Le temps est presque trop beau pour s’enfermer dans un théâtre en cet après-midi dominical. Mon vélo roule joyeusement jusqu’au théâtre du Montparnasse. Les terrasses bruissent de murmures ravis et de rires libérés un instant de la chape de grisaille permanente. Je glisse tant bien que mal ma fidèle monture entre deux arceaux trop serrés – les concepteurs de parking vélo pensent largeur des roues et oublient le guidon, les pédales et les éventuelles sacoches. Mais c’est un autre sujet.
La rue de la Gaîté porte bien son nom. Sous la corniche richement décorée, les trois baies vitrées et les deux cariatides aux seins nus de la façade du théâtre, le nom de l’actrice parade en lettres lumineuses. Laure Calamy. Elle est la tête d’affiche de la pièce de Léna Breban, Peau d’homme.

Alors que ma petite famille dévale les pentes enneigées, je me suis offert un plaisir théâtral solitaire. Fauteuil d’orchestre dans une mer de velours rouge, stucs dorés et balcons voluptueux. Veuillez éteindre vos téléphones portables. La salle est plongée dans l’obscurité.

Nous voilà immédiatement transportés dans un temps lointain, une époque incertaine qui tient plus de la projection onirique que de la réalité historique. Une Renaissance rêvée. Des sculptures aux formes généreuses dans une Italie à la douceur lumineuse.
Bianca guette l’arrivée de son fiancé, le beau Giovanni. Son vœu le plus cher serait de le connaître un peu avant de l’épouser. Sa marraine – l’éclatante Samira Dedira, mon personnage préféré – lui révèle alors un secret que les femmes de la famille se transmettent de génération en génération : une peau d’homme.
Celle qui l’enfile se transforme alors en garçon, avec tous les attributs physiques de la virilité. Comment ne pas exploser de rire devant la performance de Laure Calamy – Bianca – devenue Lorenzo, quand il découvre cet appendice long et mou pendouillant entre ses jambes. Quand elle doit apprendre à marcher comme un homme, comme si le sol lui appartenait, et oublier les pas légers et feutrés des femmes.
La pièce se poursuit sur un rythme haletant, cadencé par les chansons écrites par Ben Mazué. On part à la découverte du monde masculin. On y rencontre les questions de quête d’identité, de la place de femmes, des injonctions de la société, des esprits fermés, de la joie de vivre, du respect de l’altérité. Beaucoup de questions actuelles traitées par le prisme d’un conte décalé.
Il y a de la folie et du drame, du rire et du cabaret, de l’amour et des couleurs. On en ressort l’optimisme chevillé au cœur et l’envie de croquer la vie.
Quand je reprends mon vélo, un jeune homme décroche le sien en fredonnant un air de la pièce. Sourires complices.
Sur le chemin du retour, la nuit est en train de tomber mais j’ai encore du soleil plein la tête. Comme un goût de sucre guilleret qui reste en bouche.
Deux jours après, je dévore la BD à l’origine de cette pièce, Peau d’homme de Hubert et Zanzim aux éditions Glénat. Pour revivre le plaisir alors que la pluie tombe drue.


❤
HLB
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