Assumer le silence

Borda de Lia Rodrigues transforme le silence en un partenaire de danse, rendant chaque bruit de la salle partie intégrante du spectacle. Entre lenteur hypnotique et explosion carnavalesque, le voyage est sensoriel. Personne ne reste indifférent.

Un spectacle de danse sans son, ça crée un certain malaise. Pourtant, assumé et travaillé, ce silence devient hypnotique, chaque mouvement est scruté, de références picturales en rappels du cinéma muet, la danse devient théâtrale.

D’abord, la salle est plongée dans le noir.  Une forme blanche se distingue à peine dans la pénombre du plateau. Le public bruisse de murmures. Incompréhension. Mécontentement. Abattement de se retrouver coincé dans ce silence inattendu. Chut ! Répondent ceux que cette scène sans bruit, et presque sans mouvement, ne dérange pas.

La forme bouge à peine. Elle prend vie. Elle gonfle et s’étire dans une lenteur aussi lourde que l’absence de musique. Chaque quinte de toux emplit l’espace. Chaque croisé ou décroisé de jambe. On entend jusqu’aux gargouillis d’estomac.

Je repense alors à cette émission de radio où une journaliste s’extasiait du silence régnant dans un réserve ornithologique. « Je ne trouve pas cela silencieux », avait répondu le spécialiste des oiseaux en face d’elle. Nous, auditeurs qui n’avions pas l’image, entendions en effet les cris des volatiles, le sifflement du vent et les vagues qui se fracassaient au loin.

Le silence, avec huit cents personnes dans une salle, n’existe pas. Il me semble alors que ces bruits sont autant de perturbations qui font partie du spectacle. Pas de musique mais la présence sonore d’un humanité plurielle.

Sur la scène, une grande bâche en plastique blanc attrape la lumière. Roulée, froissée ou tendue, elle évoque une chrysalide étrange et fantastique. Hypnotique. Les bruits du public sont les signes uniques de l’humanité présente dans la salle. On sait que des danseurs respirent sous la masse de plastique et de tissu, que leurs cœurs battent, que leurs muscles sont crispés dans d’interminables pauses ou des mouvements d’une lenteur extrême. Mais aucune forme humaine ne se dégage, laissant toute la place à une imagination contemplative.

Petit à petit, des visages apparaissent. Tâches sombres dans la blancheur originelle. Dans le public, les quintes de toux se sont espacées. Comme si chacun avait enfin trouvé sa place dans ce spectacle aux portes de l’irréel.

Borda, de la brésilienne Lia Rodriguez, est un spectacle qui joue avec les limites. Entre le surnaturel et le banal (la bâche en plastique), entre le magique et l’ordinaire (les visages des danseurs exacerbent des émotions humaines bien connues), entre la vie et la mort, entre la douceur et la violence, entre l’ailleurs et l’ici, entre l’autre (les danseurs) et nous, entre l’amour et la haine, entre les corps voilés et la peau nue.

Le silence est remplacé par les froissements du plastique. Puis des murmures et des plaintes humaines, à peine audibles. Les pleurs d’un bébé. Enfin, les corps des danseurs rebondissent à travers toute la scène, les pieds claquent, les cuisses frappent, les mains clapent. Le tapage de la vie envahit la salle. Les tousseurs sont enfin inaudibles.

Quand les tambours résonnent pour la première fois, le silence est déjà loin. La fin du spectacle est un feu d’artifice. Les costumes prennent des couleurs, brillent de mille paillettes. On est au carnaval de Rio. On est dans le foisonnement magique de la forêt tropicale. On est dans une tribu ancestrale. Dans un chamanisme joyeux et exaltant.

Photo de Sammi Landweer, prise sur le site de l’Azimut.

Enfin, la troupe se resserre, se ramasse littéralement puisque tous les éléments qui ont volé à travers la scène sont regroupés, réinsérés dans la grande bâche en plastique blanc. Les danseurs disparaissent à nouveau sous une forme mystérieuse, surnaturelle. Ça et là, des tissus colorés lacèrent pourtant la blancheur initiale. Comme une trace de cette expérience extraordinaire vécue avec les danseurs.

