La tête en friche

Écrire. Lire. Peindre. Photographier. Aller et venir entre ces activités. Les suspendre le temps de prendre soin des autres. Impression d’un temps infini. Voir fleurir les jonquilles, apercevoir les cerisiers en fleurs, contempler la flamboyance de l’arbre de Judée dans le jardin, voir faner les magnolias. Laisser cette Tasse de Thé en friche.

C’est joli aussi une friche. Les plantes s’installent rapidement. Comme ces sauvages qui envahissent les rues à travers le moindre interstice dans le béton. Une friche, c’est avant tout un endroit qui vit alors qu’aucune fonction particulière ne lui est plus attribué.

Un peu l’état de ma tête actuellement. Pourtant, l’envie est là qui titille. Ce désir d’écrire, de saisir l’instant, d’en ressentir la couleur, d’en partager l’intensité. L’irritation de laisser filer le temps. Comme un ruban qui s’envolerait dans un ciel nuageux. Tendre la main pour l’attraper alors qu’il est déjà trop loin.

C’est sans compter sur les rencontres. Ces quelques mots échangés au détour d’un déjeuner. Partage du plaisir d’écrire. Promesse de se revoir. De partager des textes. Un nouvel atelier d’écriture ? Comme une jolie confluence. Une impulsion qui donne envie de remettre les mots en ordre et de faire renaître des phrases sur la friche.

Avoir la tête en friche, finalement, c’est laisser le temps aux idées de fleurir quand point un rayon de soleil.

Prendre le temps

Le long de la piste cyclable, de belles péniches aux couleurs douces, plantes grimpantes, terrasses aménagées, vélos endormis sur les passerelles. Soleil d’hiver sur les premières fleurs du printemps. Gaité intérieure sur le chemin de la Manufacture de Sèvres.

Attendre mon amie. Prendre le temps de discuter avec les agent.es d’accueil. Sourires bienveillants, échanges légers qui réchauffent l’air matinal.

Murmures partagés pour une visite en terre cuite des formes du vivant. Les époques qui se regardent. Temps anciens. Contemporains. Faire durer la conversation après la visite. Mais le temps file.

Trop tôt
2004
Farida Le Suavé
Céramique et matelas
Exposition Formes du Vivant
Manufacture de Sèvres

Pédaler sans s’arrêter pour rejoindre le treizième arrondissement. Laisser passer les piétons, les feux au vert, les voitures et les scooters pressés. Prendre le temps de jeter un œil sur les immenses fresques colorées de cet arrondissement. Sans ralentir la cadence. C’est l’avantage du vélo, ça ne va pas très vite. Ça laisse du recul pour profiter du décor.

Arriver quand même en retard pour déjeuner. Impression de courir après le temps. Et pourtant. Retrouver des ami.es. Le temps d’un café. Et les gens qui s’arrêtent pour parler avec nous. Drôles de temps alors que tout le monde crie au chacun pour soi.

Six fourgons passent en hurlant. Ils n’ont pas le temps, on les attend. Des manifestants qui, eux, aimeraient bien avoir le temps de ne pas être trop vieux pour profiter du temps qui leur reste.

Tête-à-tête avec mon amie Nathalie. La patronne, profil asiatique, sourcils tirant sur un rouge sombre hypnotisant, nous apporte une carafe d’eau alors que nous avons terminé nos cafés depuis longtemps. Prenez votre temps nous encourage-t-elle sur un ton délicieusement maternel.

Quelques tours de roue vers une dernière expo. Le gardien qui encourage à accélérer la visite. Gardien du temps. Le musée va fermer. Merci de vous diriger vers la sortie. Grosse voix, pas le temps d’un sourire. Et les visiteurs qui traînent des pieds, subjugués par ces sculptures hyper réalistes.

Le temps d’une photo, pour une One Minute Sculpture d’Erwin Wurm. La seule œuvre qui se touche. Une minute pour être une œuvre d’art. C’est toujours ça.

Idiot II
2007
Erwin Wurm
One minute Sculpture
avec la participation de la Tasse de Thé
exposition Hyperréalisme
musée Maillol

Entre les photos et le GPS, batterie de téléphone à plat. Sortir mon livre sur un banc de pierre à la sortie du musée. Le temps de recharger. Quelques notes sur un cahier. Quelques pages d’un livre de poche sorti du fond de mon sac.

Il est temps de rentrer. Libérer le vélo de ses antivols et traverser la ville baignée de lumières artificielles.

Une journée de temps pour moi.