Love and friendship

love_and_friendship_ver3Vera me propose une soirée ciné entre copines. Expérience oubliée depuis des années, je dis oui sans hésiter. Séance à 21h, les filles resteront à la maison avec leur papa. Je m’échappe dans la douceur d’une soirée pas si estivale. Svetlana, Vera et moi nous retrouvons au bout de la rue. Nous habitons toutes dans le même quartier. Copines de sortie d’école et voisines. Esprit pas très différent des rues avoisinantes du lycée Français que je fréquentais en expatriation. Vera est russe. Svetlana  bulgare. Hasard ou plaisir inconscient de garder un goût d’ailleurs ?

Nous allons voir Love and Friendship en VO dans notre cinéma de quartier, flambant neuf. Sièges rouges ou velours confortable, rangées espacées où déplier ses jambes et petites lumières au plafond rappelant un ciel étoilé. C’est la fête du cinéma, la place est à 4€.

Tellement enthousiaste à l’idée de cette soirée entre filles, je ne m’étais pas renseignée sur le film. Entrée immédiate dans le XVIIIè siècle de Jane Austeen. Aristocratie anglaise de province où la réputation de la sulfureuse Lady Suzan devance sa beauté calculatrice. Manipulatrice réaliste qui ne possède aucune fortune si ce n’est celle d’un époux. Veuve, cherchant à marier sa fille. Maîtresse d’un homme marié. Charme et cynisme. Accent british et humour qui tranche au coupe-papier, fin et délicat. Crises de nerf et pleurs ne sont pas acceptables. Il faut sauver la face et savoir rebondir, jouer des codes et carcans de la bonne société.

Je ne serais certainement jamais allée voir ce film toute seule, d’ordinaire peu attirée par les histoires de chassés croisés amoureux en costume. J’ai finalement beaucoup apprécié la légèreté joyeuse,  cruelle et ironique de ce film dans une campagne anglaise de carte postale.

Les étrangères 

J’ai tourné la dernière page. Je me replonge dans la première. Mon thé est froid. Mes muscles engourdis. Je viens de danser au fil des pages, enroulée dans les cheveux de Nadia, rythmée par le bruit du déclencheur de l’appareil photo de Joséphine. Aladin. Nadia. Et le mystérieux Kahj. Ogre ? Ange ? Je les suis dans les rues de Paris qui résonnent comme un hymne à la vie et à la joie, aussi bien qu’à Bucarest, la source. D’inspiration, de vie, d’amour. Je me perds dans la langueur de Kalior qui sonne comme un rêve, une utopie. Les rondeurs de Nadia saillissent les angles de Joséphine, à la recherche de soi-même, de l’autre, de l’amour et d’un sens. Comme un tableau de Kandinsky. La quête de l’âme, la perception de la vie, comme cet air de violon qui plane sans jamais se jouer. Jusqu’où être submergé par l’amour ? Comme cet océan qui s’étend derrière un hublot, cette immense rivière sans nom où navigue la voile Invisible, ou juste une pluie qui mouille jusqu’aux os, posant un genou dans une flaque de boue ?
Irina nous livre dans les Étrangères une ode aux sentiments qui tournoie longtemps en écho de cette vie qui bouillonne et déborde dans le flot des autres et de soi. Étrangère dans son propre corps, dans son propre pays ou à l’autre bout du monde. Calme tempête de l’identité en construction. Merci.

Une odeur de tilleul

Il y avait Mamité à Vernou, les vieilles pierres du Prieuré recouvertes de lierre, la porte de la cuisine entrouverte sur la longue table et là, dans l’arrière de la cour, entre le gravier et la pelouse, l’énorme tilleul qui accueillait tous les repas d’été.

Quelques lignes dans « Une gourmandise » de Muriel Barbery, et j’étais sous le tilleul, c’était l’été et Mamité lisait dans un transat. Parenthèse hors du temps, qui passe et qu’il fait, dans le RER B.

« Surtout, il y avait le tilleul. Immense et dévorant, il menaçait d’année en année de submerger la maison de ses ramages tentaculaires qu’elle se refusait obstinément à faire tailler et il était hors de question de discuter de la chose. Aux heures les plus chaudes de l’été, son ombrage importun offrait la plus odorante des tonnelles. Je m’asseyais sur le petit banc de bois vermoulu, contre le tronc, et j’aspirais à grandes goulées avides l’odeur de miel pur et velouté qui s’échappait des fleurs d’or pâle. Un tilleul qui embaume dans la fin du jour, c’est un ravissement qui s’imprime en nous de manière indélébile et, au creux de notre joie d’exister, trace un sillon de bonheur que la douceur d’un soir de juillet à elle seule ne saurait expliquer. A humer à pleins poumons, dans mon souvenir, un parfum qui n’a plus effleuré mes narines depuis longtemps déjà, j’ai compris ce qui en faisait l’arôme ; c’est la connivence du miel et de l’odeur si particulière qu’ont les feuilles des arbres, lorsqu’il a fait chaud longtemps et qu’elles sont empreintes de la poussière des beaux jours, qui provoque ce sentiment, absurde mais sublime, que nous buvons dans l’air un concentré de l’été. Ah, les beaux jours ! »