Leurs visage réapparaissent par-dessus la bâche. Dieux antiques scrutant les pauvres êtres humains depuis l’Olympe. Le noir revient. Seules scintillent encore les paillettes des coiffes extravagantes de nos dieux de pacotille. Flammes d’esprits malicieux que l’on envie de suivre dans la nuit.

Le silence revient. Et l’on hésite un peu avant d’applaudir. On n’a pas vu le temps passer. Est-ce vraiment fini ?

Alors, la salle explose de viva. Quand le rideau tombe, les commentaires fusent. Les enthousiastes et les dubitatifs. Ceux qui se sont laissé emporter. Ceux qui n’ont pas compris l’histoire. Faut-il une histoire pour être embarqué dans des émotions ? Une chose est sûre, personne n’est resté indifférent.

Borda, de Lia Rodrigues, c’était à l’Azimut le mercredi 24 septembre 2025 dans le cadre du festival Paris d’Automne.

Pour voir plus d’images du spectacle (j’en ai piqué deux de Sammi Landweer sur le site de l’Azimut), je vous conseille de consulter la galerie de photos du même artiste sur le site du Théâtre de Chaillot.

Insouciance nocturne

Douceur d’une nuit de printemps charmée par l’atmosphère de joyeuse fantaisie d’un spectacle de cirque.

Que les nuits de printemps peuvent être douces. Mon vélo file dans l’ombre dorée des rues désertes. Je viens de quitter l’Espace Cirque, l’orbe lumineux du chapiteau, les mélodies partagées autour d’une bière entre les derniers éclats du public, les équipes de l’Azimut, les techniciens et les artistes. Les accents qui se mélangent, chatoiements musicaux du sud et flâneries voyageuses de l’au-delà des frontières.

On a cherché les paroles sur les téléphones. Le guitariste a accompagné les belles voies, les fausses notes, les envolées enthousiastes, les hésitations marmonnées. La tessiture veloutée de la chanteuse s’est tue peu à peu. Le karaoké improvisé a remplacé le concert de Sarah et les keurs sauvages. Sfumato musical sous les guirlandes lumineuses.

Olivier et Églantine sont rentrés après le spectacle du cirque Aïtal, A ciel ouvert. Un cirque sans chapiteau. Les gradins sont répartis dans des caravanes pleines de surprises. Campement nomade dont le cercle délimite la piste. Cercle poreux puisque le jeu est permanent entre intérieur et extérieur.

Les portes des roulottes sont autant de passages secrets vers un imaginaire foisonnant. On y croise des poules et des canards, des cuivres de toutes les tailles, une contrebasse, un violon et autres accessoires insolites. Des palombes s’envolent tout comme cette acrobate aux muscles fermes et aux lignes délicates qui s’élève jusqu’au ciel, légère comme une plume, fière comme la liberté, envoutante, drôle, souveraine.

Elle est aussi menue que son partenaire est colossal. Géant aux boucles brunes, barbe broussailleuse. Ses jambes sont des colonnes doriques, ses bras des grues puissantes. Et pourtant… c’est de la douceur qu’il susurre aux oiseaux,  de la légèreté lorsqu’il s’échappe vers le ciel, se métamorphosant en nuées de plumes virevoltantes.

Duo tout en équilibre poétique et fantaisiste. Entouré de personnages loufoques, musiciens autant qu’acrobates, diffusant une atmosphère suspendue entre ciel et terre, merveilleux et prosaïque.

Mon vélo file dans la nuit et dans ma tête vibrent encore ces étoiles de bonheur. A la maison, des scouts se sont installés dans le jardin. Hortense les a rejoint après sa séance de plongée. Murmures de voix sous le bruissement des arbres.

Insouciance nocturne qui absorbe les contrariétés de la semaine. Magie de ces vies qui se croisent et se réchauffent. Dans une maison de famille, sous un chapiteau, une roulotte, une toile de tente ou la voûte céleste.

Peau d’homme, gourmandise théâtrale

Peau d’homme au Théâtre Montparnasse avec Laure Calamy. Un voyage entre rires et réflexions sur l’identité, la sexualité, les injonctions de la société et l’amour.

