habiter à proximité d’une ville qui fait rêver le monde entier, surtout depuis qu’elle a été si joliment mise en scène pour les jeux olympiques.

La pluie, le froid et les journées mornes n’incitent pas à se balader nez au vent dans les rues parisiennes. Alors il reste les musées. L’offre est monumentale. Sauf le lundi, où la plupart d’entre eux sont fermés. Seul Beaubourg ouvre ses portes et ses escalators extérieurs qui révèlent petit à petit une vue magnifique sur les toits parisiens. Même quand la tour Eiffel s’estompe dans les nuages.

L’expo phare du moment est celle sur le surréalisme. Une foule compacte piétine dans les allées, écoute doctement la voix d’André Breton reconstituée par une IA tout en découvrant son écriture serrée sur les pages de ses carnets. « Surréalisme » foisonne d’œuvres plus ou moins connues, bifurque entre les amitiés et les rivalités, les nationalités, les genres, les supports, les formats, les inspirations. L’ensemble est gigantesque, limite indigeste.

Et puis il faut aimer. Ce n’est pas mon courant favori même si la démarche est passionnante. Un artiste en particulier m’a pourtant fait énormément vibrer, Max Ernst. Je connaissais un peu, de loin, de nom. Une vraie rencontre. C’est une de ses œuvres, L’ange du foyer, qui a été choisie pour l’affiche de l’exposition. Personnellement, je suis restée subjuguée par ses forêts.

J’avais traîné Hortense avec moi. Qu’elle découvre par elle-même des œuvres qu’elle peut aimer, critiquer, détester. Peu importe, du moment qu’elle s’autorise ses propres choix. Elle a traversé l’exposition sans s’attarder. Trop de monde. Contempler une œuvre tenait de la bataille opiniâtre bien que silencieuse. Elle, ce sont les œuvres de Magritte qui ont systématiquement retenu son regard.

René Magritte, Les valeurs personnelles, 1952

Ses toiles font écho aux sentiments d’Hortense. Ce décalage permanent, légèrement absurde, derrière une première impression de normalité, c’est un univers qui lui parle, dans lequel elle se reconnaît. Car sous son air désinvolte, Hortense cache surtout une grande sensibilité. Comme elle ne sait pas vraiment quoi en faire, comme elle se sent très en marge des normes attendues, elle se verrouille. Magritte a été comme une clé.

Dans l’immensité de cette exposition, Magritte n’est qu’une anecdote. Mais il m’a permis de comprendre une facette d’Hortense. Rien que pour ça, ça valait la peine d’affronter la foule.

Transmettre le cirque

Sur le grand plateau noir du théâtre, une table, un ordinateur et des feuilles éparpillées. Travail de chercheuse en cours. Au fond de la scène, un grand écran blanc. Vêtue d’un jean retroussé sur des boots, les cheveux sagement remontés sur la tête, une jeune femme commence à parler dans un micro.

Voix douce, presque timide qui gagne en assurance tout au long de ce spectacle-conférence, jusqu’à chanter à pleins poumons Je suis malade de Dalida. Mais je vais trop vite. Il faut d’abord parler ce cette voix. C’est celle d’Anna, subjuguée par le cirque depuis toute jeune. Elle ne deviendra jamais circassienne. Pourtant, elle choisira de travailler dans le clair-obscur de ces artistes qui la font vibrer et qu’elle comprend si bien.

Anna n’est pas non plus actrice. Pourtant, pour son spectacle Suzanne : une histoire (du cirque), elle a franchi le pas. Elle est montée sur cette scène pour raconter sa rencontre avec Suzanne.

De 1950 à 1965, Suzanne tournait sur les routes de France et d’Europe avec son mari, Roger. Leur duo aérien s’appelait Les Antinoüs. Petit à petit, elle s’ouvre à Anna, raconte ses années de cirque, les étoiles filantes tombées sans filet, la mort qui guettait sous les voltigeurs qu’aucun harnais ou filet ne sécurisait.

