Elle est tombée. Ça devait arriver. Ce n’est pas la première chute. Jusqu’à présent, elle réussissait à s’en sortir avec quelques éraflures et des hématomes. En octobre, elle avait explosé ses lunettes. La peur l’avait amenée à accepter un déambulateur. On lui a choisi un truc de compet’, en métal vert, avec une assise en cuir. Beau, léger, maniable. Pas ce truc en plastique noir qui hante les couloirs des EPHAD.
Mais un déambulateur, même le plus beau, c’est pour les vieux. Or, elle ne se résout pas à utiliser les marqueurs de vieillesse. Elle refuse d’être vieille. D’autant qu’à son âge, aujourd’hui, beaucoup sont juste un peu moins jeunes.
Elle a perdu l’équilibre en promenant son chien. Comme chaque fois. Son déambulateur est resté dans son appartement. Il sert de porte-manteau. Pompiers, Urgences. Épaule cassée (un nom plus compliqué en rapport avec l’humérus et une histoire de déplacement). Opération. Prothèse.
L’hôpital est saturé. Les urgences débordent. Les lits sont rares. Plus de 24h sur un brancard aux urgences. On veut la renvoyer chez elle en attendant la suite.
Mais la chute est aussi morale. Il y a longtemps que ma mère s’est mise en faillite d’elle-même. Les symptômes de ses maladies et un abandon personnel alimentent un effondrement permanent. De gros blocs en petits cailloux, tout se délabre. J’explique le champ de ruines. Les urgences se démènent. On lui trouve un lit. L’hôpital la garde.
Perdue dans le bleu clair des draps, shootée aux anti-douleurs, elle attendait son transfert quand j’ai finalement pu la voir quelques minutes. Je n’ai pas regretté d’avoir insisté contre son retour à domicile. Sa chute est vertigineuse. Et elle n’est pas terminée. Chaque étape me lamine.
J’ai récupéré le chien. Il restera certainement plusieurs mois avec nous.