Le paradis n’est pas éternel

Depuis Bucarest, le hasard des routes et des rues, de Google maps et de Se loger.com, m’amène à pousser la porte d’une librairie. Posée sur le bord d’une grande rue qui bénéficiait encore de l’ombre de grands arbres, une vitrine remplie de livres et l’amorce d’une belle histoire, Inkipit. Les premières lignes de notre nouvelle vie en France.

Nous sommes en janvier 2014, je nous cherche une maison. Antony est sur la liste des communes qui pourraient nous accueillir après dix ans à l’étranger. Une petite meulière me tape dans l’œil à quelques centaines de mètres de cette jolie boutique.

Je cherche à connaître la ville, m’y projeter, imaginer notre vie ici. La libraire s’appelle Aude. Elle me parle de la ville, des écoles, du quartier, de la vie ici. On discute aussi de lecture. Je repars avec un livre.  A l’époque c’est la librairie française de Bucarest, Kyralina, notre pourvoyeuse de bouquins. Il nous faut plusieurs semaines avant de recevoir nos commandes. Chez Aude, ce ne sont que quelques jours. Je souris quand elle m’explique que certains clients trouvent ça trop long puisqu’Amazon livre parfois en quelques heures seulement.

La librairie d’Aude est la première boutique où je suis entrée à Antony. Nous nous installons dans une rue voisine. Inkipit deviendra un phare dans notre vie ici.

Eglantine y achètera régulièrement ces ouvrages de fantasy qu’elle dévorait à une vitesse incroyable. C’était avant les douleurs, la fatigue, les années sans fin qui l’ont vue s’éteindre peu à peu.

Quand Hortense commence à rentrer seule de l’école, elle a pour consigne de se rendre à la librairie en cas de problème.

Un cadeau, besoin de se changer les idées, envie de lecture ? Un petit tour à la librairie.

Pendant neuf ans, Inkipit a illuminé nos hivers et aéré nos étés, réchauffé nos printemps et ragaillardi nos automnes.

Toujours un mot gentil, un sourire, un bon conseil, une oreille attentive, une patience sans faille.

Mais voilà, le paradis n’est pas éternel. Inkipit a fermé ses portes hier soir. Les derniers cartons sont repartis chez les éditeurs. Les bibliothèques ont été vendues, tout comme les présentoirs pour cartes postales. La papeterie a été bradée. Les murs vides portent les traces de ces belles années de lecture et pleurent désormais des larmes de poussière. La vitrine a perdu ses couleurs. La lumière est éteinte.

Elle se rallumera une dernière fois ce soir, pour un pot d’adieu.

J’ai le cœur lourd. Aude et sa librairie me manqueront.