Dernier jour de marché

Le marché du dimanche matin attire toute la région. Même en plein hiver les étals sont colorés, foisonnants de produits tous plus appétissants les uns que les autres. En ce 31 décembre, j’y termine donc les courses pour le menu de la Saint-Sylvestre, concocté par les filles.

Dernier jour de l’année, les frigos sont déjà pleins. Il n’y a pas foule pour braver le vent humide de ce dernier matin de 2017. Même les marchands sont moins nombreux. Mais l’humeur est à la fête et à la bienveillance.

Je repars avec une treize mangues pour 4€. C’est vrai qu’elles ont l’air vraiment bien mûres. Je vais certainement avoir un peu de déchets. Mais voilà une belle occasion d’essayer un chutney à la mangue. La cagette pleine de fruits pèse dans mon sac accroché à l’épaule. Avant que je ne parte, le vendeur en a rajouté une dernière. « Au cas où vous en auriez une de trop abîmée. »

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J’ai acheté quelques litchis de la Réunion. Et j’ai découvert le combava. Un cousin du citron vert, boursouflé, mais plus sucré paraît-il. Le vendeur de fruits exotiques n’était pas débordé. Il avait le temps de discuter. A tester une prochaine fois. Aujourd’hui je reste fidèle à la recette que les filles ont choisie.

Aux fruits secs, je prends quelques noix. Et hop, une dernière poignée une fois la pesée terminée. C’est cadeau, avec le sourire, et Joyeuses Fêtes madame !

Dans le Monoprix c’est la cohue. Petits achats de dernière minute. Le rayon de mascarpone est vide. Je me rabats sur un mélange crème-mascarpone qui, je l’espère, fera l’affaire. A la caisse, une autre cliente me demande ce que je vais faire avec ça. Nous discutons menu de réveillon. Elle, elle est venue chercher des frites pour les enfants.

Nous, ce soir, c’est la cuisine des enfants ! Avec un peu d’aide…

Les échos de l’expat

En dix ans d’expat, nous avons fait de belles rencontres. Donnant naissance à de profondes amitiés. Alors quelle joie de retrouver Aurore, Régis et leurs filles, Jeanne et Marie, juste avant que l’année ne termine !

En France pour les vacances,  ils sont venus d’Orléans pour le déjeuner. De les voir à la porte, déjà, nous avions les cœurs en fête. Les images anciennes jaillissent en surimpression. Les mêmes sourires, le même plaisir lorsqu’ils arrivaient chez nous à Bucarest.

Bien sûr les filles ont grandi et j’ai les cheveux gris. Mais le plaisir reste intact. La journée s’écoule tendrement. Ils nous manquent. Comme tous ces amis d’expat que l’on retrouve au gré des voyages des uns et des autres.

Eglantine aurait bien gardé son amie à dormir. Après tout, me rappelle-t-elle, la première fois que j’ai rencontré Jeanne, c’est parce qu’elle venait coucher à la maison. C’est vrai. J’avais oublié. Une soirée de l’afb. Elena gardait les filles à la maison. J’avais proposé à Aurore de laisser les siennes chez nous pour aller ensemble à la fête. Eglantine et Jeanne ne se connaissaient pas encore. Elles étaient toutes les deux en CP, mais pas dans la même classe. Nous venions d’arriver. Nous ne savions pas encore que de cette soirée naîtrait une si longue amitié. De cette soirée et de bien d’autres, de week-ends à camper sur la plage et de virées dans les Carpates…

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Coucher de soleil sur une plage de la Mer Noire – Roumanie

Les échos de l’expat ravivent les souvenirs qui sédimentent sous notre nouvelle vie en France. Ça me démange de programmer un voyage en Roumanie…

D’autant que ce soir je suis tombée sur un reportage d’Arte sur la Roumanie. Les astres se liguent, n’est-ce pas ?

