Citron pressé

Je ne pensais pas croiser autant de cyclistes sur la route aujourd’hui. Je suis admirative des jeunes femmes en petites bottines et simple manteau de laine. Moi je roule avec une grosse doudoune. J’ai piqué les moufles de ski d’Eglantine et je porte un bonnet sous mon casque.

Au bout des seize kilomètres pour rejoindre la Fondation de France ce matin, j’ai tout de même le bout des orteils gelés.

Retour dans les mêmes conditions glaciales. La Seine se perd dans un air blanc, acéré. La Tour Eiffel se distingue à peine. Les dorures du pont Alexandre III sont ternes.

Poser mon vélo. Déjeuner rapidement avec Eglantine. La conduire au lycée. Filer faire le contrôle technique. Attendre. Lire un peu. Repartir. Récupérer Eglantine qui n’a assisté qu’à son seul cours de maths. La prof de philo a eu pitié d’elle hier. Elle lui a demandé de ne pas venir aujourd’hui. Sa fatigue reste bien trop présente.

Partager la joie d’Eglantine qui a eu 20 à son bac blanc de maths. Un bon présage pour l’épreuve de mars. Écouter en boucle le contenu des exercices, les annotations du prof. Parfait.

Déposer Eglantine à la maison. Aller chercher Hortense à la sortie du collège. Rendez-vous chez le médecin. Attendre un heure pour quinze minutes de consultation.

Préparer le dîner alors que la fatigue tiraille. Le mal de crâne qui tape derrière les yeux. Le cerveau dans la semoule. Les muscles qui tirent. Les paupières plombées.

Attendre le retour d’Olivier pour qu’il prenne le relais sur les maths. Je suis au bout de mes compétences et de mes capacités à écouter les histoires de conjecture et de théorème du point fixe.

Je range la cuisine en écoutant un podcast dans mon gros casque quand Eglantine vient me voir avec un grand sourire.

Quelle est l’exponentielle de ln(3) ?

Se prononce comme « quelle est l’exponentielle de Hélène de Troie ».

Mon cerveau se fige. Plus de jus. Plus rien. Même pas une blague en rebondissant sur Hélène de Troie. Juste l’envie violente que l’on me laisse tranquille.

Ce soir, je suis un citron pressé. La Fondation de France présentait ce matin son Rapport des solitudes 2022, insistant sur la souffrance engendrée. Moi, j’ai parfois des rêves de solitude, de silence total, d’un temps qui s’étirerait à mon rythme seul.

Ça ne dure pas. Et je retourne voir Eglantine avant d’aller me coucher. C’était quoi sa question déjà ? Parce que j’ai en tête de vous la partager. Et la réponse ? Trois bien sûr !

Hortense vient nous souhaiter une bonne nuit. Elle se love sur notre lit. Tout à l’heure ce sera au tour de Django de venir chercher son câlin du soir.

Mon envie de solitude est passée dans la douceur de notre cocon familial. Ça pique beaucoup moins quand les maths partent se reposer aussi.

Dans mes écouteurs, Lucas Santtana chante Sobre la memoria. Bonne nuit…

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