Solstice d’été

Et la pluie s’est arrêtée.

Les techniciens ont monté la scène, arrimé les structures de métal, posé rubans et fanions colorés entre les tentes blanches, déplié tables, chaises et transats sur la pelouse verdoyante, branché les câbles électriques, raccordé l’eau.

Les nuages ont confié leurs dernières gouttes aux premières chaleurs de l’été. Alors, on a abandonné les vestes sur les bancs, jambes et bras nus. Une nuée de tee-shirts bleu ciel a fourmillé sous les arbres du parc. Les équipes du théâtre, permanents, intermittents, bénévoles, ont accueilli les artistes et le public. Alchimie d’une rencontre aux allures de fête.

Les premières notes de musique ont fait vibrer les corps alourdis par des semaines de grisaille pluvieuse. Impression de renaître, de retrouver de la force, de l’envie et de la joie. On a beaucoup marché, abandonnement discuté. On a porté, déplacé, rangé, nettoyé. On a partagé nos repas, enchaîné les cafés, trinqué à un futur radieux.

On a vu des spectacles, assis dans l’herbe ou debout sous les arbres. Du mat chinois, de la musique onirique aux notes aquatiques, des chants mystiques, un vélo dans le ciel, de l’humour poétique, de la boue acrobatique, des voix espagnoles et du dub coloré. On a plané, vibré, ri, dansé et beaucoup applaudi.

On s’est retrouvés, on s’est reconnus ou simplement connus.

On a couru après le temps. On l’a finalement trouvé. Ne pas le laisser filer. En grapiller parfois. Et s’en donner enfin, sans être à contretemps.

Quand les lumières se sont éteintes, les guirlandes chamarrées se sont échouées sur l’herbe piétinée. Les camions ont avalé le matériel par petites bouchées ajustées.

La nuit est tombée, chargée de rêveries fantastiques. Les portes du parc étaient déjà fermées. Un groupe de jeunes les a escaladées en riant. On a chargé les voitures, repris les vélos et le parc a retrouvé la paix d’une douce nuit d’été.

C’était le premier week-end du festival Solstice, organisé comme chaque année par l’Azimut. Fêter la fin de saison et le début de l’été.

Installation du festival Sosltice au parc Heller

Que la vie soit un bal permanent

Demander son avis sur un spectacle à un directeur technique de théâtre, c’est demander à un ouvrier agricole sur les bords de Loire au XIXe siècle s’il le saumon est bon. Le saumon, il en mangeait à tous les repas. Difficile de se laisser encore surprendre.

Le festival Solstice s’est encore poursuivi toute ce week-end. Les techniciens ont monté les structures chaque jour sous une chaleur caniculaire. Peaux rougies, desséchées, soif intense, épuisement. L’esprit d’équipe tient l’énergie de la troupe mais les démarches se font lourdes, les jambes raides, les pieds trainants, les épaules tombantes.

Et puis ce soir.

Dans la lumière rasante de la fin d’une journée d’été, la Bande à Tyrex sort les cuivres la batterie et l’accordéon. Chanteurs, musiciens, acrobates, comédiens, ils sont onze à prendre d’assaut la scène montée pour eux. De la joie, de l’absurde, de l’équilibre, de la chute, de la connivence, jamais d’indifférence. Le public adhère, suit le mouvement, applaudit, chante, fait la Ola.

La bande à Tyrex au festival solstice 2023

Les artiste font tournoyer leurs vélos, les tirent tels des  boulets, pédalent le nez au vent telle Paulette sur les chemins environnants, se rentrent dedans, se cherchent, s’évitent puis se retrouvent.

La musique accompagne, entraîne, orchestre cette joyeuse bande de clowns en roue libre. Poésie déjantée, amoureuse, bienveillante, littéralement éblouissante (un casque boule à facette réverbère les rayons chatoyants du soleil couchant).

Enfin, la piste est envahie, les musiciens appellent les spectateurs et le bal commence, heureux, simple, réjouissant.