Le temps est presque trop beau pour s’enfermer dans un théâtre en cet après-midi dominical. Mon vélo roule joyeusement jusqu’au théâtre du Montparnasse. Les terrasses bruissent de murmures ravis et de rires libérés un instant de la chape de grisaille permanente. Je glisse tant bien que mal ma fidèle monture entre deux arceaux trop serrés – les concepteurs de parking vélo pensent largeur des roues et oublient le guidon, les pédales et les éventuelles sacoches. Mais c’est un autre sujet.

La rue de la Gaîté porte bien son nom. Sous la corniche richement décorée, les trois baies vitrées et les deux cariatides aux seins nus de la façade du théâtre, le nom de l’actrice parade en lettres lumineuses. Laure Calamy. Elle est la tête d’affiche de la pièce de Léna Breban, Peau d’homme.

Alors que ma petite famille dévale les pentes enneigées, je me suis offert un plaisir théâtral solitaire. Fauteuil d’orchestre dans une mer de velours rouge, stucs dorés et balcons voluptueux. Veuillez éteindre vos téléphones portables. La salle est plongée dans l’obscurité.

La salle se remplit tranquillement. Plus un siège vide au lever du rideau.

Nous voilà immédiatement transportés dans un temps lointain, une époque incertaine qui tient plus de la projection onirique que de la réalité historique. Une Renaissance rêvée. Des sculptures aux formes généreuses dans une Italie à la douceur lumineuse.

Bianca guette l’arrivée de son fiancé, le beau Giovanni. Son vœu le plus cher serait de le connaître un peu avant de l’épouser. Sa marraine – l’éclatante Samira Dedira, mon personnage préféré – lui révèle alors un secret que les femmes de la famille se transmettent de génération en génération : une peau d’homme.

Celle qui l’enfile se transforme alors en garçon, avec tous les attributs physiques de la virilité. Comment ne pas exploser de rire devant la performance de Laure Calamy – Bianca – devenue Lorenzo, quand il découvre cet appendice long et mou pendouillant entre ses jambes. Quand elle doit apprendre à marcher comme un homme, comme si le sol lui appartenait, et oublier les pas légers et feutrés des femmes.

La pièce se poursuit sur un rythme haletant, cadencé par les chansons écrites par Ben Mazué. On part à la découverte du monde masculin. On y rencontre les questions de quête d’identité, de la place de femmes, des injonctions de la société, des esprits fermés, de la joie de vivre, du respect de l’altérité. Beaucoup de questions actuelles traitées par le prisme d’un conte décalé.

Il y a de la folie et du drame, du rire et du cabaret, de l’amour et des couleurs. On en ressort l’optimisme chevillé au cœur et l’envie de croquer la vie.

Quand je reprends mon vélo, un jeune homme décroche le sien en fredonnant un air de la pièce. Sourires complices.

Sur le chemin du retour, la nuit est en train de tomber mais j’ai encore du soleil plein la tête. Comme un goût de sucre guilleret qui reste en bouche.

Deux jours après, je dévore la BD à l’origine de cette pièce, Peau d’homme de Hubert et Zanzim aux éditions Glénat. Pour revivre le plaisir alors que la pluie tombe drue.

20 ans de cirque contemporain, ou l’équilibre fragile d’une bulle

Vision personnelle du cirque contemporain à l’occasion des 20 ans de l’Espace Cirque de l’Azimut.

« Préserver du vide et du fragile pour que naisse la poésie du cirque »*, telle est la proposition de l’Espace Cirque à Antony. Quelle idée délicieusement folle à une époque et dans une région où la population se densifie, où les relations se crispent et où le mètre carré vaut de l’or.

Le vide, telle une bulle lyrique, écrin de l’éphémère beauté d’un chapiteau.

De mon enfance, j’ai gardé le souvenir d’un cirque flamboyant. Du rouge pompier. De l’or éclatant. Des étoiles, des strass et des paillettes. L’attirail pour en mettre plein la vue. Je devais avoir dix ans quand mon oncle nous emmena voir le cirque Pinder. La grande esplanade des Quinconces à Bordeaux. Des éléphants et des tigres parfaitement dressés. Se tordre le cou pour suivre le balancier des acrobates tout en haut du chapiteau. J’avais des étoiles plein mes yeux d’enfant. J’ai gardé longtemps le petit drapeau à l’effigie du cirque que mon oncle m’avait offert en souvenir.

