Vieilles anglaises, guinguette et verres à pied

Elles sont cinq resserrées autour d’une table en lattes de bois brut. Cheveux gris ou colorations blondes, teint hâlé des peaux blanches qui profitent du moindre rayon de soleil, chemisiers fleuris, bijoux discrets, maquillage léger. Elles ont le ton chantant des beaux jours malgré la pluie qui menace et l’accent parfaitement britannique.

Guinguette sur les bords de la Vienne. Village rustique au joli pont de pierre et aux ruelles médiévales dominées par un château en ruine. Les chaises dépareillées sont retournées sur les tables détrempées. Tout le monde s’est resserré sous le barnum blanc. Les arbres coulent leurs feuilles humides vers les flots épais et sombre de la rivière.

Les vieilles anglaises ont commandé une bouteille de rosé. Les paniers à pique-nique renferment des fish and chips, cliché culinaire de leur patrie. Au moment de servir le vin dans les gobelets en carton de la guinguette, l’une d’elles extirpe de son panier cinq verres à pied immenses, d’un rose bonbon délicieusement kitch, rehaussés de décors en relief au baroque assumé.

Elle trinquent en entonnant « Joyeux anniversaire », en français dans le texte. Elles fêtent les quatre-vingt-dix ans de leur doyenne. Le mauvais temps n’entame pas leur volonté farouche de pique-niquer. Elles oublient la grisaille dans une bulle de gloussements enjoués et de joyeux babillages.

J’imagine Baloo, l’ours du Livre de la Jungle, descendre la rivière à cette instant en chantant « Il en faut peu pour être heureux » et accompagner leur doux univers fantasque.