Les Antinoüs.
Photo prise sur le site de l’Azimut.

La voix d’Anna, filet de vent, devient celle d’une envie folle, une histoire de transmission, un défi qui se fait aventure, faire revivre le numéro des Antinoüs avec de jeunes artistes d’aujourd’hui.

Anna s’ouvre intimement, tisse son histoire, celle de Suzanne et du cirque contemporain dans un récit fluide et captivant. D’images d’archives en interviews contemporaines, les souvenirs affleurent, les énergies se rencontrent.

Le spectacle, plus proche de la conférence, trop personnel pour un documentaire, pas assez autocentré pour un récit personnel, n’est pas encore achevé. Il s’agissait ce week-end de présenter une première ébauche d’un long travail, démêlant les écheveaux du passé et du présent, de l’intime et du public, de la vie et de la mort.

Une rencontre inattendue qui ne laisse pas indifférente. J’espère qu’ils repasseront par Antony quand le spectacle sera finalisé.

Transmettre le cirque

Sur le grand plateau noir du théâtre, une table, un ordinateur et des feuilles éparpillées. Travail de chercheuse en cours. Au fond de la scène, un grand écran blanc. Vêtue d’un jean retroussé sur des boots, les cheveux sagement remontés sur la tête, une jeune femme commence à parler dans un micro.

Voix douce, presque timide qui gagne en assurance tout au long de ce spectacle-conférence, jusqu’à chanter à pleins poumons Je suis malade de Dalida. Mais je vais trop vite. Il faut d’abord parler ce cette voix. C’est celle d’Anna, subjuguée par le cirque depuis toute jeune. Elle ne deviendra jamais circassienne. Pourtant, elle choisira de travailler dans le clair-obscur de ces artistes qui la font vibrer et qu’elle comprend si bien.

Anna n’est pas non plus actrice. Pourtant, pour son spectacle Suzanne : une histoire (du cirque), elle a franchi le pas. Elle est montée sur cette scène pour raconter sa rencontre avec Suzanne.

De 1950 à 1965, Suzanne tournait sur les routes de France et d’Europe avec son mari, Roger. Leur duo aérien s’appelait Les Antinoüs. Petit à petit, elle s’ouvre à Anna, raconte ses années de cirque, les étoiles filantes tombées sans filet, la mort qui guettait sous les voltigeurs qu’aucun harnais ou filet ne sécurisait.

Les Antinoüs.
Photo prise sur le site de l’Azimut.

La voix d’Anna, filet de vent, devient celle d’une envie folle, une histoire de transmission, un défi qui se fait aventure, faire revivre le numéro des Antinoüs avec de jeunes artistes d’aujourd’hui.

Anna s’ouvre intimement, tisse son histoire, celle de Suzanne et du cirque contemporain dans un récit fluide et captivant. D’images d’archives en interviews contemporaines, les souvenirs affleurent, les énergies se rencontrent.

Le spectacle, plus proche de la conférence, trop personnel pour un documentaire, pas assez autocentré pour un récit personnel, n’est pas encore achevé. Il s’agissait ce week-end de présenter une première ébauche d’un long travail, démêlant les écheveaux du passé et du présent, de l’intime et du public, de la vie et de la mort.

Une rencontre inattendue qui ne laisse pas indifférente. J’espère qu’ils repasseront par Antony quand le spectacle sera finalisé.

Fantasmagorie urbaine

Aller déjeuner aux Petites Cantines Paris. Les rues balayées par les rafales de vent. Les tourbillons dorés des feuilles automnales. Traverser le 13e arrondissement en voiture (pas question de prendre les vélos en pleine tempête), longer une forêt de tours hautaines à l’architecture austère. Se garer sous des platanes dégarnis au bord du métro aérien et avoir le regard aimanté par la douceur des personnages peints sur des murs aveugles. Vision fantastique. La ville prend soudain une autre dimension.

Envie, une prochaine fois, de déambuler en deux roues dans les rues de cet arrondissement réputé pour ses fresques.

