Escalade du stress

Les dernières semaines du printemps et les premières de l’été s’annoncent intenses pour Eglantine. Le stress reste élevé pour les ultimes épreuves du bac, alors même que ses résultats de l’année dernière lui assurent à eux seuls l’obtention du précieux sésame pour accéder aux études supérieures. Elle n’avait encore jamais eu deux épreuves dans la même journée. Elle a terminé celle d’hier sur les rotules. Même les examinatrices se sont inquiétées. Sa mine décomposée, blafarde, leur a fait craindre le malaise. Sa fatigue l’a énormément ralentie l’après-midi. Elle a dû utiliser pleinement son tiers-temps.

Dans la voiture, sur le chemin du retour, elle n’était plus qu’un étrange mélange d’émotions. Satisfaction d’avoir rendu une copie complète. Excitation à l’évocation des sujets, rehaussée de passion, de questionnements et de curiosité. Épuisement intense.

Impossible de se reposer, cependant, avant d’avoir atteint l’acmé de la journée. A 19h, Parcoursup distillait ses premiers résultats. Vœux refusés, acceptés, ou un numéro sur une liste d’attente. Bien sûr, le site moulinait dans le vide alors que des millions de personnes tentaient de se connecter au même moment. Le téléphone d’Eglantine est resté sur la table pendant le dîner. Elle tentait de rafraîchir la page régulièrement. Elle était tendue comme un arc à poulie.

Finalement, elle a pu accéder à la page des réponses à ses vœux. Qui n’en finissait pas de charger, retardant la lecture des précieux résultats. Seul un bouton Imprimer était visible. Elle a lancé l’impression dans l’espoir d’accéder aux résultats.

Vous sentez la tension, l’impatience, la crispation qui imprégnaient l’espace ? Le temps était figé dans l’attente. Impossible d’avoir un autre sujet de conversation. Parcoursup avait tout pétrifié. Nous respirions au rythme du crachotement de l’imprimante.

Eglantine a d’abord lu le refus de la double licence Chimie-SVT qui lui plaisait beaucoup. Des positions à deux, trois ou quatre chiffres sur des listes d’attente. Comme si son cerveau se jouait de sa fébrilité, elle ne trouvait pas la ligne qui l’intéressait.

Enfin, le OUI. Celui qu’elle espérait avec ferveur. Elle a hurlé de joie en traversant le salon, sa feuille à la main. Petits sauts de cabri. Le rouge aux joues. Les yeux brillants. Le sourire banane. Pas de liste d’attente. Prise tout de suite dans cette licence Sciences et Technologie où seulement une trentaine d’élèves vont commencer leur vie estudiantine au mois de septembre. Un petit cocon où Eglantine pourra continuer de se passionner aussi bien pour la physique-chimie que la SVT ou les maths.

Quelques années sereines en perspective, durant lesquelles elle pourra affiner ses choix de spécialisation.

Et qui sait, si son nouveau traitement fonctionne, peut-être n’aura-t-elle plus besoin, bientôt, de prendre deux ans pour suivre une année de scolarité.

Allez, plus que deux épreuves orales, les résultats du bac le 8 juillet, un tas de démarches administratives et elle pourra se détendre vraiment.

Sinon, une fois la pression redescendue, elle a lu l’ensemble de ses réponses. Cinq de ses dix vœux acceptés et quatre sur liste d’attente. Un seul refus. Ça fait du bien à l’égo. Ce matin, elle a validé son choix, un petit sourire au coin des lèvres. Elle n’aura désormais plus affaire aux algorithmes de Parcoursup.

Attendre encore un peu

Nous attendions ce rendez-vous depuis deux mois. Enfin une piste pour diminuer la fatigue d’Eglantine. Espoir, perspective d’une nouvelle vie. Retrouver la liberté de faire ce qu’elle veut, quand elle veut. Sans avoir besoin de prévoir un temps de récupération. Le dénouement de six années de Belle au Bois Dormant ?

Le traitement nécessite une ordonnance manuscrite, citant le nom de la pharmacie dans laquelle on s’approvisionnera, valable uniquement le jour-même, à renouveler tous les 28 jours. Tout cela afin d’éviter des détournements. Le médicament est un stimulant du système nerveux parfois utilisé pour se doper, notamment en période d’examens.

On ressort du cabinet du médecin avec la précieuse ordonnance manuscrite. On passe de suite à la pharmacie. Douche froide. Le médicament est en rupture. Les pharmaciennes appellent grossistes, collègues et labos. Nous ne sommes pas pressées. Eglantine ne commencera son traitement qu’après les deux épreuves de bac qu’elle doit passer cette semaine. Pas question de prendre le risque qu’elle soit perturbée par de potentiels effets indésirables.

24h plus tard, appel désolée de la pharmacienne. Le labo d’origine a rétrocédé la production du médicament à un autre labo qui est en rupture de stock. Et ce labo vient lui-même de revendre le médicament à un autre labo qui doit commencer la production en juin. La pharmacienne n’a aucune idée d’une date à laquelle elle pourra obtenir le traitement qui nous donne tant d’espoir.

En 2023, l’Agence de sécurité du médicament a enregistré 4 925 signalements de ruptures et risque des rupture de stocks. La cuvée 2024 ne semble pas meilleure. Les pharmacien·nes perdent des heures à tenter de trouver des solutions. Comme les nôtres qui ont téléphoné partout pour tenter de trouver le traitement d’Eglantine. Elles seront justement en grève demain. Au bout du rouleau.

Il va falloir retourner chez le médecin. Essayer un autre médicament. Même si le premier arrivait dans notre pharmacie d’ici la fin de semaine, l’ordonnance n’est désormais plus valable.

Immense déception. Mais nous gardons intact cet immense espoir qu’Eglantine retrouve bientôt un peu de cette énergie qui l’a caractérisée toute son enfance.