On écluse les bières, esquisse des pas de danse. On se tape dans le dos. On se félicite de la saison, du festival, de la journée. Les sourires sont sincères sous les regards assommés de chaleur.

Il faudrait que la vie soit un bal permanent.

Extérieur / intérieur, ce n’est pas la même fête

Dans notre ville, comme ailleurs, la saison des spectacles de rue bat son plein. Musique, cirque, théâtre, le spectacle vivant se déploie dans les parcs, sur les places et dans les allées. Les sonos résonnent contre les falaises minérales des immeubles. Les voisins pestent contre le bruit. Les enfants se faufilent. Les badauds s’arrêtent. L’art s’installe devant les yeux de tous.

On s’assoit sur des gradins en bois ou des sièges pliables, certains restent debout, pour mieux voir ou pour mieux partir, qui sait. D’autres s’assoient par terre. Un verre à la main. Une gourde d’eau dans le sac. Un goûter pour les enfants. Le chien tenu en laisse à ses pieds. L’ambiance est détendue. La bousculade joyeuse. Le spectacle terminé, le public prend son temps pour se disperser alors que les techniciens s’affairent pour démonter les structures ou préparer le matériel pour les suivants. Demain, plus aucune trace des câbles et des architectures provisoires.

Le spectacle de rue, c’est l’assurance d’interpeller le public, l’occasion de toucher celui qui n’a pas l’habitude de venir au théâtre. Pour beaucoup, le théâtre reste un lieu sérieux, intimidant, fermé. Un lieu pour les gros portefeuilles, les cheveux blancs et les têtes pensantes. Avec Solstice, tous les ans au mois de juin, le théâtre se révèle dynamique, engagé, drôle, décalé mais surtout, accessible.

Spectacle dans une cour d’école, Solstice 2023

Quand, en raison des orages, les régisseurs décident de rapatrier des spectacles en intérieur, la décision est difficile. La fréquentation baisse fatalement. L’ambiance n’est plus la même. La fête est mise en conserve. A l’apéro concert qui termine chaque journée de Solstice, ce ne sont plus qu’une cinquantaine de personnes qui dansent sur la scène dimanche soir. Ils étaient plusieurs centaines à profiter de l’atmosphère gaie et détendue d’un concert en plein air samedi.

Le repli avait été décidé le matin même. Face aux orages, l’incertitude demeure toujours, le choix est épineux. Risquer de devoir tout annuler en restant dehors. Ou s’exposer à perdre son public en jouant en intérieur alors que le soleil brille.

La météo fait partie des aléas du spectacle de rue. La fête de la musique en est le meilleur exemple.

Une belle journée chaude et ensoleillée verra tous les musiciens dehors, un public curieux, décontracté, avide de découvertes. Sitôt la pluie tombée, chacun rentrera chez soi. Certains se réfugieront dans des cafés où quelques concerts se tiendront contre vents et marées. Mais, le mauvais temps gâchera la fête, immanquablement.

La ville d’Antony a décidé depuis plusieurs jours de rapatrier la fête de la musique en intérieur. On imagine que ça laissait plus de temps pour informer le public. Le site internet est à jour. Les visuels ont été modifiés. Le lieux sont annoncés, bien identifiés.

Finalement, le temps est splendide pour cette première journée d’été. Les musiciens vont tout de même aller s’enfermer dans les différentes salles de spectacle de la ville. Ils mettront de la joie et de la fête dans entre des murs. On ne viendra plus les voir par hasard, guidé par une mélodie ou des applaudissements.

Le spectacle aura lieu, oui, mais au détriment d’une ambiance festive et ouverte, d’un esprit de rencontre et de découverte. Sur le site le site du ministère de la Culture, on lit que le concept de base de cet évènement était « la musique sera partout, le concert nulle part ».

A Antony, le concert sera dans les salles. Où est l’esprit de la fête ?

Reste encore les petits groupes d’amateurs qui joueront sur les trottoirs, aux coins de rues, devant les maisons et les cafés.