Coup de poing dans ta scène

Oui, j’ai vu le film de Roman Polanski, J’accuse. Le film pour lequel il a reçu plusieurs Césars en 2020, provoquant le départ d’Adèle Haenel. On se lève et on se casse.

Un homme grand, fin, tête d’éternel adolescent, feuilles de texte sous les yeux, interroge le public en préambule de Faut-il séparer l’homme de l’artiste ?.

Le théâtre La Piscine programmait cette semaine deux représentations de ce débat mis en scène, pièce de théâtre argumentative, conférence réflective où l’on suit les questionnements et les tâtonnements du metteur en scène Étienne Gaudillère face à la journaliste Giulia Foïs. Voix grave, ronde, chaude, qui égrenne les chiffres sordides des violences faites aux femmes. 1 viol toutes les 7 minutes. Seulement 10% des femmes agressées portent plainte. A peine 1% des violeurs sont finalement condamnés.

Le refus de croire les victimes. Le refus de voir les coupables.

L’impuissance des faibles. L’impunité des puissants.

Le lynchage médiatique dont se plaignent ces hommes influents qui occupent les plateaux télés et les colonnes des journaux alors que leurs victimes se terrent.

Le viol est un crime. Comme le meurtre. Un homme accusé de douze meurtres aurait-il reçu un César ? Certainement pas. Même si l’instruction est encore en cours.

Comme beaucoup, je me rangeais derrière la non-condamnation. Tant qu’un homme, ou une femme, n’est pas condamnée, il-elle est innocente. Disons plutôt il dans le cadre des violences sexuelles. Car Giulia Foïs continue de dérouler les chiffres. Dans 99% des cas, l’agresseur est un homme, la victime est une femme. Un tel déséquilibre implique un réel dysfonctionnement sociétal.

Photo issue du site l-azimut.fr, © Marie Charbonnier

Lecture de tribunes. Transcriptions de conversations. Entretiens à bâtons rompus. Vidéos. Bandes son. Saynètes. Chansons. Accompagnés de deux autres comédien.nes, Astrid Roos et Jean-Philippe Salério, Giulia Foïs et Étienne Gaudillère nous emmènent dans une tornade d’observations attentives et argumentées du monde de la culture en particulier et de la société en général. Ça bouscule, ça dérange, ça embarrasse.

Ça dessine des lignes, ça pose des bases, ça éclaircit.

Je n’avais pas prévu d’aller voir ce spectacle. Les voyages chez ma mère me laissent vide d’énergie et d’envie. Mais mon amie Gaëlle me l’a conseillé. Elle y est allée avec une classe de son lycée. Les garçons, notamment, étaient abasourdis par les chiffres. Peut-être parce que, pour les filles, les chiffres n’ont pas besoin d’être verbalisés. Elles savent que ça peut arriver. N’est-ce pas la raison pour laquelle, samedi dernier, je n’ai pas laissé Hortense rentrer seule de l’anniversaire d’une amie à 23h alors qu’elle fait ce trajet sans soucis en journée ?

Mettre des mots (et choisir les bons), donner les chiffres, parler, témoigner, écouter, soutenir, dénoncer. Une nécessité quand, après le spectacle, dans la discussion avec les artistes, une adolescente exprime son incompréhension. « Je n’ai pas bien compris ce que vous vouliez dire par séparer l’œuvre de l’artiste ? Parce que si l’œuvre ne pose pas de problème, alors… » et elle se perd dans un océan de mal-être, d’incertitude, de flou.

A sa décharge, le spectacle fait beaucoup de références à des faits qui ont eu lieu à l’âge où ces adolescents ne s’intéressaient pas à ces polémiques. Le contenu est dense, le rythme soutenu. Ça met KO dans les cordes. Pour qui n’a pas le contexte, il y a de quoi lâcher prise.

Au moins, une petite graine a été semée.

