Blanc nuit, couleur jour

Jeux de couleurs dans la froideur de l’automne.

Quand le froid mord la moindre chair découverte, on accumule les couches comme des oignons. On ressort les chaussettes en laine et les bouillotes, les écharpes et les gros plaids. Et on se terre dans la chaleur douillette de la maison avec une tasse de thé.

L’ado, elle, ne craint pas les morsures glaciaires. Surtout quand il s’agit de rejoindre ses amis à une énième fête d’anniversaire. Pull chaud et pantalon fluide par-dessus la petite robe noire, autant pour se protéger des températures polaires que des regards masculins, elle s’engouffre prestement dans la maison amie avec les silhouettes tièdes des autres ados.

Je m’endors sur le canapé en attendant l’heure d’aller la chercher. Le réveil me cueille à l’heure où tombent les premiers flocons, épais et scintillants dans la lumière des réverbères. La neige nappe les rues d’un silence mat. Tel un navire brise-glace, la voiture navigue dans la nuit devenue plus épaisse. Les flocons déferlent dans la lueur des phares, s’obstinent sous les balais des essuie-glaces.

Emmitouflée dans ma doudoune, j’ai reculé le siège pour lire en attendant ma passagère. Je ne retire mes gants que pour tourner les pages. Déjà, mes orteils se refroidissent. Une pellicule blanche noie la voiture. Je distingue à peine les ombres encapuchonnées qui sortent de la maison en riant. L’une d’elle ouvre la portière. Elle est rayonnante. La neige ajoute une pincée de magie à cette belle soirée.

Quand tout le monde est couché, mon regard se pose sur le silence ouaté du jardin. Aucune empreinte ne vient perturber le moelleux immaculé de la nuit. La neige m’hypnotise.

Au petit matin, seules quelques cendres blanches sont encore accrochées dans l’herbe ou sur les toits. La grisaille urbaine brille mollement dans les flaques de l’asphalte. L’agressivité du froid a été remplacée par l’infusion perfide de l’humidité.

Heureusement, le marché ravive les couleurs de nos cœurs. Le rose vif des radis, les camaïeux oranges des courges, jusqu’aux blettes qui déclinent toutes les nuances de rouge. La couleur, c’est mon moteur, ma pompe à chaleur.

Automne turc : un été indien au goût de thé noir

Entre deux gorgées de thé noir, vivre au rythme de l’été indien dans le charme des couleurs de la Turquie.

Soleil doux d’octobre sur la côte dentelée de l’ouest turc. Mer d’un bleu d’huile dès que le vent tombe. Maisons basses aux murs de grosses pierres ou peints en blanc et portes colorées. Les bougainvilliers fleurissent les ruelles à l’ombre des minarets. L’automne à Çeşme a des airs d’été indien.

Les drapeaux turcs constellent la vie d’un rouge vif et joyeux. C’est la fête nationale. De grands portraits d’Atatürk s’affichent jusque dans les supermarchés. Nous sommes chez Yeşim. Elle aussi a suspendu l’étendard rouge passion de ce pays que nous aimons tant.

Petite maison de bord de mer. Demeure d’été pour vivre dehors, se dessaler après la baignade, se détendre à l’ombre des pins et des grenadiers. L’humidité salée de l’air corrode les métaux sans répit. Mais pour nous la vie est douce avec Yeşim, sa maman et la jeune femme qui vient chaque jour depuis le village voisin pour les aider.

A cette saison, la plupart des maisons sont fermées. Et les quelques voisins qui restent après l’été s’entraident quotidiennement. L’un a prêté un matelas pour notre venue. L’autre une table et des chaises pour manger à l’intérieur. Les soirées sont fraîches, nous ne prenons que nos petits-déjeuners sur la terrasse.

Et quels petits-déjeuners ! Copieux, variés, aussi généreux que l’accueil que nous recevons à chaque visite. Moelleux des simit et des açma, rondeur du kaymak, douceur régressive du pekmez et des confitures artisanales, fraîcheur des concombres et des tomates, acidulé des différentes sortes de roquettes, arômes explosifs des olives noires toutes fripées, saveur réconfortante des œufs durs nappés d’épices et d’huile d’olive, tendresse parfumée des fromages, âpreté du thé noir que l’on boit à petites gorgées bien chaudes dans les tasses en verre traditionnelles.

Une bonne heure pour le préparer. Deux heures pour le déguster. Toutes nos matinées y sont consacrées. Velouté d’un moment où le temps n’existe plus. Oublier l’heure. Discuter. Se rappeler, partager, se projeter, rêver. Rire. Se méprendre. Se comprendre. Se rassurer. Intimité d’une belle amitié qui dure depuis un temps si long qu’on ne le compte plus.

Si on aime autant ce pays, c’est beaucoup parce qu’on aime Yeşim. La Turquie a l’éclat de son sourire, la bienveillance de sa culture, la tranquillité de son caractère, la gourmandise de son humour, la force sereine de sa liberté.

Avec elle, on ouvre les cours d’école, les hôtels fermés, les casernes de gendarmerie. On crapahute dans les théâtres antiques. On découvre des musiciens inoubliables. On se baigne presque seuls. Le temps s’arrête pour les couchers de soleil. La vie devient une gourmandise perpétuelle.

Nous sommes repartis avec plein de nouveaux merveilleux souvenirs à ajouter à notre histoire commune. Merci.