A quelques degrés de là

Entre les livres et le public venu écouter Irina Teodorescu parler de son dernier ouvrage, Ni poète, ni animal. Il fait chaud à la librairie Libralire. Je suis arrivée en retard mais j’ai été immédiatement happée par les yeux noirs, le sourire pétillant et la voix douce d’Irina. J’ai laissé derrière la porte les terrasses des cafés, leurs minuscules tables où se serrent les buveurs d’apéro-assiette de charcuterie et le brouhaha de ce onzième tellement plein de vie.

Irina Teodorescu

Irina a répondu à quelques questions sur Ni poète, ni animal. Le grand poète, tourillon de son récit, est une invention. En revanche son grand-père a bel et bien volé une chat quand elle était petite, en Roumanie. Irina mélange fiction et réalité dans un univers flottant et onirique, rendant plus palpable le réel.

Une grand-mère toquée, une mère qui parle à des K7 qu’elle n’enverra jamais à son amie passée à l’Ouest et Carmen, clown-poétesse de10 ans à l’heure où les Ceaucescu, abattus les yeux bandés et les mains attachées, ne sont plus qu’une effluve d’after-shave. Irina n’a jamais regardé les images de leur exécution.

Qu’est-ce que la révolution pour une enfant de 10 ans ? Qu’est-ce qui sépare la révolution d’un coup d’état ? La poésie peut-elle triompher ? L’homme n’est-il qu’un animal ? La mort rode. Le renard, le cochon, le poète, le dictateur et son épouse. Il fait froid en ce mois de décembre 1989 mais les mots d’Irina, simples et pertinents, sont une ode à la vie, à l’envie, qui réchauffent le coeur.

Ses romans, comme un poème, laissent une grande part à notre imagination, à notre interprétation.

J’ai retrouvé Claire. Nous avons partagé un atelier d’écriture avec Irina cet hiver. Avant que Petit Oiseau ne soit malade. Je ne connais personne d’autre. J’ai trop chaud. Il est tard.

Dans la rue Saint Maur, la boutique de pâtisseries orientales à descendu ses stores noirs. Les terrasses débordent sur les trottoirs. On est debout, un verre de bière ambrée à la main. On rit fort, on se parle à l’oreille pour mieux se comprendre. Un homme abaisse vigoureusement le rideau de fer de sa petite boutique de réparation de téléphones. La journée est finie. La nuit bat déjà sa propre mesure.

Mon manteau est grand ouvert. Je n’ai pas le courage de le retirer. J’ai enroulé mon écharpe autour de la lanière de mon sac. Une bande de skaters passe en trajectoires brouillonnes. Quels moulures apparaissent dans les lumières des appartements de l’avenue. Que la nuit est douce, que Paris est vivante.

A quelques degrés de là, je descend du RER. Je frissonne. J’enroule mon écharpe autour de mon cou et enfouis mon nez à l’intérieur. Pas de café, pas de terrasse et l’œil de la lune qui me regarde fraîchement dans le ciel noir. Elle sera bientôt pleine.

Maisons avec jardins, échiquiers d’appartements éclairés, je marche seule dans la lumière chaude des réverbères. Paris-banlieue, quelques degrés d’écart et déjà un autre monde.

Le temps d’un livre dans une librairie, j’ai aussi retrouvé un peu de Roumanie. Encore quelques degrés de moins et je skie dans les Carpates avec Carmen.

Les échos de l’expat

En dix ans d’expat, nous avons fait de belles rencontres. Donnant naissance à de profondes amitiés. Alors quelle joie de retrouver Aurore, Régis et leurs filles, Jeanne et Marie, juste avant que l’année ne termine !

En France pour les vacances,  ils sont venus d’Orléans pour le déjeuner. De les voir à la porte, déjà, nous avions les cœurs en fête. Les images anciennes jaillissent en surimpression. Les mêmes sourires, le même plaisir lorsqu’ils arrivaient chez nous à Bucarest.

Bien sûr les filles ont grandi et j’ai les cheveux gris. Mais le plaisir reste intact. La journée s’écoule tendrement. Ils nous manquent. Comme tous ces amis d’expat que l’on retrouve au gré des voyages des uns et des autres.

Eglantine aurait bien gardé son amie à dormir. Après tout, me rappelle-t-elle, la première fois que j’ai rencontré Jeanne, c’est parce qu’elle venait coucher à la maison. C’est vrai. J’avais oublié. Une soirée de l’afb. Elena gardait les filles à la maison. J’avais proposé à Aurore de laisser les siennes chez nous pour aller ensemble à la fête. Eglantine et Jeanne ne se connaissaient pas encore. Elles étaient toutes les deux en CP, mais pas dans la même classe. Nous venions d’arriver. Nous ne savions pas encore que de cette soirée naîtrait une si longue amitié. De cette soirée et de bien d’autres, de week-ends à camper sur la plage et de virées dans les Carpates…

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Coucher de soleil sur une plage de la Mer Noire – Roumanie

Les échos de l’expat ravivent les souvenirs qui sédimentent sous notre nouvelle vie en France. Ça me démange de programmer un voyage en Roumanie…

D’autant que ce soir je suis tombée sur un reportage d’Arte sur la Roumanie. Les astres se liguent, n’est-ce pas ?

A l’ombre des Carpates