Quand l’eau délie les langues

6h30, je remplis la bouilloire pour préparer le thé. Le robinet hoquette puis reste parfaitement sec.

Depuis trois semaines, la rue est en chantier. Des ouvriers refont la canalisation d’eau sur toute la longueur de la rue. Mais le chantier est à l’arrêt entre 17h et 8h…

On diffère les douches et je prépare le thé avec l’eau qui reste dans un bouteille au frigo.
Je sors dès que j’aperçois les gilets oranges fluo des ouvriers dans la rue. Je ne suis pas la seule. Tous les voisins émergent de leurs maisons, visages interrogatifs, chiffonnés par un réveil à sec.

L’ancienne canalisation a lâché vers 5h ce matin. Une équipe est déjà arrivée pour les réparations. Ils vient d’installer un point d’eau en face du restaurant italien au début de la rue. Déjà, un voisin revient avec deux seaux remplis d’eau. Chacun rentre chez soi à la recherche de contenants pour rapporter de quoi tirer les chasses d’eau, faire un brin de toilette et préparer le café du matin.

Une procession d’hommes et de femmes avec des arrosoirs, des seaux ou des caddies chargés de carafes et de bouteilles se relaye au bout de la rue. Les conversations s’engagent. L’ambiance est bonne enfant même si certains sont excédés. A croire que le monde leur veut personnellement.

Ce soir, l’eau n’est toujours pas revenue. Des ouvriers Veolia sont occupés à scier la canalisation pour mieux la réparer. Chirurgiens des tuyaux. Alors docteur, elle va s’en sortir ? L’eau courante va sortir de son coma ?

Deuxième voyage avec les arrosoirs et la bonbonne d’eau.

On réfléchit à demander l’asile hygiénique chez des voisins dont la rue n’est pas touchée. On irait bien prendre une douche chez eux.

Quand je pars à mon atelier d’écriture, l’eau n’est pas encore revenue. Il fait déjà nuit quand Eglantine m’appelle pour partager son enthousiasme. L’eau est revenue !

Plus de quatorze heures sans eau permettent d’apprécier le confort de l’eau courante à domicile, l’énormité de notre consommation, l’utilisation incessante de l’eau tout au long de la journée. Laver un fruit, se laver les mains après être allé aux toilettes, avant de manger, après le repas, en rentrant à la maison…

Pas de lessive. Pas de vaisselle. Peu de cuisine pour éviter de laver les légumes et réduire la vaisselle.

Mais des discussions joyeuses avec les voisins et voisines autour du robinet sorti du trottoir le temps de notre mésaventure.

Notre confort moderne, eau courant, électricité, etc… nous permet une autonomie individuelle, réduisant les occasions de faire société, de tisser des liens ou même, simplement, de se croiser.

Non, je ne milite pas pour le retour des lavoirs.

Mais je suis confortée dans la nécessité de créer des lieux où remettre le lien au centre des préoccupations. Comme le font les Petites Cantines.

Justement, hier soir, nous avions une Cantine Ephémère. Des rencontres, des discussions, des sourires autour d’un bon repas partagé.

La vie a besoin de fluide, les rencontres de coulent pas de source. Il faut parfois les provoquer, sans attendre la panne sèche.