Dors ton sommeil de brute, une rencontre parsemée d’étoiles

Dors ton sommeil de brute. Un roman, une rencontre et des fils qui tissent des étoiles dans la nuit. Ou des oies sauvages.

J’ai rencontré Carole Martinez.

Je me suis assise sur une chaise inconfortable de la médiathèque. Nous étions une petite trentaine. Une poignée d’hommes. Principalement des femmes. J’avais terminé son livre, Dors ton sommeil de brute, la veille.

Il était dans ma liste de souhaits de lecture depuis la rentrée littéraire de septembre. Quand mon amie Juliette m’a proposé de nous rendre ensemble à cette rencontre, j’avais oublié pourquoi ce livre m’avait attirée. Une critique lue dans un magazine ? Seule me restait une impression fugace. Mais le titre m’avait refroidie. Avais-je envie d’affronter une brute ? Quel était ce cri dans la nuit qui saisissait les enfants du monde entier ? J’ai besoin de livres qui me font du bien.

Je voulais avoir lu le livre avant la rencontre. Pour mieux profiter de l’échange à venir. Pour qu’il y ait un échange justement. Avoir une connaissance commune, ce roman au moins, puisque je n’ai pas lu les autres, pourtant généreusement primés.

J’ai choisi l’écoute pour découvrir le livre de Carole Martinez. Le roman est lu par Françoise Gillard, sociétaire de la Comédie Française. Embarquée par l’histoire et la voix, j’ai dévoré les dix heures d’écoute avec une gourmandise avide. En cuisinant, en rangeant, en taillant la haie, en marchant. Même en prenant ma douche. J’avais tellement hâte de connaître la suite.

Carole Martinez est une conteuse. Elle a la voix chaude d’un feu de cheminée une nuit d’hiver. Le rythme doux du vent dans des feuilles de peuplier. Le sourire d’un soleil de bord de mer. L’éclat d’un torrent de montagne. Ses yeux pétillent en buissonnant sur l’assistance. Sa parole foisonne, court dans les collines magiques de ses pensées en feu d’artifice.

Elle raconte la naissance de cette histoire. Métamorphoser ses peurs en les tissant dans ses récits, tirer des fils, détricoter des mythes, transcender la réalité, ouvrir l’esprit au merveilleux. Sensation de s’envoler sur un tapis volant, vers les sources de la création.

La bibliothécaire nous fait découvrir un livre magnifique sur des œuvres d’art en broderie dont Carole Martinez a signé la préface. Un de ses romans s’intitule Le cœur cousu. De fil en aiguille, objets dont Carole Martinez assure ne jamais se servir, le lien se fait. Texte et textile ont la même origine.

Je repense à cette exposition vue cet hiver à la fondation Cartier. L’artiste colombienne Olga do Amaral y expliquait l’inspiration de certaines de ses œuvres, traitant le textile comme un langage.

« Les mots « texte » et « textile » partagent la même racine étymologique, le latin textere, qui signifie à la fois tisser et raconter. Cette hybridité se trouvait déjà dans les quipus, un système complexe de conservation des informations utilisé par les Incas : des cordelettes nouées et colorées qui servaient de livres de comptes, de textes de lois ou de récits historiques. »

Dans Dors ton sommeil de brute, Carole Martinez explore le monde des rêves, ses perceptions et ses interprétations dans différentes cultures. Dans Le cœur cousu, il semble que ce soit la couture qui tisse le cœur des êtres humains. Avec toujours une place centrale accordée à l’œuvre des femmes.

J’ai acheté Dors ton sommeil de brute – je le relirai avec plaisir – et Le cœur cousu pour que l’auteure me les dédicace. Curieuse et volubile, Carole Martinez prend le temps de parler avec chacune de ses lectrices. Les dédicaces sont très personnelles, en lien avec la conversation, couronnement d’un échange prolifère.

Si bien qu’Eglantine, dont j’ai parlé de sa passion pour la frivolité à la navette, se retrouve sur la première page du Cœur cousu. Les liens se tissent, souterrains et magiques. Sources joyeuses qui ressurgissent et nous surprenne. Nous nourrissent.

Il y a des rencontres comme cela, qui tissent des étoiles dans la nuit. Ou des oies sauvages dans le ciel de Camargue…