A l’ombre des Carpates

 

De l’art à la carte

Dans la boîte aux lettres ce matin, deux cartes postales. Elles portent des timbres ukrainiens et sont destinées aux filles. Chacune la sienne. Au dos des cartes colorées, nos écritures. Nous les avions oubliées ! Ces cartes qui faisaient partie d’un projet artistique à l’aéroport de Kiev. Nous y étions restés quelques heures début novembre à la faveur d’une correspondance en revenant de Jordanie.

Dans la tristesse d’un aéroport sans charme, alors que nous avions vu le soleil se lever au-dessus de la Turquie depuis notre vol Aman-Kiev, nous prenions un petit-déjeuner dans un café. A quelques pas, une vingtaine de boîtes-aux-lettres joyeusement peintes. Sur un chevalet en leur centre, des cartes postales attendaient les voyageurs. L’envoi était gratuit. Il suffisait de remplir la carte.

Entre une tasse de thé, un café crème et un cruel manque de sommeil nous avions aimé l’idée de poster des cartes aux filles. Sans trop savoir quand elles arriveraient à destination. Forcément après nous, puisque nous atterrissions à Roissy quelques heures plus tard.


J’avais posté chaque lettre dans une boîte différente. Des oiseaux rêveurs, d’un bleu qui invite au voyage dans les nuages pour Églantine. Un cœur rouge vif, ailé, et des roses carminées pour Hortense.
Souvenirs de voyage. Quand l’art illumine un interminable trajet, distillant un mois et demi plus tard un peu de joie au cœur de l’hiver.

Du cinéma grand spectacle avec Coco au Grand Rex

Habiter en banlieue parisienne, ce n’est pas uniquement se délecter de la grisaille humide et du froid acrimonieux ponctué de vent. C’est aussi profiter d’un cinéma mythique dont la grande salle est une poésie à elle seule, le Grand Rex.

En quelques stations de RER, nous voici au cœur de Paris, derrière Saint Eustache qui laisse enfin tomber ses échafaudages. La pierre claire dernièrement mise à nue, débarrassée de son voile de noirceur urbaine, chatoye sous le soleil d’hiver.

Dans la rue Poissonnière, à l’angle des Grands Boulevards, une file infinie s’étire sur le trottoir étroit. Manteaux et doudounes, bonnets et écharpes, tous les âges attentent patiemment l’ouverture de la grande salle. Il faut savoir arriver tôt pour avoir les meilleures places sous la voûte étoilée de la grande salle.

Les filles découvrent, éblouies, ce cinéma des années 30 qui a su traverser les époques sans perdre son âme. Dans les confortables fauteuils décatis, sous les stucs de style antique, nous allons assister à la représentation de Coco, le dernier Disney.

Quand la lumière s’éteint, l’arcade de la scène s’illumine de couleurs vives. Bientôt, la Féérie des eaux commence. Les jeux de lumières et de fontaines jaillissent de tous côtés. Des squelettes lumineux dansent sur les murs. Les mains se tendent pour attraper les milliers de bulles propulsées dans la salle et les serpentins qui tombent du plafond.

Sommes-nous vraiment au cinéma ? Ou dans un monde magique qui façonne des sourires sur tous les visages. Car à cette heure, nous sommes tous des enfants émerveillés.

Quand débute enfin la projection, les couleurs et la musique mexicaines prennent la relève. La transition est douce. Et l’on voyage avec Miguel dans le monde étincelant des ancêtres.

Quand nous rentrons sous les guirlandes de la rue Montorgueil, nos pas dansent sur les pavés, encore rythmés par ce film enthousiasmant.

A la rencontre de Bernard Prou, écrivain

Il est des rencontres qui stimulent les énergies. Ce sont souvent les plus inattendues. Comme celle avec Bernard Prou, en ce début du mois de décembre.