Mais le cirque, une fois adulte, je n’y ai que rarement remis les pieds. Il y a eu notamment cet été dans le sud de la France. Un petit chapiteau sur un parking et des voitures qui sillonnaient la ville, haut-parleurs grésillant les dates des prochaines représentations et des affiches avec toujours la même tête de clown. Nous avons pris des places pour occuper les enfants. Un zèbre perdu sur la piste. Un tigre de mauvaise humeur. Un lama déboussolé et des numéros sans surprise ont eu raison de mon envie de cirque.

Aujourd’hui, on n’autorise plus les lions en cage et les éléphants sur des tabourets. Ni aucun animal sauvage. Tant mieux. Restent les femmes et les hommes pour faire vibrer nos cœurs. J’ai eu l’occasion de voir trois fois le Cirque du Soleil. Du spectaculaire. Des univers extraordinaires. Des prouesses acrobatiques. On en prend plein la vue. Mais aussi plein le porte-monnaie. On est loin de l’après-midi d’été à combler pour enfants désœuvrés.

Que reste-il entre le parking de la zone péri-urbaine et le show sous chapiteau géant ? La bulle fragile du cirque contemporain, en équilibre entre la société ordinaire et la fantaisie créatrice.

Depuis que je travaille à l’Azimut, je découvre l’étendue de cet art fugace aux confins du théâtre. Les circassiens embarquent les spectateurs dans une atmosphère où jouent autant la subtilité des sentiments que les prouesses artistiques.

Lundi, l’Azimut fêtait les vingt ans de son Espace Cirque. Un terrain vide sur lequel dorment toujours quelques caravanes aux habitants intermittents, un petit chapiteau pour la restauration et un module en préfabriqué qui sert de bureau administratif. De l’architecture éphémère. Chaque compagnie structure cet espace à sa façon, modulant le plein et le vide pour écrire des univers fantastiques.

Ce mois-ci, je suis allée voir deux spectacles coup sur coup. Vendredi soir, au théâtre Firmin Gémier, Antigone de Sophocle, mis en scène par Laurence Cordier. Dimanche après-midi, à l’espace cirque, Sono io ?  de Circus Ronaldo.

J’ai été conquise par l’actualité du texte de Sophocle et la scénographie de la pièce, le travail sur les lumières, le gravier noir qui tombe régulièrement du ciel, sablier inexorable qui noie les personnages dans le deuil. Mais je n’ai pas été saisie par l’émotion des sentiments. Je suis restée spectatrice admirative de la performance, sans entrer réellement dans la pièce.

Alors que sous le petit chapiteau du Circus Ronaldo, j’ai été emportée dans l’univers merveilleux et absurde de ce père et ce fils qui s’aiment sans se comprendre, se cherchent sans se trouver, s’observent sans se regarder. Une histoire de passation autant que d’émancipation, d’un héritage aussi délicat à transmettre qu’à recevoir. Comment construire sa propre place avec ce que nous donnent nos parents. Comment accepter la singularité de son enfant. Une rêverie poétique où l’acrobatie n’était qu’un moyen de raconter une histoire.

Finalement, c’est cela le cirque contemporain. Un cirque qui raconte des histoires. Alors que les numéros se succédaient dans une ambiance fantaisiste et festive pour cet anniversaire, je pensais à Molière et à ce théâtre itinérant qui écumait les villes et jouait dans les foires, loin des salles luxueuses des théâtres d’aujourd’hui.

Je trouve merveilleux que des structures telles que l’espace cirque d’Antony permettent de préserver ces parenthèses d’évasions vagabondes et joyeuses. Et je m’estime extrêmement chanceuse de participer à cette aventure incroyable, même à mon échelle microscopique.

📸Pour de bien meilleurs images que celles prises avec mon téléphone, je vous invite découvrir les photos de Joseph Banderet. Elles sont magnifiques !

🎪Pour aller voir les prochains spectacles à l’Espace Cirque ou dans les autres lieux de l’Azimut, demandez le programme !

Le programme des 20 ans de l’Espace Cirque d’Antony

*Extrait du discours de Marc Jeancourt et Delphine Lagrandeur à l’occasion des vingt ans de l’Espace Cirque.