Chatouiller le félin qui dort en nous

La photo est un peu floue. Le problème du téléphone avec peu de lumière. J’ai dû bouger en appuyant pour prendre la photo. Cependant, je garde ce cliché pour la photo du lundi.

Pour la chorégraphie de l’ombre qui s’anime tel un danseur mystérieux derrière le félin en pleine chasse, statufié au moment où il attrape sa proie.

De l’immobilité naît un certain mouvement qui me plaît. Une allégorie de mon moral actuel ?

Photo prise au Muséum National d’Histoire Naturelle à Paris. Exposition Félins.

Beauté de papiers

Le papier dans l’art contemporain. L’affiche de l’exposition est placardée aux quatre coins de la ville depuis des mois. Le beau bleu d’une œuvre de Ferri Garcès, intitulée Cobalt, où des corolles de papier évoquent un fond marin onirique. L’exposition fermait ses portes aujourd’hui. J’y suis allée hier avec Hortense alors qu’Eglantine y est allée cet après-midi.

Le thème me séduisait, l’affiche était alléchante, Henri (notre Père-Noël, voisin et ami) m’en avait dit le plus grand bien et mon amie Françoise avait également attiré mon attention sur l’évènement. La Maison des Arts d’Antony se trouve à quelques minutes à pied de la maison, dans un joli parc arboré. Il aurait vraiment été dommage de passer à côté.

Les quatre artistes présentées sont des femmes. Chacune utilise des techniques très différentes, des papiers très variés et des univers artistiques bien distincts. Cependant, il se dégage de l’ensemble une douceur onirique qui s’appuie sur une maîtrise parfaite du matériau et une originalité du traitement qui subjugue.

Les papiers sculptés d’Anne-Charlotte Saliba

Dans sa présentation, l’artiste parle d’errance maîtrisée au sujet de son travail. Le papier lisse d’un blanc immaculé est suffisamment lourd pour être sculpté dans l’épaisseur. Poinçonnage, perforation, incision, embossage apportent volume, reliefs et lignes douces entre ombre et lumière.

Poésie délicate, élégante, discrète, hypnotisante.

Pour plus de détails sur l’artiste, www.annecharlottesaliba.com

Les pliages poétiques de Ferri Garcès

Le papier de Ferri Garcès est enroulé, plié et multiplié de telle sorte que ses œuvres dégagent un sentiment d’infini vibrant, sensible et organique. Forêt amazonienne ? Fond marin ? Coquillages ? champs de fleurs ? L’œuvre se regarde de face ou de côté. Le chant était aussi beau que la face principale. Le regard se perd en une médiation aérienne, se pose sur un détail, ouvre les pensées sur des mondes imaginaires qui semble soudain bien proches et réels.

Pour plus de détails sur l’artiste, www.galeriebettina/oeuvres/ferri-garces/

Les p’tits papiers de Nathalie Boutté

Les œuvres de Nathalie Boutté ont trois dimensions : le sujet représenté, le papier utilisé et le texte imprimé sur le papier. Un premier regard embrasse le sujet représenté en des milliers de lamelles de papier collées sur une à côté des autres, se chevauchant à chaque rangée. La technique rappelle le plumage d’un oiseau un peu ébouriffé. Les lamelles sont d’épaisseur et de dispositions inégales, apportant un effet de volume supplémentaire.

Chaque œuvre offre différents niveaux de lecture. La première impression visuelle est renforcée par le texte imprimé sur les lamelles. Comme cette carte d’Europe qui reprend dans la langue de chaque pays la première phrase de la déclaration des Droits de l’Homme.

Pour plus de détails sur l’artiste, www.nathalieboutte.com

Les installation aériennes de Mathilde Nivet

Mathilde Nivet façonne le papier en trois dimension. Elle le plit, le tord, le tisse, le découpe, le superpose pour obtenir des œuvres en trois dimensions telles des sculptures colorées. Depuis l’escalier qui mène au premier étage qu’elle partage avec Nathalie Boutté, on aperçoit ses fleurs colorés, jardin anglais suspendu, ou ses oiseaux bleus qui promènent leurs ombres sur le plafond blanc.

