Hôpital Acibadem, Bursa, Turquie, il y a quatorze ans. Je suis enceinte. Depuis des semaines, la veine ombilicale a un problème. Elle risque de se boucher à tout instant. Dès que le docteur m’assure que mon bébé est viable en-dehors de mon ventre, nous provoquons la naissance d’Hortense.
Elle arrive beaucoup plus vite que prévu, beaucoup plus tôt. Le médecin avait anticipé au moins douze heures de travail. Elle apparaît deux heures après l’injection du produit provoquant les contractions. Elle a quatre semaines d’avance. Déjà née. Désormais, l’oxygène ne risque plus de manquer. Enfin née.

Déjà. Enfin. Aujourd’hui, Hortense a quatorze ans et cette dichotomie des sentiments est toujours très vive. Tous ses ami·es sont du début de l’année. Ils ont cet âge depuis parfois presque un an. Elle avait hâte de les rejoindre. Enfin.
Ce nouvel anniversaire concorde également mieux avec sa taille. Hortense est bien plus grande que la majorité des femmes adultes. Déjà. Difficile pour les personnes qui la croisent de lui donner le bon âge. Le vendeur du cinéma de quartier réclamait sa carte d’identité pour accepter d’appliquer le tarif réduit réservé aux moins de quatorze ans. Enfin, son âge correspond mieux à sa taille.
De sa naissance, Hortense a aussi gardé cette envie d’aller vite, de découvrir tout , tout de suite, d’être autonome et indépendante dès que possible. Quand nous nous promenons dans les rues parisiennes, elle y projette déjà sa vie d’adulte. Elle n’aime rien moins que passer du temps avec ses potes loin du cocon familial.
Il faut parfois s’accrocher pour comprendre ce qu’elle ressent. Elle ne s’est jamais beaucoup confiée. L’adolescence creuse encore plus ce fossé. Avec elle, le sentiment d’être des boomers a déjà fait son apparition. Mais, en prenant le temps, en oubliant de se vexer, en la laissant vivre à son rythme, la voir grandir est un vrai bonheur.
Je ne sais pas quelle adulte elle sera. Elle me surprend déjà tous les jours. Je me réjouis simplement de ses joies. J’écoute ses peines, quand elle accepte de les confier. Je la surveille du coin de l’œil pour qu’elle se sente soutenue. Je m’énerve parfois. Je ris souvent de ses facéties et de son humour incisif. Enfin bref, je l’aime profondément.