Frère(s), une gourmandise à partager

Des jours que les mots dansent dans ma tête mais que je repousse le moment de les fixer dans un texte. Enfin, aujourd’hui je prends le temps de vous parler de Frère(s).

Fourneaux, foot et amitié

Les deux acteurs incarnent deux adolescents qui se rencontrent dans un CAP de cuisine. Tout les oppose. Le petit nerveux, le grand délicat. Le prolo, l’aristo. Le sans nom, le fils d’un grand chef. Le fan de foot, l’inconditionnel du yuzu. Le bagarreur, le rêveur. Le besogneux, le créatif. Le spartiate, l’esthète.

Leur amitié naît dans cette zone trouble de l’adolescence, à ce moment charnière où chacun cherche son identité et rêve de réussir sa vie. Entre violence et bienveillance. Dans les silences de mots qu’on ne sait pas dire, dans cette bulle d’affection masculine, entre respect, curiosité et vexations. Dans la fournaise des cuisines, les brimades des profs, les humiliations des brigades ou dans l’ambiance carnassière des tribunes, les deux amis construisent leur avenir.

Les grands thèmes classiques

Comme dans les grandes tragédies classiques, il est question d’amour (l’amitié n’en est-elle pas une de ses nombreuses formes ?), d’héroïsme (les cuisiniers, héros anonymes des restaurants, routiers ou gastro), d’honneur (honneur d’un métier, honneur d’un nom, honneur d’un ami dont on prendra la défense, ou pas) et de destin. La jalousie sème ses mauvaises graines.

La comédie lie l’ensemble du récit. Ridicule du quotidien, des batailles d’égo, des petites hypocrisies, du mépris ordinaire qui rabat la voile des grands rêves, de la prétention qui berce les illusions et écrase la camaraderie. Absurdité des ces hommes transformés en machines dans les cuisines des étoilés.

Le récit de Clément Marchand, magnifiquement porté par Jean-Baptiste Guinchard et Guillaume Tignati, touche en plein cœur par son humanité et sa tendresse.

Photos issue du site de L’Azimut ©François Fonty

Un moment de partage

Comme un bon repas qui se partage en famille, Frère(s) est une invitation à vivre ensemble. Nous étions huit ce soir-là dans la salle du théâtre Firmin Gémier (L’Azimut), de 10, 20, 50 ou 70 ans (oui, Henri, j’ai décidé d’arrondir les chiffres). Visages souriants. Envie de faire durer le moment. Nous n’avions pas envie de quitter ce morceau de bonheur simple.

J’ai encore le smile plusieurs jours après. Et comme une envie de goûter un osso bucco au yuzu.

Solstice d’été

Et la pluie s’est arrêtée.

Les techniciens ont monté la scène, arrimé les structures de métal, posé rubans et fanions colorés entre les tentes blanches, déplié tables, chaises et transats sur la pelouse verdoyante, branché les câbles électriques, raccordé l’eau.

Les nuages ont confié leurs dernières gouttes aux premières chaleurs de l’été. Alors, on a abandonné les vestes sur les bancs, jambes et bras nus. Une nuée de tee-shirts bleu ciel a fourmillé sous les arbres du parc. Les équipes du théâtre, permanents, intermittents, bénévoles, ont accueilli les artistes et le public. Alchimie d’une rencontre aux allures de fête.

Les premières notes de musique ont fait vibrer les corps alourdis par des semaines de grisaille pluvieuse. Impression de renaître, de retrouver de la force, de l’envie et de la joie. On a beaucoup marché, abandonnement discuté. On a porté, déplacé, rangé, nettoyé. On a partagé nos repas, enchaîné les cafés, trinqué à un futur radieux.

On a vu des spectacles, assis dans l’herbe ou debout sous les arbres. Du mat chinois, de la musique onirique aux notes aquatiques, des chants mystiques, un vélo dans le ciel, de l’humour poétique, de la boue acrobatique, des voix espagnoles et du dub coloré. On a plané, vibré, ri, dansé et beaucoup applaudi.

On s’est retrouvés, on s’est reconnus ou simplement connus.