Certaines œuvres rappellent la vannerie.

La plus éblouissante est à mon avis cette chute de feuilles jaunes rehaussées par des branches bleues agrémentées de boutons flamboyants – dont j’ai malheureusement oublié de noter le titre.

Pour plus de détails sur l’artiste, www.mathildenivet.com

Même Hortense, venue à l’origine parce que je ne lui avais pas laissé le choix, a été éblouie par les créations présentées lors de cette magnifique exposition. Merci à la Maison des Arts d’Antony de nous avoir offert cette douce parenthèse de papier.

Que la vie soit un bal permanent

Demander son avis sur un spectacle à un directeur technique de théâtre, c’est demander à un ouvrier agricole sur les bords de Loire au XIXe siècle s’il le saumon est bon. Le saumon, il en mangeait à tous les repas. Difficile de se laisser encore surprendre.

Le festival Solstice s’est encore poursuivi toute ce week-end. Les techniciens ont monté les structures chaque jour sous une chaleur caniculaire. Peaux rougies, desséchées, soif intense, épuisement. L’esprit d’équipe tient l’énergie de la troupe mais les démarches se font lourdes, les jambes raides, les pieds trainants, les épaules tombantes.

Et puis ce soir.

Dans la lumière rasante de la fin d’une journée d’été, la Bande à Tyrex sort les cuivres la batterie et l’accordéon. Chanteurs, musiciens, acrobates, comédiens, ils sont onze à prendre d’assaut la scène montée pour eux. De la joie, de l’absurde, de l’équilibre, de la chute, de la connivence, jamais d’indifférence. Le public adhère, suit le mouvement, applaudit, chante, fait la Ola.

La bande à Tyrex au festival solstice 2023

Les artiste font tournoyer leurs vélos, les tirent tels des  boulets, pédalent le nez au vent telle Paulette sur les chemins environnants, se rentrent dedans, se cherchent, s’évitent puis se retrouvent.

La musique accompagne, entraîne, orchestre cette joyeuse bande de clowns en roue libre. Poésie déjantée, amoureuse, bienveillante, littéralement éblouissante (un casque boule à facette réverbère les rayons chatoyants du soleil couchant).

Enfin, la piste est envahie, les musiciens appellent les spectateurs et le bal commence, heureux, simple, réjouissant.

On écluse les bières, esquisse des pas de danse. On se tape dans le dos. On se félicite de la saison, du festival, de la journée. Les sourires sont sincères sous les regards assommés de chaleur.

Il faudrait que la vie soit un bal permanent.

Marie-Ève, comme un soleil bombé sur un mur

Marie-Ève a des yeux bleus pétillants, les sourcils fins en accent circonflexe, un large sourire avec de belles dents blanches parfaitement alignées, des lèvres pulpeuses et le front haut des peintures du moyen-âge. Elle est rayonnante et les années semblent ne pas avoir de prise sur elle. Elle est partie vivre à Marseille il y a quelques années. Au rez-de-chaussée d’une vieille demeure, avec un jardin où des arbres poussent tout en hauteur, où les arts graphiques, la chine et de belles astuces architecturales créent une douce atmosphère aux couleurs bienveillantes.

Elle est une des rares camarades de lycée avec qui je suis restée en contact. Nos liens sont ténus, intermittents, lointains mais solides et sincères. Suffisamment pour passer plusieurs heures ensemble à discuter. Et l’impression, quand même, au moment de nous quitter, que nous aurions encore beaucoup de choses à nous dire.

Avec le charme incontestable, aussi, des rendez-vous de dernière minute. Découvrir sur les réseaux sociaux qu’elle est de passage à Paris, caler des retrouvailles au cœur de la capitale. Restau italien derrière l’église Saint-Eustache. Le temps est beau, la terrasse accueille nos discussions ensoleillées.

