20 ans de cirque contemporain, ou l’équilibre fragile d’une bulle

Vision personnelle du cirque contemporain à l’occasion des 20 ans de l’Espace Cirque de l’Azimut.

« Préserver du vide et du fragile pour que naisse la poésie du cirque »*, telle est la proposition de l’Espace Cirque à Antony. Quelle idée délicieusement folle à une époque et dans une région où la population se densifie, où les relations se crispent et où le mètre carré vaut de l’or.

Le vide, telle une bulle lyrique, écrin de l’éphémère beauté d’un chapiteau.

De mon enfance, j’ai gardé le souvenir d’un cirque flamboyant. Du rouge pompier. De l’or éclatant. Des étoiles, des strass et des paillettes. L’attirail pour en mettre plein la vue. Je devais avoir dix ans quand mon oncle nous emmena voir le cirque Pinder. La grande esplanade des Quinconces à Bordeaux. Des éléphants et des tigres parfaitement dressés. Se tordre le cou pour suivre le balancier des acrobates tout en haut du chapiteau. J’avais des étoiles plein mes yeux d’enfant. J’ai gardé longtemps le petit drapeau à l’effigie du cirque que mon oncle m’avait offert en souvenir.

Mais le cirque, une fois adulte, je n’y ai que rarement remis les pieds. Il y a eu notamment cet été dans le sud de la France. Un petit chapiteau sur un parking et des voitures qui sillonnaient la ville, haut-parleurs grésillant les dates des prochaines représentations et des affiches avec toujours la même tête de clown. Nous avons pris des places pour occuper les enfants. Un zèbre perdu sur la piste. Un tigre de mauvaise humeur. Un lama déboussolé et des numéros sans surprise ont eu raison de mon envie de cirque.

Aujourd’hui, on n’autorise plus les lions en cage et les éléphants sur des tabourets. Ni aucun animal sauvage. Tant mieux. Restent les femmes et les hommes pour faire vibrer nos cœurs. J’ai eu l’occasion de voir trois fois le Cirque du Soleil. Du spectaculaire. Des univers extraordinaires. Des prouesses acrobatiques. On en prend plein la vue. Mais aussi plein le porte-monnaie. On est loin de l’après-midi d’été à combler pour enfants désœuvrés.

Que reste-il entre le parking de la zone péri-urbaine et le show sous chapiteau géant ? La bulle fragile du cirque contemporain, en équilibre entre la société ordinaire et la fantaisie créatrice.

Depuis que je travaille à l’Azimut, je découvre l’étendue de cet art fugace aux confins du théâtre. Les circassiens embarquent les spectateurs dans une atmosphère où jouent autant la subtilité des sentiments que les prouesses artistiques.

Lundi, l’Azimut fêtait les vingt ans de son Espace Cirque. Un terrain vide sur lequel dorment toujours quelques caravanes aux habitants intermittents, un petit chapiteau pour la restauration et un module en préfabriqué qui sert de bureau administratif. De l’architecture éphémère. Chaque compagnie structure cet espace à sa façon, modulant le plein et le vide pour écrire des univers fantastiques.

Ce mois-ci, je suis allée voir deux spectacles coup sur coup. Vendredi soir, au théâtre Firmin Gémier, Antigone de Sophocle, mis en scène par Laurence Cordier. Dimanche après-midi, à l’espace cirque, Sono io ?  de Circus Ronaldo.

J’ai été conquise par l’actualité du texte de Sophocle et la scénographie de la pièce, le travail sur les lumières, le gravier noir qui tombe régulièrement du ciel, sablier inexorable qui noie les personnages dans le deuil. Mais je n’ai pas été saisie par l’émotion des sentiments. Je suis restée spectatrice admirative de la performance, sans entrer réellement dans la pièce.

Alors que sous le petit chapiteau du Circus Ronaldo, j’ai été emportée dans l’univers merveilleux et absurde de ce père et ce fils qui s’aiment sans se comprendre, se cherchent sans se trouver, s’observent sans se regarder. Une histoire de passation autant que d’émancipation, d’un héritage aussi délicat à transmettre qu’à recevoir. Comment construire sa propre place avec ce que nous donnent nos parents. Comment accepter la singularité de son enfant. Une rêverie poétique où l’acrobatie n’était qu’un moyen de raconter une histoire.

Finalement, c’est cela le cirque contemporain. Un cirque qui raconte des histoires. Alors que les numéros se succédaient dans une ambiance fantaisiste et festive pour cet anniversaire, je pensais à Molière et à ce théâtre itinérant qui écumait les villes et jouait dans les foires, loin des salles luxueuses des théâtres d’aujourd’hui.

Je trouve merveilleux que des structures telles que l’espace cirque d’Antony permettent de préserver ces parenthèses d’évasions vagabondes et joyeuses. Et je m’estime extrêmement chanceuse de participer à cette aventure incroyable, même à mon échelle microscopique.

📸Pour de bien meilleurs images que celles prises avec mon téléphone, je vous invite découvrir les photos de Joseph Banderet. Elles sont magnifiques !

🎪Pour aller voir les prochains spectacles à l’Espace Cirque ou dans les autres lieux de l’Azimut, demandez le programme !

Le programme des 20 ans de l’Espace Cirque d’Antony

*Extrait du discours de Marc Jeancourt et Delphine Lagrandeur à l’occasion des vingt ans de l’Espace Cirque.