Vendredi début de soirée. Grosses bottes, doudoune épaisse, gants, bonnets, je n’ai rien oublié. Je vais chercher Hortense qui doit bientôt revenir de la piscine. Il est encore un peu tôt. Et si je passais à la librairie ? J’ai reçu le livret scolaire d’Hortense une heure plus tôt. Il est excellent. Je vais lui acheter un livre pour la féliciter.

Yesim, qui passe une semaine chez nous, est enchantée par l’idée. Les pompons de nos bonnets ondulent vivement dans la rue. Les lumières de la joyeuse vitrine d’Inkipit nous font oublier les voitures trop pressées qui bataillent à touche-touche sur l’avenue, dans les vapeurs des pots d’échappement cristallisées par le froid.

Je n’ai pas beaucoup de temps. Juste celui de saluer Oriane, la jeune libraire et je me précipite au fond de la librairie, section enfants. Mais au lieu des tables recouvertes d’albums colorés, un petit groupe discute autour d’un vieux bonhomme en barbe blanche. Le Père Noël ?

Aude se lève immédiatement pour me recevoir. Elle me remercie d’avoir pu venir. Mais non, je n’ai pas suivi les dernières publications de la page Facebook de la librairie. Et j’ai laissé passer les mails d’un œil distrait. Moi je cherche juste un album pour Hortense. Aude, libraire passionnée, ne perd ni son sourire, ni sa bienveillance, et me dégote une petite perle.

Elle me sait cependant curieuse et m’explique la présence de cette auguste barbe blanche au milieu des couvertures bariolés des livres jeunesse. Là, bien calé dans le moelleux d’un fauteuil club, Bernard Prou prend le temps de raconter la genèse de son dernier roman, « Délation sur ordonnance ». Je suis ferrée. Un auteur qui se raconte, qui dévoile les dessous de l’histoire, qui émaille son récit d’anecdotes savoureuses… Comment résister ?

Cependant, l’horloge est formelle. Le bus d’Hortense se faufilera bientôt entre les voitures mal garées devant l’école. Je file. Je promets de revenir au plus vite. Enfin, je ferai de mon mieux. A tout à l’heure !

J’ai hâte. Mais dans ces cas-là, le temps est facétieux. Hortense doit dire au-revoir à ses amies. Une maman bouche le trottoir avec ses enfants. Elle s’est arrêtée pour les soulager de leurs cartables. Attendre le feu vert qui nous ouvrira la voie au sein du flot lumineux des phares des voitures sur l’avenue. Descendre la rue jusqu’à la maison. Écouter les babillages des enfants. Tenter de repartir immédiatement pour la librairie en laissant tout le monde à la maison.

Finalement, nous repartons toutes les quatre pour la librairie. Yesim, toujours curieuse de culture, Églantine, toujours curieuse de l’autre, Hortense, toujours curieuse d’avoir un nouveau livre, et moi, toujours curieuse de création.

Notre arrivée double le nombre des auditrices. Aude déplie des chaises. Gants, bonnets et écharpes trouvent une place autour des livres de Bernard Prou. Nous prenons le train en marche. Et quel train ! Un long voyage vers l’ailleurs qui happe le promeneur. Il devient bourlingueur.

Nous sommes à Pau, avec un médecin antisémite dont le seul ami n’est autre que Céline. Mylène, du blog Cousines de lecture, éclaircit pour Églantine les zones encore floues de ses connaissances de préadolescente. Nous sommes en pleine seconde guerre mondiale. Le médecin écrit une lettre de délation sur une de ses ordonnances. L’effet papillon se déploie sur le destin des protagonistes du roman.

Bernard Prou a recherché les traces des faits et des émotions. Il a rencontré, parlé, questionné. Cet ancien professeur de physique-chimie invente des histoires mais pas des faits. Cette lettre, cette « délation sur ordonnance », elle existe. Il sort un vieux papier jauni. Il a changé les noms dans le roman. Cette lettre, il l’a trouvée dans des vieux papiers chinés sur un marché.