Marie-Eve est une artiste. Il me reste quelques part roulé dans un carton un portrait au crayon qu’elle avait fait de moi au lycée. Il a suivi tous mes déménagements. Du petit studio dans le Marais au quinzième étage d’une grande tour au sud de Montparnasse, du Portugal à la Roumanie, en passant par la Turquie.

On retrouve toute sa délicatesse, sa sensibilité et sa sagacité dans son travail. Je vous encourage à aller le découvrir sur son site Un p’tit coquelicot.

Nous avons continué nos retrouvailles parisiennes par l’expo CAPITALE(S), 60 ans d’art urbain à Paris. Entrée gratuite mais attention, réservation obligatoire ! Pour les as de la dernière minute comme nous, il faut compter sur la chance. La nôtre a été de rencontrer une maman avec sa fille, juste devant nous dans la queue, qui avait deux places en plus. Quelque chose à voir avec le karma quand on en pense à cette fois où c’est moi qui ai donné une entrée à une dame qui n’avait pas réservé pour la nocturne gratuite du Louvre.

Des souvenirs du passé face à l’histoire des premiers grafs. Nous avions quinze ans au début des années 90. Nous habitions alors dans une banlieue où brûlent quelques voitures à chaque nouvelle année. Des bombes de peinture dans les jeans baggy et les blousons Bomber. Des tags vite faits sur les murs décrépis.

Sentiment étrange de voir la vie urbaine s’exposer sous les voutes de l’Hôtel de Ville. Pourtant ça fonctionne vraiment très bien. On découvre les dessins préparatoires, la réflexion artistique, les recherches individuelles et l’émulation collective d’une histoire visuelle en construction permanente, vivant au rythme de l’urbanisation, mettant en lumière et en couleur les zones grises d’une ville pieuvre.

La grafbox, pour capturer en temps réel le processus de création et la gestuelle de l’artiste.

Néophyte dans le domaine, je suis impressionnée par la façon dont Marie-Ève accueille l’exposition en connaisseuse chevronnée des différents artistes. Loin d’être blasée, elle s’enthousiasme elle aussi pour les œuvres présentées et le processus créatif mis en avant.

Allez voir cette expo et vous ne regarderez plus jamais les graffitis de la même façon.

Sur la place de l’Hôtel de ville, les velib croisent les groupes de touriste, un homme crée d’énormes bulles de savon sous le regard subjugué des enfants, des couples s’enlacent. J’enfourche Pimprenelle pour regagner le sud de la capitale, le cœur vivifié par cette belle journée. Marie-ève est comme un immense soleil graffé sur le mur du temps.

Manet / Degas, le grand déséquilibre

« Rapprocher Manet et Degas, c’est chercher à comprendre l’un à partir de l’autre ». Tels sont les premiers mots de la brochure guidant la visiteuse dans l’exposition Manet / Degas au musée d’Orsay.

Pourtant, je n’ai pas trouvé que le rapprochement fasse des étincelles. Eglantine a aussi estimé que le plus intéressant dans cette exposition étaient les textes qui racontaient, documentaient et expliquaient la relation entre ces deux monstres sacrés de la peinture française du XIXe siècle.

Nés à deux ans d’intervalle, tous les deux issus de la haute bourgeoisie, d’abord destinés à des carrières de juristes, Manet et Degas ont énormément de points communs. Mais là où Manet rayonne dans la société de l’époque, charismatique, séducteur, professoral, exposant au Salon, Degas apparaît discret, concentré, besogneux, célibataire endurci, presque solitaire. Il peint un portrait de Manet avec son épouse ? Celui-ci, insatisfait de la représentation de sa femme, coupe la toile pour la faire disparaître. Si Degas prend régulièrement Manet pour modèle, la réciproque ne viendra jamais. Un peu comme ces amis que vous invitez à dîner et qui ne rendent jamais l’invitation. Le déséquilibre est flagrant.