On a couru après le temps. On l’a finalement trouvé. Ne pas le laisser filer. En grapiller parfois. Et s’en donner enfin, sans être à contretemps.

Quand les lumières se sont éteintes, les guirlandes chamarrées se sont échouées sur l’herbe piétinée. Les camions ont avalé le matériel par petites bouchées ajustées.

La nuit est tombée, chargée de rêveries fantastiques. Les portes du parc étaient déjà fermées. Un groupe de jeunes les a escaladées en riant. On a chargé les voitures, repris les vélos et le parc a retrouvé la paix d’une douce nuit d’été.

C’était le premier week-end du festival Solstice, organisé comme chaque année par l’Azimut. Fêter la fin de saison et le début de l’été.

Installation du festival Sosltice au parc Heller

Cosmos, les étoiles dans les yeux des femmes

Dans les lumières du tramway qui nous conduit au théâtre ce soir, je n’ai pas vraiment idée de ce que nous allons voir. Avare de mots, gardant ses sensations, Hortense m’a peu parlé du décor dont elle a suivi la mise en place, ou des répétitions auxquelles elle a assisté. Elle est la stagiaire de troisième, un peu timide, impressionnée, faussement détendue, follement heureuse de sa découverte de l’entreprise à travers le monde particulier des régisseurs et des machinistes. Toutes ces mains invisibles qui préparent, ajustent et coordonnent la réussite d’un spectacle. Je sais simplement que Cosmos parle des femmes et de l’espace.

Sur scène, cinq femmes, cinq voix, cinq corps qui incarnent l’histoire des femmes dans la conquête spatiale. États-Unis, fin des années 50, le programme Mercury 13 prépare treize femmes, toutes pilotes expérimentées, à rejoindre les étoiles. Un rêve grand comme l’univers qu’elles touchent du doigt. Leurs performances égalent ou dépassent celles des militaires, des hommes, sélectionnés avant elles. La chute est vertigineuse, laissant un vide béant, une frustration pleine de rage, quand le programme est annulé la veille de la troisième phase, celle qui devait les voir entrer sur une base militaire et commencer l’entraînement aux commandes d’avions de chasse.

Danse, chant, acrobatie, comédie… La scène s’embrase, le décor devient lunaire, on sent l’apesanteur, se retrouve devant le congrès américain ou dans des cocktails mondains, dans des tests physiques intenses ou sur un plateau des télévision. Les basses vibrent sous nos pieds tandis que décollent les fusées des hommes. On suit le combat de ces treize femmes pour conquérir leur place dans cette course folle vers l’espace. Finalement, la première astronaute sera russe. Pourtant, les treize Américaines étaient toutes prêtes et motivées bien plus tôt. Clouées au sol par un ordre social décrété immuable par les hommes, elles n’ont jamais cessé de rêver.

La dernière d’entre elle avait quatre-vingt-deux ans quand, finalement, elle a été invitée à partir en orbite. Si elle n’a pas été la première, elle a été la plus âgée. Elle avait vingt au moment du programme Mercury 13. Sentiment d’un immense gâchis.

Pourtant, cette pièce affiche un immense espoir, porté par un univers poétique de poussières d’étoiles, les pulsations d’une bande-son enthousiasmante, une mise-en-scène ardent et le talent joyeux et puissant des comédiennes.

Le décor est surprenant. Deux grand murs blancs formant un angle traversé d’une poutrelle métallique. il paraît très simple. Il s’avère complexe. Des ouvertures se créent au fur et à mesure du spectacle. On défonce les murs, ouvre des portes, dégage des fenêtres, gravit des échelons. Les actrices montent et descendent, la tête en bas, debout ou couchées. Elles bousculent ainsi les idées reçues et nous embarquent dans cette folle aventure de l’espace, d’hier à aujourd’hui, le regard tourné vers demain.

Oscar Wilde disait : « Il faut toujours viser la lune, car même en cas d’échec, on atterrit dans les étoiles ». Dans le tramway du retour, nous avions encore des étoiles plein les yeux.

Cosmos, de Maëlle Poésy, à l’Azimut.

Transmettre le cirque

Sur le grand plateau noir du théâtre, une table, un ordinateur et des feuilles éparpillées. Travail de chercheuse en cours. Au fond de la scène, un grand écran blanc. Vêtue d’un jean retroussé sur des boots, les cheveux sagement remontés sur la tête, une jeune femme commence à parler dans un micro.