Féminisme à travers les âges

J’aimerais ce soir réussir à associer un auteur norvégien du XIXè séché et une autrice, actrice et metteuse en scène du XXIè siècle (même si, comme moi, elle est née au XXè). Le rapport ? Un hasard du calendrier et la place des femmes dans la société.

J’ai terminé, hier, la lecture d’Une maison de poupée de Henrik Ibsen. J’avais découvert ce monument culturel norvégien lors de ma visite de l’exposition Munch au Musée d’Orsay en novembre. J’avais acheté le livre à la boutique du musée, avais entamé les premières pages, puis l’avais oublié dans un coin.

Je l’ai repris cette semaine. D’abord scandalisée par la vision de la femme dans les premières scènes, j’ai ensuite découvert toute la complexité de Nora, ses choix, ses sacrifices et ses désillusions derrière une joie de vivre commandée. Telle une poupée guillerette, elle chante et danse pour son mari Torvald, qui ne lui prête pas plus de cervelle qu’à une alouette ou un écureuil. Petits surnoms dont il accable amoureusement cette femme qui répond à tous ses désirs et à toutes les convenances. En façade en tout cas.

Puis, trahie et incomprise, rejetée et méprisée, elle finit par rejeter cet homme qui ne l’aime pas pour ce qu’elle est mais pour ce qu’elle représente, poupée entre ses mains après avoir été celle de son père. Je ne connaissais rien d’Ibsen. Je ne m’attendait pas à la fin de la pièce. Car, loin de se jeter dans les bras de son mari après que la tempête se soit éloignée, elle décide de le quitter sans sommation. Elle veut se forger ses propres opinions et agir pour elle-même.

J’ai été joyeuse, voilà tout. Et tu as toujours été si gentil pour moi. Notre foyer n’a jamais été rien d’autre qu’une salle de récréation. Ici, j’ai été ton épouse-poupée, tout comme à la maison j’étais l’enfant-poupée de papa. Et mes enfants, à leur tour, ont été mes poupées.

A peine avais-je fermé ce livre que je décidais d’aller voir Féministe pour homme, le spectacle de Noémie de Lattre qui jouait ce soir au théâtre d’Antony. Je n’avais pas été très motivée au départ par le côté féministe de cabaret (satin, paillettes et plumes rose pastel), mais tout le monde au théâtre m’en disant le plus grand bien, nous y sommes allés ce soir.

Noémie de Lattre dans Féministe pour homme
Photo de François Fonty
prise sur le site de L’Azimut

Noémie de Lattre a de l’énergie, de l’humour, de la souplesse et une belle paire de seins. Elle a aussi un sacré régime de parole et débite anecdotes et chiffres du sexisme ordinaire à un rythme effréné. Elle vise juste et sait alterner légèreté et profondeur pour faire passer son message engagé. Elle cadence son spectacle de jingles dansés, pseudo Beyoncé blanche et parisienne. Elle assume ses formes, son âge et son histoire, tout en invitant sur scène toute la diversité des femmes.

Si Ibsen émancipe son héroïne avec violence (elle quitte mari et enfant sans rien garder de sa vie avec eux), Noémie de Lattre lutte, elle, pour l’égalité des hommes et des femmes, contre le patriarcat mais sans stigmatisation des hommes. Elle aborde la linguistique et la grammaire, la charge mentale, la place de la femme dans l’espace public, la vision de la mère dans la société, l’objectification de la femme tout comme le plaisir sexuel et les caractéristiques du clitoris.

Quand tu veux insulter une femme, tu la traites de pute. Quand tu veux insulter un homme, tu le traites de fils de pute. C’est la double peine !

Mais comment s’appelle le client d’une pute ? Noémie de Lattre propose de lui inventer un mot, qui pourrait devenir une insulte, lui aussi.

Ou encore, le sexisme c’est de dire « une femme, c’est bien, un homme, c’est mieux ».

D’Ibsen à Noémie de Lattre, le féminisme n’est pas un sujet nouveau, ni récent. Et il n’a pas fini de faire parler de lui. Tant mieux si c’est avec autant de plaisir que ces deux auteur.ices.