En ressortant de cette exposition, j’ai eu besoin de revoir les danseuses de Degas, pour retrouver les couleurs et l’audace de ce peintre que je n’ai pas trouvé valorisé dans l’exposition. Peut-être, justement, à l’image de leur relation dissymétrique. Degas admirait sincèrement Manet. Au point de collectionner ses toiles et ses dessins. Et que dire de l’énergie mise à réunir les différents fragments d’une toile de Manet, L’exécution de Maximilien. Cette toile monumentale était trop subversive à l’époque pour être exposée et avait été découpée en morceaux après la mort de Manet.

L’exécution de Maximilien, 1867-1868, Edouard Manet

Alors que Manet a tranché la toile offerte par Degas, ce dernier a, lui, mis tout en œuvre pour reconstituer celle de son ami. L’œuvre actuelle, une grande toile vierge sur laquelle sont collées les différentes parties retrouvées par Degas, dégage une émotion particulière. Ce grand format recomposé reflète l’amitié chaotique, fragmentée, déchirée, de ces deux talents.

Pas de méprise toutefois sur l’extraordinaire chance de voir toutes ces œuvres de Manet et Degas réunies dans cette belle exposition. Mais le déséquilibre de leur relation transparaît trop fortement pour que je m’émerveille pleinement de la rencontre de leurs œuvres.

Des styles de portraits très différents

Dans les portraits, Manet peint son ami Zola, avec en arrière-plan une gravure de son Olympia, mise en abîme de son propre succès et de ses relations. De Degas, j’ai été particulièrement émue par le portrait de L’amateur d’estampes. Un anonyme, un peu vouté, dans un environnement dédié à sa passion. A l’image d’un Degas se tenant loin des mondanités, concentré sur son art.

L’amateur d’estampes, Edgar Degas, 1866
Portrait de M. Emile Zola, Edouard Manet, 1868

Manet éblouissant, Degas émouvant

Au long de l’exposition, mon regard fût systématiquement d’avantage attiré par les peintures de Manet.  Plus flamboyantes, plus contrastées, elles avaient sur moi un effet magnétique, époustouflant. Pourtant, avec un peu de recul, quand je regarde les œuvres que j’ai photographiées, je me sens plus touchées par celles de Degas.

Si je prends l’exemple des modistes, la femme du tableau Chez la modiste de Manet est éblouissante, belle, vive. Elle attire le regard, attise le désir, réveille les sens. Alors que celle de Chez la modiste de Degas, est douce, tendre, presque perdue au milieu des chapeaux. Elle dégage une émotion presque vulnérable. Moins tape-à-l’œil que Manet, mais tellement plus sensible.

Chez la modiste, Edouard Manet, 1888
Chez la modiste, Edgar Degas, 1870-1886

Degas, l’art de saisir l’instant

Pour finir, si je devais comparer leurs peintures avec de la photographie contemporaine, je verrais Manet avec un gros appareil photo professionnel, visible, assumé alors que Degas utiliserait plutôt un téléphone portable pour saisir des images sur le vif. Derrière le cadrage de L’absinthe, on peut imaginer – en total anachronisme évidemment ! – un homme sortant son portable pour saisir la femme tristement alcoolisée à la table voisine. Alors que, avec le même modèle, Manet se positionne frontalement, utilise des couleurs vives et montre une femme non pas triste, mais alanguie, ouverte à la séduction.

Dans un café, dit aussi. L’absinthe, Edgar Degas, 1875-1876
La Prune, Edouard Manet, vers 1877

On retrouve cette façon de saisir ses contemporain.es avec la Blanchisseuse et Femmes devant un café, le soir. Comme si Degas ne cherchait pas le beau mais le vrai de l’instant et de l’émotion.

La blanchisseuse, Edgar Degas, 1873
Femmes devant un café, le soir, Edgar Degas, 1877

Moins impressionnant au premier regard, plus persistant dans la durée du sentiment. Malheureusement, la force de Manet écrase trop la délicatesse de Degas dans cette exposition. Peut-être aurais-je préféré une exposition Degas / Manet. Car les deux stars de l’exposition restent l’Olympia et Le Balcon d’Édouard Manet, concentrant les regards et l’intérêt des visiteurs.euses.