Dans les vibrations colorées de David Hockney

David Hockney à la Fondation Vuitton : un festival de couleurs qui transforme les flaques d’eau en chef-d’œuvres et vous fait voir la vie en technicolor sans substance illicite !

Jour de pluie. Ciel sombre. Grondement du tonnerre au loin. Le ciel s’éclaircit alors que je me gare dans le Bois de Boulogne. Les allées sentent le sous-bois humide, alliaire et gaillet-gratteron dégoulinent des bas-côtés et soudain les flaques d’eau sont inondées de soleil.

Nous n’attendons pas longtemps avant de rentrer dans la Fondation Louis Vuitton mais la foule est dense. Églantine et moi nous réfugions dans la musique de nos casques réducteurs de bruit. Rapidement harponnées par les couleurs de David Hocney, nous nous perdons de vue. Peu importe, nous savons que nous nous retrouverons à la fin. Chacune navigue à son rythme dans un océan de couleurs vibrantes.

Les premières salles prennent des raccourcis bienvenus de Bradford à Los Angeles en passant par Londres, Berlin et Paris. On retrouve les fameuses piscines, les paysages californiens, les portraits baignés de lumière, la palette vive, les toiles immenses. Et commence l’éblouissement des couleurs. Une nature vibrante. David Hockney nous embarque dans sa vision de l’espace et du temps. Celui qui passe et celui qu’il fait. Les saisons défilent, obsessionnelles. Variations à l’infini de paysages récurrents d’où jaillissent des vagues de lumières.

Les peintures de David Hockney ne sont pas réalistes. Pourtant il me semble entendre le sifflement du vent dans les branches nues des grands arbres, sentir le murmure de la brise dans les feuillages d’été alors que monte du sol une chaleur bienveillante. Le bruissement des fruitiers en fleurs perdant des tourbillons de pétales. Le clapotis de la pluie ou le bouillonnement d’un ruisseau. J’ai envie de m’allonger dans les hautes herbes, d’escalader les bottes de foin, de sauter dans les flaques avec des bottes en caoutchouc.

La multiplication des portraits. Galerie monumentale, impressionnante. Hommage à l’humanité. Le foisonnement des fleurs, un mur entier de natures mortes. La mise en abîme des visiteurs dans des œuvres où se mêlent collages photographiques et dessin. Les vidéos, les animations sur iPad, l’opéra animé, les fusains, les aquarelle, les gouaches, les huiles, les acryliques… C’est une plongée dans l’univers sans limite d’un artiste inventif, libre et fertile.

Il y aurait encore beaucoup à dire. Il y avait surtout beaucoup à voir. Nous avions les couleurs incrustées dans nos rétines en sortant. Je voyais les arbres vibrer de tons vifs, les chemins violets, les routes rouges. La vie paraissait soudain plus belle.

Monnet-Mitchell – Dialogue des couleurs

Je ne sais plus quel âge j’avais la première fois que j’ai visité une exposition. J’étais en primaire. Une sortie scolaire. J’ai été subjuguée par les peintures de Modigliani que nous étions allés voir. Les couleurs. Les longs cous. Les yeux vides. Puis j’ai mis très longtemps avant de retourner voir des œuvres d’art. J’en garde un certain décalage, un sentiment de retard perpétuel de connaissance et une soif de découvrir. Car rien n’est plus émouvant que de voir des œuvres d’art de ses propres yeux. Les toiles vibrent. Il se passe réellement quelque chose.

Vue sur la fondation Louis Vuitton en arrivant à vélo

J’avais un peu de temps ce matin après mon travail au théâtre, avant de rejoindre une cousine d’Olivier pour un café aux Batignoles. J’ai fait un détour par la fondation Louis Vuitton pour visiter l’exposition Monet-Mitchell dont les couleurs chatoyantes de l’affiche m’attiraient depuis des mois. Peu de file d’attente, même sans avoir réservé d’entrée. Contrôle des sacs, gourde consignée. Casque et batterie du vélo au vestiaire. Tout est fluide. Il n’y a pas foule.

Tout de suite, les toiles de Monet et Michell entament une conversation picturale. Le choix des vis-à-vis est judicieux. La douceur suave de Monet. La fougue éclatante de Mitchell. La foule est clairsemée. On peut profiter des perspectives qui nous plongent dans un monde onirique, vibrant, sensationnel.

Je garde une préférence pour Monnet, ses agapanthes ondoyantes et ses nénuphars éclatants. Les reflets ondulants du bassin. Les branches du saule qui s’écrasent au sol en cascades colorées. Les gestes de Mitchell sont plus nerveux et plus abstraits. Les lignes se cassent en pointes. Le paysage ne se devine pas, il finit par nous imprégner sans pour autant donner la possibilité de le décrire.

Le velouté des pastels qui accompagnent les poésies de Jacques Dupin apportent un peu de répit dans l’impétuosité de Mitchell. Je suis sous le charme.