Voix douce, presque timide qui gagne en assurance tout au long de ce spectacle-conférence, jusqu’à chanter à pleins poumons Je suis malade de Dalida. Mais je vais trop vite. Il faut d’abord parler ce cette voix. C’est celle d’Anna, subjuguée par le cirque depuis toute jeune. Elle ne deviendra jamais circassienne. Pourtant, elle choisira de travailler dans le clair-obscur de ces artistes qui la font vibrer et qu’elle comprend si bien.

Anna n’est pas non plus actrice. Pourtant, pour son spectacle Suzanne : une histoire (du cirque), elle a franchi le pas. Elle est montée sur cette scène pour raconter sa rencontre avec Suzanne.

De 1950 à 1965, Suzanne tournait sur les routes de France et d’Europe avec son mari, Roger. Leur duo aérien s’appelait Les Antinoüs. Petit à petit, elle s’ouvre à Anna, raconte ses années de cirque, les étoiles filantes tombées sans filet, la mort qui guettait sous les voltigeurs qu’aucun harnais ou filet ne sécurisait.

Les Antinoüs.
Photo prise sur le site de l’Azimut.

La voix d’Anna, filet de vent, devient celle d’une envie folle, une histoire de transmission, un défi qui se fait aventure, faire revivre le numéro des Antinoüs avec de jeunes artistes d’aujourd’hui.

Anna s’ouvre intimement, tisse son histoire, celle de Suzanne et du cirque contemporain dans un récit fluide et captivant. D’images d’archives en interviews contemporaines, les souvenirs affleurent, les énergies se rencontrent.

Le spectacle, plus proche de la conférence, trop personnel pour un documentaire, pas assez autocentré pour un récit personnel, n’est pas encore achevé. Il s’agissait ce week-end de présenter une première ébauche d’un long travail, démêlant les écheveaux du passé et du présent, de l’intime et du public, de la vie et de la mort.

Une rencontre inattendue qui ne laisse pas indifférente. J’espère qu’ils repasseront par Antony quand le spectacle sera finalisé.

Transmettre le cirque

Sur le grand plateau noir du théâtre, une table, un ordinateur et des feuilles éparpillées. Travail de chercheuse en cours. Au fond de la scène, un grand écran blanc. Vêtue d’un jean retroussé sur des boots, les cheveux sagement remontés sur la tête, une jeune femme commence à parler dans un micro.

Voix douce, presque timide qui gagne en assurance tout au long de ce spectacle-conférence, jusqu’à chanter à pleins poumons Je suis malade de Dalida. Mais je vais trop vite. Il faut d’abord parler ce cette voix. C’est celle d’Anna, subjuguée par le cirque depuis toute jeune. Elle ne deviendra jamais circassienne. Pourtant, elle choisira de travailler dans le clair-obscur de ces artistes qui la font vibrer et qu’elle comprend si bien.

Anna n’est pas non plus actrice. Pourtant, pour son spectacle Suzanne : une histoire (du cirque), elle a franchi le pas. Elle est montée sur cette scène pour raconter sa rencontre avec Suzanne.

De 1950 à 1965, Suzanne tournait sur les routes de France et d’Europe avec son mari, Roger. Leur duo aérien s’appelait Les Antinoüs. Petit à petit, elle s’ouvre à Anna, raconte ses années de cirque, les étoiles filantes tombées sans filet, la mort qui guettait sous les voltigeurs qu’aucun harnais ou filet ne sécurisait.

Les Antinoüs.
Photo prise sur le site de l’Azimut.

La voix d’Anna, filet de vent, devient celle d’une envie folle, une histoire de transmission, un défi qui se fait aventure, faire revivre le numéro des Antinoüs avec de jeunes artistes d’aujourd’hui.

Anna s’ouvre intimement, tisse son histoire, celle de Suzanne et du cirque contemporain dans un récit fluide et captivant. D’images d’archives en interviews contemporaines, les souvenirs affleurent, les énergies se rencontrent.

