Quand j’ai conduit Églantine au lycée ce matin, une lumière rose délicate baignait les files de voitures. La circulation était fluide. La journée s’annonçait douce.
Nous sommes arrivées un peu en avance. Nous avons papoté un moment dans la voiture. Normalement, je m’arrête juste le temps qu’elle descende et je repars de suite. Mais aujourd’hui, la secrétaire avait demandé à me parler. Ce n’est jamais une bonne nouvelle mais j’étais confiante. S’il y avait eu un problème avec le PAI d’Églantine, j’aurais tout de suite été prévenue. Surtout, nous l’aurions su depuis longtemps. Les épreuves de spécialité sont dans quelques semaines.
Certes, nous n’avions toujours pas les dates de convocation pour les épreuves de maths et de physique-chimie. J’aurais dû me méfier.
Je suis tombée des nues quand madame H. m’a expliqué la situation. La bonne nouvelle, Églantine avait bien obtenu les onze aménagements d’épreuve que nous avions demandés. Le problème, la personne qui avait rempli son dossier au centre des examens avait interverti les épreuves qu’Églantine devait passer cette année et celles de l’année prochaine. D’où le fait qu’Églantine n’avait toujours pas de date pour ses spécialités. Par contre, elle était inscrite, par exemple, pour l’histoire-géographie alors qu’elle ne suit pas les cours cette année. Or, à la maison des examens, personne ne répondait aux messages d’alerte de la secrétaire du lycée.
J’ai laissé tomber ce que j’avais prévu pour la matinée et je suis partie au centre des examens. C’est pour ce genre d’urgence aussi qu’il est nécessaire d’avoir cette souplesse que me laissent mon petit boulot au théâtre et mon travail bénévole pour Les Petites Cantines.
Je suis d’abord retournée à la maison prendre un thermos de thé, de quoi lire et de quoi écrire. Bref, de quoi tenir un siège de plusieurs heures face à l’administration française. J’ai aussi ressorti de mon tiroir un comprimé pour calmer la crise d’angoisse et de colère mélangées que je sentais monter en moi.

De façon étrange, le temps était à l’unisson de mon humeur. Le ciel s’était voilé de nuages gris et quelques gouttes de pluie tachetaient mon pare-brise. J’avais envie de pleurer. Les dossiers de PAI sont lourds à remplir. Obtenir ces aménagements est un vrai parcours du combattant. Et voilà que le manque de rigueur de la personne chargée de la saisie de ces aménagements menaçait les études d’Églantine. Ils étaient en train de lui flinguer son bac. J’avais un bazooka au fond du cœur, prête à pulvériser les responsables de cette absurdité.

Je sais, je sais, la violence ne résout rien. C’est pour ça aussi que j’ai fait en sorte de me calmer avant d’arriver sur place. A l’accueil, j’ai été reçue par un monsieur très aimable, le crâne parfaitement lisse, des lunettes fines et le sourire compréhensif. J’étais prête à affronter tous les barrages et à passer la journée sur place tant que je n’aurais pas rencontré quelqu’un capable de modifier le calendrier des épreuves d’Églantine.
« Bonjour Monsieur, je viens chercher une solution. » J’avais aussi décidé d’être diplomate. Il paraît que c’est plus efficace que le lance-flammes.
Il a appelé le référent de notre département, monsieur C. Le téléphone a sonné longtemps dans le vide. Je n’étais pas surprise. Ça faisait deux semaines que la secrétaire du lycée essayait de le joindre, par mail et par téléphone, sans que celui-ci ne daigne répondre. Assise sur les fauteuils en métal dans le hall, je le regardais recommencer plusieurs fois sans succès.
« Il y a une réunion ce matin, ça risque d’être long. » me lança-t-il. Je lui faisais comprendre que j’avais tout mon temps et sortais mon thermos. J’ajoutais que madame P. (la grande cheffe de monsieur C.) avait également été contactée par le lycée. Peut-être serait-elle plus facile à rencontrer ?
Plusieurs personnes se présentèrent à l’accueil. Elles venaient passer divers examens. Un homme arriva avec un bébé dans une poussette. Il cherchait à récupérer un diplôme qu’il n’avait pas réussi à obtenir en ligne. Je trouvais le tableau réjouissant. Derrière le comptoir de l’accueil, un homme. Devant lui, un jeune papa avec son bébé. Loin des stéréotypes de la femme à l’accueil et de la maman avec son enfant.
Puis, un autre groupe entra dans le hall. Monsieur Crâne-Lisse interpella alors une femme. Je reconnus le prénom de madame P. Une minute après, je pouvais effectivement lui exposer la situation d’Églantine. Là, dans le hall d’accueil, elle nota toutes les informations sur un post-it jaune et m’en donna un autre avec son adresse électronique. Est-ce que je voulais bien lui écrire tout cela dans un mail pour plus de sécurité, en y joignant un scan de la confirmation erronée des épreuves ?
J’ai transformé le hall de la maison des examens en bureau. J’ai déplié le clavier de ma tablette. J’ai scanné le document avec mon téléphone. J’ai pris le temps nécessaire pour trouver les bonnes tournures de phrases – chut le bazooka, sur ce coup, il vaut mieux rester tranquille – puis j’ai cliqué sur « envoyer ».

Quand je me suis garée devant le lycée un peu avant 13h pour récupérer Églantine, mon téléphone indiquait un message de la secrétaire du lycée. Elle avait reçu la nouvelle confirmation d’inscription aux épreuves d’Églantine, avec la bonne répartition sur ses deux années de Terminale. Madame P. était visiblement passée rapidement à l’action et l’insaisissable monsieur C. avait enfin réussi à modifier la situation et à envoyer un mail.
Et, devinez quoi ? Le soleil était revenu…
Il m’a fallu plusieurs heures pour que le stress redescende complètement.
Nous attendons maintenant les dates des premières épreuves du mois de mars.

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