Bien sûr, à l’heure où j’écris ces lignes, j’ai ses deux romans sur ma table de nuit. Dédicacés. Vous, vous êtes sur Facebook ? me demande-t-il au moment de signer. Alors je vous note mon nom pour Facebook. Alexis Soumachedchi. C’était le nom du héros de son premier roman. Soumachedchi, un mot russe qui veut dire fou. Celui qui est sorti de sa tête. On sent d’ailleurs chez Bernard Prou un respect de la folie. De ce moment qui fait sortir du quotidien et de l’ordinaire.

Cette folie qui fait basculer vers la création. Comme quand il a pris ses ciseaux pour finir d’écrire « Délation sur ordonnance ». Il s’était attaché à raconter la vie de ses personnages, l’un après l’autre, en parallèle. Passionnant pour l’auteur. Illisible pour de futurs lecteurs. Bernard Prou s’est transformé en Matisse littéraire. Il a pris ses ciseaux. Coupé les vies de ses personnages et les a imbriquées les unes dans les autres. Révélation. Le livre était né. Il a encore es yeux qui brillent alors qu’il finit de narrer cette anecdote.

Mais revenons à Alexis Soumachedchi. Car finalement le roman s’appelle « Alexis Vassilkov ou la vie tumultueuse du fils de Maupassant ». Une jour, Bernard Prou apprend qu’il est impossible que son héros s’appelle Soumachedchi. Raisons culturelles contre lesquelles il ne peut rien. Sans nom, son héros est mort. Jusqu’à ce qu’il le renomme Vassilkov. Il y a derrière ce nom encore une histoire de train, de rythme sur les rails, une anecdote savoureuse. Mais il fallait être là, je ne peux pas tout vous raconter.

Son héros reprend vie et Bernard Prou termine son roman. Il l’envoie à tous les grands éditeurs. Refusé. Il s’édite à compte d’auteur et parcours la France pour placer son livre chez les libraires. Ils sont 400 à l’avoir soutenu, dont Aude, chez Inkipit. Dont la Griffe Noire à Sceaux, qui scellera son succès. Ensuite, ce sont les éditions du Livre de Proche qui le démarchent. Et qui nous permettent aujourd’hui de trouver facilement « Alexis Vassilkov ou la vie tumultueuse du fils de Maupassant ». Les grands formats de l’édition originale sont collectors.

Toutefois, Bernard Prou a gardé une affection particulière pour Alexis Soumachedchi. Si bien qu’aujourd’hui, ce personnage est l’avatar de Bernard Prou sur Facebook. Car finalement, ce Soumandchedchi qui sort de sa tête, c’est lui.

Son deuxième roman est édité par Anne Carrière. Après le succès d’Alexis et son édition au Livre de Proche, elle était venu le trouver. Elle était décidée, le prochain roman de Bernard Prou serait édité chez elle. Le jeune auteur à la barbe blanche ne boude pas son plaisir. Même s’il garde toujours une affection particulière pour Le Livre de Poche. Il a encore en mémoire la couverture du premier, Koenigsmark, dans les années 50. Enfin des livres à bas prix qui ont pu démocratiser la lecture ! Pour Bernard Prou, être publié en Livre de Poche est un consécration de valeur, car elle fait sens à sa vie.

Cette soirée imprévue (pour moi) passe ainsi au rythme des anecdotes de Bernard Prou. Et nous pourrions rester encore à l’écouter pendant des heures. Mais Hortense s’impatiente. Elle a faim. Églantine se lève à 7h le lendemain. La librairie doit fermer. Et Alexis Soumachedchi est attendu ailleurs.

Quelle chance qu’il ait pris le temps de passer quelques heures chez Inkipit. Demain, il sera à la FNAC du Créteil Soleil. Avec sa barbe blanche et sa bonne humeur, il se glissera sous les néons au milieu des sélections de Noël. C’est la rançon du succès.