Le spectacle, plus proche de la conférence, trop personnel pour un documentaire, pas assez autocentré pour un récit personnel, n’est pas encore achevé. Il s’agissait ce week-end de présenter une première ébauche d’un long travail, démêlant les écheveaux du passé et du présent, de l’intime et du public, de la vie et de la mort.

Une rencontre inattendue qui ne laisse pas indifférente. J’espère qu’ils repasseront par Antony quand le spectacle sera finalisé.

Coup de poing dans ta scène

Oui, j’ai vu le film de Roman Polanski, J’accuse. Le film pour lequel il a reçu plusieurs Césars en 2020, provoquant le départ d’Adèle Haenel. On se lève et on se casse.

Un homme grand, fin, tête d’éternel adolescent, feuilles de texte sous les yeux, interroge le public en préambule de Faut-il séparer l’homme de l’artiste ?.

Le théâtre La Piscine programmait cette semaine deux représentations de ce débat mis en scène, pièce de théâtre argumentative, conférence réflective où l’on suit les questionnements et les tâtonnements du metteur en scène Étienne Gaudillère face à la journaliste Giulia Foïs. Voix grave, ronde, chaude, qui égrenne les chiffres sordides des violences faites aux femmes. 1 viol toutes les 7 minutes. Seulement 10% des femmes agressées portent plainte. A peine 1% des violeurs sont finalement condamnés.

Le refus de croire les victimes. Le refus de voir les coupables.

L’impuissance des faibles. L’impunité des puissants.

Le lynchage médiatique dont se plaignent ces hommes influents qui occupent les plateaux télés et les colonnes des journaux alors que leurs victimes se terrent.

Le viol est un crime. Comme le meurtre. Un homme accusé de douze meurtres aurait-il reçu un César ? Certainement pas. Même si l’instruction est encore en cours.

Comme beaucoup, je me rangeais derrière la non-condamnation. Tant qu’un homme, ou une femme, n’est pas condamnée, il-elle est innocente. Disons plutôt il dans le cadre des violences sexuelles. Car Giulia Foïs continue de dérouler les chiffres. Dans 99% des cas, l’agresseur est un homme, la victime est une femme. Un tel déséquilibre implique un réel dysfonctionnement sociétal.

Photo issue du site l-azimut.fr, © Marie Charbonnier

Lecture de tribunes. Transcriptions de conversations. Entretiens à bâtons rompus. Vidéos. Bandes son. Saynètes. Chansons. Accompagnés de deux autres comédien.nes, Astrid Roos et Jean-Philippe Salério, Giulia Foïs et Étienne Gaudillère nous emmènent dans une tornade d’observations attentives et argumentées du monde de la culture en particulier et de la société en général. Ça bouscule, ça dérange, ça embarrasse.

Ça dessine des lignes, ça pose des bases, ça éclaircit.

Je n’avais pas prévu d’aller voir ce spectacle. Les voyages chez ma mère me laissent vide d’énergie et d’envie. Mais mon amie Gaëlle me l’a conseillé. Elle y est allée avec une classe de son lycée. Les garçons, notamment, étaient abasourdis par les chiffres. Peut-être parce que, pour les filles, les chiffres n’ont pas besoin d’être verbalisés. Elles savent que ça peut arriver. N’est-ce pas la raison pour laquelle, samedi dernier, je n’ai pas laissé Hortense rentrer seule de l’anniversaire d’une amie à 23h alors qu’elle fait ce trajet sans soucis en journée ?

Mettre des mots (et choisir les bons), donner les chiffres, parler, témoigner, écouter, soutenir, dénoncer. Une nécessité quand, après le spectacle, dans la discussion avec les artistes, une adolescente exprime son incompréhension. « Je n’ai pas bien compris ce que vous vouliez dire par séparer l’œuvre de l’artiste ? Parce que si l’œuvre ne pose pas de problème, alors… » et elle se perd dans un océan de mal-être, d’incertitude, de flou.

A sa décharge, le spectacle fait beaucoup de références à des faits qui ont eu lieu à l’âge où ces adolescents ne s’intéressaient pas à ces polémiques. Le contenu est dense, le rythme soutenu. Ça met KO dans les cordes. Pour qui n’a pas le contexte, il y a de quoi lâcher prise.

Au moins, une petite graine a été semée.