Quel drôle de titre, me suis-je dit quand j’ai découvert ce livre parmi ceux que Chantoune avait sorti de sa valise. Quelles jolies couleurs aussi. Une femme allongée, les yeux fermés – est-elle morte ou endormie ? – des cheveux corail, le frottement d’une aile, le flottement des feuilles. Le camaïeu de bleus et de noirs très doux rappelant l’univers de la nuit ou celui des profondeurs océaniques est barré d’un large bandeau rouge « ZIZI CABANE / LE ROMAN ÉLU PAR LES LIBRAIRES ».

Je ne divulgache rien du roman de Bérengère Cournut en vous expliquant le titre puisque le mystère est élucidé dans les premières pages. Dans ce livre, les noms de baptême ne sont pas les plus utilisés. Seule Odile, la mère, garde le nom qui lui a été donné à la naissance. Le père a choisi de s’appeler Ferment – prénom qui dénote cette volonté de vie qui se retrouvera tout au long du roman.
Les deux premiers enfants d’Odile et Ferment sont des garçons. Les parents délaissent rapidement les prénoms officiels pour ceux choisis en fonction de leur relation avec l’enfant. Ainsi, l’aîné passe de Martin à Béguin car ses parents sont fous de lui. Et le deuxième s’appellera Chiffon tellement il a besoin de ces bouts de tissu pour se sentir bien. Pour Zizi Cabane, j’ai tellement ri à l’imagination de l’autrice que j’en rapporte directement ses mots.
Mon père et ma mère m’ont ramenée à la maison en m’appelant « bébé », puis ils ont attendu que ça vienne. En vérité, ça n’a pas tardé : au premier bain dans le lavabo de faïence, à hauteur d’yeux de Chiffon, mon frère a demandé : « Pourquoi il est cassé, le zizi de ma sœur ? » Mama est entrée en fureur. « Mais enfin, il n’est pas cassé ! Qu’est-ce que tu t’imagines, espèce d’enfant aveugle ? » Mon frère a dit : « Si, regarde, il est cassé… Il n’y a rien à tirer. » Mon père a ri, Odile a pris le temps d’expliquer : « Alors, les garçons. Vous avez, c’est vrai, un zizi qui peut viser, se dresser et s’affaisser dans un frisson… Pour vous flatter, appelons-le zizi totem. Mais les filles, voyez-vous, ont un zizi, elles aussi. Un zizi plus mystérieux… caché là, dans un pli, et que vous comprendrez un jour autrement qu’avec vos yeux. D’accord ? » Béguin ricanait un pu, mais chiffon a dit d’un ton blasé : « Un zizi cabane, quoi… » Personne n’aurait trouvé mieux : ni plus vrai, ni plus joyeux. C’est ainsi que je suis devenue la première, la seule, la vraie : Zizi Cabane.
Le ton du roman est donné : inventif, frais, imaginatif, onirique, fabuleux. Loin des sentiers battus. Lorsque la mère disparaît sans laisser de traces chacun.e comble son absence à sa manière. Le temps s’écoule, les sources jaillissent, la terre se découvre, s’écoute. La nature est un personnage à part entière. Cette histoire coule avec la légèreté d’un ruisseau de montagne. Ce qui tombait à pic étant donné que je l’ai lue avec le bruit de l’eau qui s’écoulait dans les rues du village.
Que transmet-on à nos enfants ? Telle est la grande question de ce livre pour moi. Comment se construisent-ils ? Comment apprendre à les laisser partir. Comment laisser leur imagination s’épanouir pour construire leur vie. Les étreindre sans les contraindre, être présent tout en laissant la place. Telle l’eau qui murmure à travers les pages du livre.
Ce livre est l’histoire d’un envol, celui de Zizi Cabane. Ce livre est une fable, un conte qui offre au lecteur une indéniable force vitale.
J’ai eu parfois les larmes aux yeux. De joie et d’émotion. De beauté et d’apaisement. J’ai été bousculée par le style, interrogée par la narration – mais où l’autrice voulait-elle en venir ? – comme quelqu’un qui essaye désespérément de contenir un cours d’eau. Mais lire ce livre, c’est s’embarquer sur une coque de noix sans rame ni moteur et se laisser aller au fil de l’eau en faisant confiance à la poésie.
Je reviens, pour boucler ce billet, sur la magnifique couverture du livre. Il s’agit en réalité d’une fresque d’Astrid Jourdain que l’on peut découvrir en dépliant complètement la couverture du livre.



- Bérengère Cournut, Zizi Cabane, éd. Le Tripode, 256 p., août 2022