Giselle, sans effacement

Les deux spectacles allaient ensemble dans la programmation de l’Azimut. Après Phèdre !, nous sommes allés voir Giselle… . Avec trois points de suspension. L’auteur de cette comédie-ballet est aussi François Gremaud. Il accueillait d’ailleurs le public à l’entrée de la salle. Pour qui le reconnaissait, il était même possible d’échanger quelques mots avec lui.

Je lui ai transmis la joie d’Eglantine en découvrant les mots que Romain Daroles lui a dédiés. La veille, j’étais allée glaner cette dédicace lors des ultimes répétitions de Phèdre ! à l’Azimut .

La joie est justement un des sentiments qui sous-tend cette conférence dansée par Samantha van Wissen, accompagnée de quatre jeunes musiciennes. Flûte traversière, violon, harpe et saxophone inondent la scène alors que la danseuse la peuple des nombreux personnages de ce ballet de Théophile Gautier et Henri de Saint-Georges, composé par Adolphe Adam.

Samantha van Wissen explique, montre et accompagne les différents mouvements des danseurs et danseuses de ce ballet. Elle réussit à nous plonger dans le décor romantique d’une Allemagne idéalisée et à interpréter les émotions de chaque rôle, tout en parvenant à recréer, seule, la réalité d’une troupe de trente-deux Willis. Je suis persuadée avoir vu les quatre lignes de deux fois quatre danseuses – tout en symétrie.

Dans le livret qui accompagne le spectacle, François Gremaud explique les trois points de suspensions comme

Ce signe de ponctuation qui, dans la littérature romantique, traduit l’inexprimable, extériorise sans les nommer les états d’âme d’un sujet sensible et exprime l’ineffable émotion.

Samantha van Wissen est une conteuse enjouée qui donne vie à ces points de suspension. Sans pour autant s’éclipser totalement derrière eux, contrairement au jeu de mot auquel son nom se prête. Van Wissen, en néerlandais, signifie « d’effacement ». Sa présence sur scène est tangible, sensible et rayonnante.

En écoutant cette interview de François Gremaud sur France Culture, j’ai appris qu’il écrivait chacun des spectacles de cette trilogie pour son interprète. J’imagine que c’est ainsi qu’il obtient une aussi grande fluidité dans leur jeu.

J’espère avoir l’occasion un jour de voir Carmen avec Rosemary Standley.

En attendant, je désire moi aussi, avec cette Tasse de Thé transmettre, en toute humilité, mes émerveillements.

Enfin, comme avec Phèdre !, le texte de l’œuvre nous a été distribué peu avant la fin. Encore une fois, le jeu s’est alors répandu dans les gradins à l’invitation de l’auteur.

On y découvre également un site où écouter toutes les musiques du spectacle : http://www.giselleke.ch. Tout en relisant le texte. Bien sûr, il faudra faire preuve d’imagination pour retrouver le délicieux accent de Samantha van Wisse et il nous manquera son corps souple et tonique. Pour cela, il faudra retourner voir ce spectacle.

Phèdre !

Nous l’avions repérée dans le programme de l’Azimut. Phèdre, avec son point d’exclamation, nous la connaissions déjà. Pas celle de Jean Racine, tragédienne en alexandrin. Non, celle de François Gremaud, qui se cache dans le point d’exclamation et dans l’admiration de son auteur pour la pièce de Racine.

Phèdre !

Un seul en scène où Romain Daroles fait un tour chez les Grecs, suit les détours de la mythologie et remonte les arbres généalogiques pour situer la tragédie de Racine. Sous prétexte de parler de la pièce, il la raconte toute entière, avec humour et respect, admiration et modernité, décalage et déférence.

Son seul accessoire ? Le livre de la pièce. Celle de Gremaud, pas celle de Racine. Le petit ouvrage de couleur crème, où le titre se détache en grosses lettres rouges, sert de houppette pour Hippolyte, de couronne pour Phèdre et de barbe pour Théramène, tout en simulant la toge de Thésée sur son épaule.

Romain Daroles joue tous les personnages. Œnone a un accent marseillais et aime Bourvil. Hippolyte ne dépareille pas avec les ados présents en nombre dans la salle. Théramène, fatigué par son grand âge, halète derrière sa barbe. Panope tente d’attirer l’attention en coulant des œillades enjôleuses au public lors de ses rares interventions. Mais non, décidément, Racine ne lui a pas donné beaucoup de texte et on lui fait comprendre qu’elle doit sortir de scène. Elle s’exécute en renâclant. Phèdre, stature altière mais expression légèrement ridicule, traîne l’amour honteux qu’elle éprouve pour Hippolyte comme un bagnard son boulet, concentrée sur ses multiples tentatives de se donner la mort. Enfin, Thésée est un macho à la démarche de cowboy et à la bêtise viriliste et revancharde. Il revient des enfers en hurlant « Back from heeeeeeeeell ! » tel un rappeur hardcore new-yorkais.

On rit, on découvre, on apprend, on savoure, on part en voyage dans l’imaginaire de la mythologie, de Racine et de Gremaud. Une superbe réussite qu’Eglantine était contente de partager avec nous et son ami Calixte.

Il y a quelques années, alors qu’elle tentait tant bien que mal de rattraper ses cours de français, elle devait lire Phèdre. Je cherchais alors une solution pour éviter la fatigue de la lecture. J’avais trouvé la vidéo de ce spectacle. Elle n’avait finalement jamais lu la tragédie de Racine mais s’était régalée de cette comédie, au demeurant fort instructive. Elle en avait gardé un si bon souvenir qu’il était hors de question de rater son passage au théâtre d’Antony.

Et, pour ne rien gâcher à notre plaisir déjà complet, le livre est offert à tous les spectateurs de la pièce. Tout le monde pouvant lire en chœur les deux dernières pages. Le jeu se transmet à la salle. Chacun devient acteur. Les cheveux gris comme les collégiens et lycéens venus en nombre avec leurs professeurs ce soir, donnant tout son sens au spectacle vivant et au partage qu’il génère. Oui, les ados sont bruyants, mais les entendre rire, réagir et interagir avec l’acteur fait partie de la vitalité nécessaire à la culture. Celle-ci ne doit pas être un sanctuaire mais un lieu de vie.