La nuit est tombée

Des voix résonnent dans les jardins voisins. Le soleil disparaît derrière les pierres claires de l’église romane. Les derniers rayons s’éteignent dans les roses trémières, fers de lance d’un jardin abandonné. Les herbes folles aux petites fleurs sauvages ont envahi la pelouse. Les arbres ont étendu leurs branches qui frémissent dans le vent du soir. J’ai trouvé deux nids sous un rebord du toit. J’ai ouvert toutes les fenêtres de la maison de ma maman.

Je comprends qu’elle ait tant aimé cet endroit au milieu des vignobles du Cognac. Chemins blancs qui courent entre les rangs de vignes dans la lumière douce du sud-ouest. Sa maison était le nid qu’elle s’était construit, réceptacle de toutes ses histoires, vécues ou inventées, de ses rêves et de ses dénis.

Depuis deux ans, je découvre ses failles, abyssales, cachées derrière des décors de carton-pâte. Un toile de fond qui m’avait finalement toujours contentée et derrière laquelle je n’avais jamais creusé. Des sentiments confus, enfouis, ont fait surface. Une déception immense, une colère intense. Reflets d’un amour filial indéniable qui, pourtant, ne rend pas le pardon plus facile.

Elle est allée au bout de la pièce de théâtre qu’elle a jouée toute sa vie, ne se dupant finalement qu’elle-même. Depuis quelques mois, elle vit près de nous, ne s’occupant plus de rien. Elle a retrouvé le sourire, promène son petit chien, lit, retisse des liens sociaux. Parkinson et démence lui permettent d’effacer l’ardoise des paroles acerbes et des actes manqués.

Demain, je lui apporterai ses vêtements d’été et quelques petites choses de sa maison. Bientôt les jardiniers viendront débroussailler et élaguer. La maison sera vendue. Il va falloir la vider. Sans elle. Revenir ici serait trop violent.

La nuit est tombée. Le clocher fait vibrer l’heure bleue qui précède l’obscurité. J’ai hâte de quitter cet endroit et de reprendre mon souffle.