Dans chaque salle, les tableaux de Monet palpitent sous les bleus, les mauves, les verts, les jaunes, les roses et les oranges alors que les œuvres de Michell imposent leurs couleurs vives qui sautent, coupent, trépignent et carillonnent, remplissant l’espace d’une énergie qui dynamise le dernier Monet. Ce Monet qui s’est affranchi des limites de l’espace et des perspectives pour choisir la couleur et la lumière, sans véhémence, tout en fluidité.

Glycines, 1919-1920
Le triptyque de L’Agapanthe (1915-1926) réuni pour la première fois.

Enfin arrive la salle de La grande vallée. Une série de tableaux immenses de Joan Mitchell. Endeuillée, elle peint la vallée des jeux d’enfants de son amie compositrice Gisèle Barreau. Pourtant, ce n’est pas la mort que l’on côtoie mais bien la vie, dans un hymne joyeux et foisonnant. On a envie de s’allonger dans cette Grande vallée merveilleuse où dominent le bleu et le jaune.

Il est déjà l’heure de partir. Je n’aurai pas le temps de voir la rétrospective consacrée à Joan Mitchell au rez-de-jardin. Heureusement, j’ai fait le plein de couleurs. Suffisamment pour affronter la pluie qui va rythmer le reste de la journée.

Où est le Noir de Basquiat ?

Derniers jours pour voir l’exposition Basquiat à la Fondation Louis Vuitton. Certes elle est prolongée. Mais l’exposition Schiele qui lui fait miroir se termine bien ce week-end. Une heure et demie d’attente dans la bruine hivernale ont pallié la rupture de places disponibles à la prévente. Et la Fondation fournit de grands parapluies aux malheureux qui n’avaient pas prévu de piétiner aussi longtemps à ses portes.

Une file ensuite, rapide, pour acheter son billet. Une file, encore, pour disposer d’un audioguide. Une file, toujours, pour déposer son manteau et autres effets encombrants au vestiaire. Etant donné la forte affluence, la visite des deux expositions se fait à touche-touche. Il est donc fortement conseillé d’être le plus léger possible.

Avec un peu de patience, il est possible d’admirer toutes les œuvres de Schiele. Principalement des dessins de petit format rehaussés de couleurs à l’aquarelle ou à la gouache. Là encore, des files se forment qui défilent devant les cimaises, à petit pas. Corps difformes, souvent nus, sexes rougis, mains noueuses aux doigts démesurés, autoportraits hallucinés, carnations glauques tirant vers l’étal de boucher, ou quand la laideur devient belle. De ses traits tordus, des ses corps étirés, Schiele tire une émotion incomparable. Loin des normes de l’esthétisme académique, le jeune Autrichien trace sa ligne, noire, nerveuse, torturée, mais où la vérité de l’être semble se nicher dans toute sa sensation. L’exposition est captivante.20190111_115004145_ios

 

Et le lien se fait assez naturellement avec Basquiat, bien que l’époque et le style soient radicalement différents. Explosion des couleurs, urgence de l’instant acquise avec ses débuts de graffeur de rue, une vie folle éclate sur les œuvres du jeune Newyorkais. Références aux classiques avec une série de têtes rappelant les Vanités du XVIIe, il puise plusieurs fois son inspiration auprès de Léonard de Vinci. Mais surtout, comme chez Schiele, un univers et un style propres dont il est le créateur. Et une ligne noire. Ou plutôt un trait, qui s’épaissit pour former des personnages inquiétants ou s’affine pour piquer d’épines des couronnes sacrificielles.

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Basquiat transpose sur des toiles gigantesques la vie bouillonnante du New-York du début des années 80. Surtout, il prend le parti de parler du racisme dont il souffre quotidiennement, plongeant jusque dans les racines du commerce triangulaire ou faisant appel aux conteurs traditionnels africains. Il dénonce la suprématie de la société blanche bien-pensante, son intolérance et son injustice.

 

 

Il le dit lui-même, ses œuvres contiennent 80% de colère. D’ailleurs les traits bouillonnent, les mots écument, les formes s’entrechoquent et les couleurs se bousculent, vives et intenses. La peinture n’est pas belle au sens académique mais, comme chez Schiele, elle subjugue et fascine. Alors, oui, on se surprend à trouver l’ensemble magnifique quand le détail dérange souvent.

Quelle frustration de devoir encore attendre dans d’interminables files pour profiter des œuvres dans les salles plus petites. Sensation d’être au zoo, de regarder un animal sauvage à distance dans sa cage. Ce public policé dont je fais partie est tout le contraire de Basquiat. Nous sommes blancs dans notre immense majorité, bien habillés, dociles et patients.

Où est le Noir dont Basquiat se revendique et qu’il défend et met en scène dans ses œuvres ? Pourquoi cette superbe exposition est-elle si blanche ?

Pour ceux qui veulent en savoir plus sur Basquiat, je conseille cette vidéo de Mathieu Ophanin :

Article écrit en janvier 2019